Les
chercheurs de l'Andra ont conclu à la faisabilité du stockage
géologique des déchets nucléaires. L'agence réfléchit
à une version industrielle de son laboratoire.
C'est un laboratoire
scientifique peu commun. A 490 mètres sous le plateau de Bure, on
y croise des ouvriers mais peu de chercheurs. L'ambiance rappelle plus
la mine que la chambre blanche. Il faut être accompagné pour
deviner derrière tel signe cabalistique un repère de fluage,
derrière un boulon une sonde de température, derrière
telle plaque un circuit de diffusion des radionucléides, derrière
une grille une culture de bactéries, sous le plastique un spectromètre
Raman.
Pourtant, ici, dans
les entrailles du Bassin parisien, on a placé la roche sous surveillance
quasi médicale, 24 heures sur 24 heures. 130 forages percés
à partir des galeries écoutent comme des aiguilles les plaintes
de l'argilite soumise à la torture depuis des mois. Après
155 millions d'années d'une lente adolescence, la roche a été
réveillée en 2004 par les marteaux piqueurs d'abord, puis
les supplices des géologues, des hydrologues et des géochimistes.
Aujourd'hui, les armoires informatiques ont remplacé la matière
grise, plus à l'aise dans les préfabriqués en surface
qu'en pleine poussière grise. La quinzaine de « manips »
travaillent désormais toutes seules et envoient leurs données
vers les chercheurs de l'Andra, qui gère le projet.
Le laboratoire n'est
pas terminé, le consortium industriel GFE doit encore forer quelques
mètres pour relier les deux puits d'accès mais la trentaine
de scientifiques du site ont déjà embrayé sur l'avenir.
Dans quelques semaines, le Parlement devrait consacrer leur travail de
dix ans. La loi en projet sur les déchets nucléaires confirmera
en effet la voie du stockage géologique comme la plus réaliste
vis-à-vis des alternatives de l'entreposage et de la transmutation.
Pour décrocher
ce blanc-seing, les chercheurs de l'Andra ont mouillé la combinaison.
C'est in extremis qu'ils ont remis en début d'année le rapport
final concluant à la faisabilité scientifique du stockage
géologique. La question insinuée par la loi Bataille de 2001
était pourtant simple en apparence : la couche d'argilite du plateau
de Bure peut-elle contenir sous terre les radioéléments des
déchets à vie longue sur une échelle de plusieurs
centaines de milliers d'années ?
Migration des molécules
Pour y répondre,
les chercheurs ont d'abord reconstitué l'histoire de la couche d'argilite.
Le directeur scientifique du laboratoire, Jacques Delay, explique la démarche
: «On connaît la géologie du Bassin parisien depuis
150 ans, notamment son déplacement sous la pression des Alpes. Notre
travail a consisté à étudier précisément
la zone. Nous ne savions pas par exemple il y a dix ans la température
exacte de la couche ou sa nature chimique.» Forts de ces connaissances,
les scientifiques ont conclu que la zone ne présente pas de risque
sismique. Leur hypothèse de départ est limpide: en connaissant
le comportement de la couche sur 155 millions d'années, on peut
prévoir 1 million d'années supplémentaires.
Ils se sont ensuite
attelés à chronométrer la véritable course
contre la montre que se livreront l'inévitable fuite des déchets
nucléaires et la décroissance de leur radioactivité.
Les déchets les plus nocifs de nos parcs de centrales sont emballés
dans des bonbonnes de métal ou vitrifiés, les bonbonnes étant
elles-mêmes protégées par des coques en béton.
Les simulations ont néanmoins prévu qu'après des milliers
d'années, ces barrières ne résisteront pas à
l'ennoyage et au resserrement des roches autour des colis. Les scientifiques
ont donc modélisé la migration des molécules radioactives
dans leur sarcophage puis dans le sous-sol de Bure. |
Ce dernier a d'abord été ausculté
à partir de la surface pour vérifier son homogénéité.
Depuis 1994, une vingtaine de forage et 4,5 kilomètres de carottes
ont été extraits sur toute la zone pour compléter
les campagnes sismologiques. Les analyses ont montré que la couche
fait 130 mètres d'épaisseur, qu'elle couvre une zone de 200
kilomètres carrés et surtout qu'elle est indemne de fracture.
La première inconnue était levée.
Suivre la circulation de
l'eau
Restait à comprendre
la roche elle-même. «L'argilite comprend 25% de calcaire
qui donne de la stabilité mécanique à la roche, 55%
d'argile qui la rend presque imperméable, 18% de silice et de la
pirite. 2% de matière organique témoignent aussi de la vie
marine qui régnait au moment de la dépose des sédiments
il y a 155 millions d'années», explique Jacques Delay.
En déambulant dans les galeries du laboratoire, on croise parfois
les fossiles de cette époque, mais pas une goutte d'eau ne suinte.
«L'eau de la mer a complètement disparu, mais la roche
contient 180 litres d'eau par mètre cube qu'on a datée de
7 millions d'années. Elle ne coule pas dans nos installations, car
la porosité nanomètrique de la roche limite ses déplacements
et le peu qui fuit s'évapore grâce à notre système
d'aération», poursuit Jacques Delay.
Un travail méticuleux
a permis de reconstituer la très complexe circulation souterraine
de l'eau, entre diffusion, osmose et convection. Les hydrologues ont conclu
que l'eau réalise un mouvement vertical de quelques centimètres
par 100.000 ans. Les chimistes ont ensuite évalué la vitesse
de diffusion de chaque molécule, le chlore prenant la tête
du peloton. Des circulations de liquides et de gaz ont été
percées dans l'argilite à partir de la galerie expérimentale
pour valider les modèles. Il a également fallu tester la
réaction de la roche aux fortes températures (90° C)
des déchets les plus radioactifs. Concrètement, une résistance
a pour cela été installée dans un forage et les géologues
ont mesuré la réaction de l'argilite. Ces résultats
conditionnent l'espacement des futurs colis.
Préciser l'effet du forage
Quelques mois de mesure
et ces seules modélisations restent malgré tout fragiles
devant le million d'années à prédire. Les différentes
instances d'évaluation nucléaire ont rappelé qu'il
faudra encore dix ans pour avoir plus de recul sur les mesures et pour
préparer dans le détail l'ingénierie du futur stockage.
Les géologues doivent encore préciser l'effet du forage sur
la tenue de la roche. Les parois des galeries montrent il est vrai de grandes
fractures. Les carottages ont montré que ces dommages se prolongent
en fissures sur 2 mètres de profondeur.
Dans les premières
années de sa nouvelle vie, l'Andra et son laboratoire devront donc
poursuivre leurs mesures. Ses scientifiques préparent aussi la réalisation
du concept industriel qui serait construit dans la région, car Bure
a pour seule vocation d'être expérimental. Et les défis
ne manquent pas puisqu'il faudra concevoir des galeries bien plus grandes,
d'une section de 60 mètres carrés contre 17 mètres
carrés à Bure. Les sarcophages, les robots de manutention
des colis, les méthodes de descente des 37.000 colis actuellement
entreposés à la Hague et à Marcoule, tout reste à
inventer. D'autant plus que l'ensemble devra être aussi facilement
démontable puisqu'un consensus veut que le stockage soit réversible
pendant 300 ans. Une nouvelle galerie sera donc prochainement percée
à Bure pour tester des démonstrateurs.
MATTHIEU QUIRET
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