L'affaire du
plutonium de Cadarache, et la crise qu'il a déclenché laissera
des traces dans le milieu nucléaire français.
Des traces pratiques, puisque se pose nécessairement
la question de savoir si l'usine Melox (Areva), de Marcoule, doit être
passée au peigne fin pour vérifier si le même phénomène
s'y produit. Mais aussi pour les relations entre l'Autorité de Sûreté
Nucléaire et le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA),
qui ont pris une tournure assez virulente, et dont on peut espérer
que l'affrontement se traduira non par une méfiance armée
réciproque, mais par une rigueur accrue dans le débat technique
et la transmission des informations. Quant à l'information... du
public, on peut malheureusement considérer que l'épisode
n'aura pas franchement amélioré la situation.
(suite)
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suite:
Il peut sembler étrange que l'on ne sache pas où se trouvent 39 kg de plutonium, une matière qui se compte au gramme près. Et dont la comptabilité est régulièrement transmise au Haut fonctionnaire de défense et de sécurité concerné. Jusqu'au 17 septembre dernier, il s'agissait d'Emmanuel Sartorius, au ministère de l'industrie, depuis il s'agit de Claude Azam à celui de l'environnement (chez Borloo et Chantal Jouano), qui surveille le plutonium. Curieusement, cela n'entre pas dans les attributions de l'ASN, "seule autorité de sûreté dans ce cas avec celle de la Corée du Sud" me fait remarquer Marie-Pierre Comets. Ce dispositif de contrôle, très strict, vise surtout à s'assurer que du plutonium n'est pas parti vers de mauvaises mains. Outre la pesée fréquente des matières, le logiciel (Concerto) qui tient les comptes est alimenté par les déclarations des opérateurs, estimant à l'oeil la matière perdue dans les boîtes à gants lors des opérations. La somme de toutes ces déclarations au fil des près de 40 ans d'exploitation de l'ATPu donnait un total de 8 kg à la fin des activités, en 2003. Même si mes interlocuteurs ne suivent pas mon hypothèse, il me semble que le CEA et Areva, depuis le début de l'exploitation de l'ATPu sont beaucoup plus soucieux de prouver au HFDS que nul plutonium ne s'est évaporé de l'ATPu plutôt que de mesurer avec exactitude ce qui reste dans les boîtes à gants. Cette démarche suit une pente de raisonnement logique: le plus grave, c'est la prolifération possible, la "fuite" de plutonium. En outre, la chronologie des informations transmises (lire plus loin) et l'insistance avec laquelle on me dit "le HFDS était au courant et il nous a écrit cet été pour nous dire de continuer à démanteler pour savoir exactement combien de plutonium il reste" me font penser que leur souçi majeur était là. Et, malheureusement pour eux, pas dans la déclaration écrite, au fûr et à mesure des découvertes, à l'ASN. Mais n'y avait-il que 8 kg? Et surtout le CEA et Areva l'ont-ils caché, ont-il tardé à informer de leurs découvertes? Dès janvier 2008, tout le monde - CEA, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ASN, Areva - sait qu'il y en a plus que les 8 kg. A cette époque, quelques boîtes à gants ont été démantelées, à titre de tests. On y trouve deux à trois fois plus que de matière qu'attendue... En extrapolant, on sait dès lors qu'il peut se trouver dans les boîtes à gants de l'ATPu entre 16 et 24 kg de plutonium et non 8. D'après Michel Mellone et Serge Durand, cette information fait partie du dossier d'instruction du démantèlement, des précautions prises, et de son autorisation par l'ASN. Lorsque démarre le démantèlement, en février 2009, les premiers chiffres correspondent aux estimations basses. Puis, en juin, les opérateurs s'occupent des boîtes à gants où la poudre était tamisée, broyée, retournée, transvasée. Les chiffres grimpent alors plus haut. La première alerte date du 5 juin, les responsables de l'ATPu signalent alors à la direction du centre qu'ils ont 5 kg de plus. Puis, le 17 juin, il s'agit d'effectuer la déclaration annuelle à Euratom des stocks de plutonium, sous le couvert du Haut Fonctionnaire de Défense, dans le cadre de la surveillance internationale. Là, l'écart avec le comptage des postes dans le logiciel Concerto monte à 14 kg. Pour l'ASN et Marie-Pierre Comets, il aurait fallu rédiger simultanément la déclaration écrite à l'ASN a partir de ce moment. Ce qui, m'explique t-elle "n'aurait pas évité le niveau 2 au CEA en raison du risque de criticité". Puis, fin juin l'estimation monte à 22 kg, puis, début septembre, aux fameux 39 kg. C'est durant toute cette période que, selon l'ASN et le CEA, les versions divergent sur la transmission de l'information. Pour Marie-Pierre Comets, "rien n'est arrivé au collège de direction de l'ASN avant la rencontre, le 1er octobre 2009, de l'administrateur général ajdoint du CEA, Hervé Bernard, avec André Lacoste, le président de l'ASN." Réactions virulentes du côté du CEA. Selon Serge Durand et Bernard Bigot l'information a été transmise oralement lors d'une visite de l'ASN le 11 juin à Cadarache. Le 19 juin, au moment où l'estimation grimpe à 22 kg, l'information est, dit Serge Durand "transmise par téléphone par mon adjoint au chef de la division de Marseille de l'ASN, à monsieur Kueny, son directeur". Coup de fil attesté... mais dont Marie Pierre Comets affirme "qu'il n'a pas été question du plutonium de l'ATPu lors de cette conversation". Dans cette affaire quelqu'un ne dit pas la vérité, mais je ne sais pas qui. Le 23 juin nouvelle information orale lors d'une visite Euratom, qui aurait donné lieu cet été (le 28 aout) à un échange de courrier entre le CEA et le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité, après une nouvelle visite le 1er juillet. Tout cela, pour Marie-Pierre Comets est bien joli, mais "ce sujet ne se traite pas par téléphone" et rien ne vaut la déclaration en bonne et due forme à l'ASN, laquelle est "obligatoire et sans délais" depuis la loi de 2006. Autrement dit, il semble évident que de nombreuses informations ont circulé par oral. Signe de la bonne foi des acteurs. Il me semble d'ailleurs assez impossible que le Haut Fonctionnaire de Défense n'ait aucune discussion avec André Lacoste sur un sujet aussi sensible... mais pourquoi n'avoir pas en quelque sorte "sorti le parapluie" en dégainant une déclaration écrite à chaque montée des estimations de plutonium retrouvé? Ou, a posteriori, adopté une posture plus "profil bas" en regrettant de n'avoir pas effectuer cette démarche? La question se pose d'autant plus que Bernard Bigot - pour qui le "sans délai" de la dite loi s'applique aux situations de danger "notable ou imminent" pour la sûreté ou les travailleurs... - va jusqu'à me dire qu'aucune déclaration écrite ne s'imposait dans ce cas. "Mais si, c'est justement le cas", réplique Marie-Pierre Comets. Les gendarmes des Bouches-du-Rhône et le procureur d'Aix vont avoir à trancher entre les deux versions. En tous cas, il va être de plus en plus difficile de plaider la collusion entre l'ASN et les exploitants du nucléaire. Une autre question, difficile mais fondamentale, réside dans le risque suivant: comment ne pas transformer la rigueur dans la transmission des informations, nécesssairement écrite et formalisée, en bureaucratisation de la sûreté? La formalisation est inhérente au contrôle. Elle est donc nécesssaire. Son excès résulte directement de la tendance de tous les acteurs du système à sortir le parapluie pour se protéger d'une accusation ultérieure de ne pas avoir soit demandé, soit donné, des informations. Le problème qui en découle est de détourner l'attention, l'action et la volonté des acteurs du but réel poursuivi: la sûreté et la sécurité, au profit stérile de la paperasse. Dans cette affaire, il me semble que le CEA n'a pas cherché à cacher, in fine, des informations - de toute façon c'est impossible - à l'Autorité de sûreté nucléaire, mais qu'il a négligé de considérer la réaction prévisible de l'ASN lorsqu'elles lui seraient transmises. La bonne leçon a en tirer est, à mon avis, qu'il aurait dû remplir un formulaire d'incident dès juin 2009, donc avant d'avoir une estimation finale de la quantité de plutonium retenu. La mauvaise serait de considérer que cette affaire aurait dû se traduire par cinq ou six formulaires, à chaque fois que l'estimation grandissait. Autres documents de Libération: * Article 27/10/2009 Nucléaire, le clash de Cadarache Le démantèlement de l'atelier de technologie du plutonium tourne à l'affrontement entre l'Autorité de sûreté nucléaire et le Commissariat à l'énergie atomique... Ici ont été fabriqués jusqu'en 2003 des combustibles au plutonium, d'abord pour les réacteurs à neutrons rapides (Phénix et Superphénix), puis les MOX - mélanges d'oxydes d'uranium et de plutonium issus du retraitement des combustibles usés - utilisés par EDF... * Blogs 19/10/2009 Plutonium de Cadarache: l'ASN écrit au CEA L'Autorité de Sûreté Nucléaire vient de publier un nouveau texte sur l'affaire du plutonium de Cadarache. Elle apporte de nouveaux éclaircissements et somme le CEA et Areva d'apporter des réponses à certaines questions... * Blogs 18/10/2009 Plutonium de Cadarache: les précisions de l'IRSN L'affaire du plutonium de Cadarache, rendue publique le 14 octobre, continue de soulever d'intenses polémiques. La ministre Chantal Jouanno parle de " têtes" qui doivent "tomber"... * Article 16/10/2009 A Cadarache, un incident très discret A Cadarache, 22 kilos de plutonium ont été découverts dans un atelier en cours de démantèlement alors que ses responsables s'attendaient à en trouver 8. Le CEA lui-même dit qu'il pourrait y en avoir au final "près de 39 kilos". Il affirme que ces dépôts de plutonium ne présentent pas de danger puisqu'ils se présentent sous la forme de fines poudres glissées dans les interstices de 450 "boîtes à gants", ce qui n'en fait donc pas "une masse critique"... * Blogs 15/10/2009 Le plutonium de Cadarache: la vraie histoire L'affaire du plutonium de Cadarache suscite de violentes polémiques. Voici la vraie histoire... * Libé Marseille 15/10/2009 Trop de plutonium à Cadarache Le CEA a trouvé à Cadarache (Bouches-du-Rhône), dans un atelier en cours de démantèlement, beaucoup plus de plutonium que prévu... * Blogs 14/10/2009 Le CEA a tardé à signaler un incident nucléaire à Cadarache L'Autorité de Sûreté Nucléaire vient de suspendre toutes les opérations de démantèlement de l'Atelier de technologie plutonium du centre du CEA à Cadarache... Document 1) GSIEN |