Areva et EDF
se déchirent, le réacteur EPR attend les clients et le rapport
Roussely remis à Nicolas Sarkozy reste sans lendemain. Que se passe-t-il?
C'était en janvier 2009. Nicolas Sarkozy
annonçait la construction d'un réacteur EPR à Penly,
en Seine-Maritime. Le fleuron de la technologie nucléaire française
allait trouver, au bord de la Manche, son cinquième débouché
après Flamanville dans le Cotentin, la Chine (2 unités) et
la Finlande. En attendant d'autres conquêtes mondiales à trois
ou quatre milliards € par contrat dans les pays émergents et
chez nos voisins.
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La principale pomme de discorde porte sur le capital du fabricant de réacteurs. Henri Proglio n'a jamais caché son souhait de prendre en main les destinées des "fonderies de Chalon-sur-Saône ", où sont fabriqués les chaudières et générateurs de vapeur. L'Elysée a accepté de mettre à l'étude une augmentation de la part d'EDF dans Areva, au grand dam d'Anne Lauvergeon, pour la porter aux alentours de 6% (contre 2,5% aujourd'hui). Une idée conçue pour rationaliser la filière, qui ne figurait pas dans le rapport Roussely. L'emblématique patronne a organisé un tir de barrage. Son argument: si EDF monte au capital, il aura sa place au conseil d'administration. Du coup, il pourra connaître les stratégies des clients d'Areva concurrents d'EDF qui risquent alors de fuir. Anne Lauvergeon préfère d'autres investisseurs, Mitsubishi et les fonds souverains du Qatar et du Koweït. L'opposition avec Proglio est totale. "Que les investisseurs vont-ils venir faire dans cette histoire si le principal client, EDF, ne donne pas son accord? Nous ne voulons pas que les Japonais puissent connaître nos propres secrets industriels", rétorque-t-on chez EDF, où l'on doute fort que le tour de table puisse être bouclé d'ici à la fin de l'année, comme promis. "Le délai sera tenu sans encombre", assure-t-on chez Areva. Une chose est sûre, l'Etat ne veut plus laisser Areva commercialiser l'EPR – ou tout autre modèle de réacteur – clé en mains comme pour l'EPR en Finlande. Ce prototype a été vendu 3 milliards € mais son coût a dérapé, il est estimé à près de 6 milliards après quatre années de retard. "Ce n'était pas le métier d'Areva, tous nos problèmes viennent de là", résume un dirigeant du secteur. Avalant sa rancune, l'électricien finlandais TVO n'exclut pas de construire un second EPR. Mais il aurait finalement demandé conseil à EDF pour l'exploitation du premier. Une victime, GDF Suez
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Le torchon brûle
entre le gendarme du nucléaire et les différents acteurs
de la filière. Critiquée pour son excès de zèle,
l'ASN est à la fois accusée de compliquer la tâche
des industriels français et de gonfler la facture de l'EPR...
Le clash remonte au 3 novembre 2009. Ce jour-là, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pose une petite bombe dans le landerneau de l'atome, en s'interrogeant publiquement sur la fiabilité du système de contrôle-commande de l'EPR, le réacteur français de troisième génération. Le communiqué de trop, pour ceux qui s'agacent de «l'activisme» de l'ASN et de son président, André-Claude Lacoste. Car ce n'est pas la première fois que l'Autorité de sûreté vient chercher des poux dans la tête d'Areva - concepteur de l'EPR - et d'EDF, qui est en train d'en construire un à Flamanville, dans la Manche. En 2008, déjà, elle avait contraint l'électricien tricolore à interrompre ses travaux en Normandie après avoir constaté des écarts de sûreté liés au ferraillage de l'enceinte en béton du réacteur. Mais, cette fois-ci, l'ASN frappe encore plus fort en associant à sa démarche ses homologues finlandaise et britannique. Une première. Surtout, ses critiques tombent à un bien mauvais moment: à 5.000 kilomètres de là, les négociateurs de la filière nucléaire française sont en train de se battre pour arracher un contrat géant aux Emirats arabes unis. Tout simplement «irresponsable!», s'énerve un vétéran de l'atome. Excès de zèle
Alléger la facture
S'il est soutenu par Henri Proglio, le patron d'EDF, et son directeur exécutif chargé de l'ingénierie et de la production, Hervé Machenaud, le projet est loin de faire l'unanimité. «Le rapport Roussely remet en cause des politiques de sûreté qui ont été menées depuis des années», explique un haut fonctionnaire. (suite)
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En réalité, le débat a déjà eu lieu avant que le gouvernement ne mette en place l'ASN, première autorité administrative indépendante dans le domaine régalien de la protection physique des personnes. Dès 1999, le Conseil d'Etat avait pointé le risque de décisions ultrasensibles pouvant échapper aux pouvoirs publics. «On est arrivé à un réglage fin dans la loi de 2006», estime le président de l'ASN, André-Claude Lacoste. Réglage subtil, en effet: les ministres chargés de l'Environnement et de l'Industrie, respectivement Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde, sont responsables de la sûreté nucléaire et ils gardent le pouvoir réglementaire. Ensuite, l'ASN a le pouvoir de prendre des décisions qui ne sont pas précisées dans les textes généraux. Typiquement, c'est le gouvernement qui signe le décret d'autorisation de création d'une centrale nucléaire, mais l'ASN qui fixe les prescriptions et délivre l'autorisation de mise en service. En d'autres termes, si elle estime les travaux insuffisants, rien ne l'oblige à accepter son exploitation! C'est l'inverse aux Etats-Unis, où la NRC donne une seule et même autorisation pour les deux étapes. Entre l'ASN et les acteurs qu'elle est amenée à contrôler, une drôle de relation s'est, peu à peu, mise en place. Faite de peur, et de méfiance réciproque. «Quand je compare avec d'autres pays, je constate un manque de confiance de l'ASN vis-à-vis de l'exploitant, déclare Jean Tandonnet, l'inspecteur général de la sûreté chez EDF. J'aimerais, pour nous permettre d'adopter une véritable démarche industrielle, qu'on se concentre sur des sujets qui en valent la peine, sur des vrais débats et de vrais enjeux de sûreté.» Jean Tandonnet regrette aussi que les inspecteurs de l'autorité, qui sont souvent jeunes, aient rarement exploité eux-mêmes des unités nucléaires. «On se retrouve en face de blancs-becs de trente ans qui nous donnent des leçons et nous traitent comme des hors-la-loi», tempête un routard de l'atome. Décidé à rompre avec le «french cooking», idée fort répandue dans les années 1970 selon laquelle tout le monde devait se serrer les coudes et concourir à la prospérité de la filière nucléaire, André-Claude Lacoste s'est appliqué à marquer son indépendance. Avec un but: asseoir coûte que coûte le pouvoir de la nouvelle institution. L'épisode du contrôle-commande en témoigne. Mais, pour certains, l'ASN aurait pu régler le problème discrètement, sans passer par un «blitzkrieg» médiatique. Son patron conteste: «Peut-être que notre prise de position était rédigée de façon non parfaite mais on avait prévenu EDF de nos réserves techniques début 2008, sans réaction de leur part. On ne peut pas parler d'un coup de tonnerre dans un ciel serein.» «Il ne faut pas confondre indépendance et irresponsabilité», rétorque un patron du secteur, qui a lui aussi connu les foudres du gendarme de l'atome. «Il y a une différence entre transparence et chercher à faire des coups», appuie un autre. «C'est plutôt rassurant que l'ASN aie des ennemis, cela veut dire qu'elle fait son boulot», tempère un haut fonctionnaire. «Lacoste ne veut tout simplement pas prendre le risque d'un procès au pénal», ajoute un autre. Souvenir d'un accident survenu dans une mine du nord de la France, qui l'avait amené à comparaître, lorsqu'il animait les services du ministère de l'Industrie chargés du contrôle et de la sûreté des installations industrielles, à la fin des années 1970... Procès politique
441 agents, 2.000 inspections par an
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