Le voici affublé d'une
tâche inhabituelle pour un mineur: détruire et reconstruire
des maisons. C'est la première fois que François Sublime
passe tant de temps à travailler à l'air libre. La voix rauque
des grands fumeurs, l'allure dégingandée, il débarque
en pays inconnu, après trente ans en mine souterraine pour le groupe
nucléaire français Areva, numéro un mondial du secteur.
Sa nouvelle terre s'appelle Mounana, dans
le sud-est du Gabon. Ici, la mine d'uranium exploitée pendant quarante
ans par Areva, et fermée en 1999, reste au cœur des préoccupations.
Dans cette bourgade de 5.000 habitants, une centaine de maisons sont «marquées»
radiologiquement. Leurs occupants sont exposés à un seuil
de radioactivité légèrement supérieur aux normes
internationales autorisées. En 2000, celles-ci ont été
durcies, passant de cinq à un millisievert - unité de mesure
des effets du gaz radon sur l'organisme - par an. Et l'Agence internationale
de l'énergie atomique (AIEA) a recommandé d'étendre
aux habitations des contrôles qui jusque-là se limitaient
à la chaîne alimentaire et à l'environnement.
Litanie
D'après les mesures relevées
à Mounana, dans les cités construites par Areva pour ses
employés, près de cent logements dépassent le seuil
toléré et doivent être entièrement rasés
et rebâtis. Tous les propriétaires n'ont pas encore été
prévenus pour éviter des scènes de panique. Mais la
nouvelle s'est propagée à travers la ville. «Radioactivité»,
le mot s'ébruite et se décline sur tous les modes. «On
ne veut pas avoir de maladies causées par l'uranium, mais on ne
nous a rien expliqué; je sais que c'est mauvais pour les femmes
enceintes et pour les bébés», s'alarme une jeune
habitante sur le point d'être relogée. La litanie se poursuit
devant une épicerie où s'échangent de maigres tomates
et quelques bâtons de manioc. «Je souffre du cœur, il y
a beaucoup de cancers du poumon et des yeux à cause de la radioactivité»,
croit savoir la fille d'un mineur, «c'est à cause de la
Comuf [filiale gabonaise d'Areva] que nous sommes malades, c'est
parce que la ville est polluée».
Les problèmes de santé et les
questions environnementales se mêlent inextricablement au malaise
social qui mine Mounana. Car la ville s'est éteinte après
la fermeture de la mine, qui a produit plus de 25.000 tonnes d'uranium.
Tous les sous-traitants ont aussi quitté les lieux et la majorité
de la population est sans emploi. Les enfants des mineurs semblent les
plus aigris, qui vouent l'entreprise aux gémonies, tout en appelant
de leurs vœux la reprise de l'activité minière. «Avant,
tout était cadeau ici, l'eau, l'électricité et les
soins médicaux, se lamente Hydrim Boukamba, entouré
d'une demi-douzaine de jeunes gens, tous au chômage. Areva aurait
au moins pu nous laisser une petite activité avant de partir.»
La bourgade, entourée de collines et
nichée dans le creux d'une vallée verdoyante, a pourtant
retrouvé l'apparence paisible des cités lacustres. L'essentiel
des travaux de réaménagements du site est achevé.
Plus un morceau de tôle, plus un bout de ferraille. Toutes les infrastructures
ont été démontées. La mine à ciel ouvert
d'Oklo gît à plusieurs dizaines de mètres sous l'eau.
Des tonnes de déchets radioactifs ont été enfouies
sous une couche de latérite et de terre végétale où
l'herbe a repris ses droits. Et en l'espace de quelques années,
le taux de radioactivité est revenu «à la normale»,
d'après le Centre national de prévention et de protection
contre les rayonnements ionisants (CNPPRI), qui contrôle régulièrement
la qualité de l'air, de l'eau, puisée en aval des rejets,
et de la chaîne alimentaire - des échantillons de manioc,
de poissons et de poulets sont prélevés dans le voisinage
de l'ancienne mine. |
«L'origine du marquage radiologique
des maisons remonte à une époque plus lointaine , explique
Jean-Claude Nzengué, responsable local du CNPPRI, la population
a récupéré des résidus de traitements du minerai
pour fabriquer du béton ; il y a eu un problème de gestion
des déchets radioactifs.»
«Psychose»
«C'est étonnant, déplore
Sublime, les gens ont tapé dans des carrières où
ils n'auraient pas dû. On aurait dû isoler ces produits prévus
pour remblayer les mines souterraines afin d'éviter leur dissémination
dans la nature.» La parution, en avril, du rapport de l'association
de juristes Sherpa, en collaboration avec Médecins du monde, dont
des bribes sont parvenues à Mounana via la presse, a renforcé
l'inquiétude des habitants. Areva aurait sous-estimé les
risques sanitaires et environnementaux selon ces associations, qui citent
des cas de cancers parmi les ex-salariés. «Nous ne cherchons
pas à encourager la psychose, Mounana n'est pas Tchernobyl,
nuance Mathurin Ango, géologue et vice -président du Collectif
des anciens travailleurs de Mounana, qui a collaboré au rapport.
Mais
il faut regarder objectivement la situation. C'était le jour et
la nuit entre les mines au Gabon et en France; ces dernières étaient
bien mieux sécurisées, l'hygiène des travailleurs
était plus adaptée: ils ne rentraient pas à la maison
avec leurs combinaisons», raconte-t-il.
Areva a annoncé la création
d'un observatoire de la santé, chargé de suivre les 6.000
ex-salariés et la population de Mounana. «L'observatoire
c'est très bien, mais nous attendons des réparations et des
indemnisations», rétorque Mathurin Ango. Epuisé
par huit années de récriminations, Bernard Keiffer, le directeur
général de la filiale gabonaise d'Areva, assume l'ingrate
mission d'accompagner la fermeture de la mine. Plus de 30 millions €
dépensés pour un bilan mitigé. «Le problème
est avant tout social. Les gens sont traumatisés car ils se sont
sentis abandonnés par la Comuf et l'Etat gabonais. Ils sont très
réceptifs à toutes les formes de récupération
et de démagogie.» Il contemple une table de billard défoncée
devant l'entrée d'un ancien restaurant, désormais habité
par les rats et grignoté par la végétation. «D'ici
dix ans, il ne restera plus rien du mess des employés de la Comuf».
Nouvelle ruée sur le minerai gabonais
http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/271589.FR.php
Huit ans après la fermeture de la mine
de Mounana, Areva a relancé la prospection dans ce pays d'Afrique
centrale. L'exploitation avait fermé en 1999 en raison de l'épuisement
des réserves et de la forte baisse des cours. Or, depuis 2004, plusieurs
pays se sont lancés dans la construction de nouvelles centrales,
et les prix du minerai ne cessent de s'envoler. De petits avions équipés
pour la prospection survolent un large périmètre dans le
sud-est du pays recouvert par la forêt équatoriale ou la savane.
«Il y a encore 8.000 tonnes de réserves prouvées
au Gabon et de nombreux indices de nouveaux gisements potentiels»,
explique un géologue travaillant pour l'Etat gabonais. Areva n'est
pas le seul à s'intéresser au Gabon; le géant canadien
Cameco s'est lancé dans la course. Selon plusieurs sources, de hauts
responsables du groupe minier ont séjourné en juin dans la
région de Mounana. |