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Inventer un nouveau transport aérien
ADIT, mars 2009

     Que sera l'avion de demain? Une chose est certaine: il va nécessiter des révolutions technologiques, certes, mais aussi un changement profond des comportements, tant en matière de gestion du trafic aérien que du recyclage des avions en fin de vie.
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Article rédigé par Jean-François Desessard.

     Le 6 décembre 2007, à Paris, s'est tenu un symposium intitulé "Transport aérien : le challenge de l'environnement". Organisé par l'américain Boeing et ses partenaires industriels français, cet événement, auquel ont participé les meilleurs experts sur le sujet, a permis alors de "planter le décor" comme le rappelle Yves Galland, président de Boeing France, et d'approfondir un certain nombre des défis technologiques que l'industrie aéronautique va devoir relever au cours des prochaines décennies. Prolongement naturel de ce symposium, l'ouvrage "Révolution aéronautique, le défi de l'environnement", que vient de publier Yves Galland, en collaboration avec Gil Roy, chez l'éditeur Pearson, est l'occasion de découvrir ce que pourrait être l'avion de demain. L'émergence de ce dernier nécessitera évidemment des révolutions technologiques mais aussi un changement profond des comportements, tant au niveau de la gestion du trafic aérien que du démantèlement et du recyclage des avions en fin de vie.
     Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), en 2007 le transport aérien a été à l'origine de l'émission dans l'atmosphère de 700 millions de tonnes de CO2, ce qui représente 2% du total des émissions de dioxyde de carbone liées aux activités humaines. Rappelons qu'il y a une quinzaine d'années, ce même GIEC, dans un rapport, avait estimé que la part du transport aérien dans les émissions de CO2 à l'échelle de la planète était alors de 2%. Autrement dit, cette part est restée constante durant cette période alors que le nombre de passagers transportés dans le même temps a quasi doublé, puisqu'il est passé de 1,166 milliard en 1993 à 2,2 milliards en 2007. Quant au tonnage du fret aérien, il a connu une spectaculaire augmentation de 130% au cours de la même période. C'est dire l'importance des progrès accomplis par l'ensemble des acteurs du secteur aéronautique, progrès techniques, certes, mais qui ont nécessité aussi la modernisation et une meilleure gestion des flottes des compagnies aériennes (voir "Le trafic aérien en quelques chiffres" en fin d'article).
     Aujourd'hui, le GIEC, toujours lui, prévoit qu'à l'horizon 2050, les émissions de gaz à effet de serre liées au transport aérien devraient avoir doublé. De leur côté, les organisations du transport aérien dans leur ensemble se sont fixé pour objectif de parvenir à une croissance neutre en termes de carbone, leur ambition étant un futur sans émissions de CO2. Pourtant, la progression moyenne du trafic aérien mondial au cours des vingt prochaines années est évaluée à 5% pour le transport de passagers et à 5,8% pour le transport de fret. Le volume des passagers aériens devrait atteindre 4,5 milliards en 2025. Selon une étude de Boeing sur les perspectives de marché entre 2008 et 2027, le nombre d'avions en service devrait être de 35.800, contre 19.000 aujourd'hui, soit un quasi doublement de la flotte mondiale en moins de vingt ans. L'avionneur américain précise que 82% des appareils en service à l'horizon 2027 n'existent pas aujourd'hui.
     Certes, l'industrie aéronautique a toujours su relever les défis qui lui ont été lancés au cours de son histoire. Ainsi le remplacement progressif des matériaux métalliques par des composites dans les cellules d'avions a permis de concevoir des appareils plus légers. Rappelons que dans le 787 Dreamliner, la part de composite s'élève à plus de 50%. Cet allègement et les progrès réalisé au niveau de l'aérodynamique ont contribué pour une part significative à la réduction de la consommation des avions. Une autre part, tout aussi importante, sinon plus, résulte en particulier de l'introduction de nouvelles technologies qui ont permis à la propulsion de progresser considérablement. Les moteurs à grand taux de dilution en sont un parfait exemple.
     Autant de progrès qui ont conduit à une réduction de 60% de la consommation des moteurs des avions de ligne entre 1960 et 2000! Aujourd'hui, les avions les plus récents présentent une consommation qui oscille entre 2,3 et 3,6 litres et 61 et 95 grammes de CO2 par passager et par kilomètre. Cela dit, le défi environnemental que l'industrie aéronautique va devoir relever au cours des prochaines décennies apparaît comme d'autant plus difficile qu'il nécessitera non seulement des sauts technologiques mais également la mise en place de solutions globales d'ordre économique, politique et sociétal.

Inventer la "machine volante" de 2050
     Les auteurs de "Révolution aéronautique, le défi de l'environnement" posent clairement le problème tel qu'il se présente aujourd'hui. Certes, les performances de la nouvelle génération d'avions vont être à nouveau optimisées. Ainsi, le 747-8, future version du Jumbo Jet, émettra 16% de CO2 en moins que l'actuel 747-400 et sera 30% moins bruyant. "Mais il semble que l'industrie ait atteint les limites de la formule actuelle", constatent-ils. D'où la nécessité de la remettre en question et d'envisager un avion fondamentalement "différent", pour ne pas dire "révolutionnaire". Autrement dit, il s'agit d'inventer "la machine volante" de 2050, un appareil forcément silencieux et qui ne rejettera aucun gaz à effet de serre. Dans ces conditions, aucune piste ne doit être négligée. Rappelons-nous que la devise des pionniers de l'aviation était: "Osez". "Aujourd'hui, l'industrie aéronautique doit oser, d'autant qu'elle maîtrise les outils de simulation qui lui permettent de le faire sans risque", souligne Yves Galland, président de Boeing France.

     Faire émerger l'avion de demain, qui plus est inventer un nouveau transport aérien, cela passe nécessairement, pour commencer, par une réflexion sur l'évolution significative de la géométrie des avions. Véritable serpent de mer pour certains, l'aile volante reste néanmoins une piste que Boeing ne s'interdit pas d'explorer. "Il s'agit en effet d'une formule aérodynamique qui permet de réduire significativement la traînée de l'appareil et de réaliser une économie de carburant pouvant aller jusqu'à 20%", indique le président de Boeing France. D'ores et déjà une aile volante d'une envergure de 75 mètres a fait l'objet d'études dans le cadre des programmes militaires menés par l'avionneur américain. Semblable quant à son aérodynamique, une maquette de cette aile a volé en 2007. Aujourd'hui, il n'est pas envisagé d'offrir ce type d'appareil au transport de passagers. Cela dit, ces expérimentations contribuent à faire avancer la recherche. Autre solution explorée, cette fois-ci au sein du Bauhaus Luftfahrt, un institut de recherche allemand qui regroupe des acteurs de l'industrie aéronautique comme EADS et des pouvoirs publics, l'avion hybride "Hyliner" dont la particularité est de disposer d'un système de propulsion intégré à la cellule, l'objectif étant de réduire à la fois le bruit et la consommation de carburant tout en préservant la capacité de transport.
     Dans un contexte de volatilité du prix du baril de pétrole sur fond de pression environnementale s'exerçant sur le transport aérien, la recherche d'un carburant de substitution au kérosène apparaît, plus que jamais, comme une priorité. La piste que représentent les carburants de synthèse, dérivés en particulier du gaz et du charbon, semble envisageable sur le court terme. Si leur compatibilité avec les moteurs existants est leur principal atout, il reste que le bilan carbone de ces carburants de synthèse se trouve grevé du fait de leur procédé de fabrication, ce qui implique de trouver un moyen de capturer les émissions de CO2 au cours de cette étape. Une autre piste, celle des biocarburants de deuxième génération dérivés de cultures non alimentaires, apparaît comme prometteuse à plus long terme. "Notre réflexion porte exclusivement sur des carburants du futur qui ne viennent aucunement empiéter sur les productions agricoles et les terres arables. En effet, le défi de la faim dans le monde nous interdit de concevoir des biocarburants qui puissent y faire concurrence", précise Yves Galland.
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     Plusieurs solutions sont alors envisagées parmi lesquelles les algues, en particulier les algues vertes unicellulaires dont le rendement est d'environ 40.000 litres de biocarburant par hectare et par an, et le Jatropha curcias, une plante qui prolifère dans les régions tropicales et dont le fruit est riche en huile. Un test est d'ores et déjà programmé par Boeing sur un 747 d'Air New Zealand utilisant un carburant à base de Jatropha curcias. Rappelons qu'un premier essai en vol, effectué en février 2008 par Boeing et Virgin Atlantic sur un 747-400, a déjà permis de tester un carburant hydride à base d'huile de noix provenant de deux types de palmiers qui sont le babassu et le coco: voir notre page dédiée.
     L'hydrogène liquide est évidemment évoqué par les constructeurs, mais à beaucoup plus long terme. Supérieur au kérosène - 2,8 fois supérieur à poids égal -, son contenu énergétique permettrait en effet de réduire le poids au décollage ou d'emporter une charge marchande plus élevée. En revanche, outre la nécessité d'une nouvelle motorisation, le volume et l'isolation nécessaires à son stockage exigeront inévitablement une nouvelle conception de la cellule. Par ailleurs, il faudra étudier soigneusement les caractéristiques et la formation des traînées de condensation lors d'essais en vol, les quantités d'eau rejetées étant alors plus grandes. Lancé au début des années 2000 par l'Union européenne, un projet de recherche baptisé Cryoplane a déjà permis de "défricher" le problème (voir "Premier pas vers l'avion électrique" en fin d'article).

Nécessité d'optimiser la gestion du trafic aérien

     Aujourd'hui, chaque minute de vol supplémentaire d'un avion entraîne l'émission de 160 kg de CO2. Il est donc impératif de ne pas accroître mais plutôt de réduire les temps de vol des avions, ce qui n'est pas facile dans la configuration actuelle du système de gestion de la navigation aérienne. Rappelons en effet que le trafic aérien est toujours soumis à des prérogatives nationales. D'où l'existence de passages obligés, correspondants à des entrées et des sorties de territoires aériens, qui engendrent des trajets segmentés. Résultat, un allongement du temps de vol, un phénomène que renforce l'organisation en hub des aéroports, puisque celle-ci entraîne des saturations et des files d'attente aux heures de pointe.
     Certes, l'optimisation des itinéraires, une meilleure gestion des arrivées et le contrôle de la vitesse des avions permettront à terme de réduire sensiblement les retards et les temps de vol, ce qui conduira par conséquent à une baisse de consommation en carburant et à une réduction des émissions, notamment de CO2. Cette optimisation du système actuel pourrait permettre un gain de 12% de capacité supplémentaire. Cela dit, rappelons-nous que le trafic aérien devrait doubler d'ici 2027. Dans ce contexte, une véritable rupture technologique est nécessaire.
     Cela passera notamment par la généralisation de la navigation par satellites, la simplification de l'espace aérien, l'optimisation des systèmes de transmission de données et la gestion de l'espace aérien et des trajectoires en 4D. "Aujourd'hui, le contrôleur est au coeur du système. Dans le futur, tout en conservant une vision de l'ensemble des avions, il pourra se concentrer uniquement sur les vols susceptibles de poser un problème", explique Yves Galland. Mais pour être pleinement efficace, un tel système exige une interopérabilité totale de la gestion du trafic aérien. D'où l'importance de l'accord de coopération signé au printemps 2008 entre Boeing et Airbus. Son but est d'assurer l'interopérabilité mondiale de la gestion du trafic aérien - Air Traffic Management ou ATM - et de contribuer à réduire l'impact de l'aviation sur l'environnement.

Vers un démantèlement et un recyclage propres
     Au cours des vingt prochaines années, 7.000 à 8 500 avions devraient être retirés du service. Aussi devront-ils être démantelés et recyclés dans le cadre d'une filière spécifique et réglementée. Aujourd'hui, 80% des matières premières des avions traités sont valorisés. Les 20% restants sont des matériaux composites dont le recyclage reste techniquement compliqué puisqu'ils associent différents matériaux. D'où la nécessité, pour les traiter, de connaître leur pedigree et leur parcours. "Afin d'optimiser ces opérations, nous avons intégré le recyclage des matériaux composites dès le stade de la conception du 787", souligne Yves Galland. En juillet 2008, un accord a été signé entre Boeing et l'industriel italien Alenia, celui-ci visant à la création de la première unité de recyclage des composites en Italie, en collaboration avec Milled Carbon (Royaume-Uni), Karborek (Italie) et l'Enea (Italie). Implanté dans la région de Puglia, non loin des installations d'Alenia Aeronautica, cet ensemble aura une capacité de traitement de 1.100 tonnes de déchets composites par an. L'enjeu est d'autant plus important que la fibre de carbone recyclée possède des propriétés comparables, voire supérieures à celles de la fibre originelle.
     "Certes, la mise en place de filières structurées et encadrées est la condition d'un meilleur respect de l'environnement. Mais elle permet aussi d'éviter que cette activité ne vienne alimenter un marché illégal de pièces détachées", se félicite le président de Boeing France. C'est dans ce contexte que Boeing et Airbus ont respectivement initié "Pamela" et "Afra", deux associations professionnelles destinées à fédérer les acteurs sur des objectifs communs, le but étant de doter l'industrie aéronautique des moyens de faire face à l'ampleur du défi à relever. Un de plus!

Le point sur:
Le trafic aérien en quelques chiffres
     Dans un contexte où la croissance moyenne de l'économie mondiale est d'environ 3,6%, le transport aérien a enregistré une croissance annuelle moyenne de 4,8% au cours de ces vingt dernières années. En 2007, l'ensemble des compagnies aériennes a transporté 2,2 milliards de personnes, soit une progression annuelle de 7,4%. Quarante millions de tonnes de fret, soit 35% des marchandises échangées au niveau mondial, ont été traitées par ces compagnies, ce qui correspond à une augmentation de 4,3% par rapport à 2006. Enfin, l'aviation génère 6,7 millions d'emplois directs dans le monde.
Premier pas vers l'avion électrique
     Début 2008, Boeing a fait voler un avion léger biplace équipé de pile à combustibles. Système électrochimique, la pile à combustible permet de convertir directement de l'hydrogène en électricité et en chaleur sans aucune combustion, d'où l'absence d'émissions dans l'atmosphère. Ce démonstrateur de Boeing utilise un système hybride constitué de batteries lithium-ion et d'une pile à combustible de type PEMFC pour alimenter un moteur électrique couplé à une hélice classique. Lors des deux phases de vol qui nécessitent le plus de puissance, c'est-à-dire le décollage et l'atterrissage, le système puise dans les batteries légères lithium-ion, la pile à combustible, pour sa part, fournissant la puissance nécessaire à la phase de vol en croisière. Ces essais en vol ont démontré pour la première fois qu'un aéronef piloté peut conserver son niveau de vol avec des piles à combustibles comme unique source d'énergie.

Pour en savoir plus:
- Boeing France, Yves Galland, président de Boeing France et vice-président de Boeing International, tél. : 01 70 37 07 07, pauline.bucaille@boeing.com
A lire également:
- GALLAND, Y. et ROY, G. Révolution aéronautique, le défi de l'environnement. Paris : éd. Pearson, 2008. 167 p.
Origine: Technologies Internationales 150 (2/02/2009 ) - ADIT