CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ESSAIS NUCLEAIRES ET SANTE

Conséquences sanitaires des essais nucléaires français
Recension ADIT février 2009
Sources: ministère de la Défense, Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français 2007, Rapport office parlementaire, janvier 2009.
Plus de 30.000 Hiroshima

     - 210 essais nucléaires ont été tirés entre 1960 et 1996 en Polynésie et dans le désert algérien du Sahara. Cinquante essais aériens et 160 souterrains.
     - On estime que 527 tests nucléaires atmosphériques ont été effectués entre 1945 et 1980 (date du dernier test de ce type par la Chine) pour une puissance cumulée de 479 mégatonnes (soit l'équivalent de plus de 30.000 Hiroshima), la part française étant estimée à 10,1 mégatonnes pour 41 essais atmosphériques.
     - En 1996, la France signe le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et s'engage à ne plus réaliser d'autres tirs.

 

Essais nucléaires - L'Etat face à ses responsabilités

le mardi 3 février 2009
     Quarante-neuf ans après le premier tir, les victimes des essais nucléaires français sont en passe d'être reconnues et indemnisées. Aujourd'hui, se tient une des ultimes réunions parlementaires avant la présentation du projet de loi par Hervé Morin, préalablement soumis à l'Assemblée polynésienne. Pour le ministre de la Défense, «il est logique de reconnaître la responsabilité de l'Etat» et «d'indemniser ces personnes à la hauteur du préjudice subi».
     Son directeur adjoint, Jean-Paul Bodin, a reçu fin décembre l'ensemble des associations de victimes afin de proposer un avant-projet de loi «juste» et «un système qui ne rejette aucune demande». En l'état actuel du texte, la liste des maladies radio-induites prendrait comme référence celle du Comité scientifique des Nations unies (Unscear), plus exhaustive. Les victimes pourront saisir directement un comité d'indemnisation composé de médecins et d'experts issus des ministères de la Défense, du Travail et de la Santé, qui statuerait au cas par cas. L'arbitrage final étant laissé à Hervé Morin. Les associations ne seraient pas représentées, contrairement à la composition du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, par exemple, et craignent des «décisions arbitraires» si leur participation n'est pas actée.

Incidence sur le nucléaire civil?
     S'il est établi, au vu du dossier du requérant, qu'il existe «1% de possibilité» pour que la maladie soit due à une exposition aux rayonnements, l'indemnisation pourra être acceptée.
     Les associations de victimes jugent cet avant-projet encore «trouble», de nombreux points étant renvoyés à des décrets ultérieurement fixés en Conseil d'Etat. Elles demandent par ailleurs fermement la création d'un fonds d'indemnisation, à l'instar des victimes de l'amiante, la garantie d'indépendance des commissions créées par la loi et l'abandon de la notion de seuil, restrictive et dans de nombreux cas peu fiable. A défaut, elles l'ont promis, elles «continueront le combat».
     Autre difficulté, et non des moindres, soulevée par ce projet de loi: son incidence sur les employés du nucléaire civil. Incidence qui devrait susciter de vives discussions. En effet, si la liste des maladies radio-induites est élargie pour les victimes des essais, la logique voudrait qu'elle s'applique de fait à ces personnels. Or, il est aujourd'hui stipulé dans ce texte provisoire que cette «nouvelle» liste ne concernera que les victimes des essais nucléaires. La maladie, si elle s'exprime, saura-t-elle distinguer les vétérans des employés dans le nucléaire civil?


Levée du secret défense: des archives «incommunicables»

     La consultation des documents relatifs aux essais nucléaires du Sahara algérien ou de la Polynésie, maintes et maintes fois sollicitée par les associations de victimes, les avocats, les chercheurs, est désormais proscrite. La loi relative aux archives, parue au Journal officiel le 15 juillet 2008, a apporté une fin de non-recevoir définitive aux demandeurs.
     On pourrait penser que le gouvernement, par souci de transparence, lève le secret défense et ouvre à minima une partie de ces archives, comme l'ont fait les Etats-Unis avant eux, «sans apparemment que leur sécurité soit mise en péril» (1). Outre-Atlantique, l'accès à ces archives est effectif depuis 1993! Pourquoi le gouvernement français, près de cinquante ans après les premiers essais, ne souhaite-t-il pas ouvrir les archives? Pour les associations, le ministère de la Défense craint «que ces archives puissent être utilisées à des fins judiciaires»... Après l'ouverture des archives de 1993, aux Etats-Unis, «la liste des maladies reconnues a dû être allongée, la république des îles Marshall, découvrant l'ampleur des retombées des essais aériens, a réouvert le dossier des indemnisations». Le ministère de la Défense estime, quant à lui, que l'accès aux relevés dosimétriques peut-être obtenu par les juridictions qui en feraient la demande, ces informations étant suffisantes.

Secret médical
L'historien Benjamin Stora voit dans cette loi, «une question majeure qui touche au droit à l'information des citoyens, au droit à la mémoire et à l'histoire. [...] On se bat pour un accès aux archives, dites privées, au bout de cinquante ans, et contre le projet de rendre «incommunicable» ce qui relève de la sûreté de l'Etat, car c'est insensé. La France est déjà très en retard sur cette question par rapport aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à l'Allemagne», a t-il déclaré dans les colonnes de Ouest-France.
    Le 22 décembre, l'association polynésienne Moruroa e tatou demandait d'ailleurs au ministère de la Défense «une déclassification de toutes les archives concernant les essais nucléaires». Réponse: «La déclassification de documents répond à une procédure stricte établie par la loi. Il convient de rappeler par ailleurs le principe de libre accès des patients à leur dossier et de préciser que les autorités judiciaires peuvent solliciter la déclassification de documents conformément aux dispositions de la loi de 1998.» En effet, en raison du secret médical, les associations ne peuvent avoir accès aux noms des personnes contaminées, néanmoins, elle souhaiterait, par principe et afin de mener à bien leur travail d'investigation, consulter ces données. Le bras de fer pour l'accès aux archives continue donc.
     Par souci de transparence, des personnalités scientifiques extérieures au ministère de la Défense ont été habilitées pour prendre connaissance des archives des essais nucléaires encore classées «secret défense». Leur rapport apportera la connaissance la plus précise et la plus complète sur les données de surveillance radiologique lors des essais nucléaires français. A suivre donc!
     Bruno Barillot: «Le ministère veut se dédouaner en confondant les “archives des essais” et les dossiers médicaux des personnels accessibles par le titulaire ou ses ayants droit. L'accès aux archives des essais nucléaires est un point essentiel de notre lutte pour la "vérité" sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les expériences nucléaires. Tous les arguments avancés par le ministère de la Défense sur la nécessité de rendre les documents sur les essais nucléaires "incommunicables" ne sont que des prétextes qui sous-entendent un refus de transparence et une crainte que ces archives puissent être utilisées à des fins judiciaires.
     Un parallèle avec ce qui s'est passé aux Etats-Unis après l'ouverture des archives de 1993 illustre les craintes françaises: aux Etats-Unis, la liste des maladies reconnues a dû être allongée, la république des îles Marshall, découvrant l'ampleur des retombées des essais aériens, a réouvert le dossier des indemnisations, les habitants des régions entourant le site d'essais du Nevada, découvrant l'ampleur des retombées des essais aériens sur les Etats-Unis, ont lancé des procédures pour demander l'élargissement de la "zone géographique" des 530 miles... »
(1) Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences des essais nucléaires français, Assemblée nationale, octobre 2000.

 

Plus d'un tiers des vétérans atteints d'un cancer...

     ... et leur descendance n'est pas épargnée:
– 80,5 % des vétérans déclarent être atteints d'une pathologie. Parmi eux, 35% d'entre eux ont un à trois cancers primitifs différents, celui du sang (22%) et du poumon (18%) étant les plus récurrents.
– Parmi ces cancers, 40,3% ont entraîné le décès du vétéran. 26,6% avaient moins de 50 ans et 63,6% moins de 60 ans. L'âge moyen du premier cancer est de 51,6 ans.
– Concernant la descendance, 25% signalent une stérilité par anomalie du sperme et 13,4% des enfants présentent des anomalies congénitales (malformations cardiaques, trisomie...), contre une moyenne de 3,3%.
Sources: Association des vétérans des essais nucléaires, études sur un échantillon de 1.800 personnes, Ined 2005.


"Nous refuserons une loi discriminatoire !"

Michel Verger est président de l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven).

FRANCE-SOIR. Que représente cette loi d'indemnisation pour les victimes des essais nucléaires?
MICHEL VERGER.  La reconnaissance d'un lien entre les maladies radio-induites et les essais nucléaires auxquels nous avons été exposés. Depuis 2001, 18 propositions de loi émanant de parlementaires ont été déposées, sans succès. Ce projet de loi engage désormais la reconnaissance des victimes, jusque-là niées. Mais le projet est encore imparfait, il est indispensable par exemple que les décrets d'application, notamment relatifs à la  zone géographique et aux maladies concernées, soient connues par les parlementaires au moment du vote.

Des modifications sont souhaitables?
     Trois fois oui ! Nous avons déjà obtenu l'abrogation de la notion de seuil de radioactivité qui laissait sur le carreau nombre de victimes. Il faut maintenant s'assurer que cette nouvelle législation s'appliquera équitablement à tous, quel que soit leur statut. Nous comptons donc sur la réunion parlementaire de mardi (NDLR : aujourd'hui) pour faire évoluer le texte, car nous refuserons une loi discriminatoire ! Nous demandons également la création d'un fonds d'indemnisation où seraient prises des décisions collectives incluant les associations Aven (France) et Moruroa e tatou (Polynésie). Or, en l'état actuel du texte, seul le ministre de la Défense sera habilité, in fine, à accepter ou rejeter les demandes d'indemnisation. Situation ubuesque qui va encore compliquer les procédures !

Vous souhaitez un élargissement de la liste des maladies aujourd'hui reconnues comme radio-induites...
     Le cancer de la thyroïde ne fait toujours pas partie des maladies reconnues ! (sauf pour les mineurs au moment des essais aériens en Polynésie !) Le cancer de la thyroïde est pourtant en seconde place sur la liste américaine, après les leucémies. La liste française des maladies radio-induites, cancéreuses ou non, doit prendre comme référence, par exemple, celle en vigueur aux Etats-Unis et être enrichie en fonction des découvertes scientifiques par voie de décret. Sans ces modifications, cette loi sera inutile.
Combien de procédures sont-elles en cours dans les différentes juridictions?
     Actuellement, 400 dossiers sont constitués et près de 150 en cours de procédure, mais c'est un véritable parcours du combattant car il n'y a pas de législation. Les jugements, souvent favorables aux victimes, sont systématiquement frappés d'appel. Le ministère de la Défense a déclaré, en novembre 2008, que cela ne se reproduirait plus. J'ai personnellement demandé le retrait des appels ou recours en cassation en cours. J'attends toujours la réponse !


Suivi médical, procédures: la situation se débloque...

     Le ministère de la Défense s'est, depuis 2007, déjà engagé sur plusieurs points significatifs.
Suivi médical
     A Papeete (Tahiti), le Centre médical de suivi, créé fin 2007, accueille les anciens travailleurs polynésiens des sites d'expérimentations et les populations. Les huit personnes gravement irradiées lors de l'accident Béryl en 1962 sont suivies médicalement. Leurs dossiers sont enfin en cours de révision, 47 ans après.
     Enfin, le service de santé des armées reçoit toutes personnes ayant participé aux essais et les informe sur les démarches pour obtenir dossiers médicaux et relevés dosimétriques.
     Un numéro vert, le 08.10.007.025, a été mis en place pour aider les victimes souhaitant solliciter une pension militaire d'invalidité.
Levée des appels
     Jusqu'à aujourd'hui, toutes les décisions favorables aux victimes étaient frappées d'appel. Fin 2008, le ministre de la Défense a pris l'engagement de ne plus contester «systématiquement toute décision de justice qui lui est défavorable».
     Les résultats d'une étude épidémiologique indépendante, menée sur 30.000 Polynésiens sont attendus fin 2009.
Prise en charge des cancers de la thyroïde des mineurs
     Six cents enfants de moins de 15 ans ont été exposés aux retombées radioactives en Polynésie. Ceux atteints du cancer de la thyroïde bénéficient d'une prise en charge de leur maladie par l'Etat.


75.000 travailleurs contaminés

     - 150.000 civils et militaires étaient présents sur les sites lors des tirs des essais nucléaires.
     - 75.000 d'entre eux sont susceptibles d'avoir été contaminés: 17.747 militaires au Sahara, 41.406 en Polynésie et 16.000 personnes dépendant du commissariat à l'énergie atomique. 12.000 ont été exposés avec certitude, relevés dosimétriques à l'appui.
     - 2.000 Polynésiens ont été exposés lors des tirs, dont 600 enfants en période de croissance susceptible de développer des cancers de la thyroïde.
     - Selon les autorités, les survols en avion avant les tirs n'ont pas permis d'identifier des populations présentes dans le Sahara algérien. Des vétérans en poste à Reggane, en 1960, s'inscrivent en faux. Ces autochtones, après le départ des contingents, déterraient les matériels contaminés, enfouis par l'armée avant son départ, et récupéraient les métaux – contaminés –, notamment le cuivre, pour le revendre.
     - Aujourd'hui, 400 dossiers de victimes sont constitués et près de 150 en cours de procédure dans les juridictions françaises.