Nucléaire: le risque sismique sous-évalué ?
Les Verts, par l'intermédiaire de leur porte-parole
national, Mireille Ferri, et du vice-président du conseil régional
d'Aquitaine, Jean-Pierre Dufour, ont demandé hier la fermeture de
la centrale nucléaire du Blayais (Gironde). Motif : le risque sismique
dans la région est mal évalué. Un nouvel épisode
dans une polémique relancée le mois dernier par le réseau
«Sortir du nucléaire». Lundi, nouvelle offensive de
l'association antinucléaire : celle-ci accuse EDF d'avoir «falsifié
des données sismiques». Puis, hier, «Sortir du nucléaire»
s'est «adressé au président de la République
pour lui faire part de ce scandale et lui demander d'intervenir, en particulier
sur la base du principe de précaution qui vient d'être intégré
au projet de charte de l'environnement».
Le 26 mai dernier, le réseau associatif
«Sortir du nucléaire» révélait des divergences
profondes entre EDF et les experts de l'État (en l'occurrence l'Institut
de radioprotection et de sûreté nucléaire, IRSN) sur
l'évaluation du risque de séisme autour des centrales atomiques(1).
Les centrales d'EDF ont été conçues dans les années 1970 et 1980 pour résister à des «séismes très graves», rappelle l'entreprise, en fonction des normes en vigueur à l'époque. Mais depuis, les connaissances scientifiques sur l'histoire sismique en France ainsi que sur l'amplification des effets d'un séisme en fonction de la nature du sol (ce que les spécialistes appellent les «effets de site») ont progressé. C'est pourquoi l'Autorité de sûreté nucléaire a édité une nouvelle norme, plus sévère. Elle ne s'applique en théorie qu'aux futures centrales.
Mais l'Autorité a demandé à EDF de réexaminer la sûreté de ses centrales en service en fonction de cette nouvelle norme. Parallèlement, elle a demandé aux experts de l'IRSN de se livrer au même exercice.
Quel séisme survenu dans les mille dernières années dans la région d'une centrale faut-il prendre comme référence? Elle est différente pour chaque centrale : pour le Blayais, par exemple, c'est le séisme du 25 janvier 1799, dont la magnitude a été évaluée à 6 sur l'échelle de Richter. C'est notamment sur cette question de référence que les experts de l'État et ceux d'EDF ne sont pas d'accord.
Ce débat serait sans doute resté confidentiel, sans la publication par «Sortir du nucléaire» de courriers internes d'EDF, le 26 mai. Des ingénieurs d'EDF y formulaient clairement le souhait d'appliquer des références moins sévères que l'IRSN. Car les travaux de renforcement de certaines centrales pourraient coûter jusqu'à 1,9 milliard d'euros à l'entreprise.
Sollicitée notamment par Le Figaro, l'Autorité de sûreté a rendu publique une lettre du 2 juin, adressée à EDF, dans laquelle son directeur, André-Claude Lacoste, arbitre entre les spécialistes pour chaque centrale. Lundi dernier, après avoir épluché cette lettre officielle, les militants de «Sortir du nucléaire» ont accusé EDF d'avoir «falsifié des données sismiques».
«Nous démentons toute idée de falsification», répond Claude Jeandron, le délégué à la sûreté d'EDF. «Comment peut-on parler de falsification alors qu'il s'agit de données publiques?» Concernant les fameux courriers internes dont il ne nie pas l'authenticité, Claude Jeandron estime «que la position d'une entreprise ne saurait se résumer au compte-rendu d'un ingénieur». Les éventuels travaux qui seront entrepris sur les centrales lors de leurs prochaines grandes révisions décennales (à partir de 2005) «doivent trouver un juste équilibre entre le coût et les bénéfices en terme de sûreté».
Pour déterminer le «séisme maximal historiquement vraisemblable», la collecte des données historiques n'est pas facile, explique Alain Schmitt, directeur général adjoint de l'Autorité de sûreté. La norme française de 2001 établit qu'il faut examiner les séismes des mille dernières années. «L'Agence internationale de l'énergie atomique recommande de prendre en compte les séismes susceptibles de survenir tous les 10 000 ans et dans un rayon de 200 km», faisait remarquer hier Jean-Pierre Dufour, physicien nucléaire et élu Vert d'Aquitaine. «Il est déjà difficile de reconstituer l'histoire sismique sur mille ans alors sur dix mille, celà paraît difficile», justifie Claude Jeandron d'EDF. Jean-Pierre Dufour pense qu'en France «on n'est pas allé assez loin sur l'évaluation des risques naturels».
Les comparaisons internationales en la matière ne sont pas forcément aisées. Un document de l'AEN, l'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire, datant de novembre 1998, montre que la France n'a pas répondu à certaines questions adressées à tous les pays membres.
Autre sujet d'inquiétude de Jean-Pierre Dufour : dans les sols mous Ò argiles, tourbes, sables ou vases Ò les effets d'un séisme peuvent être considérablement amplifiés. Ce fut le cas à Kobe au Japon en 1995 ou à Loma Prieta, près de San Francisco, en 1989. «Ces effets, appelés effets de site, peuvent augmenter les conséquences d'un séisme jusqu'à 2 ou 3 degrés sur l'échelle d'intensité»(2), signale par exemple la préfecture de Haute-Savoie dans le chapitre de son site Internet consacré au risque sismique. Or, en France, pour calculer le «séisme majoré de sécurité», on n'augmente le séisme historique que d'un degré d'intensité.
Les centrales du Blayais, Fessenheim, Chooz, Civaux, du Bugey, Cruas, Tricastin, Saint-Laurent, Dampierre et Chinon sont situées en zone de sismicité avérée et sur sol mou, s'inquiète l'élu Vert. Faux problème, rétorque Alain Schmitt : «La norme de 2001 prend déjà en compte ces effets de site.»
La centrale du Blayais était censée résister à une crue «millénale», rappelle Jean-Pierre Dufour. En décembre 1999, moins de vingt ans après sa conception, elle fut partiellement inondée. Pour que le débat avance, demande le conseiller régional Vert, il faut davantage d'expertises libres et contradictoires, notamment dans la perspective de la construction de la nouvelle génération de centrales.
(1) Le Figaro du 10 juin 2003.
(2) Echelle EMS qui compte 12 degrés, exprimés
en chiffres romains, et qui caractérise surtout les dégâts
causés par un séisme.