JUILLET
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20 juil. 2012
Fukushima, une situation toujours hors de contrôle
16 mois après la catastrophe, la situation à la centrale
de Fukushima Daïchi n'est toujours pas sous contrôle. Comme
en témoignent les incidents survenus depuis le début du mois
de juillet. Explications.
Suite à une panne du système
de refroidissement de la piscine 4, on a appris qu’il n’y avait pas de
système de secours, et que l’eau de la piscine se réchauffait
de 10°C par 24 heures.
Si le refroidissement de la piscine n’était
pas assuré, il suffirait de quelques jours pour que l’eau de la
piscine soit portée à ébullition.
Le 1er juillet, Tepco a réussi à
rétablir le système, mais la piscine 4 commençait
déjà à produire un panache blanc, comme en témoigne
cet instantané de la webcam Tepco:
Des complications énormes apparaissent
également au fil des missions de dosimétrie: Que ce soit
dans l’unité n°2 ou l’unité n°3, d’éventuelles
missions humaines semblent extrêmement compromises en raison des
niveaux de dose excessifs relevés dans les étages inférieurs
de ces bâtiments.
Tepco voudrait rechercher puis colmater les
fuites constatées au niveau des confinements (le tore fait partie
du confinement) afin de tenter de repérer l’emplacement du combustible
fondu, à la condition qu’il se soit arrêté au niveau
du radier, ce qui reste une supposition de moins en moins crédible.
Le paradoxe de la chambre de suppression
TEPCO, avec un optimisme à toute épreuve,
semble croire que le corium se situe sur le plancher de la salle de suppression,
qui est recouvert sur plusieurs mètres d’une eau extrêmement
contaminée.
Afin de s’occuper du combustible, il faudrait transvaser cette eau
à un autre endroit. Mais si l’on procède ainsi, le
combustible fondu étant probablement encore très chaud, la
radioactivité deviendra intense et le corium s’échauffera
certainement un peu plus.
On ne peut vider l’eau mais on ne peut observer
ni travailler si cette même eau est présente. Décidément,
les réponses humaines semblent de plus en plus limitées…
Et l’opération « arrosage » du combustible fondu se
confirme mois après mois comme étant l’une des plus grandes
erreurs de la gestion initiale de cette catastrophe hors-norme.
Par Pierre Thouverez
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22 juil. 2012
Fukushima: une catastrophe d’origine humaine, pas naturelle
La Commission indépendante d’experts
nucléaires a rendu le 5 juillet son rapport d’enquête sur
Fukushima. Cette commission, chargée par le parlement japonais de
déterminer les circonstances de la catastrophe nucléaire
qui a commencé le 11 mars 2011, a publié un rapport accablant
de 641 pages. Elle est composée de dix experts, sismologue, avocats,
médecins, journalistes scientifiques, professeurs désignés
par les parlementaires.
Cette commission a mené un travail
de recherche approfondie, avec des entretiens auprès de 1 176 personnes,
pendant plus de 900 heures lors des 6 derniers mois... et de façon
totalement indépendante.
Le rapport publié le 5 juillet désigne
clairement, pour la première fois, des responsables: TEPCO, mais
aussi le manque de réactivité des agences gouvernementales
japonaises. Le rapport souligne et étudie également les aspects
culturels, pointant l’extrême respect et la soumission à l’autorité
inhérent à la culture japonaise.
La Commission d’experts était dirigée
par Kiyoshi Kurokawa, ancien président du Conseil Scientifique Japonais,
qui a écrit, dans le rapport que la fusion "ne peut être
considérée comme une catastrophe naturelle. Ce désastre
est humain, car il aurait pu et aurait dû être prévu
et évité." Le rapport ajoute que "les causes directes
de la crise étaient toutes prévisibles, bien avant le 11
mars 2011."
Les membres de la commission écrivent,
dans leur rapport, que "[la catastrophe] a été le résultat
de la collusion entre le Gouvernement japonais, les régulateurs
et TECPO, ainsi que du manque de gouvernance de ces instances. Nous en
concluons que l’accident est d’origine humaine. Les causes profondes étaient
organisationnelles". Le rapport blâme tout particulièrement
l’opérateur TEPCO pour avoir failli dans sa mission à renforcer,
améliorer les capacités de résistances de la centrales
face à une catastrophe naturelle, et critique également la
NISA (Agence du sûreté nucléaire japonaise) et le METI
(ministère de l’économie et de l’industrie japonais) pour
avoir échoué dans leur mission de contrôle.
"Une arrogance impardonnable"
La Commission pointe qu’en 2006 la NISA avait
ordonné des travaux d’amélioration dans le système
anti-sismique de la Centrale de Fukushima Daiichi. TEPCO a volontairement
ignoré cette directive et l’autorité de contrôle n’a
pas fait de suivi, auprès de l’opérateur, ne contrôlant
pas la mise en oeuvre de sa demande.
"La commission a relevé une ignorance
et une arrogance impardonnable pour toute personne ou toute organisation
travaillant dans le domaine du nucléaire. Nous avons découvert
un mépris pour la sécurité du public." Peut-on
ainsi lire dans le rapport.
Rappelons que la catastrophe a contraint 150
000 personnes à quitter leur maison, en plus de libérer des
quantités importantes de substances radioactives à des kilomètres
autour de la centrale.
De manière significative, le rapport
de la Commission remet en question les assertions de TEPCO selon lequel
l’accident et la situation de criticité des réacteurs de
Fukushima sont dûs au Tsunami qui avait suivi le séisme de
magnitude 9...
Un positionnement jugé faux par les
experts: selon eux, Tepco a mal évalué la probabilité
d’un tsunami de cette envergure et n’a pas pris les dispositions nécessaires,
alors que cette éventualité avait été testée!
En 2008, Tepco avait simulé un tsunami de plus de 15 m de haut,
dont les vagues atteignaient la centrale Fukushima.
Aucune initiative n’a toutefois été
prise par la suite, car ils ont jugé peu probable qu’une telle catastrophe
survienne, précisent les experts. "il est impossible de limiter
la cause directe de l’accident au tsunami, sans preuve de fond. La commission
estime qu’il s’agit d’une tentative d’éviter la responsabilité
en mettant tout le blâme sur le [tsunami] inattendu." écrit
la Commission.
Un Gouvernement qui a failli à sa mission de protéger
les citoyens!
Le rapport a également critiqué
l’incapacité du gouvernement à gérer efficacement
la crise après l’accident: pour les experts "les gouvernements
passés et en place à ce moment-là, ont failli à
leur devoir de protéger la vie des gens et la société".
Par exemple, dans les jours qui ont suivi
la catastrophe, un porte-parole du gouvernement a déclaré
que les évacuations ont été engagées "juste
au cas où", plutôt que d’informer les résidents des
dangers réels à la suite de grands panaches radioactifs.
La Commission déplore également
une mauvaise communication, tant entre les techniciens qu’entre les autorités.
Ces dernières ont d’ailleurs rapidement été blâmées
pour avoir tardé à révéler la gravité
de la situation et à évacuer les zones touchées.
Ce rapport soulève ainsi des questions
de fond, que tout pays nucléarisé devra se poser en toute
transparence dans les années à venir. Il montre à
quel point des changements radicaux sont nécessaires et doivent
être engagés, sur la responsabilité, l’encadrement,
et la nécessité de contrôle de l’industrie nucléaire
par des autorités … indépendantes!
Publié par Pierre Thouverez
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23 juil. 2012
"L’un des principaux enseignements de Fukushima: si l’on ne progresse
pas, on augmente les risques"
Entretien avec Matthieu Schuler, directeur
de la stratégie, du développement et des partenariats de
l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
(IRSN)
Techniques de l’Ingénieur: Matthieu
Schuler, la direction de l’IRSN a récemment été auditionnée
par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) concernant
l’appui que vous lui avez apporté en 2011. Que retenir de cette
audition?
Matthieu Schuler: C’est un rendez-vous
régulier qui ponctue l’interaction entre l’ASN et l’IRSN, et dresse
le bilan de l’appui technique que l’IRSN apporte, dans le cadre d’une convention
pluriannuelle, à l’ASN. En 2011, cet appui a été largement
marqué par le contexte de Fukushima, qui a mobilisé beaucoup
de notre temps et de nos ressources.
Techniques de l’Ingénieur: Quelles
ont été les missions de l’IRSN dans ce contexte?
Matthieu Schuler: Nos trois principales
missions dans le contexte qui a suivi l’accident de Fukushima furent de
procéder à l’examen des évaluations complémentaires
de sûreté des installations nucléaires de France réalisées
par les exploitants, de réfléchir et identifier des premières
idées sur les recherches complémentaires à mener après
Fukushima, qui se sont traduites par un appel à projets lancé
par l’Agence nationale de la recherche (ANR) lancé début
2012, et de participer aux réflexions sur l’évolution du
dispositif gouvernemental de gestion de crise nucléaire, notamment
pour le rapprocher des dispositions de gestion des autres familles de crises.
Au total, c’est près de 10% des ressources consacrées par
l’IRSN à ses actions auprès de l’ASN qui ont été
engagées dans l’après Fukushima.
Techniques de l’Ingénieur: L’IRSN
a donc pris part dans l’évaluation des installations françaises
menée par l’ASN sur leur sûreté, quelles en sont les
principaux enseignements? Quel va être le rôle de l’IRSN pour
les prochaines années à ce sujet?
Matthieu Schuler: Le bilan tiré
par l’IRSN est globalement satisfaisant, mais il y a une marge de progrès,
un noyau dur d’équipements dont l’objectif est d’assurer, en cas
d’accident majeur, la pérennité des fonctions vitales des
installations, à mettre en œuvre et qui nécessite du temps.
La première étape va consister pour les exploitants de ces
installations à présenter leurs propositions pour remédier
aux faiblesses identifiées, aux vues des nouvelles exigences qu’impose
l’accident de Fukushima. La seconde phase va consister pour l’IRSN à
étudier si ces propositions sont suffisantes ou non. Viendra ensuite
le temps de leur mise en place.
Le rôle de l’IRSN ne se limite donc
pas aux évaluations menées en 2011, mais se prolonge dans
les années à venir, notamment pour étudier l’impact
de ses modifications sur la démonstration de sûreté
des installations.
Techniques de l’Ingénieur: Quand
peut-on donc espérer que la sûreté des installations
françaises sera optimale?
Matthieu Schuler: J’ai
envie de répondre « jamais », car en matière
de sûreté, le progrès doit être constant et permanent.
L’évaluation est continue et l’amélioration doit l’être
aussi, qu’il s’agisse du matériel ou des procédures. C’est
l’un des principaux enseignements de Fukushima : si l’on ne progresse pas,
on augmente les risques.
Techniques de l’Ingénieur: Concrètement,
quelles seront les principales occupations de l’IRSN dans les années
à venir concernant l’après Fukushima?
Matthieu Schuler: En 2012, examiner
les évaluations de sûreté d’un second lot d’installations
moins prioritaires que celles abordées en 2011, et entamer les discussions
techniques avec les exploitants des installations du premier lot, afin
d’évaluer leurs propositions de sûreté renforcée.
Sur la base de ces évaluations, l’ASN décidera si ces propositions
sont satisfaisantes. Si celles-ci sont jugées acceptables, les exploitants
devront dès 2013 proposer les modifications des installations en
découlant, dont l’IRSN analysera alors la pertinence, la complétude
et les modalités de mise en œuvre.
Au-delà de ce travail sur les installations
françaises, l’IRSN s’investit sur d’autres fronts, qui vont de l’évolution
de son organisation interne de gestion de crise jusqu’à des initiatives
menées au Japon pour apporter des capacités d’analyse, de
réflexion et se confronter aux contraintes de terrains rencontrées
par nos collègues sur place.
Propos recueillis par Bruno Decottignies
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