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N°98/99

DÉCLARATION DE LA CGT
À LA COMMISSION LOCALE D'INFORMATION DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE DE GRAVELINES
     
Fédération Nationale des Syndicats du personnel des Industries de l'Energie Electrique, Nucléaire et Gazière
Palllin, le 2 octobre 1989
Madame, Monsieur,
Vous avez eu connaissance de l'incident de sûreté ayant affecté la tranche 1 du Centre de Production Nucléaire de Gravelines (vis pleines au lieu de vis creuses sur les soupapes du pressuriseur).
Ce tvpe d'incident n'a malheureusement pas surpris les agents d'EDF travaillant en centrale nucléaire.
A titre d'information, vous trouverez ci-joint la déclaration des représentants CGT à la Commission Locale d'information de Gravelines.
Je partage les opinions qu'ils y expriment et agis pour que les préoccupations de sûreté et de sécurité l'emportent réellement sur tout autres.
 Je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes sentiments respectueux
Claude BONNET
Représentant la CGT au CSSIN

     La multiplication des incidents dans le nucléaire n'est pas pour nous réjouir mais ne nous surprend nullement. Nous mesurons aujourd'hui les effets concrets d'une politique orientée depuis plusieurs années vers la seule recherche de la rentabilité financière.
     La «démarche qualité», lancée à grand renfort de publicité par EDF, est un échec car ce n'est qu'une opération poudre aux yeux destinée à masquer des objectifs financiers incompatibles avec les nécessités du service public en culpabilisant les hommes et les femmes de l'entreprise.
     Aujourd'hui, EDF n'assure plus le fonctionnement des centrales nucléaires avec toute la rigueur d'exploitation nécessaire pour des installations à haut risque. On peut d'ailleurs légitimement s'interroger sur la neutralité des organismes de sûreté compte tenu du nombre de dérogations aujourd'hui accordées.
     Les incidents survenus lors de la révision de la tranche 1 de Gravelines pouvaient tous être évités. Ce n'est pas une série noire ou la malchance comme on a pu se l'entendre dire par la direction du CPN de Gravelines.
     Prenons l'exemple de l'incident des soupapes de protection du réacteur: l'anomalie constatée 14 mois plus tard aurait pu l'être immédiatement avant le redémarrage de la tranche en 88 si nous avions disposé de moyens suffisants en effectifs statutaires pour examiner les dossiers fin de travaux en temps réel. C'est ainsi que l'on aurait pu s'interroger sur la demande d'une clé de 30 de la part des intervenants sur les soupapes alors que la caisse d'outillage spécifique ne comporte qu'une clé de 27 correspondant à la dimension des bonnes vis. 

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     Autre exemple: on a shunté la sécurité cinématique du pont tournant du bâtiment réacteur (c'est la sécurité principale du pont). Ce pont manutentionne les structures internes et le couvercle du réacteur pesant chacun plusieurs dizaines de tonnes. Là encore, l'examen de l'historique nous apporte les preuves des effets concrets d'une politique toute orientée vers la seule recherche de la rentabilité financière. En effet, une demande de remise en état de cette sécurité datant d'un an n'a pas été réalisée pour de bonnes mais surtout de très mauvaises raisons, si bien qu'une défaillance du pont aurait pu avoir comme conséquence la chute des structures ou du couvercle sur le cœur du réacteur.
     Nous avons bien d'autres exemples qui concrétisent tout autant nos analyses, qui touchent l'ensemble du CPN.
     Ainsi, il devient courant de désigner des Chefs de Travaux qui n'ont pas les habilitations requises en matière de sûreté, les programmes de formation ayant du mal à être respectés par manque d'effectifs ou de moyens.
     Ainsi, l'établissement s'étant lancé dans un programme d'informatisation généralisée des opérations de maintenance, des interventions sur du matériel IPS sont lancées sans vérifications de la part des agents habilités, le programme informatique ne l'ayant pas prévu.
     Ou encore, par manque de pièces de rechange, des travaux ne sont pas exécutés lors des révisions, ceci conduisant à une augmentation des interventions à pleine puissance dans le bâtiment réacteur.
     Nous arrêterons là cette énumération, notre intention n'étant pas de faire un scoop, dont les médias peu scrupuleux sont avides, mais d'interpeler les décideurs de ce pays pour leur dire qu'entre austérité... ou sécurité et sûreté il faut choisir! 
Il est urgent de poser les vrais problèmes, à tous les niveaux, avec la volonté d'y apporter de vraies réponses.
     Les directions d'EDF se dédouanent en déclarant qu'elles n'ont jamais demandé à personne de courir ou de faire des impasses à la sécurité et à la sûreté - c'est vrai - mais la volonté acharnée des directions d'imposer des critères de gestion qui éloignent de plus en plus les ingénieurs, les cadres et les techniciens des préoccupations techniques ne va pas dans le bon sens alors que les technologies mises en œuvre requièrent technique et sérénité dans l'approche des problèmes et leur résolution.
     Cette gestion actuelle de l'entreprise s'inscrit parfaitement dans une logique d'ensemble impulsée par le gouvernement. Ce n'est pas la lettre de Monsieur Rocard en date du 28-7-89, adressée aux présidents des entreprises publiques de premier rang, qui nous démentira. Cette lettre invite les dirigeants d'entreprises publiques à élaborer des plans d'entreprises. A EDF-GDF, cela se traduit par une vaste opération idéologique, fort coûteuse, pour modifier en profondeur le comportement des agents, les méthodes de travail, l'esprit de service public et leur substituer des mentalités, des pratiques et des critères de gestion analogues à ceux qui prévalent dans le secteur privé: concurrence et rentabilité financière.
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     De même, le projet d'orientations générales pour les années 90, 91, 92 du CPN de Gravelines propose de réduire en moyenne le budget hors révision de 1,25% en volume (orientation nationale du SPT). Où va-t-on encore économiser?
     Nous venons de voir les effets de cette politique sur le plan de la sûreté des installations, il y a aussi les effets sur les salariés, sur l'environnement, la situation énergétique du pays:

Sur les salariés
     L'utilisation d'entreprises extérieures en lieu et place du personnel statutaire entraîne la non qualité car l'expérience montre que la plupart de ces entreprises, plus préoccupées de leur chiffre d'affaire que de la sûreté des installations, pratiquent la sous-traitance en cascade, s'appuient sur la dérèglementation sociale et imposent des conditions de travail qui entraînent une dégradation de la qualité. De plus, beaucoup de ces salariés subissent l'ignoble chantage à l'emploi qui les conduit, pour certains, à renoncer de consulter un médecin pour allergie de peur de perdre son emploi à la suite d'une déclaration d'inaptitude DATR ou alors de tricher sur les doses cumulées pour les mêmes raisons - ignoble est un mot encore faible, c'est tout simplement criminel.

Sur l'environnement
     Concernant le rejet des effluents radioactifs liquides, l'arrêté relatif à l'autorisation de rejet est clair:
     - il mentionne que «les limites annuelles ne représentent qu'un maximum en deça duquel il y a lieu de maintenir l'activité rejetée toujours aussi basse que possible».
     Or le raisonnement tenu par la direction du SPT en 1987 est le suivant:
     La production de déchets solides (concentrats-résines) qui proviennent du traitement des effluents liquides radioactifs a un coût très important (enfûtage, transport...) il faut le réduire.
     1) par une meilleure organisation de la gestion des effluents afin d'en réduire le volume, décision non contestable auquel il faut associer le personnel pour le travail fourni.
     2) afin de réduire encore les déchets solides (coût élevé) on envisage de relever le seuil de traitement des effluents en fonction des objectifs que l'on veut se fixer en matière d'activité rejetée.
     Objectif du SPT: 200 GBq/an/centrale. Pour fixer les idées, la centrale 5/6 avait rejeté 25 GBq sur l'année 87.
     Ainsi donc l'objectif n'est plus de rejeter le minimum d'activité en mer mais devient d'abord et avant tout un objectif financier.
     C'est totalement inacceptable et nous le combattons.
     La direction n'a pas atteint ses objectifs puisqu'en 1988 l'activité totale rejetée pour l'année, et pour les 3 centrales, est de 220 GBq.
     Celle activité rejetée peut être réduite de façon sensible, encore faut-il que les évaporateurs de traitement des effluents soient disponibles, celui de la centrale 1/2 est indisponible depuis 1 an 1/2. Pourquoi?

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     Enfin, et ce sera le dernier point avant la conclusion, cette politique a des répercutions sur la situation énergétique du pays.
     Les événements de cet été ont mis en lumière la réalité du parc de production d'EDF. En plein mois de juillet, réputé de faible consommation, l'ensemble des installations en capacité de production est couplé au réseau. Plus aucun Mégawatt de réserve n'était disponible.
     Cela pose avec force la question de la capacité de l'établissement à assurer la permanence du service public. Les choix des directions, strictement financiers, s'accommodent mal des besoins de la nation et des nécessités du service public.
     Cette situation énergétique tendue va occasionner combien d'impasses à la sécurité et à la sûreté?
     Les directions ont déjà annoncé la couleur, il faut raccourcir le plus possible le temps d'arrêt des tranches.
     Tout ceci est inadmissible et les directions loin de répondre aux problèmes posés accentuent et réaffirment la primauté de la rentabilité financière de l'entreprise. Pour la direction, il faut rompre avec la culture des moyens nécessaires à la mission de service public confiée à l'ensemble du personnel pour aller vers une culture de résultats. C'est la politique du risque calculé.
     Certains semblent s'étonner aujourd'hui des réactions de notre organisation syndicale concernant les problèmes de sûreté et de sécurité.
     Certains, même, déclarant que la CGT «verdit», qu'elle devient «Anti-nucléaire», ou encore qu'elle monte une affaire en épingle pour se refaire une santé!
     Alors, pour que tout soit bien clair:
     La CGT est, et reste favorable à l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire... A la condition que cette énergie soit exploitée par une entreprise publique, sous le contrôle permanent de ses travailleurs, et de toute la nation.
     - A partir du moment où il y a casse de l'entreprise publique,
     - A partir du moment où l'entreprise est vidée de sa substance démocratique,
     - A partir du moment où les salariés sont baillonnés, n'ont plus les moyens humains et matériels de s'opposer à la déréglementation,
     - A partir du moment où la gestion financière prend le pas sur la gestion technique...
     ...Il ne peut plus y avoir de garanties sérieuses pour les salariés, pour les populations.
     La CGT n'a pas changé son fusil d'épaule, ne fait pas dans l'opportunisme. Elle s'est toujours prononcée pour que l'entreprise nationalisée ait les moyens de répondre à sa mission. Répondre aux besoins de toute la population et des entreprises en matière d'énergie électrique, au meilleur prix, avec la meilleure qualité de service.
     Pour ce fait, la CGT s'est toujours prononcée pour la diversification des sources d'énergie, donc pour le développement des moyens de production hydrauliques et classiques, en complément du nucléaire. Nous avons toujours pensé que ce n'était pas en mettant tous ses œufs dans le même panier que l'on pouvait véritablement garantir l'indépendance énergétique du pays.
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     De même, la CGT s'est opposée au moratoire nucléaire, au ralentissement des investissements, à l'abandon de la recherche sur la gazéification en profondeur, à l'abandon de la filière du surgénérateur.
     Aujourd'hui, alors que Directions et Pouvoirs Publics semblent découvrir une pénurie de moyens de production, il ne saurait être question, pour la CGT, d'accepter de faire tourner les centrales nucléaires à n'importe quel prix, dans n'importe quelles conditions.
     Nos installations peuvent tourner, doivent tourner à la condition essentielle que les moyens soient donnés de les entretenir comme il se doit.
     Pour cela, il faut des hommes, des hommes qualifiés, des hommes motivés qui le seront d'autant mieux que les qualifications seront reconnues, qu'ils seront partie prenante des décisions, qu'ils seront rémunérés correctement.

     Nous insistons, car le sujet est trop grave, il ne peut plus être question d'accepter quelqu'impasse que ce soit en matière de sûreté ou de sécurité sous prétexte que l'on manquerait d'énergie.

     Pour notre organisation syndicale, il n'y a pas d'alternative. EDF doit impérativement avoir les moyens matériels et humains d'assurer sa mission de Service Public dans les conditions optimum de Sécurité et de Sûreté, tant pour les salariés de l'Entreprise que pour les populations et l'environnement.

Commentaire: Voici donc le dossier fourni par la Cogema à la commission de la Hague. Il manque, bien sûr, le bilan des rejets chimiques mais on les a demandé déjà plusieurs fois alors on aura plus de chance en 90. Pour le reste, et bien souhaitons que le peu d'accidents avec dépassement de doses soit vrai, car la CGT fait remarquer, au niveau des réacteurs bien sûr, que parfois on ne déclare pas, on n'enregistre pas les dépassements de doses.
     Méfiez-vous en regardant les courbes de rejets, les échelles sont différentes entre les rejets gazeux et les rejets liquides. En rejet gazeux, il n'y a que les halogènes (iode par exemple) qui poseront problème. Par contre, en rejet liquide, il faudra progresser au niveau décontamination, car on frôlera, ou même dépassera, les limites admises en gardant les techniques actuelles.

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1) Autorisations annuelles de rejet

2) Bilan des accidents radiologiques
Normes en vigueur à partir de 1988      et      avant 1988

Dépassement des doses déclarés à l'inspection du travail et au SCPRI

3) Evolution des rejets depuis la parution des décrets d'autorisation


Bilan des rejets 1988

Rejets liquides
Alpha 3,7.105 MBq: soit 21,9% de l'autorisation: 1,7.106 MBq ou 45 Ci
Bêta hors tritium 5,75.108 MBq: soit 34,5% de l'autorisation: 1,7.109 MBq ou 45.000 Ci
Cs137 + Sr 90 4,8.107 MBq: soit 21,6% de l'autorisation: 2,2.108 MBq ou 6.000 Ci
Tritium 2,5.109 MBq: soit 6,8% de l'autorisation: 3,7.1010 MBq ou 1.000.000 Ci
Rejets gazeux
Kr 85 2,7.1010 MBq: soit 5,6% de l'autorisation: 4,8.1011 MBq ou 13.000.000 Ci
Tritium 2,1.107 MBq: soit 1% de l'autorisation: 2,2.109 MBq ou 6.000 Ci
Halogènes 2,2.104 MBq: soit 20% de l'autorisation: 1,1.105 MBq ou 3 Ci
Aérosols 2,5.101 MBq: soit 3,4.10-2% de l'autorisation: 7,4.104 MBq ou 2 Ci
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