La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°58

L'industrie nucléaire et la promotion du tout-électrique
par A.L., du G.S.I.E.N. de Poitiers


    Cet article a pour but de montrer comment l'industrie électronucléaire organise ses propres débouchés. Il s'articule autour de deux pôles principaux:
    1. L'analyse du secteur «bâtiment et travaux publics» (BTP), partie prenante dans la construction des centrales et vecteur privilégié de la pénétration de l'électricité chez les usagers. 
    2. La promotion de techniques comme la pompe à chaleur et le contrôle des filières «énergie renouvelable» par des industriels autres que ceux du BTP, mais tout aussi intéressés au programme d'EDF.

I - Le secteur BTP 

     Les entreprises de ce secteur sont fréquemment négligées par les analystes, bien que leur travail représente environ le quart du coût d'investissement d'une centrale (26% en 1978 d'après CFDT-Dossier électronucléaire). Sans doute leur intervention semble-t-elle peu spectaculaire et non spécifique de l'industrie nucléaire. Elles peuvent se retourner assez facilement sur d'autres créneaux. Cependant, les commandes d'EDF constituent fréquemment une bonne part, parfois l'essentiel, de l'activité T.P. métropolitaine des entreprises concernées. Et elles comptent toujours parmi les activités les plus lucratives obtenues dans un contexte plutôt maussade. En outre, on doit y rattacher la construction d'ouvrages imposants comme les barrages de régulation, les installations pour le pompage nocturne de l'eau ou les conduites de rejet en mer. 
     Pour les entreprises qui dominent ce secteur, les réalisations sont utilisées comme autant de cartes de visite dans leur processus d'internationalisation, à l'instar des autres industries nucléaires. 
     Or ces entreprises contrôlent une bonne part du marché de la construction en France, et chacun peut constater qu'en dehors de quelques opérations-alibis, elles se servent de cette position privilégiée pour accroître la pénétration de l'électricité dans ses usages les plus antiéconomiques.
     Par ailleurs, afin d'identifier les intérêts en jeu sur ces créneaux et mettre en relief des liens peu connus, nous avons étudié l'intégration amont du secteur en direction des sidérurgistes, des cimentiers et des pétroliers. 
     Enfin, nous avons doublé l'analyse de l'intégration financière d'une étude du personnel: d'une part, certaines présences peuvent exprimer des liens financiers non officialisés; d'autre part, elles présentent une signification propre, même en dehors d'une participation au capital. A l'évidence, un administrateur détaché par une grande société ou une banque pèse davantage que 25.000 petits actionnaires dispersés se partageant 15%. Et puis, il n'est pas inutile de rappeler comment, de nos jours encore, de véritables clans détiennent des pans entiers de notre industrie.

     Cette concentration revêt au reste un sens particulier dans le domaine énergétique où l'intervention politique exerce un poids si considérable. Car les lois du marché y sont particulièrement faussées par la nature même, non renouvelable (c'est-à-dire non reproductible ou exploitable à volonté par le travail humain) d'une bonne partie des sources d'énergie, par le système de rente qui s'y rattache et par le caractère stratégique de l'approvisionnement qui justifie partiellement toute une panoplie de subventions et de taxations.
     Il est certain que les liens multiples que nous allons exposer maintenant peuvent donner l'impression d'une planification occulte et quasiment diabolique. En réalité, nous pensons qu'il ne faut pas accorder à cette structure plus de cohérence que les hommes peuvent lui en donner. Disons qu'elle joue plutôt comme un contexte propice à la création d'un état d'esprit favorable à la pénétration du tout-électrique et un terrain particulièrement perméable aux petites et aux grandes interventions, sans que, pour autant, on parvienne à une maîtrise absolue des tendances centrifuges. 
     Voici maintenant les principaux constructeurs. On trouvera successivement:
     - leurs interventions dans le nucléaire (liste non exhaustive);
     - autant qu'on a pu, I'importance de leur activité bâtiment en France (hors nucléaire). A cet égard, on doit savoir, pour la compréhension des chiffres, que les mises en chantier de logements, qui avaient dépassé les 500.000 au début des années 70, n'atteignent pas actuellement la barre des 350.000/an;
     - l'étude de leur structure financière et de leur personnel dirigeant.

1. DUMEZ 
· Les 4 x 900 MW du Blayais avec Spie-Batignoles. 
· Les 4 x 1.300 MW de Cattenom avec Spie-Batignolles et l'Auxiliaire d'entreprises [ainsi que Quilley]. 
· Barrage de Grand'Maison en participation.
     C.A. 1981 TTC: 5,7 MdF. 29.000 salariés. 
     La plus internationalisée des entreprises françaises du secteur: 83% du chiffre d'affaires sont réalisés à l'étranger, avec un poids prédominant mais décroissant de l'Afrique. 
     En France, I'activité bâtiment a concerné notamment la ZAC de Beaulieu à Poitiers, à la fin des années 70, soit plus de 2.000 logements « tout-électrique ». 
     L'entreprise semble une des rares à être restée indépendante. La famille du PDG, M. Chaufour, détenait encore 65% du capital en 1976. A noter au conseil, la présence de J.-Cl. Parayre, dirigeant du groupe Peugeot, époux d'une demoiselle Chaufour. La politique sociale des deux entités paraît d'ailleurs également musclée.

p.3

2. S.A.E. (Auxiliaires d'entreprises) 
· 4 x 1.300 MW de Cattenom avec Dumez et Spie-Batignolles.
CA 1982 TTC: 11,3 MdF. 20.300 salariés. 
     60% du chiffre sont réalisés en France, dont 78% dans le bâtiment: le groupe édifie des écoles, des hôpitaux et occupe la première place en France pour la constructions de logements. 
     Principales filiales: SAEP, SORMAE, SOCAE, SUPAE, Borie SAE, etc. 
     Maisons individuelles:
     - Dona construction: 2.000 pavillons depuis 1968 - 150 personnes.
     - Copreco: 3.000 maisons depuis 1961. 
     - un tiers (minorité de blocage) de Lemoux-Bernard: 32.000 pavillons édifiés depuis la naissance à Rennes en 1969 jusqu'à fin 1982. 4.500 prévus pour 1983. 5.000 salariés. 
     - Maisons et chalets Giraud, Socamip, ... 
     L'Auxiliaire d'entreprises est intégrée au groupe De Wendel:

(au 31.12.1982)

     Cette intégration s'explique, en grande partie, par l'intérêt que représentent les BTP comme débouches pour les productions d'un groupe sidérurgiste. 
     En outre, le groupe De Wendel possède sa propre société cimentière, la Cedest (Ciments et dannes de l'Est), dont Lafarge détient 25%. Aussi ne s'étonnera-ton pas de la présence au conseil de Lafarge de Pierre Célier, époux de France-Victoire De Wendel, et administateur de la SAE. Cependant, chose plus surprenante, l'homme est également administrateur de la Cie du Midi (société de participation) qui possède deux représentants au conseil des Ciments Français (Latscha et Plazonitch) et accueille en son sein le président de cette dernière société: R.-M. Doumenc.

3. S.C.R.E.G. (Société chimique de la route et d'entreprise générale) 
· Centre d'études nucléaires de Saclay (par sa filiale Albaric). 
· Flamanville et Gravelines: par sa filiale D.T.P. en participation avec la S.G.E.
· Grand'Maison: D.T.P. en participation.
     CA 1981 TTC: 10,1 MdF. 37.600 personnes. 
     Principal actionnaire: la Pétrofina française, filiale de la Compagnie pétrolière belge.
     Principales filiales:
     - D.T.P. (Dragages et travaux publics): Screg 60%, Indosuez 8,5% représentée en particulier par G. Billaud, également administrateur de la S.G.E. (on remarque l'association des deux firmes à Gravelines et à Flamanville), et la banque Worms 3,9%, représentée par Claude Vivier;

suite:
     - Smac acieroid (Société des mines et asphaltes du Centre): étanchéité et construction métallique; une filiale à hauteur d'un tiers: la SMUC (Mines d'Uranium du Centre);
     - Promogim: de 1972 à 1982, 12.000 maisons construites (villages et maisons individuelles groupées): cherche à s'assurer la maîtrise du sol. 
     Depuis 1983, la SCREG a absorbé la Routière Colas et la Sacer, dans lesquelles la Shell a conservé 35%. Colas a travaillé en particulier sur Bugey 2 et 3 avec sa filiale Devaux.

3. BOUYGUES 
· Premières réalisations: Bugey 2 et 3 (900 MW) en 1971-72 jusqu'aux 2 x 1.300 de Saint-Alban et aux futures tranches de Chooz. 
· Grand'Maison en participation.
     CA 1981 TTC: 10,5 MdF. 23.800 salariés.
     L'entreprise, créée après la guerre en Auvergne, a su bénéficier du boom qui s'est produit dans les années suivantes. Aujourd'hui Bouygues dispute à la SAE le titre de premier constructeur de logements en France avec 20.908 pour l'année 1981, soit un total français d'environ 4 MdF si l'on y ajoute les hôpitaux, les centres administratifs et commerciaux et les écoles. 
     La filiale «Maison Bouygues», qui prétend construire des «maisons sur mesures» avec une «vraie charpente de compagnon», ce qui lui a valu 10.000 F d'amende, a vendu plus de 3.000 maisons en 1981. Objectif 1983: 4 800. 
     Cette activité est renforcée par une branche promotion avec la STIM, France-construction et Bâtir. 
     L'entreprise se donne volontiers une image moderniste: construction de logements à La Courneuve dans le cadre de l'opération de géothermie, édification de quelques petits villages solaires. Bien que notre information soit insuffisante, nous avons pu remarquer plusieurs fois qu'on intégrait à ces programmes des radiateurs électriques (cf. le village «solaire» de Barbezieux en Charente). Leur édification s'effectue d'ailleurs dans le cadre suspect du concours «5.000 maisons solaires», lancé naguère par d'Ornano. 
     Au conseil, outre Francis Bouygues et deux de ses fils,
     - Michel Gallot, du Crédit lyonnais, banque qui a dépassé la barre des 10% du capital fin 1982, également administrateur d'une des plus grosses sociétés immobilières cotées: la Foncière lyonnaise;
     - Philippe Mallet, de Suez, PDG de la SCAC spécialisée dans le négoce de combustibles et de matériaux de construction, dont Francis Bouygues est administrateur;
     - Jean Lamey, de chez La Hénin qui regroupe la plupart des activités immobilières de Suez, et aussi:
     - Jacques-Henri Gougenheim, représentant l'UAP, société d'assurances dont les activités immobilières sont très considérables (la banque d'affaires de l'UAP, la Séquanaise, gère un patrimoine immobilier qu'elle détient en propre, équivalent à la ville de Chartres). 

p.4

5. Les Chargeurs Réunis 
     A l'origine, deux compagnies maritimes fusionnées: la Cie Fabre, créée à Marseille, et les Chargeurs réunis, fondés en 1872 au Havre par le banquier protestant Mirabaud. 
     Aujourd'hui un holding hétéroclite, constitué au gré des alliances de la bourgeoisie protestante, dans lequel on retrouve notamment: 
     ‹ les activités de transport maritime d'origine, renforcées par l'absorption de l'armement rochelais et protestant Delmas-Vieljeux, augmentées de la compagnie aérienne UTA, mais aussi: 
     ‹ un secteur textile (Pricel), détaché en 1980 de Rhône-Poulenc par la famille Gillet en prévision de la nationalisation, 
     ‹ un secteur BTP important avec Grands Travaux de Marseille et sa filiale Jean Lefebvre. 
     On se souviendra en particulier du rôle joué par UTA dans le transport de l'uranium extrait de Rossing, en Namibie (cf. Gazette Nucléaire N°38) et du transport par une autre filiale, Ata-Wallon, des centrales nucléaires pour Koeberg, en Afrique du Sud. 
     Le conseil traduit un système assez complexe d'alliances entre les Fabre, de Marseille, et la haute bourgeoisie protestante par l'intermédiaire de la bourgeoisie Iyonnaise associée à la banque Lazard (historiquement puissante à Lyon), le tout en collaboration avec Paribas. 
     La persistance de l'influence marseillaise est attestée par la présence des Fabre, de leurs parents, les Demandolx-Dedons, et de Philippe Giscard d'Estaing, marié à une Demandolx. 
     L'influence d'origine de la banque Mirabaud apparaît aujourd'hui plus diluée. Le relais semble avoir été pris par Paribas, représenté par Eskenazi (le Crédit du Nord, filaile de Paribas, ayant absorbé la banque Mirabaud, fondue dans la Banque de l¹Uniuon parisienne) ; par les Seydoux, vieille famille textile apparentée aux Mirabaud, aux Schlumberger et aux Peugeot ; et par la banque Lazard, institution sur laquelle la famille Gillet exerce une puissante influence et qui a participé aux opérations entre Peugeot, Fiat, Michelin et Chrysler. 
     Au reste, I'interpénétration est très forte puisque Francis Fabre est aussi administrateur de Paribas, d'Eurafrance (Lazard) et de Fiat à qui fut vendu Safic-Alcan, une filiale des Chargeurs spécialisée dans le négoce de caoutchouc. 
     Quant à Philippe Giscard (d'Estaing), sa mère est née Carnot, vieille famille Iyonnaise entretenant des liens étroits avec Pricel et Rhône-Poulenc (il est également administrateur de Thomson-CSF). 
     Renaud Gillet, héritier d'une vieille famille textile Iyonnaise, siège chez Paribas et Eurafrance ainsi que dans une autre entreprise d'ancienne extraction régionale, BSN-GD, dirigée par Antoine Riboud, frère du PDG de Schlumberger. 
     Le PDG des Chargeurs, enfin, Jérôme Seydoux, frère de Nicolas, PDG de Gaumont, propriétaire de l'hebdomadaire Le Point, est fils d'une Schlumberger, ce qui lui a permis de faire ses preuves chez Neuflize- Schlumberger-Mallet, puis chez Schlumberger et à la Compagnie des Compteurs, avant de devenir (1976) président de Pricel et d'atterrir finalement aux Chargeurs. 
Donc, pour nous résumer, cinq influences principales : les Fabre-Demandolx, les Gillet, les Seydoux-Schlumberger-Riboud, Lazard et Paribas.

5.1. G.T.M. (Grands Travaux de Marseille) 
· Chinon et Belleville. 
· Production de granulats à Flamanville. 
· Terrassements à Golfech. 

suite:
· Barrage de Grand'Maison, galeries à Saint-Guillerme.
· Pose de lignes de haute-tension. 
· Grands postes d'interconnexion et de transformation pour EDF.
· Études pour l'extension de La Hague. 
· Systèmes d'instrumentation et de contrôle pour la Cogéma à Marcoule.
     CA 1981 TTC: 7,6 MDF.
     2.350 maisons individuelles construites en 1981, notamment sous les marques «Cosmos» (750) et «Florilège». Participation au concours des 5.000 maisons solaires. Promotion immobilière: station de Super-Dévoluy, etc. 
     Au conseil, deux représentants de Lazard: Antoine Bernheim et Jean Guyot, qui siège aussi chez Peugeot; Jérôme Seydoux, le PDG des Chargeurs; mais aussi Alain Bizot, du Crédit Lyonnais, banque déjà vue chez Bouygues, et Robert Gachet, représentant la compagnie Abeille-Paix (Suez), présent à ce titre chez Lafarge.

5.2. GTM-Entreprose 
     Entrepose, filiale de Vallourec, a été absorbée par GTM en 1982. 
     Vallourec réalise la performance d'être à la fois second producteur européen de tubes d'acier et bénéficiaire. Domaine de prédilection, l'énergie: pétrole-gaz et nucléaire (dont les tubes des générateurs de vapeur). 
     Principaux actionnaires: Nord-Est (25%) et Usinor (25%). 
     Entrepose, créée en 1935, spécialisée dans la pose de tubes. Troisième rang mondial dans l'offshore. Poursuit une diversification à partir de cette activité de base. 
     En 1981, activité tuyauterie sur les 900 MW de Chinon et du Blayais. Contrat pour les tuyauteries des bâtiments auxiliaires de 12 nouvelles 1.300 MW. 
     Participe à la modernisation de La Hague.
     La fusion avec GTM est accomplie en 1982. Vallourec devient alors l'actionnaire prépondérant de GTM-Entrepose avec 41%. 
     CA 1982 TTC: 14,8 MdF.

5.3. GTM-Jean Lefebvre 
· Divers travaux d'aménagement de site, sur les centrales de la Loire notamment.
· 1981: une prise d'eau de réserve à Chinon.
     L'activité bâtiment est très réduite. 
     Principales filiales : Salviam-Brun et Revéto.
     CA 1981 TTC: 397 MdF, dont 86% en France. Plus de 7.000 salariés en 1983.
     Jean Lefèbvre siège chez GTM et à la Mobil Oil. 
     Inversement, GTM possède trois représentants chez Jean Lefèbvre: Charpentier, Craste et Péhuet, et détient 44% du capital. 
     A leurs côtés, François Giscard, représentant la Banque française du commerce extérieur, et frère de Philippe, des Chargeurs. 
     Gérard Chauchat, administrateur de plusieurs sociétés du groupe Empain - Schneider (E-S), en particulier Citra-France (bâtiment), filiale de la Spie-Batignolles. 
     Pierre Pagézy, président de l'Union Européenne, banque du groupe E-S, tandis que Jean Lefèbvre siège à la CFDE, société de participation de la BUE. 
     Rémy Schlumberger, représentant la Banque Neuflize-Schlumberger-Mallet, fils d'une demoiselle Monnier, famille alliée aux Mirabaud. 
     Jean-Louis Lehmann, représentant la Mobil Oil (10%).

p.5

6. LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX 
     Fondée en 1853. Assure cent trente ans plus tard la distribution d'eau à 20 millions de personnes et l'assainissement de 7,3 millions. Mais la Générale s'intéresse aussi à l'énergie thermique avec la Générale de Chauffe et la CGST-SAVE; à l'évacuation et à l'élimination des déchets; aux BTP (30% du chiffre d'affaires en 1981, proportion en progrès); et aux activités financières et immobilières. 
     CA consolidé en 1981: environ 20 MdF.
     La dilution du capital a entraîné ces dernières années diverses manoeuvres boursières destinées à s'emparer de son contrôle. Face à une mystérieuse offensive, le PDG, Guy Dejouany, faisait appel, début 1981, à un syndicat composé du CCF, de Rivaud et de la Cie Générale d'Électricité qui rachetait 15% des actions. 
     On remarque alors au conseil la présence de J.M. Lévêque (CCF), Jacques Pillet-Will (Rivaud) et Ambroise Roux (CGE), aux côtés de J.-H. Gougenheim, de l'UAP (9%) siégeant chez Bouygues. La Caisse des dépôts détient 15%, le solde est réparti dans le public. Autres administrateurs:
     - Philippe Boulin, PDG de l'ensemble Creusot-Loire/Framatome (supplanté depuis par Pineau-Valencienne): sa présence se justifie par l'important engagement des filiales BTP de la Générale des Eaux dans le programme électro-nucléaire;
     - Jacques Calvet, de la BNP, recruté depuis lors par Peugeot;
     - le baron Mallet, de Neuflize-Schlumberger;
     - Georges Saint-Olive, de Lazard, etc. 
     L'été 1983 voit le développement d'une offensive de Saint-Gobain. Bien qu'on ne sache pas qui vend (des nationalisés comme la CGE ou le CCF?), la droite s'emporte déjà contre les nationalisations rampantes. Au reste, les liens sont fort anciens puisque le président d'honneur de la Générale des Eaux, R. Gérard, est aussi le descendant de deux présidents de la Cie des Glaces de Saint-Gobain. Cependant, Saint-Gobain étant parvenu à s'assurer une minorité de blocage, est amené sous la pression gouvernementale à rétrocéder 10% à Schlumberger, société qui possède déjà plusieurs filiales communes avec la Générale, débouché de choix pour ses compteurs.

6.1. Campenon-Bernard 
· Réalisation de Fessenheim (avec Capag-Cetra), de Cruas et de Nogent. 
· Extension de La Hague. 
· Barrage de Grand'Maison en participation. 
· Barrage et galeries de Laparen (Pyrénées). 
     CA 1981 TTC: 5 MdF. 17.500 personnes. 
     En 1981, le programme électro-nucléaire a représenté plus de la moitié (soit plus de 500 MdF) de l'activité TP métropolitaine du groupe, à comparer avec un chiffre d'affaires «bâtiment» en France de 713 MdF. Cependant, cette dernière activité ne cesse de croître relativement et réellement. Ce mouvement est marqué par la constitution d'une entité spécialisée (C-B construction) et par le rachat à hauteur de 59% de Seeri-Sari, principal promoteur de la Défense, quartier dont on connaît les performances énergétiques. 

suite:
     Principales filiales: Viafrance, Freyssinet, Heulin. 
     La participation de la Générale des Eaux n'a cessé de progresser pour atteindre aujourd'hui 57%. On remarque aussi la présence de Dautresme, du Crédit Lyonnais (banque déjà vue chez Bouygues et GTM); de Paribas avec Dupont-Fauville et un représentant (J.-P. Fontaine) de leur satellite Poliet-Ciments français, etc.

6.2. Fougerolle 
· Superphénix et Golfech. 
· Galeries de Grand'Maison, Superbissorte, Brassac et du Pouget, mais aussi route Tahoua-Arlit pour l'exploitation de l'uranium nigérien. 
     CA 1981 TTC: 6,2 MdF. 17.700 personnes. 
     43% du chiffre d¹affaires à l'étranger. 
     L'activité bâtiment est relativement secondaire. 
     Principale filiale: la S.C.R. (Société chimique de la route). 
     Actionnaire dominant: Paribas (28%) avec Baseilhac, Claudon, Coiffard (d'OTH-Office technique du bâtiment et des ascenseurs Soretex), Nesterenko, de la SCOA (Commerciale de l'Ouest Africain, la seconde société de commerce colonial française après la CFAO), dont les relations africaines peuvent faciliter les opérations du groupe, et l'échange d'administrateurs entre Poliet et Fougerolle (Fontaine et Lesne). 
     L'influence de la Générale (26%) est traduite par la présence de Dejouany et de Laurent (de chez Campenon). 
     Capoulade assure la présence de Total (11%).

6.3. Autres interventions de la Générale des Eaux 
     La société mère intervient directement dans la promotion immobilière par de multiples filiales. Elle exerce aussi une importante activité, «pose de lignes», avec l'«Union des entreprises électriques régionales». Cependant, sa force de frappe est principalement concentrée dans sa filiale à hauteur d'un tiers, Maison Phénix, premier pavillonnaire français et ardent promoteur du tout-électrique, qui participa "naturellement" au concours des «5.000 maisons solaires». 
     Maison Phénix et sa principale filiale, «Maison Évolutive», ont construit environ 140.000 maisons individuelles, le rythme annuel se situant bon an mal an entre 10.000 et 15.000. 
     CA 1981 HT: 2,7 MdF. Environ 6.000 personnes. 
     Au conseil, en 1982, des représentants de l'ensemble «Générale des Eaux-Campenon» (Dejouany, Romain, Blondeau), voisinant avec la Lyonnaise des Eaux (Pinçon). Saint-Gobain (Roger Pagezy), qui avait cédé le contrôle pour se diversifier dans l'informatique, opère un retour en force par son offensive sur la Générale. On notera encore la présence de Pfeiffer, de l'UAP, déjà présenté à la Générale des Eaux et chez Bouygues; Brandolini défendant les intérêts de la famille Agnelli (Fiat); et Krug, d'American Express, dont la présence rappelle la volonté de Phénix de prendre pied aux États-Unis (U.S. Home).

p.6

7. La S.G.E. (Société Générale d'Entreprises) 
· Paluel, Flamanville, Gravelines. 
· Extension de La Hague. 
· Villerest et Grand'Maison en participation. 
· (Jadis usine marémotrice de la Rance). 
     CA 1981 HT: 13 MdF (environ 40% à l'étranger). Effectif: 40.500 personnes.
     L'activité «bâtiment» représente autour du quart du chiffre, principalement avec SGE-Construction et Thinet-Devars-Naudo, répartie à égalité entre la France et l'étranger. 
     Le secteur pavillonnaire, en expansion, est exercé par «Maison Mondial Pratic», dont le poids est encore modeste (786 mises en chantier pour 1982). 
     Le contrôle était exercé jusqu'en août 1983 par la Compagnie Générale d'Electricité, laquelle cède alors 26% à Saint-Gobain, tout en conservant 28%. Saint-Gobain assure progressivement la responsabilité industrielle de l'entreprise. 
     Le conseil reflète encore en 1982 la prédominance de la CGE associée aux familles qui ont assuré le développement des diverses composantes: Jean-Louis Giros, Matheron (son gendre), Bernard Huvelin, fils de l'ancien président du CNPF et de Madeline Giros. Paul Naudo et Devars du Mayne, fondateurs de Devars-Naudo qui ont absorbé Sainrapt et Brice avant de passer sous contrôle SGE. Gérard Billaud, représentant de Suez, également administrateur de Dragages et Travaux Publics (SCREG).

8. SPIE-Batignolles 
     Plus de vingt installations nucléaires depuis les centres expérimentaux de Marcoule et Cadarache, dans les années 1955-60, en passant par Bugey 1, Koeberg en Afrique du Sud, la centrale interrompue de Karun en Iran, jusqu'aux 4 x 900 du Blayais avec Dumez et aux 4 x 1.300 de Cattenom avec Dumez et SAE. 
     Assistance pour ULJIN, en Corée. 
     Au-delà du génie civil, la SPIE intervient à de nombreux stades de la construction, ce qui lui permet d'être présente en fait sur tous les chantiers à un stade ou à un autre: elle monte les tuyauteries qu'elle fabrique dans son usine de Ferrière-la-Grande. Thermatome, constituée avec deux autres sociétés du groupe E-S - Merlin-Gérin et Jeumont-Schneider - réalise la totalité du contrôle-commande de l'îlot et une très grande partie des installations électriques. Enfin, la SPIE possède une importante activité «pose de lignes». 
     Principales filiales: Citra, Trindel, Spie-Capag Linélec, SIF, Isopipe, Coignet entreprise, etc. 
     CA 1981 TTC: 10 MdF, dont 65% à l'étranger. 37.000 salariés.
     Hormis les installations électriques, I'activité «bâtiment» est plutôt secondaire et assurée principalement par Citra-France. 
     Le conseil est monopolisé par les représentants d'E-S. Notons cependant la présence du marquis de Brissac (fils de May Schneider) et de Jean-Louis Masurel, de Paribas.

suite:
     A l'issue de cette revue, on peut formuler un certain nombre de commentaires:
1. Le secteur est caractérisé par une intégration verticale avancée avec les groupes cimentiers:
     - l'Auxiliaire d'entreprises avec Cedest, Lafarge et, par l'intermédiaire de la Compagnie du Midi, Ciments français;
     - la liaison entre Lafarge et G.T.M., établie par l'intermédiaire d'Abeille-Paix, administrateur commun. 
     - la relation Lafarge-Générale des Eaux assurée par le C.C.F.: échange d'administrateurs entre Lafarge et le CCF, présence du CCF à la Générale des Eaux. 
     - enfin, I'interconnexion entre trois groupes sous influence Paribas :Poliet-Ciments français, Campenon et Fougerolle.
2. Intégration des sociétés sidérurgiques et des entreprises du BTP:
     - Wendel-S.A.E. 
     - Vallourec avec Entrepose-GTM. 
     - E-S avec Spie-Batignolles. 
     Semblablement chez Saint-Gobain, la SOBEA pose les tuyaux Pont-à-Mousson, tandis que la Générale des Eaux fabrique les tuyaux Bonna installés par la Sade-CGTH.
3. On ne manquera pas de s'émerveiller des miracles de la libre concurrence qui a su si bien accorder une part du gâteau à chacun des grands pétroliers opérant en France: Fina-SCREG, CFF-Total-Fougerolle, Mobil Oil-Jean Lefèbvre, Shell-Colas et Sacer, B.P.-Chimique de Gerland. La participation de ELF dans la modeste société Cochery, absorbée par la S.G.E. en 1981, est compensée par une participation de 34% dans Bouygues-Offshore. Jusqu'en 1981, Esso détenait une participation dans Viafrance, principale filiale routière de Campenon-Bernard, résultant de la fusion en 1970 de Viasphalte avec la Cie Française du Vialit. 
     Ces participations, justifiées à l'origine par l'utilisation du bitume dérivé du pétrole par les entreprises routières, ont évidemment permis aux Cies pétrolières d'accéder à toute la gamme d'activités du secteur.
4. On se souvient de plusieurs rapports officiels accusant l'absence de concurrence d'être responsable pour partie de la dérive des coûts du KW nucléaire, en particulier le rapport de M. de la Genière qui, en 1980, préconisait un audit de Framatome et d'Alsthom, et le rapport Éveno, demandé par Hervé, dont la presse a rendu compte en février-mars 1983. 
     Or, si la diversité des entreprises du bâtiment est plus grande que celle des firmes spécialisées dans les parties proprement nucléaires ou électromécaniques, le clan reste tout de même extrêmement fermé des entreprises de BTP capables de traiter le marché d'une centrale, leurs liens tant financiers que personnels étroits et leur entente pour la conquête de marchés extérieurs fréquente, tous facteurs qui laissent planer un doute sérieux sur le degré de leur concurrence réelle en métropole. 
p.7

     Sans doute serait-il grandement exagéré de parler d'une structure purement oligopolistique ou d'un bloc sans faille. On connaît, par exemple, la rivalité entre Bouygues et la Générale des Eaux sur le quartier de la Défense, marquée par des épisodes tels que la prise de contrôle éphémère de Bouygues sur l'ensemble «Assurances Drouot-Seeri-Sari», suivi de la conquête de «Seeri-Sari» par la Générale.
     On se rappellera aussi de l'échec de Bouygues sur la C.G. Doris, spécialisée dans l'offshore, que D.T.P. (Screg) céda finalement à la S.G.E. 
     De même, on ne compte plus les tentatives contrecarrées de Saint-Gobain pour élargir son modeste secteur BTP, regroupé sur SOBEA (fusion SOCEA et Balency-Biard), échec notamment du rapprochement avec Quillery, jusqu'à son essai réussi sur la S.G.E. et son intrusion dans la Générale des Eaux. 
     La rivalité entre nationalisés et privés constitue une fracture visible (mais relative) : ainsi le projet de fusion Fougerolle-Spie fut rompu suite à l'étatisation de la première banque d'affaires française. 
     Cependant, ces entreprises constituent des consortiums dont le plus important est la Compagnie de Constructions Internationales qui réunit Campenon-Bernard (20%), G.T.M. (20%), S.G.E. (20%), Spie-Batignolles (20%), et D.T.P. (SCREG) (20%). 
     Marchés traités en 1980-82 dans le cadre de la C.C.I.:
· Métro du Caire: les 5, plus Entrepose, Dumez, CGEE-Alsthom, CSEE et SAE. 
· Port de Damiette (Égypte): les 5, sauf Spie-Batignolles. 
· Canal Jonglei (Soudan): idem;
· Aéroport de Juba (Soudan): idem. 
· Transgabonais: les 5, plus Fougerolle. 
· Barrage de Colbun-Machicura (Chili): les 5. 
· Équipement hydroélectrique du Guavio (Colombie): les 5. 
· Barrage de Tarbela (Pakistan): Campenon, GTM, DTP. 
· Barrage de Keban (Turquie): DTP. 
· Barrage de Karun (Iran): DTP. 
· Autoroute en Irak: Campenon, GTM, DTP. 
· Port de Jorf Larsfar (Maroc): Spie-Batignolles, DTP et Campenon. 
· Aéroport de Bagdad: DTP, Spie-Batignolles, GTM avec Forclum (SLEE), CSEE et Fougerolle. 
· Mozambique: transport d'électricité vers l'Afrique du Sud: DTP, GTM avec CGEE-Alsthom. Hélas, les mouvements anti-apartheid persistent à saboter régulièrement l'ouvrage.
     D'autres relations, non institutionnelles, existent entre ces mêmes partenaires, notamment pour 15.000 logements à Singapour (GTM-SGE), l'aéroport de Dharhan en Arabie Saoudite (D.T.P. et Campenon), l'équipement hydroélectrique de Machu Pichu au Pérou (S.G.E. et G.T.M.), le barrage de Diama au Sénégal (S.G.E. et G.T.M. Jean Lefèbvre), etc. 
     Les trois entreprises les plus indépendantes sont donc l'Auxiliaire, Dumez et surtout Bouygues. 
     Notons toutefois l'association de la S.A.E. avec D.T.P. et E.T.P.M. (G.T.M.-Entrepose) sur le métro de Hong Kong ou avec Colas et la SGE sur l'aéroport de Djakarta. 
     La présence de Dumez auprès d'autres entreprises françaises ne se relève guère qu'au Nigéria sur l'aciérie d'Ajaokouta avec Fougerolle, l'Auxiliaire et GTM-Entrepose.
     On a vu que cette indépendance ne trouvait d'ailleurs pas nécessairement sa correspondance en France puisqu'un consortium Spie-Dumez s'est partagé le Blayais et une entente Dumez-Spie-Auxiliaire les 4 x 1.300 de Cattenom.
suite:
     Bouygues a confié la préfabrication du fameux pont de Bubiyan au Koweit à la S.G.E. et travaille sur un complexe d'irrigation en Irak où opèrent également l'Auxiliaire et la Sogreah (CGE).

5. Les assises de la puissance 
     S'il est un caractère commun à ces entreprises leaders de leur branche, qui ne manque pas de s'imposer à l'observateur, c'est leur origine reculée, exception faite de Bouygues, origine coloniale pour la plupart. 
     Ainsi, la présence de Dumez dans les anciennes colonies françaises remonte à 1935 (Les Échos du 22 juin 1976). L'Auxiliaire d'entreprises est intégrée au groupe De Wendel dont la puissance prend source au XIXe siècle. 
     Nous avons retrouvé l'existence de la Screg dès les années 1920 et sa filiale D.T.P. (ex-Sté Française d'entreprise de dragages et de travaux publics) eut, sous l'influence de la Banque d'Indochine, puis d'Indosuez, de nombreuses activités au Viet-Nam dès les années 1920 et en Afrique après la guerre. 
     Le groupe des Chargeurs Réunis a largement profité du trafic colonial avec ses lignes sur l'Afrique du Nord, l'Afrique Occidentale et l'Indochine. Les Grands Travaux de Marseille participent à la colonisation en Afrique dès les débuts de la IIIe République. En revanche, la création d'Entrepose n'a lieu qu'en 1935. Jean Lefèbvre dirige la société qui porte son nom depuis 1941 et possède plusieurs antennes dans les colonies ou DOM-TOM: SOROCI Routière de la Côte d'Ivoire, Carrières africaines (Sénégal), Jean Lefèbvre Pacifique à Nouméa. 
     Campenon-Bernard construit le barrage de l'oued Fodda en 1926 et 1930 et Fougerolle participe dès le début du siècle à la colonisation du Maroc sous la houlette de Paribas. 
     La S.G.E. existe avant la guerre de 1914. Louis Loucheur qui y exerçait la fonction de directeur technique, fut secrétaire d'État puis ministre de l'Armement pendant le premier conflit mondial. On retrouve la S.G.E. pour la réalisation du barrage d'Im-Fout (Maroc) qui commence en 1938. Si Devars-Naudo fut creée en 1956, l'entreprise qu'elle absorbe en 1970, Sainrapt et Brice, naquit en 1852. Et le regroupement s'imposa en 1980 avec la SGE pour pouvoir disposer de l'assise financière d'une octogénaire, la Cie Générale d'Électricité. 
     Quant à la Spie-Batignolles, intégrée au groupe Schneider (la réputation des canons du Creusot n'est plus à faire), elle constitue en quelque sorte le prototype parfait et l'illustration la plus spectaculaire de cette filiation historique. La Cie de construction des Batignolles (Gouin et Cie) est créée à Paris en 1846. Spécialisée au départ dans les locomotives, elle construit rapidement des ponts métalliques pour l'Europe entière. Elle participe aussi à la construction du chemin de fer de Yunnan et du Congo-Océan, deux entreprises réputées pour leurs conditions de travail inhumaines (cf. pour des récits facilement accessibles certains romans de Lucien Bodard ou Le Voyage au Congo, d'André Gide). La Cie obtint aussi très tôt des concessions en Tunisie. La S.P.I.E. (Parisienne pour l'industrie électrique) fut créée en 1900 et CITRA, une des principales filiales, prit en 1949 la suite du département «Travaux Publics» de Schneider et Cie qui remontait à la même époque. 
     Seule Bouygues, créée après 1945 6 et qui sut profiter de la croissance ayant saisi les années d'après-guerre, cette seconde assise de la puissance avec la période coloniale 6 n'entretient pas de lien avec ce passé. Encore que deux de ses actionnaires, Suez et le Crédit Lyonnais, comptent au nombre de ces vénérables institutions associées de longue date à l'impérialisme français.

p.8

6. L'exemple d'un grand opérateur immobilier: Paribas 
     Derrière la diversité apparente des marques, on observe quelques grands pavillonnaires qui agissent souvent comme des vecteurs privilégiés de la pénétration de l'électricité. S'ils ne sont pas directement associés à la réalisation du programme électronucléaire, sauf périphériquement par la réalisation de logements destinés au personnel, ils n'en sont pas moins dépendants d'institutions bancaires qui, elles, y sont intéressées, dépendance tant en matière de finances propres que de crédits-clients. 
     Citons le groupe Bruno-Petit (marques Bruno-Petit, Pavillon moderne, Maison Chalet Idéal et André Beau), avec un chiffre d'affaires 1981 TTC de 1,1 MdF, 3.635 maisons livrées et 5.287 maisons vendues cette année-là, et un effectif de 3.000 personnes (en général ces sociétés font un large appel à la sous-traitance, en particulier pour se prémunir des variations de conjonctures). 
     Le «Groupe Maison Familiale» a construit plus de 100.000 maisons de 1949 à 1980 et en a livré 14.200 en 1980 et 12.100 en 1981. 
     Parmi les grands opérateurs immobiliers (banques, compagnies d'assurance, mutuelles), nous avons choisi Paribas qui présente la triple caractéristique de compter parmi les plus grands intervenants (si ce n'est le plus grand), d'être présent à tous les échelons du secteur ‹ de la banque de terrains au financement, en passant par les bureaux d'études et les entreprises de BTP ‹ et, enfin, d'être notoirement engagé dans la réalisation du programme électronucléaire. 
     Les activités nucléaires de Paribas sont regroupées dans le BTP autour de Fougerolle et de Campenon-Bernard, ainsi que de la SPIE depuis la prise de participation dans Empain-Schneider en février 1981. N'oublions pas cependant G.T.M. puisque trois administrateurs des Chargeurs réunis siégeaient à la Cie Financière de Paribas (Fabre, Gillet et Antoine Riboud). 
     En matière industrielle stricto sensu, Paribas est surtout présent par sa participation dans Schneider et dans Fives-Lille dont la filiale Norton possède un important secteur «tuyauterie nucléaire». En outre, Paribas entretient de nombreux liens personnels avec des sociétés dans lesquels sa participation est minime: ainsi de la CFP-Total, associée depuis sa création en 1924 à Paribas: Granier de Lilliac à la Cie Financière, et Haberer (1982) à la CFP. Ainsi de la CGE: Ambroise Roux, naguère à la Cie Financière, et François Morin, chez Alsthom-Atlantique. Idem pour Schlumberger, Thomson... 
     Or, cet ensemble, qu'on peut qualifier sans exagérer de nucléocrate, possède le contrôle complet du cycle du bâtiment. On ne compte plus les sociétés foncières: Foncière de la Cie Bancaire, Kléber foncier, Foncière Stein et Roubaix... 
     Le contrôle des bureaux d'études, dont le plus important est O.T.H., détenu à 100%, constitue une position particulièrement stratégique. 
     Paribas contrôle étroitement la Générale de Fonderie, spécialisée dans le sanitaire et le chauffage. 
     La promotion immobilière est structurée autour de la Sinvim qui, de sa fondation en 1961 à fin 1981, a contribué à la réalisation de 64.000 logements et 800.000 m2 de bureaux, entrepôts ou surfaces commerciales. Pour la seule année 1981, la Sinvim a vendu 701 logements et 3.060 m2 de bureaux et de commerces pour une valeur de 409 MF; les ouvertures de chantiers concernent, cette année-là, 892 logements, généralement d'un standing élevé. 
     La SEGECE, pour sa part, intervient dans la réalisation de centres commerciaux : 535.000 m2 de 1976 à fin 1981. (Rappelons que la surface d'un hypermarché déjà important est de 5.000 m2). 
     A cela, il faudrait ajouter:
     - la SACI détenue à hauteur d'un tiers par la banque Paribas: plus de 100.000 logements et plus de 1.200.000 m2 de bureaux et locaux commerciaux entre 1950 et fin 1981;
     - la COGEDIM, dont l'activité est également considérable et que l'OPFI-Paribas détient à hauteur de 12%.
     Paribas s'avère encore extrêmement actif en matière de financement. Ainsi, fin 1981, l'UCB et la CFEC géraient ensemble 746.000 opérations, ce qui les rendaient créanciers de la somme tout à fait considérable de 45,5 MdF. Les opérations de crédit-bail immobilier représentaient quant à elles 1,1 Mm2 et 251.000 m2 en location simple (chiffres de la Sicomi Locabail-Immobilier). 
suite:
II. Autres exemples
de l'auto-organisation de ses débouchés
par l'industrie nucléaire

     Nous en prendrons trois: la cuisine électrique, les pompes à chaleur et la maîtrise des technologies renouvelables. 

1. La cuisine électrique 
     Dès 1973, plusieurs fabricants s'étaient unis pour promouvoir la cuisine électrique: on trouvait, en particulier, les marques Brandt, Chappée, de Dietrich, Philips, Radiola, Sauter et Thermor. 
     Brandt est une marque de Thomson, société dont les activités nucléaires sont multiples: garnitures de barrières d'Eurodif (Ussi), études pour Superphénix (Sodeteg), simulateurs de centrales, longue collaboration dans Efcis avec le C.E.A....
     Chappée est une marque de la « Société Générale de Fonderie », filiale de Paribas. 
     Les marques Sauter et Thermor appartiennent à la CEPEM, premier fabricant français d'appareils de cuisson, premier également pour la fabrication de chauffe-eau électriques (CICE à Saint-Louis, Haut-Rhin) et dans le peloton de tête des fabricants de convecteurs électriques. Une fusion est envisagée avec de Dietrich, les deux sociétés collaborant déjà depuis 1960 à la fabrication des chauffe-eau électriques à accumulation. Heureux hasard, la CEPEM est une filiale de la Cie Générale d'électricité. Depuis l'automne 1983, il est question de l'intégrer au groupe Thomson en échange de l'apport des activités «téléphonie» de ce dernier groupe à la CIT-Alcatel (CGE). La CEPEM sera entre de bonnes mains, celles de M. Gomez, ancien animateur du CERES, dont on connaît les positions en faveur des surgénérateurs. 
     Radiola, comme Schneider, est une sous-marque de Philips dont les activités nucléaires s'exercent par différents canaux : une participation de 22% dans la Sodern (Études et Réalisations Nucléaires) par l'intermédiaire de sa filiale TRT, et diverses activités de sa filiale Radiotechnique Compelec : photoscintillateurs (développés en étroite collaboration avec le CEA), compteurs Geiger-Muller, compteurs de détection de neutrons thermiques et rapides, chambres à fusion et détecteurs semi-conducteurs de radiations.
2. Les pompes à chaleur
     Les pompes à chaleur Carrier sont fabriquées par la multinationale américaine UTC qui possède un administrateur chez Imétal (uranium entre autres). 
     La société Leroy-Somer, important constructeur de moteurs électriques, a conquis une place de leader pour ce produit, en étroite collaboration avec E.D.F. qui finance une grande partie de la propagande (Opération Perche). Leroy-Somer opère en association avec un autre grand du secteur, la C.I.A.T. (Industrielle d'Applications Thermiques) dont la CFP-Total détient plus de 10%. 
     Enfin, les marques Technibel, Chappée et Maneurop dissimulent la société Générale de Fonderie, filiale de Paribas, déjà vue.
3. Le contrôle des énergies nouvelles 
a) Conversion photovoltaïque 
     La Radio-Technique Compelec, filiale de Philips, vue plus haut, a cédé en 1981 ses actifs photovoltaïques à la société Photowatt (Saft), laquelle en a fait apport à la Société Française de Photopiles dont la Saft détient 51% avec pour partenaires RTC et ELF. L'activité industrielle a été concentrée à Caen, tandis que Photowatt fabrique à Rueil des pompes solaires. Rappelons que la SAFT (Société des Accumulateurs Fixes et de Traction) est une filiale de... Ia Cie Générale d'Électricité.
     Le couplage photovoltaique / pompes solaires indique qu'on vise en priorité le marché du tiers monde. 
     Ce choix est aussi celui de la SOFRETES, filiale à 100% du CEA, comme de Leroy-Somer avec ses filiales France-Photons et Pompes Guinard (qui fabrique également des pompes pour les centrales nucléaires). La société a revendu à la Standard Oil of Indiana ses participations dans les firmes américaines Solarex et Sémix. 
     Thomson-CSF, qui avait fondé la société Sahel à parité avec EXXON pour vendre des systèmes d'énergie solaire et poursuivait des recherches sur le silicium avec... Péchiney-Ugine-Kulhman (impliqué dans le cycle nucléaire via CFMU, Comurhex, etc.), s'est désengagée en février 1981.

p.9

b) Les panneaux solaires 
     La Cie des Lampes, filiale de Thomson cédée en 1982 à Philips, a cessé la même année son activité dans ce domaine. 
     Aircalo (5.000 pompes à chaleur en 1982) fabrique aussi des chauffe-eau solaires : il en est d'ailleurs le premier fabricant français en association avec sa nouvelle maison-mère depuis janvier 1982, la CEPEM (voir plus haut). 
     Autre fabricant, implanté à Vallauris, la société Giordano, qui appartient à un groupe ayant le sens de la diversification puisqu'il s'intéresse également beaucoup à l'uranium, la CFP-Total.

c) Divers 
     La centrale solaire Thémis a été construite par Fives-Lille-Cail dont une filiale, Nordon, fabrique des tuyauteries nucléaires. 
     Alsthom et Creusot-Loire fabriquent des digesteurs, Leroy-Somer des minicentrales hydroélectriques. Neyrpic, filiale d'Empain-Schneider et d'Alsthom, qui participe en bonne place à la construction de Superphénix, a été naguère choisi par EDF pour construire l'éphémère éolienne d'Ouessant. 
     Le groupement E.T.M. (Énergie Thermique des Mers) comprend, outre le CNEXO, des filiales de la CGE et d'Empain-Schneider : Alsthom, CG Doris, SGE-TPI pour la première, Creusot-Loire, SGTE, Spie-Batignolles pour le second, et Neyrpic commun.

     Dans ces conditions, on appréciera à sa juste valeur le battage médiatique organisé peu avant les dernières présidentielles autour de l'apparition d'un soi-disant lobby solaire qui dura le temps d'un salon parisien. 
     La structure économique française constituée comme nous venons de le montrer a pour effet:
1. De soustraire d'emblée une large part du marché aux énergies nouvelles. A quoi il faut ajouter que cette influence néfaste dépasse la part stricte de marché contrôlée dans la mesure où les sociétés concernées, par leur puissance, leur degré d'organisation, leur appel à la sous-traitance, la pression qu'elles exercent sur le système de formation, jouent évidemment un rôle pilote pour I'ensemble du secteur et au-delà modèlent dans une large mesure l'opinion publique. 
     La pression exercée par EDF sur les artisans installateurs, notamment par le biais de stages de formation, la constitution de groupements et la délivrance de labels ne permet en aucun cas d'épuiser la question et néglige même l'essentiel.

suite:
2. Ce rétrécissement du marché des énergies renouvelables entrave en toute logique la possibilité d'obtenir des économies d'échelle. A cet obstacle à l'effet de série s'en ajoute un autre: la présence dans des secteurs d'avenir de filiales de groupes pronucléaires disposant d'importantes surcapacités, d'une bonne assise financière et se livrant à l'occasion une guerre des prix, ce qui interdit de fait la constitution de sociétés indépendantes désireuses de promouvoir ce créneau.
3. Sur le plan politique, on peut considérer que la création de l'AFME correspond davantage à une fuite en avant qu'à une approche franche du problème. On a placé une institution à côté d'autres institutions indifférentes et souvent ennemies, la condamnant par là à une action ambiguë et au coup par coup. A aucun moment on a procédé à une identification des blocages (exception faite d'EDF, l'arbre qui cache la forêt). Les nationalisations auraient pu permettre la constitution d'un pôle solaire par regroupement d'entreprises préalablement détachées de socités-mères poursuivant des objectifs opposés à ceux de leurs filiales. 
     A n'en pas douter, l'impréparation du pouvoir actuel a joué un grand rôle. On a craint les difficultés d'une reconversion, peut-être l'effet néfaste pour l'exportation d'un revirement de la politique énergétique nationale. Il nous semble qu'on pourrait accorder la même sollicitude à certains effets douloureux de la montée en puissance du nucléaire ou de la politique justifiée d'économies d'énergie: fermetures de raffineries, surcapacité d'infrastrucures onéreuses comme le terminal d'Antifer, surcapacité de la battellerie consécutive à la diminution progressive du fret charbonnier accompagnant le déclassement des centrales électriques classiques, etc. 
     En outre, face à la modestie des succès à l'exportation de centrales nucléaires - espoir international dont on se souvient qu'il avait rien moins que motivé l'abandon de la technique UNGG au profit de la filière américaine -, il serait peut-être temps d'envisager enfin sérieusement les techniques adaptées aux exigences d'un monde pauvre et en crise.
p.10

Retour vers la G@zette N°58