Après une Gazette
consacrée à Tchernobyl (et il y en aura d'autres, malheureusement),
en voici une consacrée à nos problèmes français.
La Gazette participe à sa façon à la transparence prônée par tous nos officiels. Simplement un rappel: l'information pour l'information qui semble être le seul but actuel de tous les services et en particulier des élus, n'a jamais répondu à la demande de la population. Ce qui a été demandé c'est pouvoir participer aux décisions; c'est après avoir été informé, intervenir pour modifier éventuellement les projets. L'information ne doit pas être conçue dans le seul but de faire passer n'importe quel projet. Elle doit en plus être vraie et ne pas s'appuyer sur les fantasmes des gens qui parlent ou écrivent. Ce sujet, tarte à la crème s'il en est, a été au coeur des échanges lors de la derniêre réunion du Conseil Supérieur de Sûreté et INFORMATION Nucléaire (le célèbre CSSIN). Il a, bien sûr, été préparé par une série de dossiers introductifs mais dès les premières phrases, on est choqué: «Jouent un rôle important... les commissions locales d'information». C'est un voeu pieux car il n'y en a que sur quelques sites et en plus les quelques-unes existantes n'ont pas de budget (à part celle de La Hague). Alors comment jouer un rôle et d'abord quel rôle si la composition n'est pas pluraliste, si l'accès à la documentation est plus que difficile? Dans le cadre des actions d'EDF:1) «Des contacts ont été établis avec les éditeurs d'ouvrages scolaires». Halte là! Ce n'est pas à EDF d'intervenir dans ce domaine. Si on veut une information, EDF n'a pas à en être le promoteur unique parce que, dans ce cas, elle peut aussi bien fournir les livres. Ce sera moins hypocrite. 2) «en 1989, un sondage va débuter fin septembre et devrait permettre de voir et de comprendre une évolution de l'opinion vers une meilleure confiance vis-à-vis du nucléaire». |
On peut faire l'économie du sondage si on connaît
déjà la réponse.
Arrêtons là nos citations, nous reprendrons le dossier et vous apprendez (tout de même je le dis tout de suite) qu'EDF fait de la publicité pour (...Allons essayez de deviner), le fameux livre «L'affaire Tchernobyl, la guerre des rumeurs», un livre suffisamment contesté pour qu'on le laisse là où il aurait dû rester: aux oubliettes. Toujours dans le cadre de la transparence de l'information, j'ai glané dans la revue générale du nucléaire (RGN) quelques perles (RGN vol. A, 1989, no3). Les premières sont dans l'introduction intitulée «Le paradoxe nucléaire»: «Mais que pèsent ces arguments, confrontés à la charge émotionnelle négative que l'atome engendre dans bien des consciences? Entre le froid discours du technicien, qui s'adresse à l'intellect, et les invocations passionnées du prophète, le combat est inégal. Voilà pourquoi, dans de nombreux pays, le nucléaire est frappé d'interdit, ou mis entre parenthèses, alors même que tout plaide pour son utilisation. La montée en audience des thèses écologistes, le syndrome de Tchernobyl, la crainte de déclencher des mouvements d'opinion difficiles à gérer persuadent les gouvernements que le nucléaire est un terrain sur lequel il serait trop délicat de se hasarder. Même si l'opinion apparaît en elle-même séduisante, l'attitude la plus communément répandue est qu'il est urgent d'attendre avant de s'y ranger.» (extrait page 179)... «Qu'un programme de cette ampleur ait pu être engagé et mené à bien en si peu de temps et sans rencontrer d'obstacle majeur du côté de l'opinion publique constitue souvent un sujet d'étonnement chez les observateurs étrangers. p.1
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Quelle est la «recette»?
interrogent-ils. La «recette», s'il y en a une, est inexportable.
Elle tient à la spécificité française: pas
de pétrole; des ressources charbonnières d'exploitation coûteuse;
une volonté politique toujours affirmée, au-delà des
changements de gouvernement, de développer le nucléaire;
des structures et des décisions administratives centralisées;
un haut niveau scientifique et technique des équipes chargées
de la réalisation du programme... Et peut-être aussi, au-delà
de ces données mesurables, un «état d'esprit français»
plus porté à l'analyse rationnelle des faits qu'aux impulsions
sentimentales. C'est probablement cette attitude intellectuelle, héritage
des philosophies de la «raison» et des «Lumières»,
qui explique pour une large part le droit de cité donné au
nucléaire par le pays de Descartes.» (extrait page
180).
J'espère que vous êtes sensible au lyrisme et à vrai dire, à cette lecture, on se demande qui est émotionné. Manifestement le «froid» technicien est un vrai fanatique fort peu tolérant et par dessus le marché nationaliste. Enfin, on a les défauts de ses qualités... Remarquez bien qu'après cette magnifique introduction, l'ensemble des articles recèle quelques perles assez intéressantes: «Le retentissement démentiel qu'a connu la catastrophe de Tchernobyl n 'a certes pas fini de produire ses effets. Mais on ne peut se défendre d'espérer qu'une appréciation plus censée finira par être acceptée. Serait-il vraiment impossible de faire admettre qu'en nombre de décès provoqués le tabac équivaut à plusieurs «Tohernobyl» par jour? (extrait page 197). L'auteur de cette exclamation est Mr Couture, un de nos charmants nucléocrates. Et pour finir, quelques extraits cette fois d'un article sur le nucléaire dans la région Rhône-Alpes: «... Les sites nucléaires sont jeunes: la dernière tranche du site le plus ancien (Bugey) a été mise en service en 1980. Pouvant durer jusqu'à une quarantaine d'années, on peut donc prévoir que, progressivement, les centrales seront complètement intégrées dans l'économie locale. Lorsqu'elles seront déclassées, il y a gros à parier qu'elles seront remplacées par des centrales de la technique du moment implantées sur le même site: les avantages d'une production d'énergie concentrée, l'èxistence d'un réseau de transport haute tension, la disponibilité d'une source froide (le Rhône), enfin la volonté qui s'exprimera le moment venu de préserver les emplois induits plaideront pour que ces sites deviennent «sites perpétuels». Aussi de façon certaine, les sites nucléaires vont-ils rentrer dans la culture et dans l'histoire régionale.» (extrait page 226) Et quand on vous parlait de «perpétuel», on était juste au niveau du réel: «Le programme nucléaire français résulte de choix politiques forts et maintenus durablement; il a sans doute été facilité par une organisation économique et sociale fortement centralisée. Cependant, il a aussi et nécessairement une forte implantation régionale. Certes, ce ne sont pas des choix régionaux qui ont décidé telle ou telle implantation. Mais au fil des années, l'industrie nucléaire est devenue l'une des composantes de la richesse de la région, et progressivement les liens entre cette industrie et la région s'établissent. Les entreprises sous-traitantes s'adaptent: le système éducatif, secondaire et supérieur, prend en compte ces nouveaux débouchés. Les hommes du nucléaire et les hommes de la région se connaissent et se reconnaissent. De nécessité nationale, le nucléaire devient atout régional dans la compétition européenne: cette reconnaissance au niveau du terrain du nucléaire comme la première «nouvelle technologie» est aussi un des préalables à son acceptation par l'opinion.» (extrait page 229) (suite)
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suite:
Cette conclusion est fort intéressante. Inutile d'exprimer plus fermement et dans la transparence que les choix de la région n'ont en rien influé sur le nucléaire. Par contre, cela montre son poids: industries sous-traitantes, système éducatif. C'est bien pour cela que les citoyens doivent pouvoir intervenir. Sinon tel que c'est parti, ils sauront peut-être mais ils seront soumis et sans appel à une technique. Tout le monde se préoccupe, à haut niveau, de l'information du public, ayant découvert que cela pouvait aider à faire accepter n'importe quoi. Et, effectivement, la connaissance ne va pas apporter la possibilité de participer et surtout ne va rien changer aux lois actuelles. C'est sur ce plan que nous devons agir. Des lois, il y en a bien assez, mais ce qui ne va pas ce sont les décrets d'application: ou bien ils n'existent pas, alors on a une loi mais ça ne sert à rien, ou bien ils sont si tarabiscotés qu'on ne peut pas non plus les utiliser. Et puis surtout dès qu'on fait un recours, faisons au moins que ce soit suspensif. Sinon quand on gagne 10 ans après le début de travaux déclarés illégaux, on peut boire une bouteille mais on ne détruit pas (le pont de la Rochelle est un exemple récent). Le dernier effort de transparence date du 18 octobre 1989 et porte sur le stockage des déchets radioactifs. Je vous recommande de réclamer ce dossier au Service Central (101, rue de Grenelle, 75007 Paris), vous ne serez pas déçu. Cependant, il est dit que: 1) «un dossier de sûreté sera constitué pour chaque site en 1991», 2) le laboratoire souterrain a pour objectif de vérifier la capacité du site à accueillir le stockage souterrain, sinon un autre site sera exploré, 3) décision de construction vers 2000 - stockage à partir de 2010. Comme quoi la bagarre sur le terrain, avec des arguments solides, ça paie parfois. La Gazette a reçu du courrier à propos de l'ionisation des aliments et des irradiateurs. Nous avons publié une information ENERPRESSE et Service Central pour vous donner les localisations des irradiateurs et les lois. Nous avons émis des réserves sur le procédé. Nous les répétons: d'une part, il s'agit d'une source très intense et le personnel doit être informé pour éviter les accidents, d'autre part la piscine où se trouve la source doit être étanche pour qu'il n'y ait aucun problème pour l'environnement. Il est clair qu'en l'état des enquêtes sur le sujet, il n'est pas sûr que toutes les précautions soient bien prises. Les sources radioactives ne doivent pas être manipulées sans que le personnel ait été formé. Sur le plan des aliments eux-mêmes: une fois de plus, nous partons bille en tête sans avoir mené une expérimentation suffisante sur les effets: destruction des vitamines, formation de nouvelles protéines, altération du goût et surtout sans avoir fait la balance entre une conservation et une autre. Nous publierons rapidement un point sur tous les problèmes que soulève l'ionisation, même si dans la lutte contre la famine elle est présentée comme un apport positif. Golona aussi était un apport positif à la lutte contre le cancer, mais pour pouvoir utiliser les sources radioactives, il faut ne pas être négligent. Les pays industrialisés le sont bien trop et ceci ne permet pas aux pays en voie de développement d'utiliser des techniques sans risquer le pire. Mais ceci ne nous permet pas non plus à nous de faire confiance. Nous connaissons bien les limites des vérifications et les limites de nos interventions. L'ionisation a encore bien besoin d'être testée. Sinon comme pour la conservation chimique, on attendra la prochaine invention géniale pour accepter de parler des dangers. La Gazette vous présente donc le dossier Fessenheim et les experts indépendants. Ça n'a pas été facile et ce n'est pas fini. Il y aura d'autres visites décennales. Nous y avons ajouté un dossier qui fait le point sur le parc de centrales, le cycle du combustible. p.2
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