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Article rédigé par Jean-François Desessard.
Le 6 décembre 2007, à Paris,
s'est tenu un symposium intitulé "Transport aérien : le challenge
de l'environnement". Organisé par l'américain Boeing et ses
partenaires industriels français, cet événement, auquel
ont participé les meilleurs experts sur le sujet, a permis alors
de "planter le décor" comme le rappelle Yves Galland, président
de Boeing France, et d'approfondir un certain nombre des défis technologiques
que l'industrie aéronautique va devoir relever au cours des prochaines
décennies. Prolongement naturel de ce symposium, l'ouvrage "Révolution
aéronautique, le défi de l'environnement", que vient de publier
Yves Galland, en collaboration avec Gil Roy, chez l'éditeur Pearson,
est l'occasion de découvrir ce que pourrait être l'avion de
demain. L'émergence de ce dernier nécessitera évidemment
des révolutions technologiques mais aussi un changement profond
des comportements, tant au niveau de la gestion du trafic aérien
que du démantèlement et du recyclage des avions en fin de
vie.
Selon le Groupe d'experts intergouvernemental
sur l'évolution du climat (GIEC), en 2007 le transport aérien
a été à l'origine de l'émission dans l'atmosphère
de 700 millions de tonnes de CO2, ce qui représente 2%
du total des émissions de dioxyde de carbone liées aux activités
humaines. Rappelons qu'il y a une quinzaine d'années, ce même
GIEC, dans un rapport, avait estimé que la part du transport aérien
dans les émissions de CO2 à l'échelle de
la planète était alors de 2%. Autrement dit, cette part est
restée constante durant cette période alors que le nombre
de passagers transportés dans le même temps a quasi doublé,
puisqu'il est passé de 1,166 milliard en 1993 à 2,2 milliards
en 2007. Quant au tonnage du fret aérien, il a connu une spectaculaire
augmentation de 130% au cours de la même période. C'est dire
l'importance des progrès accomplis par l'ensemble des acteurs du
secteur aéronautique, progrès techniques, certes, mais qui
ont nécessité aussi la modernisation et une meilleure gestion
des flottes des compagnies aériennes (voir "Le trafic aérien
en quelques chiffres" en fin d'article).
Aujourd'hui, le GIEC, toujours lui, prévoit
qu'à l'horizon 2050, les émissions de gaz à effet
de serre liées au transport aérien devraient avoir doublé.
De leur côté, les organisations du transport aérien
dans leur ensemble se sont fixé pour objectif de parvenir à
une croissance neutre en termes de carbone, leur ambition étant
un futur sans émissions de CO2. Pourtant, la progression
moyenne du trafic aérien mondial au cours des vingt prochaines années
est évaluée à 5% pour le transport de passagers et
à 5,8% pour le transport de fret. Le volume des passagers aériens
devrait atteindre 4,5 milliards en 2025. Selon une étude de Boeing
sur les perspectives de marché entre 2008 et 2027, le nombre d'avions
en service devrait être de 35.800, contre 19.000 aujourd'hui, soit
un quasi doublement de la flotte mondiale en moins de vingt ans. L'avionneur
américain précise que 82% des appareils en service à
l'horizon 2027 n'existent pas aujourd'hui.
Certes, l'industrie aéronautique a
toujours su relever les défis qui lui ont été lancés
au cours de son histoire. Ainsi le remplacement progressif des matériaux
métalliques par des composites dans les cellules d'avions a permis
de concevoir des appareils plus légers. Rappelons que dans le 787
Dreamliner, la part de composite s'élève à plus de
50%. Cet allègement et les progrès réalisé
au niveau de l'aérodynamique ont contribué pour une part
significative à la réduction de la consommation des avions.
Une autre part, tout aussi importante, sinon plus, résulte en particulier
de l'introduction de nouvelles technologies qui ont permis à la
propulsion de progresser considérablement. Les moteurs à
grand taux de dilution en sont un parfait exemple.
Autant de progrès qui ont conduit à
une réduction de 60% de la consommation des moteurs des avions de
ligne entre 1960 et 2000! Aujourd'hui, les avions les plus récents
présentent une consommation qui oscille entre 2,3 et 3,6 litres
et 61 et 95 grammes de CO2 par passager et par kilomètre.
Cela dit, le défi environnemental que l'industrie aéronautique
va devoir relever au cours des prochaines décennies apparaît
comme d'autant plus difficile qu'il nécessitera non seulement des
sauts technologiques mais également la mise en place de solutions
globales d'ordre économique, politique et sociétal.
Inventer la "machine volante" de 2050
Les auteurs de "Révolution aéronautique,
le défi de l'environnement" posent clairement le problème
tel qu'il se présente aujourd'hui. Certes, les performances de la
nouvelle génération d'avions vont être à nouveau
optimisées. Ainsi, le 747-8, future version du Jumbo Jet, émettra
16% de CO2 en moins que l'actuel 747-400 et sera 30% moins bruyant.
"Mais il semble que l'industrie ait atteint les limites de la formule
actuelle", constatent-ils. D'où la nécessité de
la remettre en question et d'envisager un avion fondamentalement "différent",
pour ne pas dire "révolutionnaire". Autrement dit, il s'agit d'inventer
"la machine volante" de 2050, un appareil forcément silencieux et
qui ne rejettera aucun gaz à effet de serre. Dans ces conditions,
aucune piste ne doit être négligée. Rappelons-nous
que la devise des pionniers de l'aviation était: "Osez". "Aujourd'hui,
l'industrie aéronautique doit oser, d'autant qu'elle maîtrise
les outils de simulation qui lui permettent de le faire sans risque",
souligne Yves Galland, président de Boeing France.
Faire émerger l'avion de demain, qui plus
est inventer un nouveau transport aérien, cela passe nécessairement,
pour commencer, par une réflexion sur l'évolution significative
de la géométrie des avions. Véritable serpent de mer
pour certains, l'aile volante reste néanmoins une piste que Boeing
ne s'interdit pas d'explorer. "Il s'agit en effet d'une formule aérodynamique
qui permet de réduire significativement la traînée
de l'appareil et de réaliser une économie de carburant pouvant
aller jusqu'à 20%", indique le président de Boeing France.
D'ores et déjà une aile volante d'une envergure de 75 mètres
a fait l'objet d'études dans le cadre des programmes militaires
menés par l'avionneur américain. Semblable quant à
son aérodynamique, une maquette de cette aile a volé en 2007.
Aujourd'hui, il n'est pas envisagé d'offrir ce type d'appareil au
transport de passagers. Cela dit, ces expérimentations contribuent
à faire avancer la recherche. Autre solution explorée, cette
fois-ci au sein du Bauhaus Luftfahrt, un institut de recherche allemand
qui regroupe des acteurs de l'industrie aéronautique comme EADS
et des pouvoirs publics, l'avion hybride "Hyliner" dont la particularité
est de disposer d'un système de propulsion intégré
à la cellule, l'objectif étant de réduire à
la fois le bruit et la consommation de carburant tout en préservant
la capacité de transport.
Dans un contexte de volatilité du prix
du baril de pétrole sur fond de pression environnementale s'exerçant
sur le transport aérien, la recherche d'un carburant de substitution
au kérosène apparaît, plus que jamais, comme une priorité.
La piste que représentent les carburants de synthèse, dérivés
en particulier du gaz et du charbon, semble envisageable sur le court terme.
Si leur compatibilité avec les moteurs existants est leur principal
atout, il reste que le bilan carbone de ces carburants de synthèse
se trouve grevé du fait de leur procédé de fabrication,
ce qui implique de trouver un moyen de capturer les émissions de
CO2 au cours de cette étape. Une autre piste, celle des
biocarburants de deuxième génération dérivés
de cultures non alimentaires, apparaît comme prometteuse à
plus long terme. "Notre réflexion porte exclusivement sur des
carburants du futur qui ne viennent aucunement empiéter sur les
productions agricoles et les terres arables. En effet, le défi de
la faim dans le monde nous interdit de concevoir des biocarburants qui
puissent y faire concurrence", précise Yves Galland.
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Plusieurs solutions sont alors envisagées
parmi lesquelles les algues, en particulier les algues vertes unicellulaires
dont le rendement est d'environ 40.000 litres de biocarburant par hectare
et par an, et le Jatropha curcias, une plante qui prolifère dans
les régions tropicales et dont le fruit est riche en huile. Un test
est d'ores et déjà programmé par Boeing sur un 747
d'Air New Zealand utilisant un carburant à base de Jatropha curcias.
Rappelons qu'un premier essai en vol, effectué en février
2008 par Boeing et Virgin Atlantic sur un 747-400, a déjà
permis de tester un carburant hydride à base d'huile de noix provenant
de deux types de palmiers qui sont le babassu et le coco: voir notre page
dédiée.
L'hydrogène liquide est évidemment
évoqué par les constructeurs, mais à beaucoup plus
long terme. Supérieur au kérosène - 2,8 fois supérieur
à poids égal -, son contenu énergétique permettrait
en effet de réduire le poids au décollage ou d'emporter une
charge marchande plus élevée. En revanche, outre la nécessité
d'une nouvelle motorisation, le volume et l'isolation nécessaires
à son stockage exigeront inévitablement une nouvelle conception
de la cellule. Par ailleurs, il faudra étudier soigneusement les
caractéristiques et la formation des traînées de condensation
lors d'essais en vol, les quantités d'eau rejetées étant
alors plus grandes. Lancé au début des années 2000
par l'Union européenne, un projet de recherche baptisé Cryoplane
a déjà permis de "défricher" le problème (voir
"Premier pas vers l'avion électrique" en fin d'article).
Nécessité d'optimiser la gestion du trafic aérien
Aujourd'hui, chaque minute de vol supplémentaire
d'un avion entraîne l'émission de 160 kg de CO2.
Il est donc impératif de ne pas accroître mais plutôt
de réduire les temps de vol des avions, ce qui n'est pas facile
dans la configuration actuelle du système de gestion de la navigation
aérienne. Rappelons en effet que le trafic aérien est toujours
soumis à des prérogatives nationales. D'où l'existence
de passages obligés, correspondants à des entrées
et des sorties de territoires aériens, qui engendrent des trajets
segmentés. Résultat, un allongement du temps de vol, un phénomène
que renforce l'organisation en hub des aéroports, puisque celle-ci
entraîne des saturations et des files d'attente aux heures de pointe.
Certes, l'optimisation des itinéraires,
une meilleure gestion des arrivées et le contrôle de la vitesse
des avions permettront à terme de réduire sensiblement les
retards et les temps de vol, ce qui conduira par conséquent à
une baisse de consommation en carburant et à une réduction
des émissions, notamment de CO2. Cette optimisation du
système actuel pourrait permettre un gain de 12% de capacité
supplémentaire. Cela dit, rappelons-nous que le trafic aérien
devrait doubler d'ici 2027. Dans ce contexte, une véritable rupture
technologique est nécessaire.
Cela passera notamment par la généralisation
de la navigation par satellites, la simplification de l'espace aérien,
l'optimisation des systèmes de transmission de données et
la gestion de l'espace aérien et des trajectoires en 4D. "Aujourd'hui,
le contrôleur est au coeur du système. Dans le futur, tout
en conservant une vision de l'ensemble des avions, il pourra se concentrer
uniquement sur les vols susceptibles de poser un problème",
explique Yves Galland. Mais pour être pleinement efficace, un tel
système exige une interopérabilité totale de la gestion
du trafic aérien. D'où l'importance de l'accord de coopération
signé au printemps 2008 entre Boeing et Airbus. Son but est d'assurer
l'interopérabilité mondiale de la gestion du trafic aérien
- Air Traffic Management ou ATM - et de contribuer à réduire
l'impact de l'aviation sur l'environnement.
Vers un démantèlement et un recyclage propres
Au cours des vingt prochaines années,
7.000 à 8 500 avions devraient être retirés du service.
Aussi devront-ils être démantelés et recyclés
dans le cadre d'une filière spécifique et réglementée.
Aujourd'hui, 80% des matières premières des avions traités
sont valorisés. Les 20% restants sont des matériaux composites
dont le recyclage reste techniquement compliqué puisqu'ils associent
différents matériaux. D'où la nécessité,
pour les traiter, de connaître leur pedigree et leur parcours. "Afin
d'optimiser ces opérations, nous avons intégré le
recyclage des matériaux composites dès le stade de la conception
du 787", souligne Yves Galland. En juillet 2008, un accord a été
signé entre Boeing et l'industriel italien Alenia, celui-ci visant
à la création de la première unité de recyclage
des composites en Italie, en collaboration avec Milled Carbon (Royaume-Uni),
Karborek (Italie) et l'Enea (Italie). Implanté dans la région
de Puglia, non loin des installations d'Alenia Aeronautica, cet ensemble
aura une capacité de traitement de 1.100 tonnes de déchets
composites par an. L'enjeu est d'autant plus important que la fibre de
carbone recyclée possède des propriétés comparables,
voire supérieures à celles de la fibre originelle.
"Certes, la mise en place de filières
structurées et encadrées est la condition d'un meilleur respect
de l'environnement. Mais elle permet aussi d'éviter que cette activité
ne vienne alimenter un marché illégal de pièces détachées",
se félicite le président de Boeing France. C'est dans ce
contexte que Boeing et Airbus ont respectivement initié "Pamela"
et "Afra", deux associations professionnelles destinées à
fédérer les acteurs sur des objectifs communs, le but étant
de doter l'industrie aéronautique des moyens de faire face à
l'ampleur du défi à relever. Un de plus!
Le point sur:
Le trafic aérien en quelques chiffres
Dans un contexte où la croissance moyenne
de l'économie mondiale est d'environ 3,6%, le transport aérien
a enregistré une croissance annuelle moyenne de 4,8% au cours de
ces vingt dernières années. En 2007, l'ensemble des compagnies
aériennes a transporté 2,2 milliards de personnes, soit une
progression annuelle de 7,4%. Quarante millions de tonnes de fret, soit
35% des marchandises échangées au niveau mondial, ont été
traitées par ces compagnies, ce qui correspond à une augmentation
de 4,3% par rapport à 2006. Enfin, l'aviation génère
6,7 millions d'emplois directs dans le monde.
Premier pas vers l'avion électrique
Début 2008, Boeing a fait voler un
avion léger biplace équipé de pile à combustibles.
Système électrochimique, la pile à combustible permet
de convertir directement de l'hydrogène en électricité
et en chaleur sans aucune combustion, d'où l'absence d'émissions
dans l'atmosphère. Ce démonstrateur de Boeing utilise un
système hybride constitué de batteries lithium-ion et d'une
pile à combustible de type PEMFC pour alimenter un moteur électrique
couplé à une hélice classique. Lors des deux phases
de vol qui nécessitent le plus de puissance, c'est-à-dire
le décollage et l'atterrissage, le système puise dans les
batteries légères lithium-ion, la pile à combustible,
pour sa part, fournissant la puissance nécessaire à la phase
de vol en croisière. Ces essais en vol ont démontré
pour la première fois qu'un aéronef piloté peut conserver
son niveau de vol avec des piles à combustibles comme unique source
d'énergie.
Pour en savoir plus:
- Boeing France, Yves Galland, président de Boeing France et
vice-président de Boeing International, tél. : 01 70 37 07
07, pauline.bucaille@boeing.com
A lire également:
- GALLAND, Y. et ROY, G. Révolution aéronautique, le
défi de l'environnement. Paris : éd. Pearson, 2008. 167 p.
Origine: Technologies Internationales 150 (2/02/2009 ) - ADIT |