Par Laure NOUALHAT
Les tomates au césium
137, des huîtres au radium 226, des fromages de chèvre à
l'iode 131. Menu issu d'un roman de science-fiction ? Pas sûr...
Les prochaines normes du Codex alimentarius qui fixeront les taux de radioactivité
des aliments destinés au commerce international en 2005 sont en
train d'être revues à la hausse. Et c'est la porte ouverte
au becquerel (1) dans l'assiette.
La commission du Codex (émanation
de l'Organisation mondiale de la Santé, l'OMS, et de l'agence des
Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, créée
en 1962) fixe des normes sur les denrées alimentaires destinées
au commerce international. En 1989, après l'accident de Tchernobyl,
elle a adopté «des limites de référence pour
les radionucléides dans les aliments à la suite d'une contamination
liée à un accident nucléaire, applicables dans le
contexte du commerce international». Les normes ne servent pas uniquement
à protéger les individus, mais aussi à faciliter les
indemnisations des producteurs boudés par les consommateurs et à
mettre les pays au diapason.
Mélange. Encore en
vigueur aujourd'hui, ces normes concernent deux groupes de produits : le
lait et aliments pour nourrissons, et les denrées destinées
à l'alimentation générale. Ainsi, le lait ne peut
contenir plus de 1 Bq/kg de plutonium 239, pas plus de 100 Bq/kg d'iode
131 et pas plus de 1.000 Bq/kg de césium 137. Ces règles
ne s'appliquent qu'en cas d'accident nucléaire, et, comme il n'est
pas question d'entériner une situation de contamination, elles ne
durent alors qu'un an. En temps normal, les valeurs flirtent avec le zéro,
sauf pour le césium 137, qui est largement répandu dans l'atmosphère
depuis les essais nucléaires aériens des années 50
et 60 : il se trouve dans certains aliments à hauteur de 1,2 à
3 Bq/kg.
Dans son projet adopté
en juillet 2004 à Genève , la commission du Codex va
relever les seuils des radioéléments artificiels. Les valeurs
restent les mêmes, mais la méthode de calcul change. En fait,
la commission du Codex estime que, en cas d'incident nucléaire,
seule une infime partie de la nourriture consommée pourrait être
contaminée : entre 0,01 et 0,1 % de ce qui est ingéré
dans l'année (550 kilos pour un adulte et 200 kilos pour un enfant).
Cela revient automatiquement à relever les seuils de 100 à
10.000 (pour le radium 226). Comment est-ce possible ? Le Codex mise sur
le mélange avec des aliments non contaminés. Mais si les
gens se nourrissent presque exclusivement de produits locaux, comme en
Biélorussie, la méthode de calcul tombe à l'eau.
Fouillis réglementaire.
Cette révision du Codex s'appuie sur la notion d'«événements
nucléaires» plus que sur des accidents catastrophiques à
la Tchernobyl. Une manière d'entériner la dissémination
croissante de l'usage de matières nucléaires et les risques
qu'elle suscite : transport de matières et de déchets radioactifs,
démantèlement des centrales qui va s'intensifier dans les
années à venir, mais aussi utilisation dans les conflits
d'obus à uranium appauvri. Sans compter le risque croissant d'attentat
terroriste. Pour les membres de la CIPR (Commission internationale de protection
radiologique, qui a aidé le Codex à élaborer ces nouvelles
normes), tout cela n'est pas bien grave. «Le Codex ? C'est quelque
chose d'obscur dont personne ne s'occupe, raconte Jacques Lochard, président
du Centre d'étude sur l'évaluation de la protection dans
le domaine nucléaire (2) et membre de la délégation
française de la CIPR. Les normes actuelles du Codex sont très
élevées. Depuis Tchernobyl, on a toujours utilisé
celles de la Commission européenne, plus strictes.» Il y a
donc des normes à Bruxelles, mais aussi à la CIPR ou à
l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)... Et il existe
des tonnes de documents, tous plus subtils les uns que les autres, pour
déterminer les limites acceptables de ce que l'on peut ingurgiter.
Un fouillis réglementaire bien trop indigeste pour être intelligible
par les citoyens.
(1) Le becquerel est une des unités de
mesure de la radioactivité. 4 Bq signifie que, chaque seconde, 4
atomes se désintègrent en émettant un rayonnement.
(2) Le CEPN, association de recherche, comporte
quatre membres : EDF, l'Institut de radioprotection et de sécurité
nucléaire, le CEA et la Cogema (!!!)
http://www.liberation.fr/page.php?Article=250405