CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE INTERNATIONALE
2008

août
La surveillance des nappes phréatiques est à revoir autour des sites nucléaires
ADIT, Le Monde

LE MONDE | 12.08.08
     "Nos experts n'assurent aujourd'hui quasiment aucune surveillance des nappes phréatiques." Didier Champion, directeur de l'environnement et de l'intervention à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), ne pratique pas la langue de bois. Ses propos prennent un relief particulier, alors que des incidents en cascade - 11 de niveau 1 sur l'échelle internationale allant de 0 à 7, depuis le début du mois de juillet - braquent les projecteurs sur les défaillances de la filière électronucléaire.
     A la suite de l'accident du Tricastin (Vaucluse) du 7 juillet, qui a entraîné le rejet de 74 kg d'uranium dans les cours d'eau, le ministre de l'écologie, Jean-Louis Borloo, a demandé au Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, créé au mois de juin, de se pencher sur la situation radio-écologique de l'ensemble des sites nucléaires français.Et, en particulier, de vérifier l'état de toutes les nappes phréatiques. Le 22 juillet, le Haut Comité a saisi l'IRSN, qui doit lui remettre pour le 15 septembre - avec un rapport d'étape début septembre- un 'bilan de la surveillance et de la qualité des eaux, souterraines et superficielles, à proximité des sites nucléaires'.
     Les 70 agents de l'IRSN affectés au contrôle des centres nucléaires ne partent pas de rien. La loi impose une autosurveillance aux exploitants - EDF pour les centrales, Areva pour la fabrication et le retraitement du combustible, le Commissariat à l'énergie atomique pour la recherche civile et militaire, l'Andra pour les déchets - des quelque 130 installations nucléaires de base, réparties sur une trentaine de sites, dont 19 abritent les 58 réacteurs français. Ces exploitants ont obligation de s'assurer que leurs rejets, gazeux et liquides, ne dépassent pas les seuils autorisés, mais aussi qu'ils n'ont pas d'impact sur l'environnement.

UNE CERTAINE 'OPACITÉ'
     De son côté, l'IRSN procède chaque année à 30.000 prélèvements dans 600 points du territoire national. Les trois quarts de ces analyses portent sur les aérosols (poussières atmosphériques), la pollution radioactive de l'air étant considérée comme le risque majeur. Les autres prélèvements sont faits dans les rivières, ou sur des végétaux ou des produits tests (herbes, mousses, blé, lait). Dans le même temps, les 180 balises du réseau Téléray, qui mesurent en permanence le niveau de radioactivité dans l'air ambiant, fournissent 19 millions de mesures par an. Elles sont complétées par quelques stations de mesures des eaux fluviales et des bassins d'épuration.

     Mais l'Institut ne s'intéresse que "très peu" aux nappes phréatiques, reconnaît Didier Champion. Il ne suit que 16 sites (dont celui du Tricastin), sur lesquels il n'effectue que 114 prélèvements par an. Une goutte d'eau, en comparaison du réseau hydrographique souterrain. En outre, certains de ces sites, dont le choix est lié à des "raisons historiques", ne comptent pas parmi les plus significatifs. Ce désintérêt peut s'expliquer par le fait que les exploitants ne sont pas autorisés à rejeter des effluents dans les eaux profondes, qui ne devraient donc théoriquement pas être contaminées. Et qu'en cas d'accident, les nappes ne sont pas immédiatement atteintes, ce qui laisse le temps de déployer les moyens d'analyse nécessaires.
     Les exploitants sont toutefois tenus de surveiller les nappes situées sous leurs installations. Mais les résultats, communiqués à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ne le sont pas à l'IRSN. Une 'anomalie' qui, aux yeux de Didier Champion, contribue à une certaine 'opacité'.Un remède devrait y être apporté avec la création, à partir de janvier 2009, d'un réseau national de mesure de la radioactivité dans l'environnement. Géré par l'IRSN, il centralisera toutes les mesures émanant des exploitants comme des services de l'Etat.
     L'institut n'envisage pourtant pas de mettre en place une surveillance systématique des nappes phréatiques. "Ce serait déraisonnable, pour des raisons de moyens, estime Didier Champion. Les eaux souterraines ont un comportement complexe et fluctuant. Il ne suffit pas d'effectuer quelques mesures ponctuelles pour statuer sur leur qualité."
     Pour répondre à la demande ministérielle, l'IRSN a entrepris l'inventaire de toutes les données dont disposent déjà les exploitants, accompagné du recensement des stockages de déchets radioactifs, actuels ou passés, d'où des radionucléides pourraient ou auraient pu migrer vers le sous-sol. "Cet état des lieux permettra de déterminer les nappes qui présentent un marquage radioactif et demandent une attention particulière. Le Haut Comité fera ensuite des recommandations au ministre. Ce sera alors à lui de décider d'une surveillance renforcée", indique l'institut.
     Au-delà des seules nappes phréatiques, Didier Champion juge nécessaire "une évaluation de la pertinence du dispositif global de surveillance des sites nucléaires". Tout aussi important, pense-t-il, est de mettre à la disposition du public "des informations faciles à interpréter, notamment en termes de risques sanitaires". "Pour l'IRSN, ce n'est pas un été de tout repos, commente le directeur de l'environnement de cet institut. Tout le monde, même les chercheurs, est mobilisé pour cette mission."
Pierre Le Hir
Les vigiles du nucléaire
ASN
     L'Autorité de sûreté nucléaire est le 'gendarme' des industries de l'atome, chargé par l'Etat du contrôle de la sûreté et de la radioprotection. Moyens: 400 agents, 11 délégations territoriales, 50 millions € de budget.
IRSN
     L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, placé sous la tutelle des ministères de l'environnement, de la santé, de l'industrie, de la recherche et de la défense, assure l'expertise et la recherche sur les risques nucléaires. Moyens: 1.600 agents, 11 implantations régionales, 275 millions € de budget.
CRIIRAD
     La Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité, créée après l'accident de Tchernobyl et dotée de son propre laboratoire d'analyses, joue un rôle de contre-pouvoir. Moyens:13 salariés, 4.000 adhérents, 675.000 € de budget.