Certains pensent, en France,
que la durée de vie des réacteurs est limitée à
25 ans. Pourtant, lors de la conception des REP, cette durée avait
été estimée à environ quarante ans. Qu'en-est-il
aujourd'hui des perspectives EDF alors que les problèmes métallurgiques
s'accumulent (couvercles de cuve, tronçons protégés,
générateurs de vapeur, etc...)? Nous vous présentons
un extrait de la communication de R. Godin au symposium organisé
à Paris en 1991 par Framatome sur les projets "Durée de vie
des tranches à eau pressurisée".
Il y avait précisé:
"Dès à présent
il s'avère - sans pour autant faire preuve d'un optimisme démesuré
- que les tranches 900 MWé devraient pouvoir assurer dans de très
bonnes conditions de sûreté, de fiabilité et d'économie,
une durée de service de 40 ans. Il en sera vraisemblablement de
même pour les tranches 1.300 MWé. Les réflexions sont
en cours.
Nous complétons
ce dossier par un rapport de l'IPSN sur le vieillissement des centrales
REP.
I. Introduction
Electricité de France a engagé, dès 1985, un important programme de recherche et de développement dans le cadre d'un projet durée de vie de ses tranches nucléaires de la filière à eau pressurisée (R.E.P.). La finalité des études entreprises peut être succinctement résumée de la façon suivante: - comprendre et maîtriser les phénomènes liés au vieillissement (aspect sûreté) - définir, avec une marge d'incertitude aussi faible que possible, les dates de fin de vie des tranches REP dont les premières ont été mises en service il y a plus de 12 ans (fin de vie ''raisonnable''). - proposer aux Directions de l'Entreprise EDF des scénaris relatifs aux programmes de renouvellement d'équipements qu'il conviendra de prévoir en temps utile pour assurer la relève aux meilleures conditions de sûreté et de coût d'un parc REP dès lors vieillissant. L'objectif est d'autant plus ambitieux que l'âge moyen de ces installations (un peu plus de 7 ans pour l'ensemble du parc) est bien éloigné de la période critique au-delà de laquelle l'acharnement thérapeutique serait inconvenant (40 ans, voire plus). En un mot, ces installations sont jeunes et le projet durée de vie a la prétention, selon certains, de définir scientifiquement dès à présent les dates probables du trépas. L'enjeu est d'importance, en témoignent les quelques chiffres suivants: - 34 tranches de 900 MW ont été mises en service entre 1978 et 1988 (Fessenheim 1 - Chinon B4). - soit 30.650MW en 10 ans. - 17 tranches de 1.300 MW ont été mises en service entre 1985 et 1990 (Paluel 1 - Cattenom 3). - soit 22.430MW en 5 ans. - La puissance REP installée (53.080 MW) représente 76% de la puissance installée au Service de la Production Thermique et la production (290 TWh) 90% de la production d'origine thermique. Cette production représente, au niveau France, 72,5% du total produit (400 TWh). Enfin, selon les hypothèses retenues quant à la durée de vie probable d'une part et à l'évolution des besoins de production d'autre part, le programme de renouvellement du parc (schématiquemçnt représenté sur la figure n°1) peut varier de: (suite)
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- 1.800MW par an entre les années 2010 et 2040 (hypothèse de durée de vie: 30 à 50 ans). - à 5.000MW par an entre les années 2010 et 2020 (hypothèse de durée de vie: 30 ans). Est-il besoin de rappeler par ailleurs le rôle prépondérant que joue la composante économique dans une telle approche, notamment les facteurs suivants qui la concernent: - disponibilité des tranches "vieillissantes" - dépenses de maintenance exceptionnelle (y compris le remplacement de certains matériels) liée au phénomène de vieillissement - coûts d'une éventuelle remise à niveau de sûreté (suite à évolution des concepts) - surcoût de combustibles de substitution liés aux arrêts nécessaires à l'exécution des travaux. Le projet durée de vie d'EDF est, je le rappelle, ambitieux. Les quelques données précédentes montrent à l'évidence l'importance de l'approche pour le devenir du parc de production au début du 21e siècle. Quelles sont les grandes lignes de cette approche? II. L'approche du projet
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- étude de l'impact du
vieillissement sur la sûreté (évaluation et suivi de
la fiabilité des matériels et des systèmes). Cette
dernière étude est étendue à tous les matériels
importants pour la sûreté.
Les réévaluations de sûreté des tranches permettant de juger de leur conformité aux dispositions de sûreté en vigueur prennent toute leur importance dans ce contexte. A cet égard la comparaison permanente entre les résultats d'études de vieillissement et les constats effectués sur les matériels est impérative. C'est à partir de cette comparaison que peuvent être initiées des études complémentaires et que doivent être adaptés les programmes de surveillance en service. - étude de l'impact des évolutions éventuelles de la doctrine de sûreté sur le projet. - élaboration des informations nécessaires aux économistes - précisions sur la durée de vie probable des composants - inventaire des travaux lourds à prévoir - évolution probable des coûts de maintenance dite exceptionnelle. A cet effet, outre les réflexions engagées sur les 17 composants précédemment mentionnés, une étude sur l'évolution probable des coûts de maintenance à moyen terme de 22 matériels importants a été réalisée. Il s'agit, pour ces matériels, de rénovations ou de remplacements probables suite à des dégradations liées aux conditions de service ou à une évolution des concepts de sûreté. - étude "transverse" par type de dommage (érosion - corrosion - corrosion sous tension - fatigue, etc.) qui permet d'appréhender les phénomènes non spécifiques d'un matériel. L'organisation du projet est conçue pour permettre d'élaborer, chaque année, un bilan "durée de vie" aussi précis que possible. |
III. Avancement du projet - Perspectives
Toutes les actions complémentaires mentionnées précédemment sont bien engagées. La plupart d'entre elles verront leur aboutissement avant la fin de cette année, le.solde devant être traité courant 1992. Dès à présent il s'avère - sans pour autant faire preuve d'un optimisme démesuré - que les tranches de 900 MW devraient pouvoir assurer dans de très bonnes conditions de sûreté, de fiabilité et d'économie une durée de service de 40 ans. Il en sera vraisemblablement de même pour les tranches de 1.300MW (les réflexions sont en cours). Parmi les travaux de maintenance exceptionnelle dont il a été fait mention précédemment, rappelons pour mémoire le remplacement des générateurs de vapeur de Dampierre 1 qui s'est effectué avec succès. Les informations encourageantes recueillies à ce jour nous incitent à engager des réflexions complémentaires sur le thème de la prolongation de la durée de vie au-delà de la durée de conception. L'approche est complexe à maints égards et en particulier les évolutions des concepts de sûreté ne seront-elles pas de nature à induire des coûts de "remise a niveau économiquement insupportables? L'enjeu est d'importance. Une telle possibilité permettrait, entre autres raisons, de moduler le programme de renouvellement du parc. Le projet durée de vie, de par son ampleur, implique de nombreux acteurs. Un comité directeur composé de représentants de différentes directions d'Electricité de France a la charge de mener à terme ce projet. Il lui revient d'assurer la cohérence d'ensemble et d'être l'interlocuteur des organismes extérieurs français ou étrangers concernés par ce domaine. Il va de soi que sûreté et durée de vie sont indissociables. Nous nous devons de solliciter périodiquement l'avis de nos Autorités de Sûreté sur les orientations techniques envisagées, ce qui est le cas. Gageons qu'il nous sera possible, sous deux ans, de présenter à notre Direction Générale quelques stratégies qu'il conviendra bien évidemment de réactualiser au vu du retour d'expérience. p.29
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I. Rappels
1.1. Généralités sur le vieillissement Le dictionnaire Robert définit le vieillissement par "l'ensemble des phénomènes qui caractérisent l'affaiblissement de la vitalité et l'évolution de l'organisme vers la mort". Pour les centrales nucléaires, il n'existe pas de définition reconnue. Electric Power Research Institute (EPRI) a récemment tenté dans un glossaire[1] d'une vingtaine de pages de préciser la notion de vieillissement et la terminologie associée qui ne comporte pas moins de 113 termes et commentaires. Sans entrer dans les détails, on peut dire que le vieillissement des systèmes, des composants et des structures des centrales nucléaires est caractérisé par une modification de leurs propriétés physiques et/ou mécaniques sous les effets combinés du temps et des actions du milieu environnant. Sans conduire forcément à leur ruine, ces altérations accroissent les risques de défaut de fonctionnement ou de destruction. En règle générale, dans un premier temps les actions de maintenance courante suffisent à maintenir la fiabilité des matériels et des systèmes proche de sa valeur initiale puis les dégradations s'accélèrent et on entre dans la période de vieillissement proprement dit. Une conception correcte doit tenir compte des effets possibles de vieillissement, soit en choisissant des matériaux et des produits qui, associés aux conditions d'utilisation, ne subiront que des altérations négligeables, soit en retenant pour le dimensionnement des matériels et systèmes les propriétés les plus défavorables, obtenues ou évaluées après vieillissement sur une durée correspondant à la durée de fonctionnement prévue avec des marges de sécurité suffisantes. De plus, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour suivre en exploitation les évolutions des propriétés des matériaux et les performances des matériels et systèmes. La réglementation du circuit primaire principal des chaudières nucléaires à eau[2], par exemple, demande à l'exploitant de "mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour connaître l'évolution, en exploitation, des principales propriétés des matériaux constitutifs de l'appareil". 1.2. Etat du parc français des réacteurs à eau
sous pression (REP)
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II. Prise en compte du vieillissement à la conception Comme il a éte dit plus haut, des altérations préjudiciables à la sûreté ne sont pas à craindre si les phénomènes liés au vieillissement ont été correctement estimés et pris en compte à la conception et si les conditions d'exploitation et d'environnement sont conformes aux prévisions[4]. Cet objectif peut être atteint si la conception s'appuie sur des pratiques dont la valeur a été démontrée par des essais ou par l'expérience et qui trouvent leur expression dans des codes, normes ou règles reconnus et approuvés[5]. On s'attachera, par exemple, à utiliser des matériaux ou des matériels pour lesquels on dispose de références d'emploi dans des conditions analogues et pour des utilisations de sévérité équivalente. En dépit de ces précautions, la prévision des effets du vieillissement peut présenter des incertitudes ou des lacunes. Le retour d'expérience n'est jamais complètement représentatif et s'il est fait appel à des essais, leur durée dépasse rarement quelques années. Il faut alors avoir recours à des extrapolations parfois hasardeuses. Certes, les essais de vieillissement peuvent être accélérés en augmentant les sollicitations (température, contraintes, débit de dose, nombre de manoeuvres...). Très pratiques lorsque les équivalences entre l'amplitude des sollicitations et le temps sont parfaitement définies, ces essais risquent de modifier le mécanisme responsable du vieillissement et de conduire ainsi à des conclusions erronées. Enfin, il existe parfois des phénomènes de synergie entre les différents paramètres du vieillissement qu'il est difficile de reproduire dans des essais accélérés. III. Quelques exemples de mécanismes de vieillissement
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III.1.2. Vieillissement sous irradiation neutronique
L'irradiation neutronique, à partir de valeurs de flux intégrés supérieures à quelques 1018 neutrons/cm2 d'énergie supérieure à 1 Mev, provoque une dégradation de la résilience des aciers utilisés pour la construction des cuves des REP et un déplacement du domaine de transition fragile-ductile. Schématiquement, cette fragilisation est essentiellement due aux modifications des structures liées, d'une part à la création de défauts dans le réseau cristallin (lacunes et défauts interstitiels), d'autre part à la précipitation de fines particules, notamment de cuivre, élément qui constitue une impureté de l'acier de cuve. En 1973, lors du lancement du programme électronucléaire français, compte tenu des données alors disponibles, la composition chimique de l'acier des cuves a été ajustée pour limiter les effet de l'irradiation neutronique et les teneurs en cuivre et en phosphore ont été limitées pour les viroles de la cuve situées au droit du coeur. En l'absence de résultats du constructeur, I'IPSN (ou plutôt son équivalent de l'époque) avait fait réaliser des irradiations accélérées dans le réacteur Triton du CEA, sur des échantillons prélevés lors de la réalisation des cuves des tranches de Fessenheim et Bugey, pour vérifier le bien fondé des choix effectués et fournir ainsi les premières estimations quantitatives des fragilisations attendues enfin de vie. Depuis cette date, de nombreuses études et investigations ont été menées en France et à l'étranger pour préciser l'influence des divers paramètres d'irradiation tels que la température, le flux, la composition chimique, les ségrégations et, par ailleurs, le développement de techniques d'observation performantes a permis de mieux comprendre les mécanismes de fragilisation. III.2. Les polymères
IV. Actions d'EDF dans le domaine du vieillissement
(Projet Durée de Vie)
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· prendre en compte les résultats de ces études, le retour d'expérience, les données économiques et les contraintes du réseau pour procéder à une évaluation du potentiel de durée de vie compatible avec le maintien du parc au niveau de sûreté requis, · faire bénéficier toutes les tranches futures des enseignements dégagés. Ces objectifs ont conduit EDF à définir le programme de travail à moyen terme suivant: 1991 à 1993: Réactualisation des "rapports de constat" (bilan de l'état de santé des matériels et des actions de Recherche et Développement engagées). Propositions d'actions complémentaires éventuelles. 1993 à 1995: Evaluation des potentiels de durée de vie des tranches (méthodologie préalable à définir). Le programme EDF s'articule autour de trois thèmes, à savoir: 1) Une approche par composants sensibles
2) Une approche transverse
3) Des expertises de matériels déclassés
V. Actions de l'IPSN dans le domaine du vieillissement
a) Les matériaux métalliques du circuit primaire des
REP
b) Les matériaux à base de polymères utilisés
dans les matériels électriques
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c) Les peintures et revêtements mis en place à
l'intérieur de l'enceinte de confinement des centrales nucléaires
Des essais de comportement aux conditions régnant dans l'enceinte de confinement en cas d'accident (après vieillisse-ment) de quatre produits utilisés pour l'amélioration de l'étanchéité des enceintes ou comme revêtement de sols ont été effectués. Le programme est terminé et il a notamment montré que la tenue du revêtement à base de polyuréthane n'était pas satisfaisante. Ces actions méritent d'être poursuivies à un niveau au moins égal au niveau actuel ; à ce sujet, dans l'optique des réacteurs du futur, l'IPSN envisage d'étudier prochainement le vieillissement de composants électroniques et optiques durcis sous de faibles débits de doses. Il apparaît également souhaitable que soient développées des méthodes de surveillance in sîtu de la dégradation des caractéristiques fonctionnelles des câbles électriques. V.2. Actions récentes ou envisagées
b) Les expertises de matériels déclassés
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c) Le béton Depuis de nombreuses années, I'IPSN a développé en liaison avec le Département de Mécanique et de Technologie du CEA des outils de calculs indépendants de ceux de l'exploitant et du constructeur pour analyser le comportement mécanique des structures de génie civil en béton armé et en béton précontraint. Ces outils ne sont pas adaptés actuellement pour suivre certaines anomalies constatées sur les enceintes en fonctionnement. C'est ainsi que certaines enceintes (Flamanville, Belleville, Nogent) présentent des cinétiques de fluage nettement plus importantes que prévu et cette situation pourrait conduire à une perte d'étanchéité en cas d'accident. Le programme dont la réalisation est prévue par l'IPSN a partir de 1994 devrait permettre de définir un outil plus fiable de prévision du comportement des enceintes. d) La participation aux programmes internationaux
VI. Conclusions
Références 1. Common Aging Terminology, February 1993-EPRI-. 2. Appareils à pression de vapeur. Circuit primaire principal des chaudières nucléaires à eau. Arrêté et circulaire du 26 février 1974. 3. Corrosion fissurante sous contrainte de l'inconel dans l'eau à haute température. MM. Coriou - Grall - Legaîl - Vettier. 3ème colloque de métallurgie sur la corrosion CEN/SACLAY 1959. 4. Des problèmes liés au vieillissement ne devraient se poser que dans l'hypothèse d'une prolongation de la vie des tranches au-delà de la durée de conception (60 ans par exemple). 5. Principes fondamentaux de sûreté pour les centrales nucléaires n° 75-INSAG-3 AIEA Vienne 1990. 6. Le projet durée de vie des centrales nucléaires. MM. J.P. Combes - J.F. Dubois - R. Godin. Revue générale nucléaire n° 3, mai-juin 1993. 7. Activités de recherche et développement de l'IPSN dans le domaine du vieillissement des installations. MM. G. Deletre - J. P. Henry -D. Miannay - J.J. Olivera - H. Horowitz- B. Barrachin. SMIRT 11 -TOKYO 18-23 août 1991. p.32
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