Scandale au Tricastin: plus de 770 tonnes de déchets
radioactifs enfouis depuis plus de 30 ans à même le sol, en
toute illégalité !
La CRIIRAD demande la publication d'un bilan
exhaustif, la reprise de la totalité des déchets et la décontamination
intégrale du site.
Le site nucléaire du Tricastin est
implanté à la limite des départements de la Drôme
et du Vaucluse, sur le territoire des communes de Pierrelatte, St-Paul-3-Châteaux
et Bollène. Il englobe 8 Installations Nucléaires de Base
(INB[1]), plusieurs Installations Classées pour la Protection
de l'Environnement (ICPE) ainsi que l'Installation Nucléaire de
Base Secrète (INB-S) du CEA-Cogéma.
A diverses reprises dans le passé,
le laboratoire de la CRIIRAD a mis en évidence des niveaux d'irradiation
anormalement élevés en limite du site nucléaire du
Tricastin. Ces contrôles révélaient des défauts
d'application des règles de radioprotection et soulevaient d'importantes
questions sur l'exposition des travailleurs intervenant à l'intérieur
du site. Les niveaux les plus irradiants étaient identifiés
sur le côté Ouest, au niveau du parc à fûts et
du portail d'entrée AREVA - SAUR: de l'ordre de 400 coups par seconde
(c/s) relevés au DG5 pour un bruit de fond normal d'environ 60 c/s.
Une autre zone anormale, bien que moins marquée
(130 à 140 c/s), était repérée sur le côté
Est, au nord des installations EDF et COMURHEX, au droit d'une sorte de
tumulus. Cette butte de terre est située dans le périmètre
de l'INB-S dont le CEA est propriétaire et Cogéma (AREVA
NC) l'exploitant.
Les recherches documentaires que nous avons
effectuées conduisent à considérer que le rayonnement
détectable sur le chemin des agriculteurs pourrait provenir du tumulus
lui-même. En effet, il ne s'agit pas d'une simple butte de terre
mais d'un amoncellement de déchets radioactifs et chimiques directement
enfouis dans le sol!
ANALYSE DES INVENTAIRES ANDRA
L'Agence nationale des déchets radioactifs
(ANDRA) publie régulièrement son inventaire national des
déchets radioactifs.
• Le premier inventaire, publié en
1993, ne mentionne ni le tumulus, ni même l'existence des déchets
enfuis dans le tumulus.
• Les inventaires publiés de 1994 à
1999 consacrent une fiche aux déchets radioactifs de l'INB-S CEA-COGEMA
de Pierrelatte (fiche référencée RHO 28, puis RHO
28B). Ils sont présentés comme des «déchets
d'exploitation et d'assainissement issus des installations d'enrichissement
de l'uranium par diffusion gazeuse et traitements chimiques».
Il s'agirait de «déchets de barrières de diffusion
gazeuse, fluorures, boues chromiques» pour une activité
totale de 42 GBq et de «déchets divers, gravats...»
pour 8 GBq. La fiche indique qu'il s'agit d'un entreposage mais ne fait
aucune allusion au fait que les déchets ne sont pas dans des modules
bâtis mais ont été directement enfouis dans le sol.
• Il faut attendre l'inventaire ANDRA de 2002[2]
pour apprendre que les déchets des installations de production d'uranium
enrichi à usage militaire ont été «enfouis
entre 1969 et 1976 dans une butte de terre d'un volume d'environ 15.000
m3». La terre, qui recouvre les déchets, les
dissimule à la vue mais pas à l'action délétère
des eaux météorites. Il s'agit d'une violation
caractérisée des règles de stockage qui
doivent garantir que les déchets sont isolés de l'environnement
et qu'il est possible de les contrôler et, si nécessaire de
les reconditionner. Ces pratiques sont choquantes y compris pour le début
des années 70.
On ne peut exclure que l'ANDRA ait souhaité
occulter les conditions de stockage scandaleuses de ces déchets
mais le plus probable est qu'elle ne fasse que répercuter les informations
que l'exploitant veut bien communiquer. La CRIIRAD a pu constater sur plusieurs
dossiers que l'Agence n'effectue aucun contrôle sur le terrain et
que l'analyse critique des données des exploitants est très
insuffisante[3]. Les informations contenues dans les inventaires
doivent donc être considérées avec beaucoup de recul.
LE CONTENU DU TUMULUS
Si l'on se réfère à l'inventaire
ANDRA plus récent (publié en 2006, avec une mise à
jour à mai 2005 pour la fiche RHO-43), l'amoncellement de déchets
radioactifs serait constitué de:
- déchets radioactifs provenant
des 4 usines militaires de séparation isotopique (usines militaires
basse, moyenne, haute et très haute correspondant respectivement
à de l'uranium faiblement, moyennement, fortement et très
fortement enrichi, soit plus de 90% d'uranium 235). Ces déchets
seraient constitués de barrières de diffusion pour une masse
totale de 760 tonnes. L'ANDRA ne donne aucune précision ni sur la
composition des déchets, notamment sur leur teneur en uranium 235,
ni sur les éventuels risques de criticité; |
- des déchets de catégorie
TFA-VL - très faible activité mais vie longue (en l'occurrence,
très, très longue) - constitués de filtres de conditionnement
(46 m3) et de fluorines ((14.000 m3);
- de déchets toxiques sur le
plan chimique (chrome trivalent notamment) présentés comme
exempts de radioactivité (mais sans précision chiffrée,
en particulier sur les protocoles de contrôle ni sur les seuils de
détection). L'ANDRA indique qu'il s'agit de boues issues de la station
de traitement des effluents, sans préciser le volume ou le tonnage
déversés sur le tumulus.
Par ailleurs, la CRIIRAD a reçu récemment
plusieurs courriers et appels téléphoniques de travailleurs
intervenant sur le site du Tricastin l'alertant sur des dysfonctionnements
graves, et notamment:
1/ sur l'érosion que subit le tumulus
de déchets (pluie, vent...), érosion qui a mis à jour
récemment un certain nombre de fûts et qui a été
traitée en déversant une nouvelle couche de terre sur les
déchets;
2/ sur la contamination (chimique et radiologique)
de la nappe située au droit du site;
3/ sur les conditions de travail des salariés
des sociétés de sous-traitance.
LES DEMANDES DE LA CRIIRAD
Sur la base des investigations conduites par
son laboratoire et des messages alarmants qui lui sont parvenus, la CRIIRAD
demande:
1- la communication d'un état détaillé
de la structure du tumulus et des déchets radioactifs et chimiques
qu'il contient : descriptif de l'emplacement; historique des déversements:
dates, volumes, masses, nature des conditionnements (s'ils existent), masses
de terre utilisées pour le recouvrement, etc.
2- la reprise des déchets, leur caractérisation,
leur reconditionnement éventuel (vérification de l'étanchéité
des fûts, de leur absence de contamination externe) et leur transfert
vers des installations d'entreposage ou de stockage ad hoc;
3- le contrôle radiologique et chimique
de la terre dans laquelle les fûts et autres déchets ont été
enfouis et, si nécessaire, le conditionnement et le stockage des
volumes contaminés;
4- l'autorisation d'accéder au site
afin d'effectuer des mesures radiamétriques et spectrométriques
au niveau du tumulus et de procéder à des prélèvements
d'eau au niveau des piézomètres afin de vérifier si
les informations relatives à la contamination des eaux souterraines
sont avérées ou relèvent de la rumeur.
L'URGENCE
Les interventions doivent être conduites
dans les meilleurs délais. En effet, plus le temps passe, plus le
nombre de fûts corrodés et éventrés augmente,
plus augmentent les risques de pollution du sol et des eaux souterraines,
le nombre de personnes exposées aux rayonnements émis par
le tumulus et les risques de contamination par inhalation. Il ne faut
pas compter sur la diminution de la radioactivité avec le temps:
l'uranium 238 a une période physique de 4,5 milliards d'années
et l'uranium 235 de 700 millions d'années!
Cela fait plus de 30 ans que ces déchets
toxiques, tant sur le plan radioactif que chimique, ont été
enfuis dans le sol. Ce dysfonctionnement perdure en toute impunité,
en violation des principes fondamentaux de gestion des déchets,
principes censés garantir la préservation de l'environnement
et la protection sanitaire des travailleurs et du public.
Il est choquant de constater que ni l'Autorité
de Sûreté Nucléaire (ASN), ni les ministères
concernés n'ont exigé de mise en conformité et qu'ils
continuent au contraire d'accorder aux exploitants de nouvelles autorisations
pour augmenter les productions, les stockages et construire de nouvelles
installations. Le traitement des pollutions passées et le confinement
des déchets toxiques devraient constituer un préalable.
Le statut d'INB secrète est là
pour préserver des informations à caractère militaire
pas pour servir de couverture à des pratiques choquantes ou pour
permettre à AREVA et au CEA de faire des économies sur la
gestion de leurs déchets. Par ailleurs, plusieurs responsables sont
intervenus dans le cadre de la CIGEET pour affirmer que le «transfèrement»
des déchets avait été envisagé... puis écarté.
On ne sait si le motif de l'abandon du projet était le souci de
limiter les coûts ou des problèmes liés à la
dangerosité des déchets. Aucune de ces explications ne justifie
l'inaction. La situation ne peut en effet qu'empirer et si les exploitants
ne financent pas le traitement du problème tant qu'ils sont solvables,
dans 50 ou 100 ans, ce sera à la collectivité de le faire...
ou d'en subir les conséquences environnementales et sanitaires.
Source/auteur : http://www.criirad.org
Mis en ligne le samedi 5 juillet 2008, par cyril |