1) Des sous-marins nucléaires pour le Brésil
Jean-Marie Collin chercheur à l'Observatoire des armements
LIBERATION.FR,
mardi 12 février 2008
Le Brésil veut devenir, avec l'aide
de la France, le premier pays d'Amérique du sud à posséder
une flotte de sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). D'ici vingt
ans, cinq SNA devraient être lancés. Leurs missions seront
de protéger «les grandes richesses nationales de l'océan
Atlantique» comme le pétrole et de prévenir «l'invasion
d'un autre pays ou les actes de terrorisme». La coopération
française dans ce projet militaire sera «récompensée»
par de gros contrats pour les industriels français: vente d'hélicoptères
par Eurocopter, de sous-marins Marlin par DCNS(1), etc. Au risque
de provoquer une nouvelle prolifération nucléaire…
Depuis plusieurs mois, la rumeur courait au
sujet d'un accord de coopération nucléaire entre les deux
pays. Les premiers échos sont apparus dans la presse étrangère
en juin 2007: une déclaration du directeur de Thales-Brésil,
Laurent Mourre, proposait à «une équipe du Brésil
d'accompagner la construction de la nouvelle classe du sous-marin nucléaire
français Barracuda. Le Brésil gagnerait ainsi des années
d'avance en connaissances, quand il se décidera à faire un
sous-marin nucléaire»! Un appel qui se traduisit rapidement
et secrètement par la signature d'une lettre d'intention qui prévoit
«la transmission progressive des technologies destinées
à la construction d'un sous-marin nucléaire». Le
ministère français de la Défense démentit cet
accord. Pourtant, tout semble bien vrai au regard des derniers événements:
visite d'un SNA par le ministre brésilien de la Défense,
Nelson Jobim, à Toulon le 26 janvier, puis double rencontre avec
son homologue français, Hervé Morin, et Nicolas Sarkozy,
le 29 janvier. Enfin, la déclaration de Nelson Jobim dans le quotidien
brésilien OGlobo est très claire : le Brésil veut
«dessiner une alliance stratégique avec la France pour
la construction de sous-marins nucléaires d'attaque».
Cette coopération sera certainement
annoncée lors de la rencontre des présidents Sarkozy et Lula
en Guyane française. La France va participer à la construction
des futurs SNA brésiliens en transférant une technologie
et un savoir-faire ultrasensible. Cela concerne principalement du matériel
informatique conçu par Thales et des procédés techniques
fondamentaux comme l'acier soudable à haute limite d'élasticité,
indispensable pour un SNA. Cet acier est quatre fois plus résistant
qu'un acier ordinaire et assure une «glisse» et une absence
de frottement de l'eau.
Cette coopération ne semble pas inclure de technologie relative
au système de propulsion nucléaire. Le fonctionnement des
chaufferies nucléaires nécessite en effet de l'uranium hautement
enrichi dit de qualité militaire. Ainsi, qui possède un système
de propulsion nucléaire possède la matière fissile
pour se constituer un arsenal nucléaire. Aligner une flotte de SNA
augmente les capacités militaires d'un pays. Discret, le SNA est
autonome (hormis sur le plan des vivres) et en plongée permanente,
à la différence des autres sous-marins classiques. Ses capacités
d'actions sont impressionnantes (destruction de navires, frappes contre
terre, transport de commandos, renseignements). A lui seul, il peut déterminer
le sort d'un conflit (Malouines, Kosovo).
Jusqu'à maintenant, un pacte tacite
entre les puissances nucléaires (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni,
Chine) avait consenti à ne pas diffuser ce savoir-faire. La location
d'un SNA par la Russie à l'Inde (en 2010) et désormais l'alliance
stratégique, proposée par le Brésil et acceptée
par la France, ouvre une première porte dans le marché export
des SNA. D'ici quelque temps, l'offre et la demande pourraient bien se
rencontrer, malgré le risque d'une dérive de la technologie
de la propulsion nucléaire vers un programme d'arme nucléaire. |
Si le Traité de non-prolifération
nucléaire n'interdit pas ce transfert, cette brèche pourrait
avoir des conséquences dans la lutte contre la prolifération.
Cela créerait une nouvelle caste au sein de ses membres: des puissances,
comme le Brésil, seraient à l'extrême limite de la
production de la bombe tout en produisant et en utilisant son composant
principal, l'uranium enrichi! De même, il est à craindre des
dommages irréversibles pour l'environnement marin avec l'essor de
marines nucléaires qui engendreraient une multiplication des accidents.
Ils se comptent déjà par dizaines chaque année allant
de la simple collision, à des fuites radioactives, voire à
des drames comme celui du Koursk, en 2000.
D'anciennes velléités risquent
de se réveiller et toute commande d'un SNA sera suivi d'une course
aux armements dans cette même région De nombreuses nations
(Inde, Corée du Sud, Argentine) souhaitent rentrer dans le club
des marines atomiques. D'autres comme le Canada ou Taiwan s'interrogent.
La menace d'une prolifération d'un nouveau genre semble s'amorcer,
à moins que les grandes puissances nucléaires ne ratifient
un traité d'interdiction de transfert de toutes technologies, nucléaires
ou non, vers toutes les plateformes nucléaires.
(1) Nouveau nom de la Direction des constructions
navales après son rapprochement avec Thales.
2) http://www.romandie.com/infos/news2/080224151422.pg1cww54.asp
Argentine et Brésil s'allient pour un sous-marin à
propulsion nucléaire
©AFP / 24 février
BUENOS AIRES - L'Argentine et le Brésil
vont s'allier pour la construction d'un sous-marin à propulsion
nucléaire, a annoncé le ministre de la Défense brésilien,
Nelson Jobim, selon des déclarations publiées dimanche à
Buenos Aires par le quotidien Clarin.
"Nous discutons avec la ministre (argentine
de la Défense, ndlr) Nilda Garré et avec trois commandants
militaires argentins et sommes d'accord pour constituer une entreprise
bi-nationale pour produire le réacteur compact" pour propulser
le sous-marin, a déclaré M. Jobim cité par Clarin.
Dans ce projet, les Argentins apporteront
leur expérience du nucléaire pour ce qui est de la production
du réacteur, quant aux Brésiliens, ils y contribueront avec
leur savoir-faire en matière de combustion atomique et la partie
non nucléaire de l'engin fera appel à la technologie française.
"Avec le président (français)
Nicolas Sarkozy, nous avons discuté la semaine dernière d'une
alliance stratégique : nous nous sommes entendus pour créer
les conditions propices à une société bilatérale
en vue de fabriquer au Brésil la partie non nucléaire du
sous-marin", a précisé M. Jobim.
"Pour la propulsion, il s'agira d'une usine
bi-nationale argentine-brésilienne", a ajouté le ministre
de la Défense, qui a fait cette annonce alors qu'il accompagnait
le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, en visite
officielle de deux jours dans la capitale argentine.
M. Jobim a outre souligné que ce développement
aurait également des applications civiles.
Lula da Silva et la présidente argentine,
Cristina Kirchner, avaient annoncé vendredi la création d'une
entreprise mixte d'enrichissement d'uranium à des fins pacifiques
et la décision de développer un générateur
électrique nucléaire, entre autres accords énergétiques
et aéronautiques. |