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N°90/91
SUPERPHENIX: LA FUITE EN AVANT

CENTRES DE STOCKAGE DES DECHETS RADIOACTIFS
 

     Et si vous n'aviez pas compris combien le nucléaire est contraignant, prenez connaissance de ce mémoire intitulé «Mémoire introductif d'instance déposé par le préfet des Deux-Sèvres».
     De quoi s'agit-il? De l'annulation d'une subvention de 1.000 F votée à Secondigny pour l'association de défense contre les déchets nucléaires.
     Sur la base de quels motifs? Le premier soutient que cette association ne présente pas un intérêt communal, et le second bien plus succulent: «qu'elle ne respecte pas les sujétions imposées par la Défense Nationale».
     Et voilà, il s'agit des déchets issus du retraitement de réacteurs civils mais comme c'est nucléaire, les militaires ont leur mot à dire. Car il ne faut pas manquer de souffle pour ajouter: «La gestion des déchets nucléaires est l'un des paramètres essentiels de la politique du pays en matière d'industrie nucléaire et de défense nationale».
     Je pense que le mémoire se passe d'autres commentaires. Profitez-en bien et surtout utilisez-le.
Niort, le 16 août 1988
Préfecture des Deux-Sèvres
Direction des Affaires Décentralisées
1er Bureau
DS/ANL/FE
Le Préfet des Deux-Sèvres
à
Madame le Présient
du Tribunal Administratif
Objet: Requête à fin d'annulation des délibérations du conseil municipal de Secondigny du 5 mai et 9 juin 1988 relatives à l'attribution d'une subvention à l'association de défense contre les déchets nucléaires.
P.J.: 3 copies du présent mémoire. Délibération du conseil municipal de Secondigny du 5 mai 1988. Délibération du conseil municipal de Secondigny du 9 juin 1988. Lettre de M. le Sous préfet de Parthenay du 24 mai 1988. 
Annexes.

Exposé des faits
     Par délibération du 5 mai 1988 reçue en sous préfecture de Parthenay le 9 mai 1988, le conseil municipal de Secondigny a attribué une subvention de 1.000 F à l'association de défense contre les déchets nucléaires dont le siège est à la mairie de Secondigny.
     Par lettre du 24 mai 1988, M. le Sous Préfet de Parthenay a précisé au maire de Secondigny que la défense contre les déchets nucléaires ne relevait pas des affaires de la commune au sens de l'article L 121.26 1er alinéa du code des communes, et lui a demandé d'inviter son conseil municipal à retirer la délibération entachée d'illégalité.
     Par délibération du 9 juin 1988 reçue en sous préfecture le 17 juin 1988, le conseil municipal de Secondigny estimant que la commune était intégrée dans le site de stockage des déchets nucléaires et que par conséquent il s'agissait bien d'une affaire communale, a maintenu les termes de sa délibération du 5 mai 1988.

suite:
Sur la recevabilité de la requête
     La délibération du conseil municipal de Secondigny du 5 mai 1988 a été reçue en sous préfecture le 9 mai 1988.
     Conformément à la jurisprudence COREP du département d'Ille et Vilaine (Conseil d'Etat du 18 avril 1986), la lettre du Sous-Préfet de Parthenay du 24 mai 1988 constitue un recours gracieux qui suspend le délai de recours contentieux.

Objet du recours et exposé des moyens
     Dans le présent mémoire est demandé à votre tribunal de prononcer l'annulation des délibérations du Conseil Municipal de Secondigny des 5 mai et 9 juin en tant:
     - qu'elles subventionnent une association pour une action ne présentant pas un intérêt communal;
     - qu'elles ne respectent pas les sujétions imposées par la Défense Nationale.
     Les délibérations sont entachées d'illégalité externe et interne.

Sur la légalité externe
     Conformément à l'article L 121.10 du Code des Communes, toute convocation du Conseil Municipal est faite par le Maire trois jours au moins avant celui de la réunion. En cas d'urgence, le délai peut être abrégé par le Maire sans pouvoir toutefois être inférieur à un jour franc. La convocation est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Aucune des deux délibérations du conseil municipal de Secondigny des 5 mai et 9 juin 1988 ne font mention de la date de convocation du Conseil Municipal et ne respectent pas par conséquent les règles de forme.

Sur la légalité interne
Préliminaire
     Le développement de la filière nucléaire française rend nécessaire l'organisation à long terme de la gestion des déchets radioactifs.
     Comme pour tout ce qui touche le domaine nucléaire, l'Etat a conservé toutes ses prérogatives en ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs.
     A cet effet, l'Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) a été créée au sein du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) par décret du 7 novembre 1979.
     L'ANDRA a pour mission dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires et en application de la politique générale définie par le Gouvernement notamment de concevoir, d'implanter, et de réaliser les nouveaux centres de stockage et d'effectuer toutes études nécessaires à cette fin.
     L'ANDRA a donc engagé des travaux de reconnaissance dans 4 régions en France dont la zone de Neuvy Bouin dans les Deux-Sèvres, dans le but de choisir un site où seront étudiées les conditions précises du stockage en profondeur de déchets radioactifs à vie longue.

p.18

     Ce n'est qu'au terme de ces démarches que la décision sera prise et les procédures correspondantes engagées.
     Or, dans le cadre de ces études, l'ANDRA s'est heurtée à l'hostilité d'un certain nombre d'associations qui n'ont pas hésité à entreprendre des actions violentes à l'égard des personnes et des biens (voir annexes).

Exposé des moyens
     Le Conseil Municipal ne pouvait valablement délibérer en vertu de l'article L 121.26 alinéa 1 d'une question qui ne relève pas des affaires de la commune.
     L'article L 121.26 qui définit les compétences de la commune, introduit une distinction entre les affaires de la commune à savoir celles que le Conseil Municipal peut régler, c'est-à-dire où il bénéficie d'un véritable pouvoir de décision (article L 121.26 alinéa 1) et les objets d'intérêt local pour lesquels il ne peut qu'émettre des vœux (article L 121.26 alinéa 4).
     Par objet d'intérêt local, on entend les matières qui bien que pouvant présenter un intérêt pour la commune soit du point de vue de la gestion de ses services soit du point de vue de sa situation générale propre sur tous les plans qui relèvent de l'action administrative notamment les plans économiques, sociaux, culturels, et écologiques, échappent à la compétence propre du conseil municipal, soit parce qu'elles relèvent de la compétence d'autres collectivités publiques ou qu'elles sont des affaires de particulier (T .A. de Montpellier 13 décembre 1963 n° 11.769 COREP du département du Gard/contre Commune d'Aigues Mortes).
     C'est donc à tort que le conseil municipal dans sa délibération du 9 juin a cru devoir maintenir la subvention qu'il avait précédemment accordée à l'association de défense contre les déchets nucléaires au motif que «la commune de Secondigny est intégrée dans le site du projet de stockage et qu'en conséquence il s'agit bien d'une affaire communale».
     L'élimination des déchets nucléaires relevant de la compétence exclusive de l'Etat, le conseil municipal pouvait tout au plus faire usage de la possibilité qui lui est offerte par l'alinéa 4 de l'article 121.26 d'émettre des vœux.
     En engageant les finances communales pour l'octroi d'une subvention portant sur un objet étranger aux affaires de la commune, le conseil municipal a commis une violation de la loi.

suite:
     Outre ces considérations, le conseil municipal ne pouvait faire prévaloir un intérêt communal à l'intérêt public général.
     Dans le cas présent, l'intérêt public réside dans l'implantation d'un site de stockage dans la zone géographique du territoire national la plus appropriée.
     L'intérêt public ne peut être envisagé comme la somme d'intérêts particuliers; il ne peut donc être à la fois celui des administrés voisins du site et celui de la nation toute entière.
     L'utilité publique qui sous entend l'intérêt public de cette réalisation s'apprécie par un arbitrage entre les mouvements d'ordre social et les avantages que l'opération présente pour la société (Conseil d'Etat arrêté TARLIER 1976 Conseil d'Etat 28 mai 1971 arrêt Ville Nouvelle Est).
     En favorisant par l'octroi d'une subvention une association hostile à un projet dont l'intérêt public général n'est pas à démontrer, le Conseil Municipal a usé de ses pouvoirs dans un sens contraire à l'intérêt public qui doit sous entendre toute action administrative. A ce titre, les délibérations du conseil municipal doivent être considérées comme entachées de détournement de pouvoir.
     Le conseil municipal ne pouvait, par l'octroi d'une subvention, aller à l'encontre d'un projet lié à la Défense Nationale.
     L'article 26 alinéa 1 de la loi n° 83.181 du 07 janvier 1983 complétée par la loi 86.29 du 09 janvier 1986 dispose notamment «les collectivités territoriales exercent leurs compétences propres dans le respect des sujétions imposées par la Défense Nationale».
     La gestion des déchets nucléaires est l'un des paramètres essentiels de la politique du pays en matière d'industrie nucléaire et de défense nationale.
     En facilitant l'action d'une association qui comme d'autres créées dans les communes voisines n'ont pas hésité à manifester violemment leur désapprobation devant ce projet (voir dossier joint), le conseil municipal de Secondigny a volontairement enfrain la règle posée par l'article 26 de la loi du 7 janvier précitée.
     Pour tous ces motifs, je demande à ce qu'il plaise à votre tribunal de bien vouloir annuler les délibérations du Conseil Municipal de Secondigny susvisées. 
Pour le Préfet, le Secrétaire Général de la Préfecture
Thierry LATASTE
p.19
Le gel des commandes nucléaires d'EDF

     Lancé en 1973 après le premier choc pélrolier, le programme nucléaire français a connu son apogée à la fin des années 70. En huit ans, de 1974 à 1981, EDF a commandé en moyenne cinq réacteurs par an, d'une puissance de plus en plus élevée (de 900 à 1.000, puis 1.300 mégawatts (électriques...). Depuis 1982, au vu du tassement de la consommation d'énergie, le rythme des commandes n'a cessé de ralenlir (de quatre à trois puis deux et enfin un réacteur par an), trop lentement toutefois pour éviter le suréquipement. En 1990, EDF aura de sept à dix réacteurs en trop par rapport à l'ideal économique. C'est pourquoi, depuis le début de l'1987, l'établissement a de fait gelé ses commandes. La prochaine centrale ne sera finalement commandée qu'à la fin de 1990 au mieux, soit un rythme d'une tranche tous les quatre ams ou d'un quart de tranche par an.

Le Monde, 17.11.88

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