Par Andrada Noaghiu | Journaliste | 06/04
Un ancien de l'Organisation mondiale
de la santé dénonce des liens malsains avec l'Agence internationale
de l'énergie atomique.
Ancien président de l'association Enfants
de Tchernobyl-Bélarus, aujourd'hui professeur émérite
à l'université de Bâle, Michel Fernex relève,
lors de l'accident de Tchernobyl comme actuellement à Fukushima:
une «étrange absence» de l'Organisation mondiale de
la santé (OMS).
Médecin tropicaliste à l'OMS,
il mène une carrière paisible nourrie d'idéaux, jusqu'à
ce qu'il découvre fortuitement l'accord qui lie son institution
à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA): en
1995, il participe à un congrès sur les conséquences
de Tchernobyl, Hiroshima et Nagasaki. Les actes ne sont pas publiés.
Pourquoi?
Son enquête commence au sein de l'OMS.
Finalement, un ancien directeur général de l'agence de santé
lui confiera que c'est l'AIEA qui a bloqué la publication, grâce
à l'accord WHA 12-40 qui lie les deux institutions. Un accord inacceptable
d'après lui, puisque l'OMS a pour but la santé publique dans
le monde, et l'AIEA le développement du nucléaire civil.
Rue89: Comment est né l'accord entre l'OMS et l'AIEA de 1959,
dit WHA 12-40?
Michel Fernex: En 1956, l'OMS a posé la question suivante
à des généticiens:
«Quels sont les effets génétiques
des radiations chez l'homme, puisque l'industrie nucléaire se développe
et que des radiations vont toucher de plus en plus d'humains?»
Le groupe de travail comportait un prix
Nobel de génétique et d'autres grands noms. Les conclusions
du rapport étaient que cette industrie va accroître le rayonnement
et, de ce fait, augmenter aussi les mutations dans la population. Et elles
seront nuisibles pour l'individu et pour ses descendants.
Cet avertissement a beaucoup inquiété
l'ONU, qui a créé l'Agence internationale de l'énergie
atomique en 1957, soit seulement un an plus tard. L'AIEA a, selon ses statuts,
comme objet principal:
«D'accélérer et d'accroitre
la contribution de l'énergie atomique à la paix, la santé
et la prospérité dans le monde entier.»
Traduction: c'est une agence de promotion
du nucléaire commercial.
Les choses se sont gâtées
lorsque l'AIEA a conclu avec toutes les agences subalternes des accords.
L'existence de ces derniers est normale, mais l'accord avec l'OMS a des
particularités.
L'une d'entre elles est d'exiger la confidentialité
dans certains domaines, sans préciser lesquels. Ce qui est tout
à fait contraire à la Constitution de l'OMS. Car l'opinion
publique ne doit pas subir de secret sous prétexte que le nucléaire
est dangereux.
Un autre point de l'accord indique que
les deux agences doivent être d'accord pour tout projet qui concerne
un intérêt commun. Illustration au moment de Tchernobyl.
(Ecouter le son)
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suite:
Vous voyez des ressemblances entre le comportement de l'OMS lors
de la catastrophe de Tchernobyl et aujourd'hui avec Fukushima?
J'y vois une même absence, une étrange
absence. Pour fournir des chiffres, il faut faire des travaux et l'OMS
n'en a pas fait. L'OMS ne peut que répéter
les chiffres que lui donne l'AIEA.
Actuellement, si vous allez au Japon et
que vous cherchez l'OMS, vous ne la trouverez pas. Ils ne sont pas là.
L'AIEA est là depuis le départ. C'est l'effacement total
de l'OMS face à un nouvel accident nucléaire.
Et ils vous diront qu'il y a eu 40, 50,
5 000 ou 500.000 malades. Cela dépendra des chiffres que fournira
l'AIEA.
Vous voulez dire que l'on «décide» d'un nombre
de morts ou de malades?
C'est ce qui s'est passé pour Tchernobyl...
Je suis allé au forum de l'OMS en 2004 à Genève, un
représentant de l'AIEA présidait le forum pendant trois jours.
Dans son introduction, il nous a expliqué
que nous allions décider s'il y a eu plutôt 400.000 ou 40
décès dus à Tchernobyl. Et nous avons, au bout de
trois jours, fini à 38 décès.
Comment? Je vais vous montrer comment on
supprime un sujet...
Les scientifiques ont exclu la pédiatrie
du débat, car une pédiatre interrogée à brûle-pourpoint
n'a su que répondre. (Ecouter le son)
Votre expérience de terrain, auprès des enfants en
Biélorussie, dément l'affirmation de l'OMS selon laquelle
les radiations se dispersent très vite dans l'atmosphère.
Expliquez-nous ce que vous avez trouvé.
De génération en génération,
on trouve de plus en plus de mutations génétiques. On a constaté
dans des zones contaminées de l'apathie, des leucémies, des
malformations cardiaques, des cas de vieillissement prématuré,
mais aussi une augmentation du diabète de type 1, sans facteur héréditaire
et ce de plus en plus tôt, chez des enfants toujours plus jeunes,
parfois même chez les nourrissons. Et mille autres choses encore…
Les radionucléides stockés
dans le sol contaminent les aliments, surtout les arbres. Or, les gens
prennent librement du bois dans les forêts. Ce bois chauffe la maison
et alimente le poêle de la cuisine. La pièce la plus chargée
en radioactivité est donc souvent la cuisine. On place ensuite les
cendres dans un seau et elles servent d'engrais. La contamination du potager
est donc entretenue et peut-être même amplifiée.
Ces phénomènes ne s'atténuent
pas avec le temps, bien au contraire.
A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89
* De Tchernobyl: «La
nature peut vaincre de telles catastrophes»
* Tous
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* Les
réponses à vos questions sur Fukushima
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Ailleurs sur le Web
* L'association
Enfants de Tchernobyl-Bélarus
* L'accord
de 1959 entre l'OMS et l'AIEA, sur Wikisource
* En
Biélorussie, 500.000 enfants attendent une aide, sur Lexpress.fr
* Les liens du site
Tchernobyl de resosol.og |