CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE INTERNATIONALE
2003 
EDF sommé de vérifier une anomalie qui menace l'ensemble de ses réacteurs


Cyrille Vanlerberghe
[31 octobre 2003]

L'ensemble des centrales nucléaires d'EDF en France présentent-elles un même risque pour la sûreté concernant l'obturation possible de circuits d'eau indispensables en cas d'accident grave ? Personne n'en est encore sûr, mais c'est en tout cas la question qui a été posée par l'Autorité de sûreté nucléaire le 9 octobre à EDF. Le sujet est d'importance puisqu'il pourrait s'agir d'une faute de conception dite générique, concernant donc tous les réacteurs nucléaires de production d'électricité en France. Ce qui est bien plus gênant qu'un simple incident isolé dans une centrale, sans impact sur ce qui se passe dans les autres installations.

L'Autorité de sûreté, souvent surnommée «gendarme du nucléaire», est l'organisme d'État chargé du contrôle des installations atomiques civiles en France. Elle qualifie pour le moment ce problème d'«anomalie potentielle», car le risque est difficile à modéliser et n'est pas encore avéré. De quel risque s'agit-il exactement ? Pour reprendre les termes exacts de l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire qui sert d'appui technique à l'Autorité de sûreté), il s'agit «d'un risque de colmatage des puisards de l'enceinte de confinement des centrales nucléaires d'EDF».

Les barres de combustible nucléaire situées dans le coeur des réacteurs français sont refroidies en permanence par un circuit d'eau soumis à une forte pression (d'environ 155 bars), d'où leur appellation de «réacteurs à eau sous pression». En cas de brèche ou de fuite importante dans ce circuit (dit primaire), le réacteur est arrêté automatiquement. Mais même à l'arrêt, le combustible continue à émettre d'importantes quantités de chaleur qui doivent être évacuées. C'est un circuit de secours, alimenté par un réservoir de 1 600 m3, qui envoie alors de l'eau dans le coeur du réacteur pour le refroidir, et qui asperge de l'eau dans l'ensemble de l'enceinte de confinement pour condenser les grandes quantités de vapeur sortant de la brèche. Une fois le réservoir vidé, au bout d'une demi-heure ou d'une heure selon la gravité de la fuite initiale, le circuit fonctionne en boucle, en pompant l'eau tombée au fond du bâtiment réacteur. Mais apparemment, les probabilités pour que des débris emportés par la fuite principale viennent boucher les filtres des puisards placés en amont des pompes ont été sous-estimées. Si les puisards se bouchent, il n'y a pas pour autant de risque d'accident extrême du type Tchernobyl, mais une possibilité de détérioration du combustible qui nécessite un arrêt prolongé du réacteur, explique Jean-Christophe Niel, directeur de la stratégie, du développement et des relations extérieures à l'IRSN.

En 1992, les filtres des cuves de secours de la centrale à eau bouillante de Barsebäck en Suède ont été colmatés par des débris provenant des matériaux d'isolation thermique. C'est cet incident qui a attiré l'attention de la communauté internationale sur ce problème. Au début, seules les centrales à eau bouillante ont vu leurs dispositifs modifiés, car elles avaient notamment des filtres de plus petites dimensions, donc plus facilement encombrés. Les premières analyses refaites ensuite pour les réacteurs à eau sous pression n'avaient pas trouvé d'anomalie pour les réacteurs français. Mais depuis, «les nouvelles recherches menées par l'IRSN ne permettent plus de conclure à l'impossibilité du phénomène,» explique Jean-Christophe Niel. Ces tests concrets menés depuis 1999 par l'IRSN, dans des laboratoires en Slovaquie et en Russie, ont permis de mieux caractériser la manière dont les débris peuvent être arrachés par les jets d'eau, comment ils sont transportés ou bloqués lors de leur trajet vers les filtres. A partir de ces nouveaux résultats, l'IRSN a fait une synthèse des connaissances, qui a servi à l'Autorité de sûreté pour demander à EDF d'estimer s'il y a ou non une anomalie dans le système de puisard des centrales françaises.

Les 34 réacteurs de 900 MW paraissent plus directement concernés car leurs filtres sont de taille légèrement plus petite que ceux des réacteurs plus récents. Mais les interrogations soulevées par l'IRSN concernent tout de même tous les réacteurs à eau pressurisée dans le monde. La NRC (Nuclear Regulatory Commission) américaine qui contrôle la sûreté des réacteurs aux États-Unis étudie également le problème de très près.

A la demande de l'Autorité de sûreté, EDF va étudier le problème à partir de toutes les nouvelles données disponibles, dont celles de l'IRSN, et donnera sa réponse avant la fin de l'année. «Il s'agit d'un processus normal de réévaluation de la sûreté, à partir du retour d'expérience et de l'évolution des connaissances sur le sujet», assure Georges Servière, directeur adjoint de la division ingénierie nucléaire d'EDF.