(Christophe Lepetit/ Le Figaro Magazine)
Pourquoi se construit-il tant d'éoliennes?
On comptait, selon
le Syndicat des énergies renouvelables (SER), 1.500 éoliennes
pour une puissance de 2.700 mégawatts (MW) fin 2007, réparties
dans 341 parcs éoliens en métropole; 130 nouveaux parcs,
représentant 450 éoliennes, ont été installés
courant 2007. Les éoliennes devraient être 3.500 en 2010,
pour une puissance de 7.300 MW, et plus de 8.000 en 2020 (dont 850 en mer)
pour une puissance de 25.000 MW.
Selon ses partisans,
le recours à l'éolien permet de diversifier nos ressources
énergétiques, objectif louable avec la hausse du prix du
pétrole et le fait que les combustibles traditionnels – gaz, pétrole,
charbon – sont épuisables et polluants. L'éolien va dans
le sens des accords de Kyoto, ratifiés par la France et l'Union
européenne, qui prévoient une réduction de 8% des
émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2008-2012
afin de lutter contre le réchauffement climatique. Les éoliennes
sont enfin le fer de lance des énergies propres pour atteindre une
production de 21% d'électricité d'origine renouvelable à
l'horizon 2010, objectif fixé par la loi d'orientation sur l'énergie
du 13 juillet 2005. «Seul l'éolien peut nous permettre
de parvenir à cet objectif, affirme Michel Lenthéric,
chargé de mission à l'Ademe (Agence de l'environnement et
de la maîtrise de l'énergie). L'énergie hydraulique
a atteint ses limites. Et les coûts de production de l'éolien
sont moins élevés que ceux des panneaux photovoltaïques.»
Mais pour les nombreuses
associations opposées aux éoliennes, dont la Fédération
environnement durable ou Vent de colère sont les plus en pointe,
elles sont une imposture écologique. Ces associations font valoir
que la France est le pays d'Europe dont la production d'électricité
provoque le moins de rejet de CO2 par habitant. Notre électricité
provient pour 76,85% de l'énergie nucléaire, qui pose certes
le problème de la gestion des déchets, de l'approvisionnement
à terme en uranium, mais n'émet aucun gaz à effet
de serre. Elle provient aussi de l'énergie hydraulique, ressource
propre et renouvelable à hauteur de 11,6%. La part de l'énergie
thermique (gaz, charbon, pétrole) monte à 10% et celle de
l'éolien à 0,73%. «Nous n'avons pas besoin de l'éolien,
soutient Christian Gerondeau parce que les énergies nucléaire
et hydraulique répondent à nos besoins. Pour preuve, nous
exportons 10% de notre production d'électricité. Lors des
périodes de grand froid, où la demande d'électricité
est supérieure, nous faisons appel aux centrales thermiques, qui
émettent des gaz à effet de serre. L'utilité d'une
éolienne serait de s'y substituer à ces occasions. Or les
périodes de grand froid sont des périodes anticycloniques
où il arrive que le vent soit absent sur la totalité de notre
territoire.» Météo France confirme et nuance à
la fois: lors de ces épisodes anticycloniques, le vent peut souffler
dans certaines régions, notamment le Sud. Là où il
fait le moins froid!
Participent-elles à la diminution du
CO2?
Selon les chiffres
avancés par France Energie éolienne, 25% de l'électricité
produite par ces ailes aériennes permettrait une réduction
de 20% des émissions de gaz à effet de serre. Le Réseau
action climat, qui regroupe plusieurs ONG, a calculé de son côté
que 5% des émissions de CO2 seraient évitées
grâce à l'éolien. «Pure propagande»,
rétorquent les associations. «Dix mille éoliennes
produisant 25.000 MW ne peut que réduire de 0,5% les émissions
françaises de CO2, soutient Jean-Louis Butré,
président de la Fédération environnement durable.
Pire encore, en développant les éoliennes, on multiplie le
recours aux centrales thermiques.» Selon la Commission de régulation
de l'énergie, l'éolien ne contribue que de façon marginale
à la réduction des émissions de gaz à effet
de serre, simplement parce qu'il s'agit d'une production intermittente,
qui ne peut être stockée et qui doit être relayée
par d'autres sources d'énergie. «Les éoliennes ne
tournent que de 20 à 25% du temps, car elles ne fonctionnent pas
lorsque le vent est trop faible ou trop fort! explique Jean-Marc Jancovici,
ingénieur conseil. Nous sommes donc contraints de disposer en
renfort de centrales thermiques ou hydrauliques, qui sont les seules à
avoir une souplesse de mise en marche permettant de compenser instantanément
les variations de la production éolienne.» L'Allemagne,
pays leader de l'énergie éolienne et qui entend renoncer
à l'énergie nucléaire, vient de donner son feu vert
à la construction de plus d'une vingtaine de centrales thermiques
à charbon. Retour fumeux vers le XIXe siècle! Sans parler
du Danemark, champion de l'éolien et l'un des plus fort émetteurs
de CO2 par habitant. En France, plusieurs projets de centrales
thermiques sont à l'étude: sur le port du Havre, à
Beaucaire, dans le Gard, à Saint-Brieuc en Bretagne, à Bastelicaccia
en Corse-du-Sud, à Lucenay-lès-Aix dans la Nièvre...
L'envers du décor n'est pas si vert...
Combien coûte l'électricité
produite par les éoliennes?
L'arrêté
ministériel du 10 juillet 2006 impose à EDF un tarif de rachat
de l'électricité produite par les éoliennes de 8,2
centimes € par kilowattheure (KWh), soit 82,8 € par mégawattheure
(MWh), et ce pendant dix ans. Le tarif varie ensuite de 8,2 à 2,8
centimes €le kilowattheure les cinq années suivantes, en fonction
des rendements. Plus ils sont faibles, plus le tarif de rachat est élevé.
Autrement dit, moins elles produisent, plus elles rapportent! Les promoteurs
sont assurés d'un retour sur investissement même dans les
sites les plus mal choisis. Cela ne peut que les inciter à implanter
des parcs dans des sites peu venteux, mais aussi encourager certains d'entre
eux à limiter leur production dans les sites venteux. Pendant ce
temps, la note s'alourdit pour la collectivité. Car ces prix sont
bien au-delà des prix du marché de l'électricité,
qui fluctuent quotidiennement entre 4 et 5,5 centimes le kilowattheure
(40 et 55 € le mégawattheure). A titre de comparaison, le prix
de revient d'un mégawattheure d'origine thermique varie entre 30
et 45 € et celui d'un mégawattheure d'origine nucléaire
descend à 26 €, selon le Journal officiel du 27 juillet 2006.
Si ce tarif, supérieur
au prix du marché, est une véritable aubaine pour les promoteurs,
il pèse sur la facture d'électricité du consommateur.
C'est lui qui paie les surcoûts liés aux obligations d'achat
d'électricité des énergies renouvelables sous la forme
d'une «contribution aux charges de service public d'électricité
(CSPE)», mentionnée sur la note d'électricité
et qui se monte à 0,53 € TTC par kilowattheure. Plus EDF achètera
d'électricité provenant de l'éolien, plus cette contribution
augmentera.
Depuis le 13 juillet
2007, pour bénéficier du tarif de rachat d'EDF, les éoliennes
doivent être construites sur une «zone de développement
de l'éolien» (ZDE). Mais toutes les demandes de permis
déposées avant cette date ont droit au tarif de rachat d'EDF
quel que soit l'endroit où les éoliennes se trouvent. Il
y a fort à parier que les dépôts de permis de construire
remis avant la date fatidique se sont envolés. Leur nombre exact
n'a pas encore été éventé...
A qui profite l'argent des éoliennes?
D'abord, selon les
différents vocables, à leurs promoteurs, développeurs,
opérateurs. Avec un tarif de rachat d'électricité
de 82 € le mégawattheure, chaque éolienne de 2 MW garantit
à son promoteur 360.000 € de revenu annuel pour un temps de
fonctionnement moyen annuel de 2.200 heures. Une opération rentable.
Le coût de l'éolienne installée se situe, selon France
Energie éolienne, entre 1 million et 1,3 million €. Soit un
amortissement entre trois et cinq ans maximum. Pas étonnant qu'elles
aient le vent en poupe.
On comprend mieux
dès lors le mistral de spéculations que fait souffler cette
source d'énergie. Le vent vaut de l'or. C'est ainsi que le groupe
Suez a acheté 50,1% des parts de la Compagnie du vent, spécialisée
dans la promotion d'éoliennes, pour un montant de 321 millions €.
Or, le chiffre d'affaires de la Compagnie du vent se limite à 11
millions €. Mais elle serait «riche» de signatures d'élus
pour des permis de construire permettant la production de 2.000 MW. «Ce
qui valorise chaque mégawattheure à plus de 300.000 €,
poursuit Christian Gerondeau. Avec 6 à 10 éoliennes et
une puissance de 12 à 30 MW, la valeur de chaque signature obtenue
varie de plus de 3 millions € à près de 10 millions.
Le tout sans le moindre risque.» La manne profite aussi aux fabricants
(essentiellement allemands, danois, espagnols). Les grands groupes ne s'y
trompent pas et investissent en masse. Quelques exemples: Areva a acheté
51% de la société Multibrid, un concepteur et fabricant d'éoliennes
basé en Allemagne et spécialisé dans les turbines
offshore de grande puissance, valorisant l'entreprise à 150 millions
€. De son côté, Alstom a pris le contrôle d'Ecotècnia,
une entreprise espagnole qui fabrique et commercialise des éoliennes,
pour un montant de 350 millions €. |
L'argent s'envole,
avec quelques retombées – bien plus modestes – pour les propriétaires
des terrains et pour les communes. Les premiers se voient attribuer un
loyer de 1.000 à 2.500 € par an et par éolienne. Les
secondes perçoivent annuellement, par le biais de la taxe professionnelle,
500 à 700 € par an et par mégawatt, après une
période de déduction fiscale au bénéfice du
développeur. On compte aussi quelques retombées pour l'emploi:
5.000 ont été créés, selon le Syndicat des
énergies renouvelables, via les bureaux d'études, le travail
d'installation et de maintenance des parcs. Mais rien pour les riverains,
qui se plaignent d'une dépréciation de leur bien immobilier.
Aucune étude n'ayant été effectuée, Notaires
de France ne peut confirmer cette donnée. Un signe éloquent
toutefois: le groupe d'assurances MMA propose un contrat «garantie
revente» qui couvre la perte de valeur de revente des propriétés,
notamment en cas d'implantation d'éoliennes à proximité...
Comment se monte un projet?
Une petite brise
suffit. Le grand reproche des associations, c'est le manque de transparence
dans la création des sites éoliens. «Dans la majorité
des cas, les projets sont montés à l'insu des habitants,
affirme Jean-Louis Butré. Des promoteurs démarchent des agriculteurs
et leur font signer des promesses de bail en faisant miroiter un revenu
supplémentaire. Puis ils persuadent les élus avec deux arguments:
la taxe professionnelle et l'action citoyenne pour lutter contre le réchauffement
climatique. Dans les faits, on constate que nombre d'éoliennes sont
situées sur un terrain appartenant aux élus des communes.»
Un diagnostic à
peine nuancé par Jean-Yves Grandidier. «Nous essayons d'obtenir
une délibération du conseil municipal pour une étude
d'implantation, tout en s'assurant la disposition du foncier par la signature
de promesses de bail. Les études coûtent cher.»
Celles-ci sont à la charge du promoteur qui choisit le bureau d'études.
Elles intègrent une enquête sur l'impact des éoliennes
sur les oiseaux et une étude sur le bruit. De fortes nuisances ne
rendent pas pour autant le projet caduc. Le promoteur peut modifier l'implantation
des éoliennes ou proposer, dans son dossier, des mesures compensatoires:
contrat d'agriculture durable, aides pour l'achat de friches, proposition
d'équipements tels que des visualisateurs de ligne à haute
tension pour les oiseaux... Du vent et des verroteries, selon les associations.
L'étude d'impact est jointe à la demande de permis de construire
déposée dans la commune, qui la transmet dans les quinze
jours à la Direction départementale de l'équipement
(DDE). Celle-ci examine la légalité du dossier, puis le communique
à tous les services de l'Etat concernés (Diren, Drire, Direction
de l'aviation civile, Service départemental de l'architecture et
des paysages, etc.). Tous émettent un avis – favorable ou défavorable
–, qui reste uniquement consultatif. Une majorité d'avis négatifs
n'empêche pas l'obtention du permis! Le dossier est ensuite transmis
à la préfecture, qui lance une enquête publique. Puis
le tribunal administratif nomme un commissaire-enquêteur, souvent
un retraité de l'administration... des gendarmes, des douaniers...
pas forcément spécialisés... L'enquêteur rencontre
les élus des communes et organise des permanences à jours
fixes. Théoriquement, toute personne qui le souhaite peut consulter
le dossier et déposer son avis sur un registre. Elle doit faire
vite, le vent presse, l'enquête ne dure qu'un mois. Puis le commissaire-enquêteur
remet, avec avis, son rapport au préfet qui accorde ou non le permis
de construire. Missionnaire de l'Etat, le préfet se trouve souvent
en position délicate. Entre le marteau et l'enclume, sa décision
est, selon le cas, contestée au tribunal administratif, soit par
les associations, soit par le promoteur. Le recours n'arrête pas
le processus, mais, dans la pratique, le projet peut être suspendu
jusqu'au jugement. En 2004, 33% des permis accordés ont fait l'objet
d'un recours et 27% en 2005.
Depuis juillet 2007,
les ZDE sont initiées par les communes ou les communautés
de communes. Elles définissent un périmètre apte à
recevoir des éoliennes répondant à trois critères:
un potentiel éolien (donc, théoriquement, du vent), une possibilité
de raccordement au réseau et la prise en considération des
paysages et des monuments. Pour Henri de Lepinet, président de l'Union
Rempart, qui regroupe des associations de sauvegarde du patrimoine, «le
risque aujourd'hui est de voir proliférer une profusion de ZDE sur
l'ensemble du territoire de façon à multiplier les possibilités
d'installer des éoliennes.» Peut-être n'a-t-il pas
tort. Des éoliennes sur un seul village, et la manne que représente
la taxe professionnelle bénéficie dans ce cas à toute
la communauté de communes.
Les éoliennes détruisent-elles
le paysage?
Un sondage ELP/SER/France
Energie éolienne réalisé en septembre 2007 montre
que 90% des Français sont favorables à leur développement.
Pour beaucoup, les éoliennes ont bonne image et belle allure. Certains
considèrent qu'elles participent à l'organisation du paysage,
tout comme, en leurs temps, les aqueducs, les viaducs, les moulins à
vent, les voies routières... Mais pour ceux qui sont au pied du
pylône, elles sont d'abord des machines posées sur un socle
de plus de 1.000 tonnes de béton, pouvant atteindre 150 mètres
de haut, qui massacrent leur environnement proche, leur portent ombrage
et font du bruit. A titre de comparaison, les plus grands pylônes
électriques culminent à 48 mètres de hauteur. «Si
une éolienne n'est pas inesthétique, sa multiplication devient
catastrophique pour les paysages», affirme Paule Albrecht, présidente
de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique
de la France. Même discours tenu par Didier Wirth, président
du Comité des parcs et jardins de France: «L'éolien
n'a aucun intérêt, ni économique, ni énergétique,
ni écologique. Alors, pourquoi sacrifier le patrimoine paysager
de la France?» L'Académie des beaux-arts apporte son soutien
dans un livre blanc sur les éoliennes. Elle dénonce leurs
dimensions excessives et leur manque d'harmonie avec le paysage. «D'autant
que les parcs sont dispersés et que les promoteurs n'hésitent
pas à les installer dans des zones protégées: parcs
nationaux, régionaux, zones Natura 2000... ou à proximité
de magnifiques monuments, constate Philippe Toussaint, président
de Vieilles maisons françaises. On oublie que les éoliennes
de 150 mètres de haut sont visibles à 10 kilomètres
à la ronde.» Les exemples malheureux sont monnaie courante.
C'est pourquoi la Réunion des associations nationales de sauvegarde
du patrimoine bâti et paysager, surnommé le «G8 du
patrimoine et de l'environnement», demande à ce qu'on
applique aux éoliennes la réglementation des installations
industrielles, que l'on impose une distance de 10 kilomètres par
rapport aux sites classés et inscrits, en excluant toute éolienne
des lieux protégés. Actuellement, en l'absence de cadre réglementaire,
tous les débordements sont permis. Seule reste la concertation au
moment de l'enquête publique et... la bonne volonté du promoteur.
«S'il y a un impact, il est réversible, assure Jean-Yves
Grandidier. Les contrats sont limités à quinze ans, et
la durée de vie d'une éolienne est de vingt ans. La loi du
3 janvier 2003 impose aux constructeurs de parcs éoliens de déposer
une caution bancaire pour garantir le démontage des installations.»
Sauf qu'à ce jour, cette règle n'est que du vent. Aucun décret
d'application n'est venu l'encadrer.
Sont-elles bruyantes et dangereuses?
«Vivre près
d'une éolienne, c'est subir le bruit d'une centrifugeuse»,
raconte Auguste Dupont, habitant de Sortosville dont le logement est situé
à 320 mètres d'une éolienne. «Avec les vibrations
des pales, poursuit-il, ma maison construite sur une dalle de ciment se
fissure.» Le ronronnement du frottement des pales se mêle
aux grincements provenant des engrenages de l'appareil. Le bruit n'est
pas permanent, mais son intensité et sa portée varient en
fonction de la vitesse et de l'orientation du vent, et de la topographie
des lieux. «Des études sont réalisées par
les opérateurs. Et la règlementation impose que le bruit
ne dépasse pas 3 décibels la nuit et 5 décibels le
jour, explique Jean-Louis Bal, directeur des énergies renouvelables
à l'Ademe. Des progrès sont réalisés et
les dernières générations d'éoliennes sont
moins bruyantes.» Le problème est réel, au point
que l'Académie de médecine a pris position. Elle recommande
d'installer les éoliennes d'une puissance supérieure à
2,5 MW à plus de 1.500 mètres des habitations, en rappelant
qu'à des intensités modérées, le bruit peut
perturber le sommeil, entraîner des réactions de stress et
se répercuter sur l'état général. Au-delà
du bruit et des paysages, les parcs éoliens perturbent l'activité
des radars et en particulier des radars météorologiques qui
permettent de détecter les vitesses des vents et de prévoir
des événements climatiques tels que les tempêtes, les
tornades... Un comble! Mais, comme dit le proverbe, qui sème le
vent... |