MARCOULE (GARD) ENVOYÉ SPÉCIAL
"C'est une première
mondiale!", insiste Philippe Pradel, directeur de l'énergie
nucléaire du CEA. Selon cet ancien de la Cogema, "le plus difficile
est fait", en termes de manipulation des produits les plus irradiés.
Le chantier, qu'il faisait visiter, jeudi 26 octobre, "n'est pas seulement
un mal nécessaire: il nous permet de faire la preuve que nous pouvons
mettre correctement un terme à la première génération
des centrales nucléaires". Démonstration d'autant plus
attendue que la filière nucléaire française entend
profiter de la conjoncture, favorable à l'étranger à
la relance de ce type d'énergie.
Avec les sites plus
modestes de Grenoble et Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), Marcoule est
donc un laboratoire du démantèlement d'installations nucléaires
et de la gestion des déchets engendrés par des décennies
d'activité. Le "gros morceau" est l'usine de plutonium no
1 (UP1), où fut séparé l'ingrédient essentiel
de la force de frappe française, issu des réacteurs
plutonigènes de la filière graphite-gaz.
La radioactivité
omniprésente impose des précautions de tous les instants.
Dans un atelier où l'on produisait des lingots de plutonium, deux
ouvriers aux allures de Bibendum scient un tube d'acier. Couverts d'une
combinaison rose étanche, gonflée pour que la surpression
interdise tout contact avec des particules radioactives, ils ne peuvent
travailler que deux heures par jour.
60.000 FÛTS À "EMBALLER"
Parfois, des robots
prennent le relais. Pour assainir une salle de filtration des gaz de ventilation,
deux chenillettes dotées d'un bras articulé, commandées
à distance, se partagent le travail : l'une tient une tôle,
que l'autre découpe, sous l'oeil de la caméra d'un petit
robot explorateur. Les machines sont lentes : il faudra cinq ans pour ce
seul local. Afin d'accélérer les opérations, des caméras
gamma ont été mises au point. Elles sont capables de détecter
à distance les "points chauds", à travers l'acier des canalisations
et des fûts.
Dès l'origine,
UP1 a produit des déchets radioactifs, coulés alors dans
de simples fûts pétroliers. La pratique était de les
immerger en mer. Quand des traités internationaux ont mis fin à
ce mode de "gestion", les fûts ont été empilés
dans des casemates. Il en reste 60.000 à emballer dans de nouvelles
coques d'inox. Soit trente ans d'activité.
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Comment assurer le financement
sur une si longue période? Le CEA a constitué deux fonds
consacrés, l'un civil (3,96 milliards €), l'autre militaire
(4,18 milliards €), hors coûts de stockage des déchets.
Le fonds civil, créé en 2001, outre des actifs financiers
liquides, a reçu 15% du capital d'Areva, sur les 79% détenus
par le CEA. Il est alimenté chaque année par le versement
de dividendes. Le fonds militaire reçoit des contributions d'EDF
et d'Areva en contrepartie de leur désengagement des opérations
de démantèlement, tandis que les modalités de la contribution
de l'Etat "restent à définir", indique le CEA.
Sur un panneau syndical,
une note de 2005 de la CFE-CGC rappelle que "vu la complexité
et la durée du projet, nul ne peut être certain de l'exactitude
des devis". Philippe Pradel rétorque qu'après dix
ans d'opérations, les coûts sont tenus, que le niveau de radioactivité
rencontrée est moindre qu'escompté et qu'une marge de 10%
a été prévue pour anticiper les aléas du chantier.
En 2005, la Cour des
comptes estimait que les charges de l'ensemble de l'"aval du cycle nucléaire"
- retraitement et stockage des déchets - représentaient 10%
du coût de production du kWh nucléaire. La loi sur les matières
et déchets radioactifs du 28 juin a institué une Commission
nationale d'évaluation du financement du démantèlement
et de gestion des déchets, chargée de vérifier que
les provisions constituées seront suffisantes. Le décret
d'application n'est pas encore paru.
Hervé Morin
Chronologie
1945: création du Commissariat à
l'énergie atomique (CEA).
1956: construction à Marcoule (Gard)
du premier réacteur nucléaire graphite-gaz français,
G1, assurant la production de plutonium militaire.
1958: création de l'usine plutonium
no 1 (UP1) destinée à extraire ce plutonium et à retraiter
les combustibles irradiés de la filière graphite-gaz.
1976: le site passe sous la responsabilité
de la Cogema, filiale du CEA.
1997: arrêt définitif de
production d'UP1. Début du démantèlement.
2006: la responsabilité du site
est transférée au CEA.
2035 environ: fin du démantèlement
des installations et du conditionnement des déchets de la filière
graphite-gaz? |