Trois hommes ont été
arrêtés mercredi en Slovaquie et en Hongrie alors qu'ils détenaient
un kilo d'uranium enrichi d'une valeur de 1,2 million de francs (suisses
~ 700.000€). Cet épisode n'est pas le premier. L'Agence internationale
de l'énergie atomique (AIEA) a recensé 250 vols ou pertes
de matériel nucléaire dans le monde en 2006, soit une augmentation
de 200% depuis 2002. En une décennie, cette même AIEA a enregistré
1250 cas de trafic de matériel atomique. Ces exemples montrent que
la dissémination du nucléaire même civil n'est pas
sans danger. Le cas slovaque survient alors que 300 experts de 70 pays
viennent de se pencher sur ces risques à Edimbourg. Responsable
de la lutte antiterroriste au Ministère britannique de l'intérieur,
William Nye était en Ecosse: «Al-Qaida cherche activement
de l'uranium hautement enrichi et du plutonium afin de faire exploser une
bombe sale dans une grande ville telle que Londres ou Washington.»
Parallèlement, un rapport secret russo-suédois qui vient
d'être ébruité par le New Scientist tire la sonnette
d'alarme: les 35 sites à risque de la péninsule de Kola,
au nord-ouest de la Russie sont insuffisamment sécurisés
et pourraient devenir «proliférants».
Les pays aux ambitions nucléaires
Face aux risques de trafic de matières
fissiles, le retour du nucléaire inquiète. D'autant que les
perspectives chiffrées impressionnent. De 439 réacteurs aujourd'hui
répartis dans 31 pays, le monde pourrait en compter le double au
cours des cinq prochaines décennies. Parmi les pays désireux
d'acquérir la technologie nucléaire figure l'Iran. Mais aussi
l'Egypte, la Jordanie, les pays du Golfe, la Libye, la Tunisie, l'Algérie
ou encore le Maroc. Des Etats qui n'ont pas d'expérience nucléaire
et dont la stabilité politique est fragile. En Asie et en Amérique
latine aussi, plusieurs pays émergents ont ou revendiquent la technologie
nucléaire. L'Iran veut se doter de la technologie nucléaire,
mais on le soupçonne de le faire à des fins militaires. La
perspective préoccupe d'autant plus que le régime des mollahs
soutient le Hezbollah, le Hamas et le Djihad islamique. La Suisse en a
conscience puisqu'elle s'active à trouver une voie de sortie à
la crise iranienne. Ex-directeur général de l'Agence internationale
de l'énergie atomique (AIEA), Bruno Pellaud avait émis plusieurs
propositions avec l'ex-ambassadeur de Suisse en Iran Tim Guldimann. Il
trouve que la Confédération pourrait se charger elle-même
de livrer à la République islamique l'uranium enrichi dont
elle a besoin (voir ci-dessous) pour cadrer les besoins nucléaires
iraniens.
Garde-fous insuffisants
Une étude publiée il y a quelque
temps par le Massachusetts Institute of Technology (The future of nuclear
power) recense les principaux risques liés au nucléaire civil.
Le premier est lié aux garde-fous insuffisants que représentent
le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et
l'AIEA. De fait, les contrôles internationaux ne sont pas suffisamment
stricts pour exclure un passage du nucléaire civil au nucléaire
militaire.
Le problème des déchets
Les déchets, qui représentent
au plan mondial plus de 1000 tonnes de plutonium, constituent un autre
problème aigu. Il suffit de 8 kilos de ce matériau pour construire
une arme nucléaire. Les pays industrialisés, en particulier
nucléaires, sont relativement bien armés pour se prémunir
contre les vols de ces déchets. Mais dans des pays confrontés
à difficultés économiques, les mesures de sécurité
laissent à désirer. Ces déchets peuvent servir à
la création de bombes sales. |
Pour les chercheurs américains, le
développement rapide de capacités industrielles et de nouvelles
technologies risque de faciliter la prolifération dans les pays
en voie de développement qui cherchent à acquérir
des armes nucléaires.
François Heisbourg ne partage pas ce
pessimisme. Le président du Centre de politique de sécurité
de Genève montre par là la différence de sensibilité
entre Français (où le nucléaire est responsable de
78% de la production électrique) et Américains ou Scandinaves:
«Ce n'est pas la technologie qui pose problème. Aujourd'hui,
plus personne ne vend des réacteurs à uranium naturel. Ceux-ci
permettaient de décharger le combustible en cours de route. C'est
ce qui a permis aux Indiens d'acquérir la bombe. Maintenant c'est
fini. Le combustible doit être utilisé jusqu'au bout. Cela
facilite la tâche de l'AIEA. Si on veut faire une bombe, il faut
désormais soit construire des réacteurs de recherche comme
au Zaïre ou en Biélorussie, soit installer des centrifugeuses
comme en Iran.» Maître de recherche à la Fondation
pour la recherche stratégique, Bruno Tertrais remet lui aussi les
pendules à l'heure: «Le type de plutonium extrait du combustible
irradié dans une centrale électronucléaire n'est pas
adapté à la fabrication d'armes atomiques.»
Stabilité sociale nécessaire
Konstantin Foskolos pense que même avec
un doublement du parc actuel de centrales nucléaires, la fonte du
réacteur restera toujours cinquante fois moins probable que la moyenne
d'il y a trente ans. Le directeur suppléant du Département
d'énergie et de sûreté nucléaire de l'Institut
Paul Scherrer estime qu'un élément essentiel pour le déploiement
du nucléaire est une stabilité sociale: «Quand l'URSS
s'est écroulée, le risque majeur était lié
aux transferts de connaissances nucléaires tous azimuts par les
scientifiques russes. Les Occidentaux en ont eu conscience. Ils ont tout
fait pour créer le plus vite possible des emplois sur place.»
Quant au risque de construire une usine de
retraitement en cachette, Konstantin Foskolos n'y croit pas. Vu les techniques
d'espionnage et les satellites, une telle installation, s'étendant
sur plusieurs centaines de mètres carrés, ne passe pas inaperçue.
Le rêve des responsables nucléaires? Voir l'avènement
des réacteurs de 4e génération. Ils permettraient
de fermer presque complètement le cycle du combustible. En
plus, le combustible usé pourrait être retraité sur
place. Sans risque de vol lors de transports.
L'enseignement irakien
Ex-candidate à la présidentielle
française, Corinne Lepage rappelle, sur son site internet, que l'accord
secret conclu en 1976 entre Jacques Chirac et Saddam Hussein avait permis
la construction de la centrale d'Osirak,
bombardée par Israël. On connaît la suite. Accusé
de détenir des armes de destruction massive en 2003, Saddam a livré
le prétexte de l'invasion américaine en Irak. L'exemple ne
semble pourtant pas vouloir freiner le président Nicolas Sarkozy
qui déclarait, en septembre 2007, que son pays était prêt
à aider tous les pays (Libye y compris) qui veulent se doter de
l'énergie nucléaire civile. Le marché, estimé
à 165 milliards CHF, est attrayant. La Russie, la Chine et le Japon
sont prêts à se le disputer avec la France. |