Biodiversité. Une primatologue dénonce
les nouveaux risques de déforestation.
Biocarburants: l'arbre qui gâche la forêt
Stockage de bois à Yuanjiang, en Chine (Reuters)
Par Sylvie BRIET (Libération, 19 mars 2007)
Un rapport de la FAO, publié la semaine
dernière, note qu'entre 1990 et 2005 le monde a perdu 3% de son
couvert forestier. La situation reste mauvaise, selon l'organisme international
qui reconnaît néanmoins quelques efforts de gestion de pays
comme la Chine ou l'Inde. Un nouveau conflit vient cependant d'éclater
en Finlande entre écologistes (dont Greenpeace) et compagnies
forestières sur l'exploitation des forêts anciennes en Laponie.
Ce désaccord montre que peu de régions sont épargnées
par la déforestation. C'est ce que révèle dans son
livre (1) Emmanuelle Grundmann, primatologue et auteure d'une thèse
sur la réhabilitation et la réintroduction des orangs-outans
: elle décortique l'histoire des déforestations et en analyse
les conséquences.
Qu'est-ce qui vous a amené à passer de l'étude
des grands singes à celle des forêts?
Les grands singes vivent dans des forêts
qui rétrécissent. Un jour à Bornéo, après
avoir participé à un relâcher d'orangs-outans dans
la nature, nous sommes repartis en hélicoptère. Au début,
c'était une forêt superbe, creusée petit à petit
par d'énormes plaies des pistes pour le débardage du bois
ou des grumes. Puis la forêt primaire laissait la place à
d'immenses étendues monotones de palmiers à huile.
Les orangs-outans que l'on récupère
sont issus du trafic parce qu'ils perdent leur habitat : ils se retrouvent
près des routes ou des villages, viennent se nourrir dans les plantations
et se font capturer. Tout est lié. La destruction des forêts
est une menace pour les populations qui y vivent et pour la biodiversité.
En Indonésie, les gens qui travaillent dans les plantations ou les
exploitations forestières sont sous-payés ou payés
en sacs de riz... Tout ça pour que l'on ait dans les supermarchés
du bois exotique pas cher, des tables en tek à bas prix...
Où la situation est-elle la plus tendue?
Il y a un siècle, les forêts
couvraient 12% à 16% des terres immergées, aujourd'hui c'est
5%. Tous les ans, 7,3 millions d'hectares disparaissent, c'est-à-dire
la surface du Panamá. La forêt la plus malmenée, la
plus en danger, c'est celle d'Asie du Sud-Est. L'Indonésie a perdu
80% de sa couverture végétale. |
La déforestation y a vraiment commencé
avec l'arrivée de Suharto au pouvoir, en 1966. Il a bradé
la forêt et a mis en place un système de barons du bois avec
une corruption hallucinante. Les essences intéressantes ont quasi
disparu en dehors des parcs nationaux, sauf qu'aujourd'hui elles sont exploitées
même dans ces parcs. C'est une logique de profit à court terme:
le bois est confisqué par les autorités, les barons du bois
le rachètent et le remettent sur le marché comme étant
du bois provenant de forêt d'exploitation donc légal.
Depuis peu, ils s'attaquent à la Papouasie-Nouvelle-Guinée
qui possédait une des dernières forêts intactes et
ils ont passé des contrats avec la Chine. Ça arrange le pouvoir
de Jakarta qui aimerait se débarrasser des mouvements indépendantistes
papous.
Par quoi remplacent-ils les forêts?
Par de grandes plantations. L'Indonésie
par exemple s'est spécialisée dans l'huile de palme qui est
utilisée partout: les cosmétiques, les détergents,
les plats surgelés, le chocolat, les shampoings... Les ONG qui travaillent
là-dessus sont inquiètes car on parle énormément
des biocarburants (qu'il faudrait plutôt appeler agrocarburants
car ils n'ont rien de bio), mais personne ne voit qu'on ne va pas se contenter
des produits de l'agriculture fançaise en biocarburants. On ira
se fournir en huile de palme car le coût de production sera très
peu élevé: la Malaisie et l'Indonésie sont dans les
starting-blocks et n'attendent que ça. L'Indonésie, qui veut
devenir le premier producteur devant la Malaisie, produisait déjà
plus de 2 millions d'hectares de palmiers à huile, elle a voté
un plan quinquennal pour convertir 7 millions d'hectares supplémentaires
et près de 16 millions sont aujourd'hui programmés. L'objectif
au niveau mondial est de passer de 22 millions de tonnes à 40 millions
avec tout ce que cela implique: dans le meilleur des cas, on rase mais
souvent on met le feu. En 1997-1998, en Indonésie, d'énormes
feux ont détruit de grandes parties de la forêt: on a d'abord
accusé El Niño, on sait que c'est faux: 60% à 75%
avaient été allumés par des propriétaires de
plantations d'huile de palme pour agrandir leur palmeraie.
Les pays européens peuvent-ils agir contre la déforestation
illégale?
D'après un rapport du WWF, l'an dernier,
39%
du bois exotique vendu en France était d'origine illégale.
On le voit à certaines essences dont on sait qu'elles ne peuvent
provenir que de certains parcs. Le merbau, exploité par les Chinois
en Papouasie, est vendu à très bas prix alors que c'est une
espèce menacée. En Chine, une ville entière s'est
construite autour de la transformation du merbau en parquet qui est donc
revendu comme un produit transformé. L'an dernier, une campagne
de pub dans le métro à Paris vantait les mérites du
parquet en merbau. Mais il y a de plus en plus de campagnes contre l'utilisation
de ces essences et le bois illégal.
Leroy Merlin ou Carrefour
ont stoppé la vente de parquets et meubles en teck, d'autres essaient
de faire venir le bois de forêts certifiées. C'est logique
commerciale contre logique durable.
Dans certains endroits heureusement, les essences
sont exploitées de manière sélective. Il existe une
forêt de labels mais aujourd'hui un seul, la certification Forest
Stewardship Council (FSC) apporte des garanties environnementales et
sociales. Il est possible d'exploiter la forêt de manière
durable.
(1) Ces forêts qu'on assassine,
éd. Calmann-Lévy.
En 1950, nous pensions pouvoir faire reverdir les déserts.
En 2050, nous aurons réussi à désertifier la Terre
entière.
2050, SAUVE QUI PEUT LA TERRE! |