par Yves Paumier
le 6 février 2008
Une opposition sourde, venant de l'administration
et de certains lobbies américains, fait face au désir indien
de développer la filière nucléaire au thorium. Il
sera intéressant dans la période à venir de suivre
par quels organes de propagande cette interdiction larvée va prendre
forme: est-ce par les mouvements écolos, de défense des droits
de l'homme, des lobbies pétroliers proposant des tarifs attractifs,
une déstabilisation interne comme vous pouvez en lire l'histoire
de certains succès dans le livre «confessions d'un tueur
à gage économique», et que Mme Gandhi à
déjà subi? Bref, il y a plusieurs manières de faire
et certaines pourront l'être faites simultanément.
C'est à vous de garder l'œil sur l'affaire,
comme M. LaRouche (voir ici et ici) et tous les amis de l'Inde le font.
Mais quel est l'intérêt de cette filière et quel
avantage particulier l'Inde peut en tirer?
Pour entretenir une réaction nucléaire
de fission continue, il faut disposer de noyaux qui deviennent instables*,
quant ils reçoivent des neutrons. Parmi les éléments
que la nature nous fourni, il y a l'uranium qui a cette caractéristique.
Il existe aussi des noyaux artificiels qui ont cette propriété.
Le plus connu est le plutonium, un déchet des réacteurs de
première et deuxième génération. Son maniement
est plus délicat car son instabilité est grande. Comme il
est extrait des barres de combustibles usées ayant séjourné
au cœur des réacteurs, il y a beaucoup de radioactivité dangereuse
qui nécessite des usines très spécialisées
et performantes.
Le thorium, lui est stable du point de
vue nucléaire, et se présente comme un simple minerai. Par
contre on peut le muter en uranium fissile dans le cœur des réacteurs.
Vous faites ainsi ce que les alchimistes cherchaient à une époque
en voulant transformer le plomb en or. (voir dossier
thorium)
L'uranium généré à
partir du thorium n'est pas le même que celui d'origine naturelle,
c'est un isotope (voir économie isotopique), et cet uranium ne donne
pas les mêmes déchets après usage. En fait ses résidus
sont moins radioactifs (300 ans au lieu de 10.000 pour les cycles à
uranium enrichi). D'où un intérêt certain. En plus
ils ne se prêtent pas du tout à une dissémination terroriste.
Le thorium est aussi un candidat idyllique
pour les réacteurs à sels fondu. Dans ce type de réacteur,
les produits entrant dans la réaction se présentent sous
forme chimiquement très stable de fluorures. Ils gardent leur stabilité
au-delà de 1.000°C! Sachant que techniquement il s'agit d'une
réaction en chaîne à neutrons lents, son pilotage est
facile et sûr.
Miniaturiser un tel équipement est
tout à fait possible au point que le laboratoire américain
d'Oak Ridge envisageait dans les années 1950 des avions avec de
tels moteurs nucléaires!
Le thorium est disponible aux quatre coins
du monde et n'est pas d'un grand usage métallurgique. Il a donc
un avantage économique et stratégique contrairement au pétrole
et à l'uranium.
Pourquoi l'Inde devrait y avoir quelque intérêt?
L'Inde s'était équipée
de réacteur Candu. Il s'agit de réacteurs à uranium
naturel et eau lourde. Cette technologie canadienne produit des réacteurs
pas très efficaces, mais permet d'acquérir la technologie
nucléaire sans avoir toutes les compétences et tous les équipements
qu'exigent les autres filières. Il s'agit aussi de réacteurs
à neutrons lents dont on connaît l'aisance de pilotage (?!).
Elle a permis au sous continent d'orienter ses mathématiciens vers
les modélisations physiques; d'où une école indienne
inégalée, formant accessoirement les meilleurs éléments
de la Silicon Valley, le cœur de l'électronique américaine.
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suite:
Ils ont constitué une école nucléaire solide
et ils ont construit des équipements de recherche fondamentale à
la hauteur. Ils avancent ainsi dans les domaines nucléaire et spatial
et ne sont pas en reste ni en biologie ni en nanotechnologie. Pour que
l'Inde puisse assurer son développement il lui faudra consommer
beaucoup d'énergie.
Mais étant donné qu'il n'est
pas un gros producteur pétrolier, il doit acquérir une autosuffisance,
chose qui ne peut avoir lieu qu'en développant sa filière
énergétique. L'Inde qui maîtrise déjà
la technologie du Candu, à neutrons lents, a un très grand
avantage à se convertir ses équipes vers les réacteurs
au thorium vu que ce dernier est fissile aux neutrons lents, et c'est légitimement
qu'elle vient de décider la construction, d'un prototype de réacteur
à eau lourde fonctionnant au thorium. Alimenter ses usines ne posera
pas le moindre problème car le minerai est exceptionnellement disponible
dans le pays. Il y gagnera en liberté. Dans une douzaine d'années
une version commerciale devrait entrer en service. Elle deviendra leader
mondial dans ce type de filière vu que la communauté internationale
ne se la dispute pas, malheureusement.
En réalité, je pense que
cet aveuglement sous tend une stratégie d'oligopole nucléaire
de la part des occidentaux. Ces exportateurs ne veulent fournir que de
grosses unités pour écouler leur filière uranium complexe
et très policée, et surtout pour vendre quelque chose de
très compliqué difficilement acquérable (à
la manière du Windows de Bill Gates).
Est-ce que cette filière nationale
est potentiellement prometteuse?
Comme nous l'avons dit plus haut, si on
songeait il y a un demi-siècle à utiliser de tels réacteurs
miniaturisés pour faire voler des avions, on peut certainement les
utiliser dans la forme de petites centrales pour des cités d'un
quart de millions d'habitant pour subvenir aux besoins criants en eau,
électricité, et chaleur.
En plus, d'un point de vue environnementaliste,
si l'on s'y prend bien au départ, on peut concevoir une filière
dont les déchets radioactifs seront moins dangereux que ceux que
l'on trouve dans les terrils de charbon ! D'autre part leur pilotage sur
site peut être entièrement télécommandé.
D'où une certitude de mise aux dernières normes. De tels
réacteurs au thorium peuvent être miniaturisés, au
point d'être préfabriqués et démantelés
en usine avant livraison, tout en s'assurant d'une surveillance étatique
des circuits de contrôle et d'exploitation.
La perspective de réacteurs aux
sels fondus, et à cycle fermé de refroidissement à
hélium, offrira une gamme de collaborations internationales possibles
sans risque de perte de contrôle d'autonomie.
Exporter ces petits réacteurs rouvrira
un type de diplomatie entre pays misant sur le progrès de leurs
jeunes élites. Je crois très intelligent pour l'Inde de retrouver
ici un moyen d'une politique de coopération dont elle a été
le porte drapeau, face à H. Kissinger et aux britanniques, au sein
du Mouvement des Non Alignés.
*Note
L'instabilité nucléaire comme base de la réaction
nucléaire
Du point de vue nucléaire, les atomes sont
ordinairement stables. On ne peut rien faire avec eux. Certains sont instables,
et explosent rapidement, ils ne sont pas bien maîtrisables et sont
dangereux car lors de leur explosion ils émettent de la radioactivité.
D'autres enfin sont métastables, une pichenette
les fait se désintégrer. On peut donc les commander. Les
neutrons sont notre pichenette atomique. Vous frappez un atome d'uranium
avec un neutron et il explose. En explosant il se casse en morceaux dont
plusieurs neutrons. Si vous ordonnez bien vos atomes d'uranium et domestiquez
vos neutrons, vous pouvez faire en sorte de créer une chaîne
de réactions où un des derniers neutrons produit lors de
la désintégration, fournit la pichenette de l'atome suivant.
On fait cela dans une centrale nucléaire. |