C'est aujourd'hui que doit être commémoré le 58e anniversaire de la bombe atomique lancée sur Hiroshima en 1945. Une cérémonie qui intervient sur fond de méfiance des Japonais à l'égard du nucléaire, à cause des scandales et incidents liés à l'atome qui se sont multipliés au pays du Soleil-Levant ces dernières années. Or le Japon a un besoin impératif de cette source d'énergie, qui représente 35% de la production d'électricité d'un pays disposant de faibles ressources alternatives. Et semble d'autant plus attaché à l'arme atomique que la menace nord-coréenne se fait plus pressante. Pourtant le programme du gouvernement, déterminé à accroître la part du nucléaire dans la production électrique nationale, prend du retard, pour ménager l'opinion publique.
Le glas va sonner aujourd'hui à Hiroshima, comme chaque 6 août, pour que le monde se souvienne de ce matin d'été de 1945 où un bombardier américain lâcha Little Boy sur le Japon en guerre, tuant 200 000 personnes. Le thème rituellement mis en avant pour commémorer l'anniversaire de la première bombe atomique de l'histoire Ò«Plus jamais ça»Ò devrait cette année trouver d'autant plus d'écho que ces cérémonies interviennent sur fond de véritable crise de confiance des Japonais vis-à-vis du nucléaire.
Il faut dire que le pays connaît depuis quelques années une série d'incidents propres à entacher la réputation de cette source d'énergie qui commençait tout juste à se refaire une virginité depuis le drame de 1945.
Premier choc psychologique voici huit ans, lorsque le réacteur à neutrons rapides de Monju (le Superphénix nippon) a dû être fermé à la suite d'un feu de sodium. Plusieurs tonnes de ce liquide inflammable au contact de l'air avaient fui d'une conduite.
En 1999, c'est au Japon que survient l'accident nucléaire le plus grave au monde après Tchernobyl. Dans l'usine de Tokaïmura, deux ouvriers sont tués et plus de 400 personnes irradiées après le déclenchement incontrôlé d'une réaction en chaîne dans un atelier de fabrication de combustible. L'événement a lui aussi traumatisé le pays. Aujourd'hui, une majorité des Japonais (87%, si l'on en croit un sondage réalisé pour le journal Asahi en octobre dernier) redoutent un nouvel accident.
Aussi les deux scandales qui ont successivement éclaboussé le britannique BNFL-Westinghouse, qui n'a pas respecté certaines procédures de qualité dans la livraison de Mox (combustible enrichi en plutonium) au Japon, puis l'électricien nippon Tepco à l'automne dernier, ont-ils achevé de ternir l'image de cette industrie. Le premier électricien au monde par sa production est pour sa part accusé d'avoir falsifié ou ignoré à 29 reprises des rapports officiels d'inspecteurs sur ses centrales nucléaires pendant plusieurs années, pour chercher à dissimuler des fissures ou d'autres problèmes. Cette affaire a par ricochet mis sur la sellette l'Agence pour la sécurité nucléaire et industrielle, dénoncée pour sa lenteur, alors qu'elle avait été en partie informée des problèmes en juillet 2000. Et ce n'est pas le nouvel incident intervenu en juillet dernier à la centrale de Fugen, où une petite dose d'irradiation s'est répandue à l'intérieur de l'usine, qui va redorer le blason du nucléaire. C'est donc à un véritable problème de transparence qu'est confronté aujourd'hui le gouvernement japonais. A défaut, l'opposition de l'opinion publique pourrait bien ralentir voire bloquer ses projets. Or les autorités ambitionnent de continuer à développer le programme nucléaire du pays afin de réduire leur dépendance à l'égard du pétrole. Leur plan à long terme est de faire passer la part du nucléaire dans l'approvisionnement électrique du pays de 35% à 40% d'ici à 2010.
Et d'avancer deux arguments majeurs : non seulement le pays aura du mal à respecter le protocole de Kyoto et à limiter l'effet de serre sans le nucléaire, mais surtout les autres ressources naturelles nationales se font rares. Et les projets de se tourner vers l'exploitation des ressources pétrolières de l'Iran se trouvent contrariés par l'opposition publique de Washington, qui veut isoler Téhéran. La crainte de coupures d'électricité au début de l'été, du fait de la fermeture de 17 réacteurs Tepco depuis l'automne dernier après le scandale lié à l'électricien, a d'ailleurs rendu plus perceptible encore la vulnérabilité du parc nippon.
Heureusement, un tiers des 17 réacteurs ont redémarré fin juillet. En attendant, pour ménager l'opinion publique, le gouvernement a dû revoir ses ambitions à la baisse. Il a réduit de 13 à 8 le nombre de nouveaux réacteurs qu'il prévoit d'inaugurer d'ici à 2010, pour venir compléter le parc actuel de 54 réacteurs. «Plusieurs échéances et décisions déjà approuvées vont probablement être retardées», affirme-t-on à l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN), qui dépend de l'OCDE. C'est déjà le cas de la mise en service de l'usine de traitement de déchets prévue à Rokasho Mura, avec la Cogema, qui a pris un an de retard, et du programme de recyclage Mox au Japon, initialement prévu pour 2004. Le gouvernement n'est d'ailleurs pas seul maître à bord, nombre de décisions étant conditionnées au feu vert des riverains et des autorités locales, de plus en plus réservées à ce sujet. En témoigne la décision de la haute cour de Nagoya en janvier dernier de suspendre de façon permanente le surgénérateur expérimental de Monju, donnant ainsi raison aux riverains qui réclamaient l'annulation d'une autorisation gouvernementale prise en décembre 2002 pour relancer ce dernier.
Hideyuki Ban, codirecteur du Centre d'information des citoyens sur le nucléaire à Tokyo, doute que le gouvernement parvienne à ses fins. La menace nord-coréenne qui, en devenant plus pressante, relance un débat sur l'opportunité de la détention de l'arme atomique au Japon, contribuera-t-elle au retournement de l'opinion publique, comme le pensent certains ? Rien n'est moins sûr.