RÉSEAU SOL(ID)AIRE DES ÉNERGIES !
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Lumineuses poussées?!
Pour la Science 2005

    Immatérielle, la lumière? Les faisceaux lumineux exercent pourtant des forces bien tangibles et demain, peut-être, ils feront voler des avions ou mettront en orbite des satellites.
     Le 30 avril 2005, le satellite Cosmos 1 devrait être placé en orbite autour de la Terre puis,  tel un voilier, se déplacer et changer d'orbite sous le seul eflet du rayonnement solaire frappant ses ailes. En octobre 2000, la Société américaine Lightcraft Technologies a fait voler, à l'aide de puissantes impulsions laser, un engin miniature de 50 grammes à 71 mètres d'altitude. Comment la lumière propulse-t-elle ces engins? Est-ce la clef du mystere du radiomètre, ce petit moulin placé dans une ampoule de verre qui se met à tourner dès qu'il est éclairé?
     Pour chasser les cailloux d’une surface, les ouvriers du bâtiment dirigent vers eux un puissant jet d'eau. Chaque molécule d'eau qui percute le caillou lui cède de la quantité de mouvement, et toutes ces petites impulsions s'additionnent pour créer une force quasi continue poussant le gravier. Si l'on remplace le jet d'eau par un faisceau lumineux, le phénomène est analogue. La lumière est composée de grains d'énergie, les photons: lorsqu'ils sont absorbés ou réfléchis par une surface, ils lui transfèrent de la quantité de mouvement et exercent ainsi une pression, dite de radiation.

1. Chaque photon transporte une quantité de mouvement égale à son énergie divisée par la vitesse de la lumière. La lumière peut donc pousser la matière. Les «voiles» réfléchissantes du satellite expérimental Cosmos 1 utiliseront ainsi les photons émis par le Soleil pour faire évoluer l'orbite du satellite, en accélérant ce dernier sur sa trajectoire.
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Le choc des photons
     Celle pression lumineuse est très faible. La quantité de mouvement d'un photon étant égale à son énergie divisée par la vitesse de la lumière, un flux de photons exerce sur une surface absorbante (noircie) une force égale à la puissance absorbée diviséepar la vitesse de la lumière. Un fasceau lumineux de un watt exerce ainsi une force de trois milliardièmes de newton - soit, pour une surface de un millimètre carré, une pression de quelques millièmes de pascals.
     Quoiqu'infime, la pression de radiation est efficace quand elle pousse des objets de masse faible ou quand elle agit longtemps. Les physiciens ralentissent ainsi des jets d'atomes dans les expériences où ils créent des nuages atomiques ultra-froids. Un atome de césium a une masse d'environ 3x10-25 kilogramme; percuté chaque seconde par 20 millions de photons de longueur d'onde 850 nanomètres allant à sa rencontre, l'atome subit une accélération égale à 5.000 fois celle de la pesanteur: s'il se déplace à 300 mètres par seconde, l'atome est immobilisé en six millisecondes au bout de un mètre.
     L'action prolongée de la pression de radiation peut se manifester dans l'espace, où aucun frottement ne s'oppose au mouvement. Tel est le principe des voiles solaires (voir la figure 1). Au niveau de la Terre, la puissance solaire reçue par une surface orthogonale au flux lumineux est de 1,4 kilowatt par mètre carré, ce qui correspond à une force de 4 millionièmes de newton. Avec un matériau réfléchissant, on double la valeur de cette force: les photons, réfléchis par le miroir, repartent avec une vitesse opposée à leur vitesse initiale, transférant ainsi deux fois leur quantité de mouvement à la voile.
     Le satellite Cosmos 1, de masse 100 kilogrammes, déploiera une surface alaire de 600 mètres carrés - des voiles fabriquées à base de Mylar, un matériau très léger. En l'absence de gravité, son accélération sera d'environ 50 micromètres par seconde carrée: au bout d'une journée, la vitesse communiquée par la lumière sera de quatre mètres par seconde, c'est-à-dire 14 kilomètres par heure.
     La pression de radiation explique-t-elle le fonctionnement du radiomètre, ampoule de verre où règne un vide partiel et qui contient quatre ailettes en mica montées sur un axe? Chaque ailette a une face naturelle réfléchissante et une face noircie absorbante. Comme on l'a vu, la force exercée par les photons sur la face brillante est le double de celle qui agit sur la face noire. On s'attendrait donc à ce que le radiomètre tourne dans le sens de la poussée sur les faces réfléchissantes.

2. Les ailettes du radiomètre tournent grâce à l'action de la lumière. Dans un vide parfait, la face réfléchissante de chaque ailette subirait une poussée double de celle de la face noire. En pratique, le vide est partiel et les ailettes tournent dans le sens inverse à celui attendu: les molécules de l'air, plus rapides à proximité de la face noire (où l'air est plus chaud), percutent de biais le bord de l'ailette plus violemment que les molécules proches de la face réfléchissante, d'où une force nette
(flèche jaune).

Le radiomètre trompe son monde
     Or on observe le contraire: c'est la face sombre qui pousse le plus! Que se passe-t-il? Nous avons oublié que l'énergie transportée par la lumière peut se transformer en chaleur. Dans le radiomètre, seule la face noircie absorbe l'énergie lumineuse et s'échauffe peu à peu. Cette face, plus chaude que le gaz ambiant, céderait-elle son énergie aux molécules d'air qui la frappent, leur donnant plus de vitesse et subissant ainsi une force de réaction plus importante que la face brillante?
Cette explication serait valable en cas de pression très faible. Mais dans les radiomètres usuels, les multiples collisions entre molécules ont pour effet d'égaliser les pressions de part et d'autre de l'ailette. Comme l'a compris James Clerk Maxwell en 1879 en reprenant une idée d'Osborne Reynolds, la clef de l'énigme - subtile et complexe dans ses détails - se trouve sur les bords des ailettes et non sur leurs faces: sur des distances de l'ordre de l'épaisseur de l'ailette, les molécules ne subissent pas de collisions mutuelles.

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Étant plus rapides, les molécules de l'air du côté chaud percutent obliquement les bords de l'ailette avec plus de violence que les molécules du côté froid; la force nette est donc dirigée de la face sombre vers la face brillante (voir la figure 2).


3. L'engin volant expérimenté par Lightcrajt Technalogies est propulsé par un faisceau laser - d'une puissance de dix kilowatts - arrivant par en dessous. Grâce à la forme particulière de l'objet, les rayons lumineux sont focalisés sur la face interne de sa couronne, où ils chauffent l'air ambiant à plus de la 10.000°C. La puissante dilatation de l'air ainsi ionisé (figuré ici par une lueur blanche)crée sur l'engin une poussée dirigée vers le haut.

     Le détour par le radiomètre montre que l'absorption de lumière permet d'élever la température et de faire circuler l'air. Le projet expérimental de Lightcraft Technologies est bâti sur cette idée: une source lumineuse chauffe à distance le gaz dans la chaudière d'un engin, gaz dont l'éjection propulse l'engin. Une maquette de 50 grammes, soumise à un faisceau laser de 10 kilowatts, s'est ainsi élevée dans le désert du Nouveau-Mexique à 71 mètres de hauteur. La lumière du laser, focalisée le long d'une couronne grâce à la forme paraboloïde de la face inférieure de l'engin (voir la figure 3), a porté l'air ambiant à plus de 10.000°C, soit plus que la température de surface du Soleil. A une telle température, les molécules de l'air sont totalement ionisées et la brutale dilatation du plasma ainsi formé pousse l'engin. Reste que, pour satelliser une masse de un kilogramme, il faudra un laser d'au moins un mégawatt...

Jean-Michel Courty
Edouard Kierlik

K. AOKI et al., A rarefied gas flow caused by a discontinuous wall temperatur, in Physics of Fluids, vol.13 (9), pp. 2645-2661, 2001.
Voiles solaires: www.solarsail.org/
Expériences de Lightcroft: www.lightcrafttechnologies.com/