Chaque jour, nous avalons une
dose d'uranium, sit 1 à 3 microgrammes en moyenne pour un homme
de 70 kilogrammes. Il faut dire que ce métal est partout, dans les
aliments, l'eau potable, le sol, l'air. Une omniprésence naturelle:
l'uranium existe dans l'environnement depuis la naissance de la Terre.
Toutefois, les sources d'exposition ont considérablement augmenté au XXe siècle avec le développement des essais nucléaires,des mines d'uranium et des émissions des industries de retraitement. De façon moins attendue, le charbon contient aussi des quantités non négligeables de ce radionucléide*. Quant à certains phosphates employés dans l'agriculture, ils en présentent des teneurs élevées. Cette exposition chronique a-t-elle un impact sur notre organisme? Il était jusqu'à présent difficile de le dire. La question des effets des très faibles doses d'uranium sur la santé n'a émergé que dans les années 1990, après la première guerre du Golfe et consécutivement à l'utilisation d'armes à uranium appauvri. Quelques enquêtes épidémiologiques réalisées auprès de populations particulièrement exposées ont, depuis, été lancées. Elles sont toujours en cours. En revanche, les expériences sur le rat livrent aujourd'hui leurs premiers résultats... inattendus: même avalé en très petite quantité, l'uranium a des effets biologiques sur le cerveau et sur la façon dont l'organisme transforme et assimi1e les substances étrangères, telles que les médicaments. Ingestion quotidienne Pour parvenir à ces-conclusions, nous avons procéd,é depuis 2002, avec plusieurs équipes de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IPSN), à la contamination de dizaines de rats, dans notre laboratoire de radiotoxicologie expérimentale. Les rongeurs ont bu, pendant des semaines, une eau minérale supplémentée par de faibles quantités d'uranium (un milligramme par jour et par rat, soit 14 becquerels par jour). Cette concentration représente le double de la plus forte teneur en uranium jamais retrouvée au monde, dans certaines eaux souterraines du sud de la Finlande. |
L'ingestion a été choisie car elle constitue, chez l'homme,
la principale voie d'entrée de cet élément radioactif
dans l'organisme. On sait qu'après passage dans la circulation sanguine
l'uranium diffuse dans l'ensemble du corps humain. Au niveau du sangg,
il se fixe préférentiellement aux protéines comme
la transferrine, l'albumine ou les lipoprotéines. L'uranium passe
ensuite du compartiment sanguin aux tissus dans lesquels il s'accumule,
notamment le rein et l'os. Un organisme humain adulte, en situation normale,
contient ainsi en moyenne 40 à 90 microgrammes d'uranium: 66% dans
le squelette, 8% dans les reins et le reste dans les autres tissus mous.
Accumulation cérébrale Les rats contaminés présentent une distribution similaire de ce radionucléide. Nos expériences nous ont toutefois permis de faire une découverte surprenante: l'uranium se retrouve dans le cerveau du rongeur après une contamination de plusieurssemaines. La voie d'entrée de cet élément dans le système nerveux central est totalement inconnue. Comment franchit-il la barrière hémato-encéphalique, cette frontière entre le cerveau et le reste de l'organisme? Des études expérimentales devraient être développées à l'avenir sur ce secret. Reste que cette présence d'uranium dans le système nerveux central pourrait expliquer, au moins en partie, les effets cognitifs que nous avons observés pour la première fois.
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L'ingestion chronique d'uranium
perturbe la mémoire à court terme, qui reçoit les
informations et les maintient pendant un laps de temps très bref,
de 20 à 30 secondes. Ce type de mémoire peut être étudié
en plaçant un rat dans un labyrinthe en Y, composé de trois
branches. Dans cet environnement nouveau, le rongeur présente spontanément
un comportement d'exploration qui se caractérise par des visites
en «alternance» des trois branches du labyrinthe. Ce comportement
traduit la capacité de l'animal à se rappeler les branches
précédemment visitées, et donc à stimuler sa
mémoire à court terme. (lorsque l'animal a visité
les deux premières branches, il doit en principe s'en souvenir et
visiter la troisième).
Rongeurs stressés
(suite)
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suite:
Métabolisme modifié L'impact de l'uranium sur le cerveau constitue une grande surprise. Mais ses effets physiologiques ne sont pas non plus à négliger. Nous avons cherché à savoir si, au même titre que le plomb ou le cadmium, l'uranium altère l'expression des gènes et de l'activité enzymatique de protéines. Nous nous sommes focalisés sur des protéines au rôle primordial dans la protection de l'organisme: les cytochromes P450. Ces dernières sont présentes dans de nombreux tissus mais se concentrent dans le foie qui détoxifie les substances ingérées. Les cytochromes P450 interviennent dans le métabolisrne des polluants, des pesticides et des médicaments. L'action métabolique se décompose en trois étapes qui aboutissent à l'élimination des médicaments dans la bile et dans l'urine. Très schématiquement, les enzymes de la première étape (phase I), des cytochromes P450, catalysent les réactions d'oxydation. La deuxième et la troisième étape (phases II et III) font intervenir des protéines nécessaires à l'élimination cellulaire et tissulaire des substances oxydées. L'administration chronique de faibles quantités d'uranium pendant plusieurs mois chez le rat n'induit pas d'effet toxique visible au niveau du foie et des reins. En revanche, elle provoque, dans différents organes, des modifications de l'expression de gènes codant des cytochromes P450. Ainsi, l'expression du gène d'un cytochrome P450 impliqué dans le métabolisme de plus de 50% des médicaments, le CYP3A, est augmentée dans le foie, les reins, les poumons et le cortex cérébral des rats contaminés[3]. L'expression des gènes codant des protéines de phases II et III ne varie pas de façon significative après contamination chronique par l'uranium pendant plusieurs mois[4]. L'effet de l'uranium sur les cytochromes P450 étant établi, nous administrons actuellement un médicament de type analgésique a des rats contaminés afin de savoir s'il perd son efficacité ou est moins bien éliminé Les résultats obtenus après esposition chronique de faible quantité d'uranium sont inattendus en termes d'organes atteints et d'effets biologiques. Reste à savoir si ces données peuvent être être extrapolées à l'homme. Les conclusions des enquêtes épidemiologiques seront, en cela, déterminantes. M.S., P.L et Y.G.
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En 1986, l'explosion du réacteur
de la centrale nucléaire deTchernobyl a rejeté dans l'atmosphère
un nuage radioactif. De l'iode-131 et du cesium-134 ont été
disséminés sur la plupart des pays d'Europe, ainsi que du
cesium-137, qui a une durée de vie de trente ans dans
l'environnement. Depuis, des études menées dans les pays de l'Est ont rapporté une augmentation de la fréquence de pathologies non cancéreuses telles que les maladies cardiovascutaires, immunitaires et digestives, dans les territoires contaminés (en Biélorussie notamment). Faut-il y voir un lien de cause à effet? |
Pour le savoir, nous avons contaminé des lots de rats par du
cesium-137 pendant plusieurs mois. Ce qui nous a permis de montrer qu'une
quantité de cesium-137 analogue à celle rencontrée
dans les territoires contaminés (150 becquerels/rat/jour), administrée
en continu pendant trois mois, induit des modifications du taux sanguin
de la vitamine D, une hormone essentielle à la croissance osseuse
et au métabolisme du calcium. L'expression des gènes impliqués
dans le métabolisme de la vitamine D est également modifiée
au niveau du foie et du système nerveux central[*].
[*] E. Tissandie et al., Toxicology, 225, 75, 2006. p.4
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