Ce numéro de la Gazette
Nucléaire est principalement consacré aux problèmes
de santé*,
aux normes et autres sujets connexes, toujours négligés mais
fort importants.
Lorsque nous avons commencé à rédiger cet édito, nous avions en main un court article de Nuclear Engineering International de novembre 1987 se rapportant au réacteur de Windscale. Ce fameux réacteur de 200 MW thermiques (70 MW électriques) avait eu quelques «petits» problèmes en 1957 à la suite d'un incendie (lire à ce sujet la description détaillée de cet accident dans l'ouvrage de nos collègues du GSIEN, J.P. Schapira et J.P. Pharabod: Les jeux de l'atome et du hasard). Cet incendie, qui dura 4 jours, avait détruit le coeur du réacteur et dispersé dans l'environnement des quantités notables de produits radioactifs (Iode, Césium entre autres mais aussi du polonium et autres cochonneries - on vous fera un rappel dans une autre Gazette). Il y eut bien à l'époque l'aveu du problème de contamination du lait. Quelques deux millions de litres furent ainsi retenus pendant 5 semaines et jetés en mer d'Irlande ! Puis ce fut le silence, du moins de la part des officiels... En fait, dans les mesures faites après l'accident ou dans les études publiées, on a pu trouver trace des effets. Il est vrai que se mêlent effets de l'incendie de Windscale et effets des rejets du centre de retraitement de Windscale rebaptisé Sellafield. Mais ceci ne justifie pas que les officiels anglais ou français aient renvoyé d'un ton définitif tous les rapports aux oubliettes. C'était donc déjà fort amusant de lire dans N.E. Int ce court papier s'intitulant «30 ans après», car il nous apprenait que la décontamination du site allait commencer et durerait 10 ans. |
Pour un petit réacteur de quelques mégawatts, on a dû
attendre 30 ans et il y a 10 ans de travail: on peut se poser quelques
questions pour Tchernobyl!!!
Et puis voilà que le 1er janvier 1988 télés et radios reprennent une dépêche AFP et annoncent comme un scoop que l'accident de Windscale aurait en fait nécessité une évacuation mais que le gouvernement anglais avait alors caché la gravité de l'accident. Le délai d'embargo de 30 ans étant échu, le dossier est déclassifié et les anglais découvrent qu'en fait d'évacuation, on a tout juste retenu le lait. Il n'y a eu aucun contrôle de la population ni suivi pour la contamination par les autres produits de fission (Césium, Strontium) et par le polonium 210 qui était fabriqué pour la préparation des amorces des bombes atomiques. Toute cette histoire rappelle les longues batailles de contre-expertise aux Etats-Unis à propos des effets des tirs nucléaires dans le Nevada ou la longue lutte des Australiens découvrant les horreurs laissées par les Anglais en Australie. Face à toute cette transparence, on est forcé de reconnaître que les Russes ont fait un effort à Tchernobyl. Mais jusqu'où? Primo, les rapports qu'ils ont rédigés pour l'AIEA ne sont pas très facilement accessibles. Par exemple, le rapport de l'été 1986: seule une synthèse a été traduite par les autorités françaises et remise aux membres du Conseil Supérieur. Les annexes, et plus particulièrement le numéro 7 contenant les données de santé, sont passées à la trappe. Secondo, ces rapports sont-ils complets? Dans quelle mesure prend-on en compte le devenir des personnes assignées au camp de travail proche de Prypriat et envoyées en première ligne pour la décontamination? Quant aux contestataires estoniens qui y purgent leur peine, quel poids auront-ils dans les statistiques? p.1
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En ce qui concerne la France,
on attend toujours la publication des études sur le devenir des
travailleurs du Centre du Bouchet (usine où on préparait
l'uranium) sur le devenir des travailleurs qui sont intervenus à
Chinon dans les années 60, sur le devenir de ceux qui sont intervenus
à Chooz en 1969 pour réparer les supports de la jupe thermique.
Sans parler, bien sûr, des rejets de Marcoule, de Cadarache, de la
Hague ou au plan militaire le tritium de Valduc ou les rejets de l'arsenal
de Brest, sur lesquels on aimerait bien avoir des publications plus fouillées.
Nous sommes un petit pays qui n'a pas encore eu les moyens de s'offrir un gros pépin (patientez, on va bien y arriver). On a eu de multiples incidents mais chance ou personnel plus prudent ça n'a jamais dégénéré. Cependant, bien que les communiqués officiels type (ils pourraient être imprimés d'avance avec le lieu et la date en blanc) annoncent toujours des non-événements, il n'est pas évident que ce soit vrai. D'ailleurs, si vous avez lu l'article du Monde (9-01-88) «le Centre nucléaire de Mol, en Belgique, est mis an accusation», il y a une petite phrase: «A Bruxelles certains experts vont jusqu'à se demander si en plus du trafic crapuleux révélé par le scandale de Transnuklear, Il n'y aurait pas aussi la dissimulation d'accidents survenus à certaines centrales nucléaires qui auraient eu tout intérêt à évacuer, sous une forme ou une autre, certains de leurs déchets»... A force d'imaginer le pire, on voit le mal partout, nous dit-on sans arrêt. On nous accuse même de toujours parler d'accident, pour pouvoir clamer «on vous l'avait bien dit». Mais là nous sommes battus, la réalité dépasse largement nos débordements soit-disant imaginatifs. A ce propos, nous vous livrons quelques perles dûes à Morris Rosen: Directeur de la Division de la Sûreté nucléaire à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) de Vienne Les 8 et 9 janvier 1987 a eu lieu à
Paris une audition parlementaire du Conseil de l'Europe sur les accidents
nucléaires: protection de la population et de son environnement.
Nous avons déjà indiqué la similitude des points de
vue exprimés lors de cette audition par l'américain M. Morris
Rosen et par M. Boris Semenov, Vice-Président du Comité National
soviétique de I'Energie atomique:
(suite)
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suite:
Malgré un rayonnement ambiant cent fois supérieur à la normale - équivalent au double du rayonnement naturel pendant un an - le risque était pratiquement nul. De même, si un accident nucléaire se produisait en Europe, les conséquences seraient moins dramatiques que prévu». Peut-être est-ce là une critique très ferme de la panique qui s'est emparée des responsables soviétiques qui ont décidé l'évacuation rapide des enfants de Kiev. Peut-être exige-t-il que les soviétiques renvoient de force les 135'000 évacués de la région de Tchernobyl dans leurs foyers contaminés d'une façon «inacceptable» mais parfaitement «tolérable» pour M. Rosen ? «Inutile de dire qu'il y a au des mouvements divers dans l'assemblée... nous extrairons le propos de Mme Bakke (membre du Comité de l'Environnement au parlement Norvégien). Se référant à la déclaration de M. Rosen par laquelle il avait fait observer que «la vie est de toute façon dangereuse». Voici la façon dont le compte rendu de séance rapporte l'intervention de Mme Bakke «Certes, la mort est le terme certain de la vie des individus. Néanmoins, de tels propos ne conviennent pas pour parler de la destruction éventuelle de l'humanité. Elle avait auparavant grande confiance dans l'aptitude de l'industrie à prévenir les accidents nucléaires. il lui paraît donc particulièrement regrettable que M. Rosen ait déclaré qu'un futur accident de l'ampleur de Tchernobyl était inacceptable mais non intolérable pour la société. En d'autres termes, M. Rosen estime-t-i1 qu'un accident tous les cent ans n'est pas «intolérable» ou est-ce tous les trois ans? L'attitude que reflètent ces citations risque d'aggraver la crise de confiance déjà grave entre les hommes politiques et le public d'une part et les experts nucléaires de l'autre. Il faut faire en sorte qu'un accident comme Tchernobyl ne puisse plus jamais se produire. On pourrait pour cela, en dehors de normes de sûreté élevées, imposer par avance des règles imposant des indemnisations si lourdes au niveau international que les pays considéreraient comme un moindre mal de prendre les mesures de sûreté nécessaires»... Enfin quelques passages des interventions de M. Rosen qui montrent bien les conceptions en matière de sûreté nucléaire de ce haut «responsable» international: «Tchernobyl a déjà illustré ce qui pouvait se produire dans les pires conditions et la population soviétique a survécu. Quant au Japon, ce pays a l'un des programmes nucléaires les plus ambitieux au monde, en dépit des deux bombes atomiques qui ont été lachées sur lui pendant la guerre». Ainsi l'accident nucléaire ne serait intolérable que s'il conduisait à la destruction totale et définitive d'une région ! Soyons assurés qu'avec un tel responsable l'Agence de Vienne ne gênera guère ceux pour qui la sûreté est une condition secondaire, voire accessoire de l'industrie nucléaire. Comme nous avions fait de la bibliographie pour les Gazettes, nous avons relevé un certain nombre d'affirmations, celles qui suivent sont de notre cher Pellerin. Régalez-vous! population française Quelques passages extraits d'un article de
P. Pellerin intitulé «La querelle nucléaire vue par
la santé publique» et publié
dans la Revue Générale Nucléaire de janvier-février
1980.
p.2
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Nous ignorons si Monsieur le Professeur
Pellerin a proposé d'enlever de son laboratoire du Vésinet
toutes les chaînes de comptage pour les remplacer par des balances.
Aurait-il, comme les journalistes, des difficultés avec les Becquerels?
Est-ce lui qui a suggéré aux responsables du centre nucléaire
de Bruyères-le-Châtel d'utiliser le gramme pour indiquer le
niveau de leur lâcher de tritium? Est-ce son souci d'éviter
toute angoisse à la population qui lui fait choisir cette nouvelle
unité d'activité radioactive: le gramme? Ira-t-il, en tant
que membre de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR),
jusqu'à recommander d'abandonner ces unités inquiétantes
(Rem, Sievert, Becquerel...) et d'utiliser ce bon vieux gramme républicain?
«Les doses que pourrait délivrer à la population le programme nucléaire le plus ambitieux pour l'an 2000 ne seraient pas supérieures à 1 ou 2 millirads par an». Nous ignorons si Monsieur Pellerin a fait traduire en russe son article pour le diffuser massivement aux 135'000 personnes qui ont été évacuées autour de Tchernobyl (dose moyenne reçue 11,9 Rem avec pour certaines des doses supérieures à 50 rem) ou aux 75 millions d'Ukrainiens et de Biélorusses pour qui la dose engagée est de 3,3 rem en moyenne. Cette diffusion massive contribuerait certainement à réduire l'angoisse parmi ces gens. |
«Nul n'a jamais prétendu que
des accidents sur les installations nucléaires étaient impossibles.
Mais leurs conséquences ont, elles aussi, été systématiquement
exagérées... En réalité, compte tenu des précautions
exceptionnelles prises lors de la construction des réacteurs, la
probabilité d'accidents réellement graves est infime, inférieure
à celle de voir une ville comme Paris atteinte par un tremblement
de terre».
Monsieur le Professeur Pellerin est peut-être fâché avec les probabilités et les statistiques. Il faut aussi mentionner que son jugement est dur vis-à-vis des autorités sanitaires russes qui ont décidé si légèrement d'évacuer 135'000 personnes et encore plus grave de leur interdire de rentrer chez eux. Il ne faut pas compter sur lui, en cas d'accident sur un de nos réacteurs nucléaires, pour conseiller aux autorités responsables des mesures aussi peu raisonnables et angoissantes! Après ce festival de morceaux choisis, voici donc la Gazette sur les normes et la santé. Si d'autres sujets vous intéressent, envoyez-nous vos suggestions (si celles-ci sont sous forme d'un article écrit, vos chances augmentent d'être publié) car les sujets ne manquent pas. Mais bien sûr, nous rédacteurs, nous ne suffirons pas à la tâche. Bonne lecture à tous, n'oubliez pas de renouveler votre abonnement 1988. début p.3
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