CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE INTERNATIONALE
2006
Les déchets nucléaires descendent à la mine
http://www.lesechos.fr/info/rew_metiers/4396373.htm
[20/03/06]
     Les chercheurs de l'Andra ont conclu à la faisabilité du stockage géologique des déchets nucléaires. L'agence réfléchit à une version industrielle de son laboratoire.

     C'est un laboratoire scientifique peu commun. A 490 mètres sous le plateau de Bure, on y croise des ouvriers mais peu de chercheurs. L'ambiance rappelle plus la mine que la chambre blanche. Il faut être accompagné pour deviner derrière tel signe cabalistique un repère de fluage, derrière un boulon une sonde de température, derrière telle plaque un circuit de diffusion des radionucléides, derrière une grille une culture de bactéries, sous le plastique un spectromètre Raman.
     Pourtant, ici, dans les entrailles du Bassin parisien, on a placé la roche sous surveillance quasi médicale, 24 heures sur 24 heures. 130 forages percés à partir des galeries écoutent comme des aiguilles les plaintes de l'argilite soumise à la torture depuis des mois. Après 155 millions d'années d'une lente adolescence, la roche a été réveillée en 2004 par les marteaux piqueurs d'abord, puis les supplices des géologues, des hydrologues et des géochimistes. Aujourd'hui, les armoires informatiques ont remplacé la matière grise, plus à l'aise dans les préfabriqués en surface qu'en pleine poussière grise. La quinzaine de « manips » travaillent désormais toutes seules et envoient leurs données vers les chercheurs de l'Andra, qui gère le projet.
     Le laboratoire n'est pas terminé, le consortium industriel GFE doit encore forer quelques mètres pour relier les deux puits d'accès mais la trentaine de scientifiques du site ont déjà embrayé sur l'avenir. Dans quelques semaines, le Parlement devrait consacrer leur travail de dix ans. La loi en projet sur les déchets nucléaires confirmera en effet la voie du stockage géologique comme la plus réaliste vis-à-vis des alternatives de l'entreposage et de la transmutation.
     Pour décrocher ce blanc-seing, les chercheurs de l'Andra ont mouillé la combinaison. C'est in extremis qu'ils ont remis en début d'année le rapport final concluant à la faisabilité scientifique du stockage géologique. La question insinuée par la loi Bataille de 2001 était pourtant simple en apparence : la couche d'argilite du plateau de Bure peut-elle contenir sous terre les radioéléments des déchets à vie longue sur une échelle de plusieurs centaines de milliers d'années ? 

Migration des molécules
     Pour y répondre, les chercheurs ont d'abord reconstitué l'histoire de la couche d'argilite. Le directeur scientifique du laboratoire, Jacques Delay, explique la démarche : «On connaît la géologie du Bassin parisien depuis 150 ans, notamment son déplacement sous la pression des Alpes. Notre travail a consisté à étudier précisément la zone. Nous ne savions pas par exemple il y a dix ans la température exacte de la couche ou sa nature chimique.» Forts de ces connaissances, les scientifiques ont conclu que la zone ne présente pas de risque sismique. Leur hypothèse de départ est limpide: en connaissant le comportement de la couche sur 155 millions d'années, on peut prévoir 1 million d'années supplémentaires.
     Ils se sont ensuite attelés à chronométrer la véritable course contre la montre que se livreront l'inévitable fuite des déchets nucléaires et la décroissance de leur radioactivité. Les déchets les plus nocifs de nos parcs de centrales sont emballés dans des bonbonnes de métal ou vitrifiés, les bonbonnes étant elles-mêmes protégées par des coques en béton. Les simulations ont néanmoins prévu qu'après des milliers d'années, ces barrières ne résisteront pas à l'ennoyage et au resserrement des roches autour des colis. Les scientifiques ont donc modélisé la migration des molécules radioactives dans leur sarcophage puis dans le sous-sol de Bure.

Ce dernier a d'abord été ausculté à partir de la surface pour vérifier son homogénéité. Depuis 1994, une vingtaine de forage et 4,5 kilomètres de carottes ont été extraits sur toute la zone pour compléter les campagnes sismologiques. Les analyses ont montré que la couche fait 130 mètres d'épaisseur, qu'elle couvre une zone de 200 kilomètres carrés et surtout qu'elle est indemne de fracture. La première inconnue était levée.

    Suivre la circulation de l'eau
     Restait à comprendre la roche elle-même. «L'argilite comprend 25% de calcaire qui donne de la stabilité mécanique à la roche, 55% d'argile qui la rend presque imperméable, 18% de silice et de la pirite. 2% de matière organique témoignent aussi de la vie marine qui régnait au moment de la dépose des sédiments il y a 155 millions d'années», explique Jacques Delay. En déambulant dans les galeries du laboratoire, on croise parfois les fossiles de cette époque, mais pas une goutte d'eau ne suinte. «L'eau de la mer a complètement disparu, mais la roche contient 180 litres d'eau par mètre cube qu'on a datée de 7 millions d'années. Elle ne coule pas dans nos installations, car la porosité nanomètrique de la roche limite ses déplacements et le peu qui fuit s'évapore grâce à notre système d'aération», poursuit Jacques Delay.
     Un travail méticuleux a permis de reconstituer la très complexe circulation souterraine de l'eau, entre diffusion, osmose et convection. Les hydrologues ont conclu que l'eau réalise un mouvement vertical de quelques centimètres par 100.000 ans. Les chimistes ont ensuite évalué la vitesse de diffusion de chaque molécule, le chlore prenant la tête du peloton. Des circulations de liquides et de gaz ont été percées dans l'argilite à partir de la galerie expérimentale pour valider les modèles. Il a également fallu tester la réaction de la roche aux fortes températures (90° C) des déchets les plus radioactifs. Concrètement, une résistance a pour cela été installée dans un forage et les géologues ont mesuré la réaction de l'argilite. Ces résultats conditionnent l'espacement des futurs colis.

Préciser l'effet du forage
     Quelques mois de mesure et ces seules modélisations restent malgré tout fragiles devant le million d'années à prédire. Les différentes instances d'évaluation nucléaire ont rappelé qu'il faudra encore dix ans pour avoir plus de recul sur les mesures et pour préparer dans le détail l'ingénierie du futur stockage. Les géologues doivent encore préciser l'effet du forage sur la tenue de la roche. Les parois des galeries montrent il est vrai de grandes fractures. Les carottages ont montré que ces dommages se prolongent en fissures sur 2 mètres de profondeur.
     Dans les premières années de sa nouvelle vie, l'Andra et son laboratoire devront donc poursuivre leurs mesures. Ses scientifiques préparent aussi la réalisation du concept industriel qui serait construit dans la région, car Bure a pour seule vocation d'être expérimental. Et les défis ne manquent pas puisqu'il faudra concevoir des galeries bien plus grandes, d'une section de 60 mètres carrés contre 17 mètres carrés à Bure. Les sarcophages, les robots de manutention des colis, les méthodes de descente des 37.000 colis actuellement entreposés à la Hague et à Marcoule, tout reste à inventer. D'autant plus que l'ensemble devra être aussi facilement démontable puisqu'un consensus veut que le stockage soit réversible pendant 300 ans. Une nouvelle galerie sera donc prochainement percée à Bure pour tester des démonstrateurs.

MATTHIEU QUIRET