Vous trouvez ça compliqué? Regardez-bien,
c'est pourtant clair désormais: la production mondiale actuelle
de pétrole est officiellement entrée en déclin rapide,
et toute la question est de savoir si l'industrie de l'or noir pourra...
ou pas... développer suffisamment vite des capacités de production
nouvelles assez importantes pour éviter une profonde et durable
crise énergétique globale!
Nous avons déjà franchi le pic
pétrolier, reconnaît l'Agence internationale de l'énergie
(AIE). La production de pétrole conventionnel a atteint son «pic
historique» en 2006, elle ne le redépassera «jamais»:
telle est la bombe lâchée – et aussitôt désamorcée
– par l'AIE, l'organisme parisien chargé de conseiller les pays
riches de l'OCDE.
Car il n'y a pas de crainte à avoir,
rassure l'AIE: la mise en production de champs pétroliers déjà
découverts ainsi que la découverte de nouveaux champs permettront
de maintenir les extractions de pétrole conventionnel sur un «plateau
ondulant» au moins jusqu'en 2035. Et puis même si la production
de pétrole conventionnel n'augmentera donc plus «jamais»,
l'AIE promet que l'offre mondiale de carburants liquides pourra quand même
continuer à croître (et à satisfaire la demande) grâce
au développement de la production des pétroles non-conventionnels
et à la liquéfaction du gaz naturel.
D'après l'AIE, le «plateau ondulant»
du pétrole conventionnel devrait pouvoir être maintenu entre
68 et 69 millions de barils par jour (mb/j), à peine juste en-dessous
du maximum de 70 mb/j atteint en 2006. Et le développement «très
rapide» des pétroles non-conventionnels et de la liquéfaction
du gaz naturel permettra d'atteindre une production totale de carburants
liquides 96 mb/j en 2035, contre 80 mb/j en 2009.
Jusqu'ici jamais l'AIE n'avait admis une possible
stagnation de la production de pétrole conventionnel.
[Une fois seulement, en 1998, l'AIE a mis en avant des graphiques
montrant un déclin de la production mondiale de pétrole (pdf,
voir pp. 100, 103, 104). Le pic de production était à l'époque
prévu quelque part entre 2012 et 2020... Encore n'était-ce
alors qu'une hypothèse, et non un scénario officiel. La "normalisation"
du discours de l'AIE qui a suivi ce rapport de 1998 est très instructive.
Un jeune thésard britannique, Lionel Badal, en donne plus qu'un
aperçu dans une enquête publiée sur [oil man].]
La pente du déclin des champs aujourd'hui
en activité envisagé dans le nouveau rapport annuel de l'AIE
est très prononcée, de l'ordre de 3% par an. Cela représente
2 mb/j de capacités de production supplémentaires à
mettre en place chaque année, soit un peu plus que la consommation
d'un pays tel que la France.
De nombreux experts indépendants doutent
fortement que la production mondiale puisse être maintenue grâce
au développement de nouvelles capacités de production. Même
la presse s'interroge, à l'instar du site du New York Times.
Pourquoi mettre en question l'étude
mondiale de référence dans le domaine de l'énergie?
«Il me semble que l'AIE pèche
à nouveau par excès d'optimisme», répond
par exemple Bernard Durand, ancien directeur de la division géologie-géochimie
de l'Institut français du pétrole et ancien directeur de
l'Ecole nationale supérieure de géologie de Nancy.
«Excès d'optimisme»?
L'AIE prévoit que la production des
champs pétroliers qui restent encore à découvrir atteindra
23 mb/j en 2035. Cela suppose de dénicher deux fois la production
de l'Arabie Saoudite d'ici aux alentours de 2025 (puisqu'ensuite, il faut
compter entre 7 et 10 ans pour lancer la production d'un champ nouvellement
découvert). Le problème c'est qu'à part quelques références
à «l'Arctique», le rapport de l'AIE ne dit pas où
l'industrie a des chances de faire de nouvelles découvertes aussi
massives. Et les réserves que recèlerait l'océan Arctique,
c'est «la boule de cristal», critique Bernard Durand.
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suite:*
Le rapport de l'AIE soutient que l'Arabie
Saoudite, 1er producteur mondial, sera capable de passer de 9,6 à
14,6 mb/j en 2035. Pour Bernard Durand, «ça paraît être
du pipeau». La semaine dernière a été publié
sur ce blog un scoop qui montre que l'armée américaine redoute
un déclin imminent des extractions saoudiennes. En juillet, le roi
Abdallah d'Arabie Saoudite a annoncé l'arrêt de l'exploration
pétrolière afin de préserver les réserves d'or
noir de son royaume.
L'avenir de la production d'or noir ne devrait
donc en rien ressembler à un long autoroute tranquille. Le directeur
exécutif de l'AIE reconnaît lui-même que «des
événements récents ont jeté un voile d'incertitude
sur notre avenir énergétique», rapporte Associated
Press.
Il est possible de continuer longuement sur
ce registre des incertitudes, en évoquant par exemple le côté
«demande» du scénario envisagé par l'AIE.
Si j'étais mauvaise langue, je dirais
que c'est à se demander si le climat n'est pas en train de devenir
le cache-misère du "peak oil". Le 1er graphe ci-dessus ne se place
pas dans l'hypothèse du business as usual. Il table sur une forte
réduction de la demande pétrolière des pays riches
de l'OCDE. Une réduction qui à ce jour n'est pas anticipée
dans les projections de ses principaux pays membres...
Dans ce scénario de l'AIE intitulé
«nouvelles politiques», seule la demande de pétrole
des économies émergentes devrait à l'avenir augmenter.
Dans le résumé de son rapport annuel, l'AIE appelle de ses
voeux un pic et à un déclin... de la demande de pétrole
aussi rapide et important que possible, afin d'échapper aux périls
du réchauffement climatique. Evidemment, si l'humanité veut
réduire sérieusement ses émissions de gaz à
effet de serre, il faudra qu'elle réduise sa consommation de pétrole.
Et si elle réduit sa consommation de pétrole, le pic pétrolier
pourrait être plus aisé à désescalader...
Dernière remarque sur ce rapport de
l'AIE qu'il ne faut pas hésiter à qualifier d'historique:
je trouve que dans le 1er graphe ci-dessus, ledit «plateau ondulant»
de la production de pétrole conventionnel n'ondule vraiment pas
beaucoup, justement. A vue de nez, il est même presque plat.
Se pourrait-il que la modestie ondulatoire
de ce trait obéisse à des impératifs politiques, pour
les auteurs d'un rapport financé par les gouvernements des pays
les plus riches de la planète? Chaque ondulation du plateau sera
capable de déclencher un choc pétrolier dont la profondeur
dépendra de l'amplitude de cette ondulation...
Sur une compilation des projections de l'Energy
Information Administration (EIA) de Washington, on perçoit la même
tendance très nette tendance à la baisse que sur les projections
de l'AIE. L'EIA est une des sources principales de l'AIE. Et Washington
est le principal pourvoyeur de fonds de l'AIE.
http://green.blogs.nytimes.com/
Is ‘Peak Oil' Behind Us? |