8 avril
"Je me dirigeais vers la chimie du nucléaire
mais les récents événements [au Japon] me font
changer d'avis: je pense finalement m'orienter vers la chimie du recyclage
du nucléaire", confie une étudiante en troisième
année de licence de chimie. "J'avais un entretien d'embauche
quatre jours après la catastrophe de Fukushima pour participer aux
nouveaux projets de centrales EPR, raconte un jeune ingénieur.
Bien que la filière nucléaire me semblait passionnante,
je ne considère plus qu'elle soit porteuse d'avenir aujourd'hui
et j'ai décidé de refuser la proposition d'embauche."
Combien sont-ils à s'être engagés
dans la voie du nucléaire et à envisager aujourd'hui une
reconversion, après les atermoiements de cette industrie face à
la catastrophe de Fukushima? Un appel à témoignages que Le
Monde.fr a lancé auprès des travailleurs du nucléaire
laisse entendre que les déçus de l'atome ne sont finalement
pas si nombreux parmi les professionnels. Et une majorité d'entre
eux – qui a préféré témoigner anonymement –
laisse entendre que l'utilité de leur métier se trouve renforcée
depuis les événements au Japon.
UNE DÉFIANCE "INQUIÉTANTE POUR NOS CONCITOYENS"
"Je persiste à penser que [le
nucléaire] est un mode de production d'électricité
essentiel en France et les compétences acquises par EDF sont immenses",
explique un ingénieur en calcul de tuyauterie pour l'EPR. "L'accident
de Fukushima nous montre la nécessité d'une attention permanente,
renchérit un ingénieur d'exploitation dans une centrale.
A EDF, nous avons déjà commencé à tirer
tous les enseignements possibles de cet accident. Les difficultés
rencontrées par Tepco avec les matériels de sauvegarde nous
ont amenés par exemple à réaliser un bilan complet
de l'ensemble de nos matériels de sauvegarde." Pour cet ingénieur,
la "confiance dans l'atome" n'est pas ébranlée – "le
contraire serait inquiétant pour nos concitoyens", souligne-t-il
–, mais "notre souci d'exemplarité est évidemment renforcé
par cet accident".
Beaucoup de professionnels contactés
estiment que l'accident de la centrale de Fukushima servira in fine
à renforcer les exigences de sûreté des centrales et
rend donc d'autant plus nécessaire leur métier. "L'accident
de Fukushima n'a pas, dans mon activité, provoqué d'importante
remise en question sur nos manières de faire, note un ingénieur
en démantèlement nucléaire. Cela constitue surtout
depuis plusieurs semaines un sujet de discussion intéressant entre
collègues." Ce cadre du Commissariat à l'énergie
atomique (CEA) relève que "l'accident a rappelé à
beaucoup d'entre nous les risques auxquels certains pays doivent faire
face", mais en France, "le risque d'exposition de la population
est dérisoire; la polémique interne sur ce point me paraît
donc inappropriée".
COMMENT LE SECTEUR SÉDUIT LES DIPLÔMÉS
Tous ne partagent pas cet optimisme. Un ingénieur
dans les servitudes nucléaires – les tâches de deuxième
niveau de maintenance et de préparation des réacteurs – confie:
"L'accident de Fukushima m'a vraiment perturbé et me pousse à
réfléchir sur mon choix professionnel à court et moyen
terme: rester dans le domaine du nucléaire (et participer à
l'élévation du niveau de sûreté des installations)
ou changer de métier ?" Employé depuis douze ans par
Areva, ce cadre explique s'être toujours posé des questions:
"J'ai fait des études d'environnement et je n'étais pas
pro-nucléaire à la base. Mais je trouvais que ce secteur
était motivant et que les inquiétudes autour du risque nucléaire
nous motivaient à travailler encore plus consciencieusement."
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suite:
L'attrait de l'industrie du nucléaire
est évident pour les jeunes diplômés sortis d'école
ou de faculté: le secteur recrute plus que d'autres secteurs de
l'énergie, et à des salaires et conditions sociales bien
plus avantageuses. Une rapide recherche sur les moteurs Web d'offres d'emplois
dans le nucléaire en témoigne, tout comme le parcours d'un
jeune ingénieur, raconté par le magazine L'Etudiant,
qui n'a eu qu'à choisir entre un poste chez EDF ou chez Areva à
sa sortie d'école. Une trajectoire alléchante quand on connaît
les difficultés de nombreux diplômés pour décrocher
un premier emploi.
"ON VA FAIRE QUOI ?"
Selon le cadre d'Areva contacté, qui
envisage une reconversion dans les énergies renouvelables – "idéalement
dans le solaire thermique" –, plusieurs collègues partagent
son analyse sur l'impasse vers laquelle se dirige l'industrie nucléaire.
Mais nombre d'entre eux se disent que ce n'est pas à leur niveau
que les grandes orientations nationales vont changer. "La première
question qu'ils se posent, c'est: si on change de secteur, on va faire
quoi? On ne va pas cramer du pétrole pour faire de l'électricité!
Et puis il y a l'argument financier", souligne-t-il.
Pour lui, sa décision de reconversion
est prise, même si retrouver un autre poste prendra du temps. "Fukushima
est le troisième accident grave en 30 ans et je ne suis
plus en accord avec le développement du nucléaire, conclut-il.
Mes craintes initiales, qui relevaient plus de croyances, se sont transformées
en craintes fondées sur le terrain. Le niveau de sûreté
est chaque année plus élevé, mais le dispositif et
le procédé sont de plus en plus complexes et à terme,
le nucléaire ne sera plus compétitif par rapport aux autres
énergies."
DÉSINFORMATION
Reste que pour beaucoup de professionnels du secteur, la source du
malaise vient surtout de la mauvaise information distillée par les
médias au public. "Les journalistes sont mal informés.
Donc le public est mal informé. C'est ça aujourd'hui le mal-être
des professionnels du nucléaire, proteste un ingénieur mécanique.
La production électrique nucléaire française a des
défauts, mais elle est plus surveillée que n'importe quelle
autre. Les accidents comme ceux de Fukushima sont dramatiques, ils doivent
nous permettre d'avancer et nous rappellent l'importance des risques que
nous devons maîtriser. Mais l'industrie nucléaire reste une
industrie de pointe et d'avenir."
Convaincus de l'utilité de leur métier,
des ingénieurs et chercheurs se sentent ainsi renforcés dans
leur certitude qu'ils ont une mission à remplir: "La tragédie
de Fukushima nous rappelle à quel point nous sommes responsables,
note un ingénieur dans la sûreté nucléaire,
spécialiste des agressions externes (séisme, inondations).
Nous avons le devoir de rester alertes afin de pouvoir déceler le
moindre écart et devons être une force de conviction afin
que l'autorité et l'exploitant adhèrent à nos propositions.
La sûreté dans le nucléaire ne peut se reposer sur
ses acquis et doit s'inscrire dans une démarche d'amélioration
continue. C'est cette démarche qui me motive à continuer
à travailler dans ce domaine." |