La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°92/93
ET SI ON PARLAIT ECONOMIE

DOSSIER ECONOMIE

    Dans nos tiroirs traînait cette bonne analyse de la politique énergétique française et d'alternative possible. Comme on va encore être confronté à des élections, vous pouvez l'utiliser. Plus il y aura de personnes au courant et mieux cela sera. Si vous avez d'autres documents, si vous avez des remarques, ce serait particulièrement intéressant.
     Des textes sont en train de sortir sur la politique énergétique à long terme. Mais ce n'est pas forcément très intéressant.
     Enfin, bonne lecture.


POUR UNE AUTRE POLITIQUE DE L'ÉNERGIE
Commission Ecologie - Energie - Environnement
1. Importance et dimensions du problème de l'énergie 
     L'énergie sous ses différentes formes joue un rôle fondamental dans notre civilisation industrielle: composante essentielle du confort domestique (chaleur, appareils électroménagers), elle permet la production industrielle (fours, chaudières, machines) et le transport des personnes et des marchandises (voitures, trains). L'approvisionnement énergétique des différents consommateurs et donc celui du pays est l'une des questions majeures de la politique économique, question à laquelle nous devons apporter un ensemble de réponses résolument novatrices. Plus généralement, tout progrès vers une réorganisation de la société sur les bases d'un socialisme démocratique et autogestionnaire suppose une transformation fondamentale des structures énergétiques existantes.
     Cet approvisionnement est soumis à des sévères contraintes qui ne peuvent être esquivées.
La contraintes internationale
     a) L'approvisionnement énergétique de la France repose, en grande partie, en l'état actuel de la société et de son appareil productif, sur des ressources importées 
(54% en 1986): pétrole, gaz, charbon et, dans une moindre mesure, uranium. Cette importation représente une part importante du commerce extérieur du pays et pèse sur la balance des échanges (la «facture énergétique») surtout en période de prix élevés de l'énergie importée, notamment le pétrole, prix sur lesquels un pays comme la France a peu de prise et qui est soumis égaiement aux fluctuations du taux de change du dollar. L'accalmie actuelle sur les cours du pétrole ne doit pas faire oublier la rapidité des fluctuations possibles et la remontée inéluctable à moyen et long terme.
     b) A ces considérations macroéconomiques s'ajoute une dimension majeure: le marché pétrolier mondial est et restera largement dépendant des réserves d'hydrocarbures les plus abondantes, et mobilisables à très faible coût, concentrées dans la région du Golfe arabo-persique. Cette donnée détermine fortement la politique de marchands d'armes pratiquée par les grandes puissances à l'égard des Etats et des populations de cette région du monde. Elle explique les soutiens simultanés, avoués ou non, aux protagonistes du conflit Iran-Irak dans des limites compatibles avec le maintien de la «liberté de navigation» dans les eaux du Golfe. Il est temps de rompre avec cette stratégie du bord du gouffre dans laquelle l'Etat français est gravement impliqué.
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     c) D'une façon plus générale, la politique énergétique de notre pays ne saurait se situer dans une perspective strictement nationale, ni même seulement européenne. Elle doit au contraire rechercher la coopération internationale la plus diversifiée, avec l'objectif essentiel - même si pour l'instant fort éloigné - d'un accès égalitaire de tous les peuples aux ressources et aux techniques énergétiques. Un tel choix est à l'exact opposé des priorités qui ont historiquement prévalu dans les décisions des Etats industrialisés, fondées sur l'inégal accès aux ressources, sur le recours à la violence et au pillage, au mépris des droits fondamentaux des peuples et des principes élémentaires de conservation écologique. 
     d) Depuis 1973, les fluctuations brusques du prix du pétrole et les menaces momentanées sur l'approvisionnement ont certes affecté les économies des pays industrialisés. Mais ces fluctuations ébranlent beaucoup plus violemment les pays non ou peu industrialisés. En particulier, l'actuelle baisse du pétrole pénalise lourdement des pays exportateurs comme le Mexique ou le Nigéria. Elle aggrave le caractère inégal de l'accès aux ressources énergétiques. De plus, la crise de l'énergie a une deuxième dimension gravement sous-estimée mais vécue quotidiennement par des centaines de millions d'êtres humains: plus de la moitié de l'humanité est tributaire de la biomasse pour la cuisson des aliments; plus d'un quart souffre à des degrés divers des pénuries de bois de feu. Pour l'an 2000, on estime que 2,4 milliards de ruraux seront confrontés à une pénurie grave ou à un déficit. C'est aussi une crise écologique: les prélèvements excessifs et répétés sur les ressources végétales et la forêt accélèrent la dégradation des sols et engendrent la désertification à grande échelle, dont 800 millions d'êtres humains sont aujourd'hui les victimes. 

2) La dimension nationale
     a) Les dépenses énergétiques ont un poids très important dans l'économie nationale:
     -  dépenses d'importation, nous l'avons vu, de produits énergétiques primaires,
     - dépenses d'investissements pour les moyens de production (centrales électriques), de transformation (raffineries), de transport (gazoducs, lignes à haute tension), de distribution (réseau électrique).
     A titre d'exemple, les investissements d'EDF en 1987 se sont élevés à environ 35 milliards de francs et l'ensemble des investissements de construction des centrales nucléaires françaises à environ 500 milliards de francs.
     -  dépenses pour les usagers: les dépenses énergétiques des ménages ont représenté, en 1985, 270 milliards de francs, plus que l'impôt sur le revenu (204 milliards de francs).
     La politique économique ne peut faire l'impasse sur les questions énergétiques, qu'il s'agisse du choix des investissements, de l'évolution des revenus ou de la compétitivité de l'appareil productif du pays.
     b) La production et l'utilisation de l'énergie présentent des risques importants pour les travailleurs, les populations et l'environnement naturel. Qu'il s'agisse des mines de charbon, des plateformes pétrolières en mer, des centrales et usines nucléaires, des centrales thermiques, des chaudières ou appareils à gaz ou à électricité, aucune activité liée au système énergétique n'est exempte d'accidents ou de pollutions. Tous ces risques ne sont pas égaux et beaucoup peuvent être diminués ou évités: en aucun cas on ne doit accepter le caractère de «fatalité» que leur attribuent le plus souvent les promoteurs des techniques dangereuses.

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     Le développement des mines de charbon souterraines a été accompagné par une véritable hécatombe des mineurs dans tous les pays industrialisés; aujourd'hui, le développement du nucléaire - par le risque d'accident dans les centrales et les usines et la production de déchets radioactifs - franchit une étape nouvelle par l'extension dans l'espace et dans le temps du danger potentiel.
     L'objet de l'action politique est aussi la protection de l 'homme et de son environnement, de son cadre de vie et de ses conditions de travail: le secteur de l'énergie est, à cet égard, l'une des activités productives qui doit être passée au crible de la critique avec le plus de rigueur et doit être l'objet d'un débat politique approfondi.
     c) L'approvisionnement énergétique intéresse en dernier ressort les consommateurs, mais ceux-ci ont toujours été placés devant le fait accompli. Les grands choix technologiques ont échappé jusqu'à présent au citoyen et à ses représentants élus: le Parlement a été absent des choix énergétiques majeurs. Ceux-ci ont été le fait de groupes technocratiques qui ont imposé dans les faits au pays leurs propres orientations.
     Il n'y a pas de démocratie si celle-ci ne s'applique pas aux grands choix technologiques qui modèlent la civilisation de demain. L'élaboration et l'application démocratiques de la politique de l'énergie sont une exigence fondamentale pour le futur.
     Par suite de ses dimensions politiques globales et de ses implications nationales, de son poids considérable dans l'économie, de son impact sur l'environnement, la qualité de vie et de travail, la question de l'énergie et de sa prise en charge par un processus démocratique devraient être un des éléments centraux du débat politique. 

II. Un nouveau concept: la maîtrise de l'énergie
     Jusqu'à la fin des années 70, la politique de l'énergie a été presque exclusivement une politique de l'offre élaborée et mise en œuvre par les grands groupes producteurs (lobby charbonnier, cartel pétrolier, compagnies électriques), détenteurs, selon les périodes, d'une position dominante (charbon après la guerre, pétrole dans les années 60, électricité d'origine nucléaire après le premier choc pétrolier). La question énergétique se résumait alors à celle de l'approvisionnement qui devait, selon les producteurs, augmenter indéfiniment pour répondre à des besoins toujours croissants: si une forme d'énergie faiblissait, une autre devait prendre la relève et il fallait consacrer, sans discussion, des moyens de plus en plus importants pour assouvir cette inextinguible «soif d'énergie». Cette domination de l'offre et des producteurs dans l'élaboration de la politique de l'énergie s'est trouvée fortement ébranlée dans les années 70 par l'augmentation brusque des prix du pétrole et la prise de conscience, grâce notamment aux mouvements écologiques, que les ressources énergétiques n'étaient pas illimitées, que certaines d'entre elles étaient dangereusement distribuées, que d'autres présentaient des risques inacceptables: bref que la production et l'approvisionnement énergetique étaient chers et pouvaient être dangereux. Alors sont apparues la possibilité, puis la nécessité d'agir sur la consommation pour diminuer les quantités d'énergie requises pour les différents usages.

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     La mise en œuvre de politiques d'économies et d'utilisation rationnelle de l'énergie par les pays industrialisés occidentaux s'est avérée extrêmement efficace: la consommation d'énergie de l'ensemble des pays de l'OCDE n'a augmenté que de 4% entre 1973 et 1985 alors que leur produit intérieur brut a augmenté de 30% sur la même période (les chiffres sont les mêmes pour la France). Les actions sur la consommation ont donc fait la preuve de leur efficacité.
     Or, les besoins d'une société ne sont pas directement des besoins de produits énergétiques mais des besoins de confort, de production, de déplacements, qui pour être satisfaits nécessitent certaines quantités d'énergie, quantités très variahles selon la nature des besoins et selon la façon dont l'énergie est utilisée. Pour obtenir la satisfaction des besoins, objectif de la politique économique, il est tout aussi important d'agir sur les formes de consommation de l'énergie que sur ses moyens de production: autrement dit, il ne faut pas se limiter à une politique de l'énergie au sens classique du terme, essentiellement tournée vers la production et l'approvisionnement des produits énergétiques mais il faut développer une politique économique «consciente» des problèmes de l'énergie en agissant sur tous les secteurs de la consommation.
     Etant donné le déséquilihre actuel entre la politique de l'offre (actions de production) et la politique de la demande (actions sur la consommation), une nouvelle stratégie énergétique doit donner la priorité aux actions sur la consommation afin de rétablir l'équilibre et d'aboutir à un système énergétique optimal. La comparaison économique entre les différentes solutions possibles (combinant production-consommation) se fera en confrontant systématiquement le coût des actions sur la consommation à celles relatives à la production, avec l'ohjectif d'optimiser le service rendu, c'est-à-dire d'assurer:
     - pour l'usager, la meilleure qualité du service (fiabilité, souplesse, sécurité) et le moindre coût;
     - pour le pays, le meilleur choix économique (investissement, devises, emploi) et stratégique (moindre dépendance, diversification, respect de l'environnement, synergie avec les autres productions, développement du tiers-monde, etc.).
     La méthode la plus appropriée pour effectuer ces comparaisons est l'utilisation du «coût de mise à disposition d'un service, actualisé sur la durée d'usage», qui prend en compte le coût d'approvisionnement (importation, extraction...), celui des équipements de production centralisée (centrales, raffineries...), de distribution (gazoducs, lignes électriques, distributeurs pétroliers...), le coût des investissements de consommation (chauffage central, appareils électro-ménagers, automobile...), celui de la gestion des produits résiduels. Cette méthode réalise une reconstitution de l'ensemble des coûts économiques tout au long de la chaîne remontant du service rendu au produit énergétique primaire. Elle permet donc de comparer les coûts des diverses filières aboutissant à un même service rendu. Pour compléter les comparaisons, il reste à évaluer les coûts écologiques (risques d'accidents, pollutions, pluies acides...) et sociaux (maladies professionnelles, incidences sur l'emploi...). L'évaluation proposée doit donc s'appuyer sur une grille de critères dont la prise en compte est indispensable pour la mise en œuvre d'une politique consciente de l'énergie: satisfaction des besoins, compatibilité sociale, économie des ressources et impact sur l'environnement, etc...
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     En tout état de cause, les critères de sécurité doivent toujours primer sur l'ensemble des autres critères, notamment ceux de rentabilité. Cela vise particulièrement les secteurs réputés dangereux, tels que les mines de charbon et les installations nucléaires, dont la fermeture peut s'avérer indispensable dans un certain nombre de cas.
     Ainsi peut-on présenter de façon logique les différents choix possibles, ordonner les différentes actions selon leurs coûts et leurs avantages, qu'elles portent sur la consommation ou sur la production, à partir d'une modélisation complexe de l'ensemble des flux d'énergie, des sources aux rejets finaux, avec toutes leurs interactions.

III. Le système énergétique français aujourd'hui: déséquilibre et isolement croissants
     La situation de la France est marquée par un déséquilibre croissant de son système énergétique et un isolement grandissant par rapport à l'évolution énergétique des autres pays industrialisés. La réaction de la France aux deux chocs pétroliers de 1974 et 1979 a été double: d'une part lancer dès 1974 et accélérer en 1980 le programme électronucléaire le plus ambitieux de la planète, secondairement développer des actions d'économies d'énergie ou d'utilisation rationnelle de l'énergie.
     Mais quelle différence dans les moyens mis en œuvre et la volonté politique! Schématiquement, on peut dire que 500 milliards de francs ont été consacrés aux investissements liés au seul programme de construction des réacteurs électronucléaires de 1974 à 1986 pour obtenir en fin de période une production annuelle de 56 MTep, tandis que les investissements de maîtrise de l'énergie (portant sur tous les secteurs et réalisés par les consommateurs) n'ont pas dépassé 100 milliards de francs, avec comme conséquence une économie annuelle en fin de période de 34 MTep. L'effort de maîtrise des consommations d'énergie, à travers l'Agence pour les Economies d'Energie (A.E.E., 1974), le Commissariat à l'Energie Solaire (COMES, 1978), puis l'Agence Française pour la Maîtrise de l'Energie (A.F.M.E., 1982), a été marqué par une progression régulière des moyens d'intervention financiers et humains. Il a obtenu des résultats très significatifs illustrés par la dissociation de l'évolution de la consommation d'énergie et de la croissance économique, par le développement de programmes de recherche, par la prise en charge croissante des questions énergétiques par les régions. Cette action a été un relatif succès. Elle a cependant été fortement handicapée par la faiblesse globale de ses moyens, l'irrégularité et la discontinuité des soutiens financiers qui lui étaient accordés. Ses lacunes dans le domaine des énergies renouvelables sont connues. Elle a été en butte à l'hostilité permanente de l'appareil techno-bureaucratique d'Etat et elle a souffert de l'opposition grandissante entre une politique de maîtrise des consommations d'énergie et la surcapacité de l'appareil de production électronucléaire.

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  Cette contradiction objective au sein du système énergétique français s'ajoutant à la rancœur de l'appareil d'Etat et à une idéologie pseudo-libérale, velléitaire et mensongère du gouvernement Chirac ont finalement conduit au démantèlement de l'A.F.M.E. au deuxième semestre 1987 - l'organisme survit, mais il est sans perspective - ruinant dans les faits la politique de maîtrise de l'énergie pourtant maintenue avec des hauts et des bas par tous les gouvernements depuis 1974.
     A l'inverse, le programme électronucléaire n'a cessé de recevoir un soutien constant de l'appareil d'Etat. La France a été le pays du monde où l'alliance «pronucléaire» a été la plus puissante: Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), Electricité de France (EDF), grande industrie (Alsthom, Creusot-Loire, Framatome), sous la houlette de l'appareil d'Etat (corps des mines, préfets) ont présenté un front sans faille à l'approbation complice des gouvernements qui ont tous soutenu le programme nucléaire civil, au nom de l'indépendance et de la grandeur de la France, puissance nucléaire, grâce à un chantage indigne («le nucléaire ou le chaos», «le nucléaire ou la bougie»), au mépris total de la démocratie. Le programme électronucléaire lancé en 1974 (Messmer, Pompidou), renforcé en 1976, notamment par la décision de construire le surgénérateur Superphénix (Giscard), augmenté en 1980 (Giraud), approuvé par le gouvernement de gauche en 1981 (Mauroy), n'a été finalement ralenti qu'en 1983, beaucoup trop tard, quand le constat a été patent que l'on était allé beaucoup trop vite et beaucoup trop loin.
     Ce programme, malgré quelques difficultés et de sérieuses incertitudes pour l'avenir, s'est avéré jusqu'ici une réussite technique, mais les erreurs stratégiques qui ont présidé à sa réalisation en ont fait un échec économique dont les conséquences les plus graves sont encore devant nous, sans parler des risques majeurs qu'il fait courir au pays et à sa population.
     Le programme électronucléaire a été justifié par ses promoteurs à l'aide de prévisions de consommation qui se sont avérées totalement fausses sur le plan national comme sur le plan mondial et l'industrie électronucléaire française qui devait s'imposer sur le marché mondial après avoir assis sa puissance sur le marché national se trouve doublement en panne: le marché français est sursaturé et aucun pays au monde ne développe plus de façon significative la production d'électricité d'origine nucléaire. Les erreurs sont nombreuses, leurs conséquences ruineuses:
     a) La construction d'environ 50 «tranches» nucléaires de 1.000 MWe en dix ans entraîne que le parc nucléaire est déjà surdimensionné et le sera encore plus en 1990: selon les évaluations, le suréquipement en 1990 varie entre 7 et 15 tranches nucléaires.
     Cela signifie un investissement inutile de 70 à 150 milliards de francs. En 1990, l'endettement d'EDF sera de l'ordre de 250 milliards de francs. D'ores et déjà, les frais financiers de cette dette entrent pour 20% dans la facture d'électricité de chaque client d'EDF. Après avoir «sur-produit» pendant dix ans, l'industrie de construction des centrales est au point mort: sa reconversion est devenue un impératif.
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     b) Le démarrage des centrales nucléaires entraîne l'arrêt des centrales à charbon même quand le coût de l'exploitation de ces dernières est moins élevé. Certes, une fois construites, les centrales nucléaires ont un coût de production (hors investissement) faible, mais à condition qu'elles fonctionnent en base. On s'éloigne par conséquent de l'optimum économique, on élimine petit à petit le charbon du système énergétique français et on aboutit à un système de production d'électricité presque totalement dépendant (en cas d'accident par exemple, sans parler de la vulnérabilité en termes militaires).
     L'élimination du charbon est l'une des conséquences les plus graves du programme électronucléaire car le charbon est la ressource la plus abondante, et de loin au niveau mondial, notamment pour la production d'électricité et les industries françaises du charbon (mines et industries para-charbonnières) se ferment tout avenir.
     c) La surcapacité nucléaire entraîne l'impératif d'«écouler» l'électricité dans tous les usages. Alors que le programme électronucléaire a toujours été prôné au nom de la compétitivité de l'industrie française à laquelle il était censé fournir une énergie bon marché lui permettant d'écraser ses concurrents, la consommation d'électricité dans l'industrie n'a augmenté, de 1973 à 1985, que de 15% (97 TWh en 1985 contre 59 TWh en 1973) en partie à cause de la montée du chauffage électrique. Le chauffage électrique par convecteurs (ce n'est pas le cas pour les pompes à chaleur) est une aberration économique, surtout dans l'habitat antérieur à 1974 où EDF cherche maintenant à le faire pénétrer. Il est cher pour l'usager et demande d'importants investissements de production, de transport et de distribution, investissements d'autant plus élevés qu'ils ne sont utilisés que pendant la période de chauffage. De plus le nucléaire est particulièrement mal adapté à cet usage qui crée une demande «de pointe» (il fait froid à peu près partout en même temps) alors que le nucléaire n'est économiquement intéressant qu'en base, c'est-à-dire en production continue.
     D'une façon générale, le chauffage par un produit énergétique non stockable est particulièrement risqué pour les usagers (c'est précisément quand il neige et quand il gèle que les lignes sautent). Or c'est dans le secteur du chauffage électrique que l'électricité se développe le plus vite - la France est là encore un cas unique au monde - parce que cela fait l'affaire des promoteurs et des propriétaires bailleurs et que les tarifs de l'électricité ne reflètent pas les coûts pour cet usage.
     Le système de consommation est de plus en plus déséquilibré: la pression pour consommer de l'électricité bloque l'usage des produits énergétiques plus intéressants (charbon, bois, réseaux de chaleur) et bien entendu les efforts pour économiser l'énergie et tout particulièrement l'électricité, qui est le produit énergétique le plus cher.
     Avec le programme électronucléaire le plus important, et de loin, de tous les grands pays industrialisés, la poursuite du «tout électrique», l'abandon du charbon et des économies d'énergie qui en résultent, le système énergétique français est de plus en plus déséquilibré, de plus en plus coûteux et en contradiction avec l'évolution européenne et mondiale.
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IV. Une nouvelle politique de l'énergie
     Ce qui est à l'ordre du jour, c'est la mise en place progressive d'un nouveau système énergétique. Dans ce but, une autre politique de l'énergie doit être appliquée sans retard. Elle aura quatre objectifs:
     - maîtriser les consommations
     - rééquilibrer le système de production
     - construire les bases d'un nouveau système énergétique
     - organiser le débat démocratique.

1) Maîtriser les consommations
     Le démantèlement systématique et orchestré de l'Agence Française pour la Maîtrise de l'Energie (A.F.M.E.) au cours de l'année 1987 a été une faute politique grave car elle a privé notre pays d'un outil précieux, au service de la collectivité nationale, pour réussir un changement du système énergétique français cohérent avec la nouvelle donne énergétique et économique mondiale. Il faut reconstituer d'urgence un «service public de la demande» dont la responsabilité globale sera la mise en œuvre de trois types d'actions:
     a) La réalisation de changements dans leurs consommations par les consommateurs eux-mêmes, qu'il s'agisse de travaux de rénovation d'installations existantes (isolation des locaux, substitution d'équipements) ou d'achat ou de construction d 'installation ou d'équipements neufs, ou de l'apparition de services nouveaux. Cette action doit être impérativement complétée par la mise en œuvre d'une véritable gestion de l'énergie, gage de durée des résultats obtenus par les investissements de maîtrise des consommations: mesure et suivi des consommations, maintenance et entretien des installations, formation des personnels responsables.
     b) La mise au point et la fabrication d'équipements adaptés à la maîtrise des consommations, qu'il s'agisse d'améliorer les performances des appareils directement consommateurs ou transformateurs d'énergie (chaudières, échangeurs, moteurs, appareils électro-ménagers...) ou de mettre au point des outils ou des matériaux réduisant les besoins en énergie (isolation) ou perfectionnant sa gestion (comptage, régulation).
     c) Le maintien et le développement d'une confrontation permanente, à travers l'information et la formation, entre la production et la consommation, les consommateurs et les producteurs, par le pluralisme de l'expertise, la transparence des coûts de mise à disposition: en somme: l'action d'un service public des usagers de l'énergie assurant leur information objective sur les solutions possibles, permettant l'équilibre entre action sur la consommation et action de production.
     d) La régionalisation de la maîtrise de l'énergie. La réussite des actions sur la consommation repose sur une activité extrêmement diversifiée et mise en œuvre par de très nombreux acteurs: entreprises, collectivités locales, ménages. Le mode d'organisation pyramidal et autoritaire caractéristique du système de production, tout particulièrement dans un pays très centralisé, n'est pas adapté à la maîtrise des consommations qui réclame une organisation en réseaux interactifs. La structure de base de la maîtrise de l'énergie devrait être une «Agence Régionale de l'Energie», dépendant des Conseils régionaux, dont les moyens - de fonctionnement comme d'intervention - seraient définis par un contrat de Plan entre l'Etat et les Régions sur la base d'un financement à parité.

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     Dans une étape ultérieure, les objectifs de maîtrise de l'énergie, de maîtrise des ressources locales et de protection de l'environnement pourraient être regroupés pour profiter des synergies entre ces différents domaines et créer une dynamique d'action au service du développement économique et social, régional et local: des commissions régionales pour la maîtrise de l'énergie, des ressources locales et de l'environnement pourraient être créées, sous la responsabilité des Conseils régionaux, faisant appel à l'initiative communale. Mais il faut également un outil national pour assurer la cohérence de la politique d'ensemble, impulser et coordonner l'effort de recherche-développement et d'industrialisation des équipements performants, assurer le débat économique et les relations internationales.
     Les propositions de l'organisme national, élaborées avec les commissions régionales et le Commissariat au Plan, devraient être soumises au Parlement sous la forme d'une loi-programme relative à la maîtrise des consommations d'énergie définissant les objectifs, les moyens et les structures de cette composante essentielle de la politique de l'énergie et en assurant la pérennité.
2) Rééquilibrer la production
     Une stratégie énergétique se décide dix ans avant que ses premiers effets n'apparaissent. C'est dans les deux années qui viennent que seront prises les décisions relatives à la construction de la deuxième génération des centrales nucléaires. Ces décisions, les grands intérêts nucléaires les préparent d'ores et déjà activement. C'est donc dès 1988 qu'il faut changer la politique globale de l'énergie suivie jusqu'à présent. Les choix à opérer concernent deux domaines, le raffinage pétrolier et la production électrique.
     a) Réorganiser le raffinage
     Le marché français des produits pétroliers est caractérisé par une structure de la demande très particulière. Le développement de l'électricité d'origine nucléaire a en effet entraîné une régression très rapide des consommations de fuel lourd. D'autre part, l'importation de produits raffinés augmente, entraînant la dégradation du solde extérieur et la fermeture des raffineries. Il paraît donc indispensable que les besoins intérieurs en produits raffinés soient couverts par la production nationale (raisons économiques, stratégiques, d'emploi). Pour cela il faut que les raffineurs:
     - soit saturent leurs unités de conversion existantes et exportent le fuel lourd excédentaire;
     - soit investissent dans de nouvelles unités de conversion permettant de rapprocher la structure de l'offre de celle de la demande en consommant le fuel lourd excédentaire.
     Dans tous les cas, la demande future en produits pétroliers peut être infléchie par une politique rigoureuse et économiquement justifiée de maîtrise des consommations, tout particulièrement dans le secteur des transports.
     Deux axes d'action donc:
     - Maîtrise des consommations permettant de réduire le niveau de la demande.
     - Adaptation de l'outil du raffinage aux besoins afin d'éviter un accroissement du déficit extérieur par des investissements (de l'ordre de 2 à 3 milliards de francs) et de garantir une sécurité maximum des installations, qui sont aujourd'hui dangereuses.
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b) Remettre en question l'option nucléaire
     Le parc de production d'électricité est caractérisé par l'hypertrophie du programme électronucléaire et donc le dangereux accroissement des risques économiques et écologiques. D'ores et déjà, le suréquipement en centrales nucléaires est évalué, pour 1990, à l'équivalent de 7 à 15 tranches de 1.000 MWe. D'autre part, l'action nécessaire sur les consommations d'électricité (pour des raisons économiques) permettra de maintenir la croissance de la demande à un niveau raisonnable. Enfin, deux ans après Tchernobyl, la question du nucléaire se pose en termes radicalement nouveaux.
     Pour toutes ces raisons, la logique commande de s'orienter vers un double objectif: se dégager du piège de l'électronucléaire (en une décennie, la part du nucléaire dans la production française d'électricité est passée de 5 à 70%!) et créer les conditions d'une éventuelle sortie rapide du nucléaire. Une telle orientation comporte des contraintes qui doivent être assumées à moins de s'en tenir à une pétition de principe inopérante.
     Il s'agit d'abord de prendre en charge l'héritage électronucléaire, ce qui revient à gérer le parc de centrales existantes durant leur durée de vie technique et économique, soit pendant 25 à 30 ans pour les plus récentes. Cette gestion de l'héritage reporte la fin possible du nucléaire aux environs de 2020 (c'est la décision réaliste qu'a adoptée par référendum le peuple suédois en 1980). Cette gestion doit être entourée par un maximum de garanties sociales et politiques, en particulier par la mise en place d'un réseau d'organismes de surveillance des installations nucléaires existantes parallèle au réseau officiel (SCPRI, etc.) émanant des syndicats et du mouvement associatif régional et local et dotés de moyens scientifiques, financiers et d'information réels.
     Il s'agit en même temps de transférer progressivement une partie des crédits et des équipes de recherche actuellement mobilisés pour le nucléaire vers des programmes relatifs aux autres filières énergétiques et à la maîtrise des consommations.
     Il faut, en outre, créer au cours du septennat les conditions d'un véritable choix démocratique entre les deux options suivantes: 1), planifier l'arrêt définitif à terme du programme nucléaire ou 2), réduire le parc de réacteurs aux limites définies par leur usage en base et par la stricte réduction de l'emploi de l'électricité à ses usages spécifiques. Ces deux options sont économiquement possibles car il n'y a pas de fatalité de l'électronucléaire. Toutes deux comportent des avantages et des contraintes de nature différente, par exemple sur le plan des risques (accident majeur pour le nucléaire, risque environnemental massif mais étalé dans le temps pour le recours au charbon). Elles relèvent d'un choix de stratégie énergétique globale. Ce sera au débat politique de trancher, mais notre mouvement se prononce d'ores et déjà pour la sortie programmée du nucléaire civil, le parc existant étant géré jusqu'à sa mise hors service dans les conditions de sécurité les plus rigoureuses possibles. La première condition à réaliser pour que ce choix devienne possible consiste à rompre avec la logique nucléaire actuelle, et cela d'autant plus que celle-ci comporte d'évidentes implications militaires (en particulier la «prolifération» en cours de l'armement atomique dans laquelle l'Etat français porte une lourde responsabilité).
suite:
     Les mesures immédiates à prendre sont les suivantes:
     - Décider dans les deux années à venir de ne pas engager la mise en chantier de la deuxième génération de centrales.
     - Eliminer les installations économiquement les plus ruineuses et potentiellement les plus dangereuses par l'arrêt définitif de Superphénix et de l'ensemble des activités liées au développement de la filière des surgénérateurs.
     - Ne pas persévérer dans l'utilisation du plutonium comme combustible (oxyde mixte d'uranium et de plutonium) dans les réacteurs à eau ordinaire PWR (ou REP) qui impliquerait de nouveaux investissements (usine MELOX de 100 tonnes par an); donc stopper l'industrie du plutonium, ce qui signifie l'arrêt de l'usine de retraitement de La Hague, qui n'est en fait qu'une usine de production du plutonium, et transformer les sites actuels en sites exemplaires du point de vue de la gestion des déchets. Des solutions de rechange existent pour la gestion des combustibles irradiés telles que l'entreposage, dans l'attente d'une solution définitive plus satisfaisante du point de vue de la sûreté. Il faudra donc entamer la renégociation des contrats de retraitement des combustibles en provenance des centrales étrangères.
     - Ne plus lancer aucune commande de nouvelle centrale nucléaire en France. Procéder à une évaluation indépendante du programme en cours de construction afin de déterminer les conditions d'arrêt ou de report de certaines réalisations.
     - Programmer l'arrêt des centrales dont les sites sont les plus dangereux du fait de la concentration de la population environnante, telles que Nogent-sur-Seine et Cattenom.
     - Préparer le rééquilibrage du parc de production d'électricité par le recours au charbon en lançant la construction de centrales électriques performantes et peu polluantes (système à lits fluidisés) sur la façade atlantique:
· sur le gisement de lignite de Mezos dans les Landes,
· en Loire Atlantique ou Charente Maritime,
· à la pointe de Bretagne. 
     Même dans l'hypothèse de la poursuite de la politique nucléaire actuelle, deux questions graves devront être résolues:
     - La reconversion totale ou partielle des 7.500 travailleurs de Framatome et des effectifs (estimés actuellement à 67.000) de l'industrie nucléaire. Jusqu'à présent, les tentatives faites sont loin d'être concluantes. Framatome doit à la fois développer ses activités de maintenance des centrales existantes mais surtout s'orienter vers une reconversion dans les productions adaptées au nouveau choix énergétique et dans les activités nouvelles pour l'entreprise.
     - La reconversion d'une partie des travailleurs du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), celui-ci devant se transformer très rapidement - il en a les moyens techniques et humains si la volonté politique est présente - en un centre de recherche appliquée polytechnique au service de l'industrie française, et le cas échéant européenne. Ceci implique une modification profonde des structures du CEA, notamment par l'autonomie de gestion des différents centres de recherche qui le composent (le centre de Grenoble, par exemple, peut être aisément «dénucléarisé», ce qui est d'ailleurs prudent car il est situé en pleine zone urbaine).
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c) Régionaliser, décentraliser et démocratiser les structures de production et de gestion
     Les mesures précédentes ne sauraient se concevoir sans la remise en cause des structures actuelles de production et de gestion des diverses filières énergétiques, à la fois fortement centralisées et strictement cloisonnées. Ces structures sont un obstacle majeur à nombre d'initiatives visant à une utilisation plus rationnelle et sans gaspillage de l'énergie sous ses différentes formes, comme le montrent par exemple les difficultés du développement de la production/distribution combinées de chaleur/force au niveau communal.
     C'est pourquoi les propositions suivantes sont soumises à la réflexion et à la discussion:
     - Création, au niveau régional, d'une instance de programmation des investissements et de gestion permettant aux producteurs, EDF en particulier, de dialoguer avec les agences régionales, afin d'établir de véritables plans énergétiques. Ces plans pourraient comprendre l'inventaire des ressources, des potentialités de production et de récupération (sur usines notamment) pour aboutir à des scénarios de développement régional incluant l'aspect énergétique ainsi que l'analyse rigoureuse des rejets dans le milieu naturel.
     - Création d'instances d'évaluation des projets, indépendantes et chargées de juger de leur intérêt social ainsi que de leur incidence sur l'environnement.
     - Décentralisation de la gestion (d'EDF notamment) par le développement d'unités de comptes régionales compatibles avec la préservation de l'outil indispensable qu'est un instrument national et public de production et de distribution de l'énergie.
3) Construire les bases d'un système énergétique nouveau
     En définitive, une alternative énergétique cohérente doit être mise en place à l'échelle de la France, mais elle a d'évidentes dimensions européennes - étant donné l'imbrication des réseaux énergétiques européens - et mondiales. Elle exige un immense effort d'innovation scientifique et technique.
     La recherche d'une transition énergétique nationale implique:
     - La relance d'une politique de maîtrise globale de l'énergie. C'est la priorité des priorités et elle passe, on l'a vu, par la reconstitution d'un véritable organisme d'impulsion. Cette politique sera nécessairement multiple: action sur les comportements et les représentations du rapport de la société à l'énergie; action éducative auprès des jeunes générations par l'école et les médias; adaptation diversifiée des produits énergétiques aux demandes concrètes en vue d'exploiter les considérables réserves d'efficacité des filières existantes; abandon de l'«impératif électrique» dans le chauffage domestique et en partie dans la production, assorti d'une recherche technique valorisant le rendement des appareils utilisés et optimisant la consommation d'électricité.
suite:
     - Une substitution partielle pour la production d'électricité du charbon au nucléaire, assortie du respect des normes les plus strictes en matière d'environnement.
     - La mobilisation et la valorisation des ressources énergétiques locales et décentralisées, exploitables par les techniques existantes, qu'elles soient renouvelables (biomasse, solaire, éolien, petite hydraulique) ou non (gisements géothermiques), notamment pour la consommation domestique, qui représente 43% de la consommation totale d'énergie en 1985.
     - L'engagement d'un effort important de recherche-développement dans ce secteur des énergies renouvelables, systématiquement sacrifié et délibérément marginalisé par les différents gouvernements de la Ve République.
     Une telle recherche doit être combinée à une action politique de la gauche à l'échelle de l'Europe en vue de développer à terme une transition énergétique européenne:
     - Ses éléments existent dans une certaine mesure (échanges de gaz, d'électricité, interconnexion des réseaux électriques). De plus, l'électronucléaire national, qu'il soit français ou allemand, concerne tous les peuples d'Europe sans exception. Une «sortie du nucléaire» ne peut se concevoir en fait qu'à l'échelle européenne: «Nous ne pourrions pas rester très longtemps un îlot nucléaire dans une Europe qui aurait renoncé au nucléaire civil» (Pierre Delaporte, Président d'EDF, 8 octobre 1987).
     - Il faut approfondir et promouvoir politiquement l'idée d'une transition énergétique continentale. Celle-ci aurait pour avantage de valoriser les complémentarités entre les différents «gisements d'énergie», fossiles ou renouvelables, des grandes régions biogéographiques de l'Europe. Elle favoriserait par ailleurs, par les économies d'investissement réalisées, la mise au point scientifique et technique des éléments d'une alternative énergétique.
     Dans un premier temps, nos propositions sont les suivantes:
· définition d'une politique de la CEE d'incitation financière et fiscale aux économies d'énergie; 
· réunion régionale d'une Conférence Européenne Alternative de l'Energie préparée par des conférences nationales du type de celle qui se réunit annuellement en Italie;
·création d'un réseau européen d'Instituts de Recherches sur les Energies Alternatives financé par la CEE, et s'appuyant sur les compétences reconnues d'organisations non gouvernementales.
     La recherche de cette double transition peut seule permettre le rééquilibrage à l'échelle de la planète de l'énorme inégalité dans l'accès aux sources d'énergie qui sépare les sociétés du Tiers-monde des sociétés industrialisées et ouvrir la voie à l'inéluctable planification énergétique mondiale.
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4) Débattre démocratiquement
     Comment s'assurer que la démocratie ne s'arrête pas au seuil des grands choix technologiques? Certes la question ne se limite pas aux choix énergétiques, mais ceux-ci sont suffisamment lourds et contraignants sur une longue période pour que la question soit posée à leur propos. Autrement dit, comment la société civile d'une part, le Parlement d'autre part, peuvent-ils être les acteurs de la politique de l'énergie et les garants de son application au lieu d'en être les spectateurs, volens nolens...
     Une évaluation rigoureuse des conditions de sortie du nucléaire doit être engagée. Il faut savoir dans quel délai celle-ci est possible, au prix de quels efforts, avec quels impacts économiques. Nous ne savons pas de quoi l'avenir sera fait, un accident nucléaire peut survenir. Il est essentiel de savoir, avant, quelle marge de manœuvre existe et d'engager le débat sur une telle sortie! En cas de crise, une société ne peut choisir qu'entre des éventualités clairement exprimées. Refuser ce débat, c'est d'emblée chercher à priver le pays de la faculté de choisir une autre politique énergétique. Ce qui est un crime contre la démocratie.
     Le débat démocratique ne peut être seulement un débat d'idées entre des parties inégales, dont l'une possède tous les moyens d'action humains, techniques et financiers et par conséquent impose ses vues lorsqu'il s'agit de décider et de passer à l'action. Le débat démocratique impose que les choix possibles soient étudiés et présentés en toute indépendance et que les moyens existent de faire appliquer les décisions. Dans le cas de la politique de l'énergie, on a vu la nécessité de créer des structures, gérées démocratiquement, chargées de la responsabilité des actions sur la consommation et on a souligné l'importance de les placer dans une sphère de responsabilité autre que celle de la technocratie de l'Etat et des grands groupes industriels et financiers: structures régionales attachées aux Conseils régionaux, structure nationale émanant d'elles, placée au niveau du Plan, ayant ses objectifs et ses moyens fixés par une loi-programme, donc par le Parlement. Il y a donc rééquilibrage des forces et des moyens et le débat démocratique, c'est-à-dire le choix démocratique entre plusieurs solutions alternatives (alors que la technocratie n'en présente toujours qu'une) peut s'exercer.
     Quelles sont les conditions de réussite de cette démarche?
     a) Avoir, dépendant du Parlement, un organisme chargé d'évaluer les grandes options technologiques et de présenter systématiquement les alternatives à la direction poursuivie par les grands appareils techniques afin que les différentes solutions possibles soient présentées avec leurs avantages, leurs inconvénients, leurs risques et leurs coûts: cet organisme peut être nommé «Office public d'expertise et d'évaluation des grands choix technologiques et de proposition de solutions alternatives». Ses travaux doivent être publics et effectués à la demande de parlementaires, d'organisations ou d'associations (collectivités territoriales, organisations syndicales de travailleurs, associations de consommateurs, etc.).
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     Il doit être composé d'hommes et de femmes issus de l'université ou de laboratoires de recherche et des entreprises, sous forme d'embauche ou de détachement, avec un statut garantissant la liberté de recherche et la liberté d'expression. Outre ces recherches, l'Office sera chargé d'organiser les confrontatiom nécessaires sur les choix techniques.
     b) Prévoir dans la Constitution le référendum d'initiative populaire.
     c) Rendre obligatoires le débat et la décision parlementaire pour les grands choix techniques après confrontation des thèses en présence et présentation des alternatives possibles.



ECONOMIE ET MAITRISE DE L'ENERGIE
QUELQUES TENDANCES RECENTES
(Sources: A.F.M.E. et Ministère de l'Industrie)

     Jusqu'en 1973, l'augmentation de la consommation d'énergie accompagne très exactement la croissance économique. A partir de 1973, il y a dissociation: en moyenne, dans les pays de l'O.C.D.E., le P.I.B. a augmenté de 30%, la consommation d'énergie de 4% seulement. Les chiffres sont sensiblement les mêmes pour la France; ils sont respectivement de 60% et de 5% pour le Japon!
     Pour une production ou un service donné, aux améliorations techniques s'ajoutent les économies de gestion qui peuvent avoir une importance considérable. Process de fabrication de matériaux (acier, ciment...), performances énergétiques des automobiles, chauffage et isolation des habitations ont connu depuis une quinzaine d'années des améliorations remarquables.
     Poursuivre l'effort de maîtrise et d'économies entrepris depuis 1974 est sans doute la meilleure façon de prévenir les effets désastreux des fluctuations brutales des prix de l'énergie sur le marché mondial. C'est développer l'innovation au service des besoins humains, avec la volonté de préserver les ressources de la nature.
     En France, 500 milliards de francs ont été consacrés au seul programme de construction des réacteurs nucléaires de 1974 à 1986 pour obtenir en fin de période une production annuelle de 56 Mtep, tandis que les investissements de maîtrise de l'énergie n'ont pas dépassé 100 milliards, avec comme effet une économie annuelle en fin de période de 34 Mtep.

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Source A.F.M.E:
Produit intérieur brut et consommation d'énergie en France
Produit intérieur brut et consommation d'énergie des pays de l'OCDE
Evolution des consommations spécifiques d'énergie
de quelques produits
(consommation d'énergie à la tonne produite)
Consommations conventionnelles des voitures particulières immatriculées en France
Composantes de l'évolution du bilan énergétique de 1981 à 1985
Le chauffage dans l'habitat
Croissance économique et demande d'énergie à l'horizon 2000
 La facture énergétique française
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L'ENDETTEMENT D'EDF:
L'EF'FET BOULE DE NEIGE

1. Son ampleur
     Elle est considérable: 220 milliards de francs à la fin de 1987, soit plus que la dette de l'Algérie ou du Vénézuela, 1,6 fois le chiffre d'affaires de l'entreprise (environ 140 milliards de francs en 1987), presque 1/4 du budget de l'Etat.
     Mais: la plupart des compagnies d'électricité sont endettées dans des proportions semblables ou même supérieures (la dette d'Hydro-Québec: 4,2 fois son chiffre d'affaires...).
     La charge financière de la dette est très lourde: 26 milliards de francs. Beaucoup plus élevée qu'à l'époque de l'endettement dû au programme hydraulique des années 1955-1960, elle a véritablement explosé depuis 1980, représentant jusqu'à environ 30% du chiffre d'affaires et a été responsable des déficits d'exploitation qu'EDF a dû assumer pendant plusieurs années (aujourd'hui les déficits cumulés s'élèvent à 23 milliards de francs).
     Actuellement, elle représente à peu près 20% de la facture annuelle moyenne d'électricité par habitant.
     Pour plus d' 1/3 (83 milliards de francs, 38% du total), elle a été contractée en devises fortes (15% de la dette totale est libellé en dollars, 9,5% en marks, florins, francs suisses, etc...).
     Ceci dit, EDF a quand même absorbé 1/5e de l'investissement français disponible au début des années 80.
     Son ampleur, délibérément acceptée par les gouvernements de droite (mais pas remise en cause par les gouvernements de gauche! ndlr), a été justifiée:
     - par la nécessité de financer le plus grand programme électronucléaire du monde sans ponctionner le marché financier français, trop étroit pour répondre aux besoins d'investissement intérieurs, notamment du secteur privé, sans recourir à l'autofinancement (ce qui aurait signifié relever fortement les tarifs, ce qui aurait nui à l'acceptation du programme par l'opinion: à 3 reprises depuis décembre 1985, ils ont diminué de 3%... et la hausse demandée par EDF pour le 15 février vient de lui être refusée);
     - en utilisant l'excellent crédit d'EDF (la plus grande compagnie électrique du monde à l'étranger) - mais aussi par des considérations financières: les taux d'intérêts à l'étranger étaient inférieurs avant 1980 aux taux français; de plus, emprunter des dollars (pour une bonne partie des pétrodollars...) permettait d'équilibrer la balance des paiements courants et de différer ou d'atténuer les difficultés du franc, ainsi protégé à court terme par les kilowatts du long terme...

suite:
2 - Quelle appréciation porter?
     Certes la dette a été astucieusement gérée par l'équipe des financiers d'EDF...
     - les risques ont été le plus possible ventilés entre les différents marchés et les différentes devises. EDF par exemple a su ne se dégager qu'assez peu du dollar et profite aujourd'hui de sa baisse (fin 86, sa dette dollar ne représentait plus que la moitié de celle de fin 84). Le redressement du compte d'exploitation à partir de 1985 doit beaucoup à cette baisse du dollar (il culmine à 10,60 F en février 1985, et tombe à 6,9 F en moyenne annuelle 1986). Aujourd'hui avec un dollar à 5,45 F (en janvier 1988, n.d.l.r.), on est près du taux de change des premiers emprunts (1975: 4,2 F).
     - De plus, une partie de la dette est couverte par l'exportation de kWh nucléaires (31 milliards en 1987).
     Mais l'endettement a lourdement pesé sur la gestion de l'entreprise...
     - On a longtemps dû rembourser les dollars «faibles» empruntés jusqu'en 1980 avec des dollars «forts» (à 4,2 F en 1980; 5,4 F en 1981; 6,5 F en 1982; 7,6 F en 1983; 8,7 F en 1984; 8,9 F en 1985...). D'où la mise en déficit de l'entreprise.
     Où était «l'indépendance énergétique»? En fait le service de la dette a absorbé la hausse de la productivité de l'entreprise, du moins pour une part importante.
     - Surtout le poids de la dette nucléaire a verrouillé pour longtemps toute autre stratégie. Elle ne pouvait en effet être couverte que par l'expansion forcenée des ventes d'électricité, par la conquête par tous les moyens de «marchés captifs», à commencer par celui de l'absurde chauffage électrique.
     Ainsi s'est mise en marche la spirale actuelle: pour construire le parc nucléaire (surdimensionné...): on endette lourdement l'entreprise et pour assumer la dette, on électrifie tous azimuts... ce qui conduit à l'extension de l'endettement.
     Les perspectives de l'endettement sont inquiétantes:
     - EDF doit tout faire pour comprimer sa dette pour deux raisons: la période des faibles taux d'intérêt est close; surtout, d'ici la fin du siècle, les réserves de productivité de l'entreprise vont baisser (les économies d'échelle sur la construction des centrales sont maintenant acquises) et l' électricité aura saturé ses marchés, l'expansion des ventes va diminuer.
     - Or les besoins de financement à prévoir dans les prochaines années sont encore tels qu'EDF va continuer à emprunter: on prévoit que sa dette augmentera de 30 à 40 milliards d'ici 1990 (250 milliards de francs sans doute à cette date).
     - la mise en commande d'une deuxième génération de centrales nucléaires à mettre en chantier à partir de 1995, comme le souhaite le lobby nucléaire, ferait faire à l'endettement d'EDF un nouveau bond en avant, difficilement supportable pour l'équilibre de l'entreprise. L'électronucléaire est lourd d'une grave crise financière. 
C'est pourquoi la mise en œuvre d'une politique cohérente de maîtrise globale de l'énergie cherchant une coordination optimale entre les différentes filières est une nécessité pressante.
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