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Roland Desbordes, président de la CRIIRAD
(Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité)
Eté 2010, la Russie traverse un
enfer: des incendies ravagent des milliers d'hectares de forêts.
Les scientifiques sont aux abois. Et pour cause, les feux se sont, à
plusieurs reprises, dangereusement approchés de la centrale nucléaire
Sarov, à quelque 200 kilomètres de Moscou. Developpementdurable.com
s'est enquis de l'avis de Roland Desbordes, président de la Commission
de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité
(CRIIRAD). De fil en aiguille, la conversation dévie sur un sujet
autrement plus inquiétant...
developpementdurable.com: Quelles ont été
les craintes de la CRIIRAD concernant les incendies en Russie?
Roland Desbordes: Les craintes ont
été très importantes. Il faut savoir que la centrale
Sarov n'est pas un centre nucléaire anodin mais un centre nucléaire
militaire. Si les armes et les explosifs ont été mis à
l'abri facilement, la chaîne de fabrication comprenant produits chimiques,
citernes, stocks de déchets, elle, n'a pas pu être déménagée.
D'ailleurs, les autorités russes ont déployé un arsenal
d'hommes impressionnant car elles étaient tout à fait conscientes
qu'il s'y trouvait des matières fissiles susceptibles de produire
une réaction nucléaire.
En Russie, il est très difficile de
protéger ces sites dont l'emplacement est resté secret pendant
des décennies et rendu public à partir des années
80. Durant la guerre froide, par souci de discrétion, les centres
nucléaires étaient construits en milieu forestier. Or, le
problème, nous l'avons vu, est qu'il n'y a ni pistes ni routes qui
puissent circonscrire un incendie, dans un tel environnement. Les feux
vont donc très près de ces sites sensibles. Les autorités
russes ont essayées de creuser des tranchées au bulldozer
pour pouvoir créer des coupe-feu mais leur efficacité s'est
révélée très limitée: la nature était
très sèche du fait de la canicule. Les Russes se sont aussi
heurtés au problème des tourbières: le feu passait
alors sous le sol et non par la végétation. Un ensemble de
données qui nous a fait craindre le pire, en effet.
dd.com: La France, pourrait-elle connaître
une telle situation?
Je ne dis pas que cela ne pourrait pas arriver
mais les risques seraient différents. Les centrales nucléaires
en France ne se situent pas en milieu forestier. Le site éventuellement
comparable serait celui de Marcoule, encore que les forêts sont relativement
éloignées. Entre un feu de broussaille et un feu de tourbière,
il y a une différence!
Le risque en France est autre. S'il y a incendie,
il faut espérer qu'il n'y ait pas endommagement des lignes haute
tension qui acheminent l'électricité permettant de faire
tourner les pompes de refroidissement. En France, la végétation
entourant ces lignes est taillée selon une norme afin d'éviter
leur effondrement en cas d'incendie. Mais le métal dont elles sont
composées est très fragile et sujet à déformation
sous haute température. En cas de défaillance des lignes
haute tension, un groupe électrogène, situé à
l'extérieur de la centrale, prend le relais. Le problème
que nous pourrions éventuellement rencontrer se situe au niveau
de ce groupe électrogène. En effet, les études de
sûreté ont toujours imaginé des scénarios dans
lesquels le feu prendrait de l'intérieur de la centrale et non de
l'extérieur. De ce fait, nous sommes en droit de nous demander si
ces groupes électrogènes sont suffisamment protégés
contre un potentiel incendie. La question reste en suspens...
Mais en règle générale,
les abords des centrales françaises sont mieux entretenus que ceux
des centres russes. Si le risque ne peut être écarté
complètement, il est plus faible.
dd.com: Où en êtes-vous de
la mesure de la radioactivité provenant de Russie?
R. D.: Nous gérons un réseau
de balises de contrôle de la radioactivité dans l'air dans
la région Rhône-Alpes. Lors des évènements russes,
nous avons bien entendu redoublé de vigilance. D'autant que nous
avions déjà été confrontés à
ce genre de situation en 2002, où de petits incendies dans la région
de Tchernobyl avaient apporté des particules jusqu'en France. Le
niveau de radioactivité était certes bas mais nous avions
alors constaté que le transport de particules sur de longues distances,
suite à des incendies de forêt, était tout à
fait plausible. Nous avons donc renforcé les contrôles, même
si nous nous doutions bien que le niveau de pollution n'atteindrait pas
les niveaux de 1986, après la catastrophe de Tchernobyl.
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suite:
Depuis juillet, nous n'avons pas constaté de radioactivité
anormale sur les filtres et balises que nous gérons. Il semblerait
donc que la radioactivité mise en suspension dans l'air n'ait pas
pris la direction de la France. Maintenant, nous interrogeons les autorités
françaises, européennes et russes pour connaître leurs
mesures de taux de radioactivité puisqu'il est évident qu'elles
ont procédé à ce genre de recherche. Le problème
est que les autorités russes, notamment, ne veulent pas communiquer
les résultats des analyses. Et ça, c'est dommageable!
dd.com: Quelle a été l'attitude
des politiques face à cette situation?
R. D.: Pour moi, l'Europe ne s'est
pas beaucoup souciée des risques, ce qui est d'autant plus étonnant
que des pays limitrophes de la Russie font partie de l'Union européenne.
De plus, la situation n'est pas anodine, nous avons vu les conséquences
qui en ont découlé : décès dus aux insuffisances
respiratoires. Les Etats ont peut être pris le parti de faire la
politique de l'autruche... Nous avons formulé, il y a un peu plus
d'une semaine, une requête visant à obtenir plus d'informations
sur les données recueillies en Russie. Nous n'avons toujours pas
reçu de réponse (vendredi 20 août).
dd.com: Georges
Charpak et certains scientifiques invitent à renoncer au projet
ITER, quelle est l'opinion de la CRIIRAD?
R. D.: ITER est un gros programme de
recherche. Nous nous posons plusieurs questions: la première, évidente,
consiste à se demander si le programme peut effectivement aboutir
à un réacteur de fusion nucléaire capable de produire
de l'énergie. Sur ce point, les spécialistes sont partagés
et certains sont tout à fait sceptiques quant à notre capacité
d'y parvenir. Les défis technologiques sont tels que nous sommes
en droit d'en douter. Ensuite il y a un problème de priorité
et de stratégie énergétiques. Une certitude pour tous:
il n'y aura plus de pétrole demain, de gaz et de charbon après-demain.
Face à cet état de fait, est-ce une priorité pour
les 20, 30, 50 ans à venir, d'investir de l'argent dans ce projet
qui est, par ailleurs, très incertain? Rappelons que le réacteur
ITER sera opératif au mieux dans 60 ans. Or, nous savons qu'en matière
d'énergies renouvelables, le potentiel est énorme. Malheureusement,
l'Etat ne débloque pas toujours l'argent nécessaire à
leur développement.
Le projet ITER est, à mon sens, une
énorme erreur de stratégie. Mais ce n'est pas le plus inquiétant.
Les centrales nucléaires de 4ème génération
faites de réacteurs à neutrons rapides le sont beaucoup plus.
Elles ouvrent la voie à «l'ère du plutonium».
Or, l'utilisation du plutonium est nettement plus dramatique que celle
de l'uranium et ce, du point de vue des déchets hautement radiotoxiques.
dd.com: En quoi le plutonium représente
un si grand danger?
R. D.: De manière générale,
l'enrichissement d'uranium nécessite des moyens techniques colossaux,
ce qui en limite en quelque sorte son utilisation. Ce n'est pas le cas
du plutonium dont la fabrication est plus accessible: dès lors que
vous possédez de l'uranium 238, abondamment présent dans
la nature et disponible en quantité illimitée, il suffit
de le soumettre à un flux de neutrons pour le transformer en plutonium
239. Or, cet élément est un des plus radiotoxiques c'est-à-dire
un des plus dangereux pour la santé. Concrètement, un microgramme
de plutonium dans les poumons est tout simplement mortel.
dd.com: La CRIIRAD inviterait-elle à renoncer
au nucléaire?
R. D.: La CRIIRAD n'invite pas à
renoncer au nucléaire, ce n'est pas une association anti-nucléaire.
Notre mission consiste à alerter nos concitoyens sur les risques
associés à telle technique, telle pollution, tel déchet.
Nous faisons de la recherche pour informer de manière indépendante.
Reprenons le cas du plutonium. Nous ne signerons pas de pétition.
En revanche, nous alertons sur ses dangers et sur le fait que son exploitation
est en train de s'imposer sans qu'il y ait de débat démocratique
autour de la question. Nous voyons sur le terrain tous les pions se mettre
en place discrètement en faveur des réacteurs de la 4ème
génération alors qu'il est évident que cette technologie
nous oriente sur un modèle de société beaucoup plus
dangereux que notre modèle actuel, basé sur l'uranium. La
CRIIRAD, sur ce point, appelle au débat public. |