Retombées du nuage de Tchernobyl : les tout premiers éléments de l'expertise judiciaire sont accablants pour les autorités françaises, selon l'avocat des plaignants qui ont été reçus, mardi, par Marie-Odile Bertella-Geffroy, le juge d'instruction chargé de l'affaire. «Les experts expliquent que les autorités de l'époque avaient connaissance des mesures de contamination, qu'elles ont falsifié les chiffres et n'ont pas alerté les populations concernées des risques encourus», résume Me Curtil, le défenseur des 230 malades de la thyroïde qui imputent leurs pathologies au passage en France du nuage radioactif en 1986, après l'explosion de la centrale de Tchernobyl. En tout, ce sont 400 plaintes contre X avec constitution de partie civile qui ont été déposées mais seules 230 ont été jugées recevables à ce jour.
Les plaignants, originaires des régions les plus touchées (l'est et le sud-est de la France), reprochent aux pouvoirs publics de ne pas les avoir tenus correctement informés de la situation. Pour confirmer ou infirmer ces accusations, les experts, dont le rapport est attendu pour la fin du mois, ont travaillé sur les nombreux documents saisis lors des perquisitions menées depuis 2001 à l'initiative de Marie-Odile Bertella-Geffroy, magistrat spécialiste des affaires sanitaires. Ils ont repris de façon méthodique, jour par jour, les mesures radioactives effectuées en 86 par des organismes publics et privés (EDF, CEA, Cogema, hôpitaux, laboratoires départementaux d'analyses vétérinaires). Ils ont vérifié si ces éléments ont bien été transmis aux autorités compétentes puis ont examiné les informations que ces dernières ont fournies au public.
«Les premiers résultats sont particulièrement sévères pour le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) dont certaines pièces révèlent qu'il a menti sur les chiffres», indique Me Curtil. Cet organisme, devenu depuis l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), était chargé de contrôler les installations nucléaires et de communiquer sur le sujet. Une perquisition a été menée cet été chez le professeur Pierre Pellerin, ancien directeur du SCPRI.
«Les autorités ont-elles péché par ignorance ou en toute connaissance de cause ? interroge Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'informations indépendantes sur la radioactivité (CRII-RAD), autre partie civile. On a du mal à croire que les responsables du SCPRI, qui comptent parmi les spécialistes mondiaux de la radioprotection, ignoraient la gravité de la situation.»
La CRII-RAD a rendez-vous le 26 janvier dans le
bureau de Marie-Odile Bertella-Geffroy qui pourrait ordonner prochainement
une expertise épidémiologique, région par région,
avec examen des registres médicaux antérieurs à 1986.
Car, outre la vérité sur la gestion de la catastrophe, les
plaignants qui souffrent de cancers de la thyroïde réclament
une reconnaissance de leur statut. Mais rien ne sera plus difficile que
d'établir la corrélation entre leurs pathologies et ce nuage
qui survola la France, il y a presque dix-huit ans.