Allemagne: la centrale nucléaire de Stade a été
définitivement arrêtée vendredi.
Le programme allemand prévoit une sortie complète du
nucléaire d'ici 2021.
Mais les prochaines élections pourraient chambouler ces ambitions.
BELGA / AFP
CORRESPONDANT À BONN
Vendredi matin à 8h32, un ingénieur
actionnait un levier déconnectant définitivement du réseau
d'électricité la centrale nucléaire de Stade sur les
bords de l'Elbe. Par ce geste, il lançait concrètement le
programme de sortie du nucléaire du gouvernement rouge-vert. L'accord
conclu en juin 2001 avec les producteurs d'énergie prévoit
que le dernier des 19 réacteurs allemands sera débranché
en avril 2021. Les 45.000 habitants de Stade ne pavoisent cependant pas,
la centrale était en effet le plus gros payeur d'impôts communaux.
Sur les 300 employés, la moitié devra démanteler le
réacteur jusqu'en 2015; l'autre moitié étant recasée
dans d'autres unités du groupe Eon, géant allemand de l'énergie.
A Berlin, le ministre vert de l'Environnement, Jürgen
Trittin, a fêté l'événement. «La déconnexion
de Stade est le signe visible de la fin de l'ère nucléaire.
Je suis sûr qu'il n'y aura plus de centrale nucléaire produisant
encore du courant en 2020», a-t-il confié au «Süddeutsche
Zeitung». Un quotidien dans lequel le ministère de l'Ecologie
et de la Sécurité nucléaire avait également
publié un encart publicitaire vantant l'opération de Stade.
Dans les faits, la décision d'Eon relevait
d'impératifs propres. «Nous aurions aussi fermé Stade
s'il n'y avait pas de programme de sortie. La centrale n'était plus
rentable», a déclaré un porte-parole du groupe de Düsseldorf.
Avec 31 ans d'âge et seulement 640 mégawatts (contre 1300
MW pour les centrales plus récentes), Stade était condamné
depuis trois ans. En principe, Eon aurait pu reporter la clôture
jusqu'en mai 2004. En fermant plus tôt, il peut reporter la capacité
Stade restante sur d'autres unités plus performantes.
Compte à rebours enclenché
Ceci dit, la fermeture de Stade est bien le début
du compte à rebours. En 2005, la centrale d'Obrigheim en Bade-Wurtemberg
fermera ses portes à son tour. Actuellement le nucléaire
couvre 31pc des besoins allemands en électricité. Seules
les centrales au lignite des bassins rhénan et saxon produisent
du courant aussi bon marché. Le marché de l'électricité
dispose encore de surcapacités en ce moment, mais on ne sait pas
ce qui remplacera le nucléaire après 2010-2020.
En juin 2001, les patrons des trois majors de l'énergie,
RWE, Eon et EnBW (dont l'EDF française possède 34,5pc des
parts) avaient accepté la sortie du nucléaire pour faire
cesser la politique de harcèlement du ministre Trittin et pour pouvoir
préparer un repli ordonné. En contrepartie, ils avaient renoncé
à exiger des dommages et intérêts qui auraient pu faire
sauter le budget fédéral. Sur le fond les patrons continuent
à défendre le nucléaire, mais ils refusent de construire
de nouvelles centrales atomiques en l'absence d'un consensus politique.
Si l'opposition CDU-CSU revient au pouvoir en 2006
- ce qui est tout à fait probable - un gouvernement de droite amendera
certainement le programme de sortie. La présidente de la CDU Angela
Merkel est une scientifique absolument pro-nucléaire. Mais on ne
sait pas ce que feront alors les producteurs d'énergie. L'énergie
renouvelable n'est certainement pas une issue, mais les centrales au charbon
deviennent de plus en plus propres et performantes. Le sort du nucléaire
allemand est tout à fait ouvert, estiment les experts.
Avec la déconnexion du réseau, vendredi,
de la première des 19 centrales allemandes, l'Allemagne inaugure
un long et controversé processus européen d'abandon progressif
du nucléaire civil. Sur les huit pays européens qui ont recours
à ce type d'énergie, cinq ont manifesté l'intention
de ne pas renouveler leur parc de centrales dans les années à
venir. Il s'agit de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Suède, des
Pays-Bas et de la Belgique.
La France, le Royaume-Uni et la Finlande, pour leur
part, restent fidèles à l'atome.
La France regroupe à elle seule plus du tiers
des réacteurs européens (59), suivie par le Royaume-Uni (33),
l'Allemagne (19), la Suède (11), l'Espagne (9), la Belgique (7),
la Finlande (4), les Pays-Bas (1). Depuis 10 ans, seule la Finlande a pris
la décision de construire un nouveau réacteur, c'était
en mai 2002. Cette politique à double courant en matière
d'énergie n'est pas sans inquiéter la commission européenne.
Les 143 réacteurs nucléaires que compte l'Union européenne
produisent -avec 849 Twh- environ 35 pc de l'électricité
européenne. Or, la commission, par la voix de la commissaire à
l'Energie, Loyola de Palacio, table largement sur le nucléaire pour
assurer l'indépendance énergétique de l'Europe. «Si
l'Union européenne continue sur sa lancée actuelle, elle
devra d'ici 20 à 30 ans importer 70 pc de sa consommation d'énergie»,
a maintes fois souligné la commissaire. Reste que le non-renouvellement
des centrales dans certains pays européens contribuera à
faire baisser la part du nucléaire dans la consommation d'énergie
européenne. Selon les calculs de Bruxelles, si le nucléaire
couvre aujourd'hui 15 pc des besoins d'énergie totaux de l'Union
européenne, la part devrait tomber à 6 pc en 2030.
Nouveaux venus
Avec l'arrivée de nouveaux Etats-membres
dans l'Union européenne, la donne devrait toutefois se modifier.
Cinq pays disposent de centrales nucléaires représentant
au total 18 réacteurs: la Slovaquie (6), la République tchèque
(5), la Hongrie (4), la Lituanie (2) et la Slovénie (1). La Bulgarie
et la Roumanie, candidats à une entrée ultérieure
dans l'Union européenne, comptent respectivement 6 et 1 réacteurs.