UNE ROUTE chaotique, rectiligne, bordée par une vaste forêt de pins. À trente kilomètres de la centrale débutent les 2.000 km² de la « zone d'exclusion » de Tchernobyl, interdite au public. Les autorisations sont délivrées au compte-gouttes par le gouvernement. Vestiges du passé, d'anciens rails de chemin de fer croisent encore la route. Au troisième check point, un panneau annonce Pripiat. De cette ville de 47 000 habitants, évacuée en trois heures le 27 avril 1986, au lendemain de l'explosion du réacteur 4 de la centrale, il ne reste rien. Construite dans les années 1970 au bord d'une rivière, Pripiat logeait les employés de la centrale. Seules traces de vie, les rideaux aux fenêtres des immeubles vides. Les pilleurs sont passés par là. Sur la place centrale, l'herbe a poussé. Autour, l'hôtel Polissa, le centre culturel, l'école et le restaurant ne sont plus que d'immenses cubes de béton gris aux fenêtres béantes. «C'était une ville très belle et moderne avec son parc, son yacht-club et ses rosiers», se souvient le directeur de la zone d'exclusion. Une fois par an, le 26 avril, date anniversaire de l'accident, les anciens habitants de Pripiat, dont la plupart ont été relogés à une cinquantaine de kilomètres, à Slavutich, sont autorisés à revenir chez eux. Vingt et un ans après la catastrophe de Tchernobyl, près de 4 000 personnes travaillent encore à l'entretien de la centrale, fermée depuis décembre 2000. Derrière les barbelés et les pylones électriques se dressent les réacteurs 3 et 4 de la centrale. À cent mètres du réacteur 4, à l'abri, le dosimètre indique 0,24 microrem par heure. Quelques minutes plus tard, au gré du vent, l'écran affiche 0,21 (la norme étant de 0,13). Sous le réacteur endommagé par l'explosion sont enfouies 180 tonnes de combustibles nucléaires. Un chantier symbolique, hors norme
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«Trop risqué pour le personnel», avaient alors jugé les entreprises de BTP françaises. Vinci et Bouygues réaliseront l'enceinte de confinement du réacteur 4. Le contrat a été signé en grande pompe lundi, à Kiev. Les travaux financés par un fonds international, débuteront le mois prochain et s'achèveront en 2012. Un chantier symbolique, hors norme, qui permettra de construire une arche métallique géante, assez grande pour recouvrir le stade de France. L'enceinte sera fabriquée à 300 mètres à l'ouest de la centrale, en dehors de la zone contaminée. Les 900 ouvriers porteront combinaisons, masques, casques et gants. Ils seront régulièrement soumis à des exercices d'évacuation. Des rotations de quinze jours sont également prévues pour limiter les doses radioactives, mesurées mensuellement. Après la construction de l'arche viendra le temps du démantèlement total du réacteur. Les experts du pays n'ont pas encore tranché la question du stockage des déchets nucléaires. Un référendum pourrait être organisé l'an prochain. L'enjeu est colossal. Le pays se remet à peine du traumatisme de Tchernobyl, qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les autorités soviétiques n'ont reconnu que tardivement leur impuissance, se contentant de déclarations contradictoires sur les pathologies observées. Chaque année, de nouveaux cas de cancers de la thyroïde sont détectés. «Depuis quelques années, les cas de leucémie sont en progression», s'inquiète Marie-Laurence Simonet, fondatrice du centre médical français de Kiev, la première structure à avoir organisé, en 1991, un suivi médical des victimes. À ce jour, 20 000 patients y ont été soignés. La plupart d'entre eux ont été opérés gratuitement dans des hôpitaux français. Cicatrices apparentes sur la gorge, Victor, 25 ans, qui s'apprête à défendre une thèse sur la diplomatie du Vatican, a été diagnostiqué en 1992. À l'époque, sa famille vivait à Pripiat. Jusqu'en 2001, son père a travaillé à la centrale. Victor a été opéré trois fois en France, à Paris et Lille. Il a failli ne plus jamais reparler. «En 1992, il n'y avait pas de moyens médicaux pour être soigné en Ukraine. De plus, il fallait de l'argent», raconte en français le jeune homme. «Oui, nous avons été abandonnés. Mais il faut pardonner...» |
Voir le dossier relatif à l'accident: http://news.bbc.co.uk/1/shared/spl/hi/guides/456900/456957/html/nn1page1.stm