Pour atteindre le confort et le bien-être
souhaité par leurs occupants, les 30 millions de bâtiments
existant en France consomment environ 46% de l'énergie finale et
produisent un quart des émissions de gaz à effet de serre.
Au niveau européen, près de 500 millions d'habitants disposent
d'environ 160 millions de logement qui absorbent près de la moitié
de l'énergie consommée. Avec la diminution naturelle des
ressources fossiles, plus particulièrement du pétrole et
bientôt du gaz naturel, cette situation n'est plus tenable. Sous
l'effet des politiques d'énergie impulsées par les pouvoirs
publics et des travaux de maîtrise de l'énergie réalisés
par les ménages, la consommation unitaire de chauffage des logements
a baissé de 35% depuis 1973. La consommation de chauffage par unité
de surface ayant, elle, baissé de 43%. Mais, malgré une baisse
de la consommation unitaire totale d'énergie, passée de 372
kWh par m² et par an en 1973 à 245 kWh par m² et par an,
on est encore loin du compte et, dans la plupart
des bâtiments, on ne consomme pas l'énergie, on la gaspille.
Dans nos bâtiments «énergivores»,
la première utilisation de l'énergie reste le chauffage (69%),
suivie de l'eau chaude sanitaire et de cuisson (20%) et enfin les équipements
électriques (11%). C’est donc principalement de «calories»
et de «frigories» à basse température que les
bâtiments ont aujourd'hui besoin, même si le développement
de la climatisation et des nouvelles technologies (multimédia...)
qui envahissent peu à peu le bâtiment vont faire croître
la demande «électrique».
Stratégie de rupture
Le bâtiment dispose heureusement d'importantes
marges d'amélioration énergétique, en particulier
en ce qui concerne l'énergie «chaleur», et peut même
se révéler un formidable outil pour «moissonner»
et stocker les énergies disponibles localement.
Pour valoriser ces atouts ignorés, l'industrie
du bâtiment doit s'engager dans une stratégie de rupture et
passer d'un statut de consommateur, principalement pour l'eau et l'énergie,
à celui de collecteur ou de producteur, tout en maintenant, voire
en améliorant le confort des occupants. Cette stratégie est
d'autant plus indispensable que l'augmentation inéluctable de la
consommation énergétique mondiale constitue l'un des défis
majeurs des prochaines décennies.
En outre, des solutions généralisables
à tous les pays, notamment émergents comme la Chine et l’Inde,
doivent être proposées pour assurer à la fois un développement.
respectueux de la planète et le bien- être de ses habitants.
La réalisation de bâtiments sobres
en énergie passe en priorité par une réduction drastique
de la demande et une utilisation optimale des énergies localement
disponibles. A l'échelle mondiale, les objectifs sont donc clairs,
mais à l'échelle locale, les solutions sont multiples, car
les besoins sont aussi divers (chauffage/climatisation, eau chaude ou froide,
éclairage...) que les ressources (soleil, vent, sol, biomasse...).
Commençons par les pays européens,
où la demande énergétique des logements reste à
plus de 80 % thermique, principalement des calories pour le chauffage et
l'eau chaude. Dans la plupart de ces pays, force est de constater que l'on
assiste aujourd'hui à un gaspillage formidable, d'une part à
cause des pertes par l'enveloppe (toiture, sol, murs et fenêtres),
qui est un véritable «panier percé», et d'autre
part à cause du rendement des équipements (chauffage, ventilation,
climatisation) qui, dans l'habitat existant surtout n'offrent pas l'efficacité
énergétique des produits modernes. De plus, les ressources
offertes par le climat (soleil, vent...) et l'environnement local (sol,
forêts.. .) pour produire des calories (ou des frigories) et de l'électricité
(ou de l'hydrogène dans le futur) sont souvent négligées,
voire ignorées.
Or, pour atteindre le confort thermique souhaité,
les niveaux de température nécessaires pour le chauffage
(ou la climatisation) se situent entre 19 °C et 25 oc et, pour l'eau
chaude sanitaire, entre 40 °c et 70 °c. Ces températures
sont relativement faibles et pourraient être obtenues avec un apport
énergétique complémentaire réduit, voire nul
dans le cas du chauffage.
Rappelons que le chauffage a été introduit
dans les logements avant l’isolation et que son rôle premier est
d'apporter le confort thermique attendu en s'opposant à la pénétration
du froid extérieur au travers d'une enveloppe mal isolée
et perméable à l'air (toitures, murs, planchers, fenêtres).
Avec l'augmentation du coût de l'énergie, l'isolation ne s'est
d’abord développée que pour limiter les charges de chauffage,
mais on assiste aujourd'hui à la renaissance de l'approche dite
«bioclimatique», qui considère le climat local comme
un point de départ pour assurer un confort satisfaisant toute l'année.
Si l'on souhaite réduire efficacement et notablement la demande,
optimiser la gestion des flux (réduire la pénétration
du froid l'hiver, favoriser les apports solaires en hiver et les réduire
en été, assurer le confort hygrothermique et la qualité
de l'air par la ventilation...) est donc le premier objectif à atteindre
avant d'optimiser les systèmes de chauffage. Plusieurs actions sont
possibles:
- Diminuer la surface d'échange en conservant
un volume intérieur suffisant. La compacité est donc une
caractéristique marquante des maisons à faible consommation
énergétique. A défaut d'une sphère, difficilement
habitable, le cube offre le meilleur ratio volume/surface, mais son esthétique
est discutable. C'est pourquoi les architectes doivent proposer des solutions
architecturales plus séduisantes.
- Renforcer l'isolation thermique (toitures, murs,
planchers) et éradiquer les ponts thermiques pour réduire
au minimum le transfert de chaleur par conduction (transport de l'énergie
par l'air immobile et la phase solide des matériaux). Le renforcement
de l'isolation thermique se traduit généralement par une
augmentation de l'épaisseur de l’isolant, qui peut atteindre 40
cm. Dans le neuf et parfois pour les toitures dans l'ancien, ces épaisseurs
peuvent être envisagées sans difficulté, mais la rénovation
des bâtiments existants exige de nouvelles solutions techniques:
matériaux isolants plus performants, nouveaux procédés
d'isolation, nouvelle approche des échanges thermiques dans les
parois avec une meilleure prise en compte de l'inertie.
- Eliminer les défauts d'étanchéité
qui laissent pénétrer les courants d'air froid par convection
(transport de l'énergie par mouvement d'air). Pour cela la perméabilité
de l'enveloppe sera réduite au minimum, à l'image des progrès
déjà réalisés dans l'automobile où l'étanchéité
à l'air a fait d'énormes progrès depuis les Citroën
2CV et autre Renault 4L. Mais personne ne souhaite ni ne pourrait vivre
dans une bouteille thermos, le renouvellement de l'air est donc incontournable.
Mais qui dit renouvellement d'air dit aussi perte d'énergie, et
la solution technique qui s'impose dans les bâtiments à très
faible consommation est la ventilation mécanique contrôlée
double flux avec récupération d’énergie (rendement
supérieur à 80%). Le système de ventilation pourra
aussi, dans certains cas, être utilisé comme système
de chauffage à air.
- Les fenêtres et autres baies vitrées
jouent un rôle très particulier. Bien sûr, elles doivent
empêcher le froid de rentrer et le chaud de sortir, comme les parois
opaques, mais elles constituent aussi le premier capteur solaire intégré
en façade, surtout si elles sont associées à une inertie
thermique adaptée (stockage intermittent de la chaleur). De plus,
fenêtres et baies vitrées favorisent l'éclairage naturel,
ce qui signifie économie d'énergie et surtout bien-être,
même en été, si elles sont combinées avec des
protections solaires et un système de ventilation. Les fenêtres
peuvent donc apparaître à la fois au débit et au crédit
sur le compte énergétique du bâtiment. Leur solde est
d'ailleurs positif dans certaines maisons à très hautes performances
énergétiques, surtout quand le bâtiment a été
conçu avec une architecture bioclimatique et que des fenêtres
adaptes ont été choisies.
Éclairage naturel
Si la fenêtre est certainement le premier
composant passif à «énergie positive» du bâtiment,
la pompe à chaleur (PAC) peut être considérée
comme le premier équipement actif. C'est d'ailleurs l'un des systèmes
de chauffage recommandés par la marque Minergie®. Le chauffage
au bois est aussi conseillé, mais les systèmes à gaz
ou au fuel ne sont pas interdits et peuvent être intéressants
quand les infrastructures existent déjà. Seul le chauffage
électrique est fortement pénalisé, même s'il
peut être utilisé en complément avec les systèmes
à air dans les maisons passives qui ont une très faible demande
de chauffage (< 15 kWh/m2/an)...
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suite:
Pour l'eau chaude sanitaire, l'utilisation de capteurs
solaires permet de couvrir entre 40% et 60% des besoins suivant la région
et le mode de vie des habitants.
Enfin l'éclairage naturel sera favorisé
et, avec la baisse attendue des coûts de production, l'installation
de capteurs photovoltaïques fournira une part non négligeable
de l'électricité destinée à l'éclairage
(avec bien sûr des lampes basses consommations) et aux équipements
électroménagers (tous de classe A) ou multimédia
(sans veille bien sûr).
C’est sur la base de ces principes simples que le
concept de «maison passive», (Passivhaus) a été
élaboré en Allemagne à la fin des années 1980
par le professeur Wolfang Feist de l'Institut Habitat et environnement
de Darmstadt, avec la collaboration de l'université suédoise
de Lund. A l'époque, la faible performance des vitrages en terme
d'isolation thermique a parfois conduit à réaliser des maisons
qui ressemblaient à des «Blockhaus», et les maisons
labellisées Passivhaus n'ont connu qu'un succès limité
jusqu'à la fin des années 1990.
Innovations technologiques
Par la suite, pour différentes raisons politiques
(sortie du nucléaire, soutien aux énergies renouvelables...)
et sociales (sensibilité accrue aux problèmes écologiques...),
et grâce aussi à des innovations technologiques, un regain
d'intérêt pour l'habitat dit solaire
est apparu en Allemagne, et le nombre de Passivhaus a crû
de manière exponentielle pour atteindre près de 5.000 maisons
aujourd’hui. Ce concept s'est ensuite diffusé en Autriche, avec
environ un millier de Passivhaus, et plus récemment au Benelux
où une centaine de réalisations existent ou sont en projet.
Parallèlement, la marque Minergie s’est développée
en Suisse vers la fin du siècle dernier à partir d'une initiative
des cantons de Zurich puis de Berne, copropriétaires de la marque.
Minergie se décline en deux niveaux. Le niveau Standard (S) est
attribué à des bâtiments dont la consommation d'énergie
finale n'excède pas 42 kWh/m²/an, (environ 4 litres de fuel/m²/an),
la moyenne suisse étant de 12 litres/m²/an contre 19 en France
(Réglementation thermique 2000). Quant au niveau P, il se rapproche
du label allemand Passivhaus. Un troisième label est enfin en projet:
Minergie
éco devrait prendre en compte d'autres critères environnementaux
et sanitaires, comme la gestion de l'eau et le choix des matériaux...
Les retours d'expérience montrent qu'il existe
une étroite corrélation entre une basse consommation d'énergie
et une haute qualité de confort et de salubrité. En effet,
un chauffage basse température, la maîtrise des températures
ambiantes et de surfaces, associés à une ventilation mécanique
contrôlée, évitent par exemple les risques d'humidité
et de moisissures, dépollution de l'air intérieur, de bruit
en provenance de l'extérieur (l'aération étant effectuée
par la ventilation et non par l'ouverture des fenêtres). Une enquête
auprès des occupants montre que 95% d'entre eux sont très
satisfaits. En outre, ces bâtiments acquièrent une plus-value
grâce à leur faible consommation d'énergie, leur facilité
d'entretien et leur durée de vie plus longue. Les reventes sont
donc bénéfiques et les locataires restent plus longtemps.
Le surcoût, de l'ordre de 6%, est rapidement couvert grâce
aux économies réalisées, ce qui rend la qualité
Minergie accessible à tous... malgré quelques fausses
rumeurs, portant notamment sur l'inconfort d'une ventilation mécanique
(technique peu présente en Suisse).
La maison «zéro-énergie»
Dans certains cantons, les bâtiments publics
doivent obligatoirement respecter les standards Minergie et les maîtres
d'ouvrage privés qui se lancent dans la démarche bénéficient
d'avantages (notamment fiscaux) ou d'une plus grande surface au sol. Plusieurs
banques proposent même des prêts à taux préférentiels
car le standard Minergie est une valeur sûre. Fin 2004, on comptait
environ 4.500 bâtiments labellisés.
Mais l'Europe n'est pas seule: bien que n'ayant
pas signé les accords de Kyoto, les Etats-Unis ne sont pas absents
de la course aux bâtiments à basse consommation puisque le
Department
of Energy (DOE) soutient le concept de maisons zéro-énergie
(Zero Energy Home ou ZEH). Alors que le concept Passivhaus
a une exigence très forte sur le chauffage et que Minergie fixe
des objectifs de consommation finale par bâtiment, une maison zéro-énergie
doit être autonome au niveau énergétique sur un bilan
annuel. C'est-à- dire qu'elle produit elle-même une partie
de ses besoins en chauffage et qu'elle produit également de l'électricité.
Une maison peut ainsi être zéro-énergie sur un bilan
annuel et ne pas être totalement autonome en permanence: elle produit
un surplus d'énergie l'été et consomme plus qu'elle
ne produit l'hiver. Ce concept existe aujourd’hui tout autour du Pacifique,
en particulier au Japon, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Il
s'est récemment étendu au Canada avec la création
de la fondation Net Zero Energy Home.
Pour trouver cet équilibre énergétique
annuel, l'intégration des énergies renouvelables est la règle.
Le solaire thermique bien sûr, pour couvrir entre 40% et 60% des
besoins en eau chaude sanitaire, mais surtout le photovoltaïque. C'est
dans ce domaine que, le Japon marque sa différence car, depuis 1994,
il fournit un effort considérable pour soutenir l'intégration
du photovoltaïque dans le bâtiment, avec en particulier le développement
de toitures solaires, et les deux grands constructeurs japonais de maisons
individuelles (Sekisui Houses, Misawa Homes) proposent en
série des maisons zéro-énergie.
En 2003 au Japon, 168.628 maisons dotées
de systèmes photovoltaïques représentaient 622,8 MW
de
puissance installée, soit en moyenne 3,7 kW par bâtiment.
Les puissances installées varient de quelques kilowatts à
une dizaine.
Enfin ces principes peuvent être avantageusement
étendus à l'échelle d'un groupe d'habitat ou d'un
quartier. Citons par exemple les maisons groupées sans chauffage
de Lindas, près de Göteborg, le quartier Vauban à
Fribourg ou le «village écologique» Bedzed au
sud de Londres (voir villages
0 énergie). Ils sont aussi utilisés pour réaliser
des bâtiments tertiaires et industriels à très faible
consommation énergétique .
Une approche globale: de l'habitat à l'habitacle
En combinant le concept des maisons passives, qui
réduit au minimum la demande énergétique, et la toiture
solaire à la japonaise, qui permet de transformer le bâtiment
en producteur d'énergie décentralisé, le bâtiment
pourvoit alors à ses propres besoins, et le surplus d'énergie
peut être restitué sur le réseau, qui devient alors
une immense coopérative de production. C'est le concept du bâtiment
à énergie positive.
Mais une autre utilisation de l'énergie produite
par les bâtiments est possible: elle peut être destinée
aux véhicules, considérés comme une extension
mobile des bâtiments. En effet, parmi les besoins primaires, logement
et voiture consomment à eux deux près de 80% de l'énergie
et
contribuent à plus de 40% des rejets de gaz à effet de serre.
C’est pourquoi, la recherche d'une synergie entre le bâtiment à
énergie positive et la voiture (habitat et habitacle) constitue
une voie de développement à laquelle les constructeurs automobiles
japonais s'intéressent déjà. Lors de l'Exposition
universelle d'Aichi, en 2005, Toyota a présenté sa maison
concept Dream House. Celle-ci dispose d'une connexion avec une Prius,
la voiture hybride fabriquée par le même groupe, qui peut
servir de source d’énergie en cas de panne d'électricité.
Réservoir plein, le véhicule pourrait alimenter la maison
en électricité pendant 36 heures. A l'inverse, les cellules
photovoltaïques de la maison pourraient recharger les batteries de
la voiture. Cette dernière solution est déjà utilisée
dans certaines villes de France pour des véhicules de services techniques.
Parallèlement, Honda a présenté
au Salon automobile de Tokyo 2005 un système de cogénération
basé sur une pile à combustible (Home Energy Station)
qui, à partir de gaz naturel, produit de l'hydrogène pour
la voiture et de l'électricité pour la maison, tout en récupérant
bien sûr la chaleur pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire.
Entre rêve individuel et cauchemar collectif
la voiture et la maison individuelles sont plébiscitées par
les consommateurs mais considérées comme des prédateurs
(d'espace, de matières premières et d'énergie) et
des pollueurs (déchets, CO2, particules...) par les thuriféraires
du développement durable. Elles pourraient par cette union déjà
réelle (la voiture dans le garage et souvent sous la chambre à
coucher!) jouer un nouveau rôle plus en harmonie avec l'environnement,
voire avec des impacts positifs. Bien sûr, cette synergie sera d'autant
plus efficiente que l'habitat sera groupé et les déplacements
limités. Alors demain, le bâtiment «station-service»
et le véhicule «cogénérateur» pourront-ils
contribuer à sauver la planète? |