Consultant sur le changement climatique
et co-auteur du livre « Le Plein s’il vous plait ! » publié
en février 2006 aux éditions Le seuil, Jean-Marc Jancovici
dresse pour Actu-environnement un panorama des problématiques énergétiques
actuelles et futures et conseille sur la conduite à tenir.
AE: Comment le modèle énergétique
français se positionne-t-il au sein de l’Europe et par rapport à
nos pays voisins?
J-MJ: Notre pays présente à la fois des différences importantes et de grandes similitudes. La première différence importante, beaucoup de gens la connaissent, c’est la part occupée par le nucléaire dans la production électrique française: environ 75%, contre à peu près 16% en moyenne mondiale. Si nous raisonnons sur le total de l’énergie primaire, la part du nucléaire en France est de 40% environ, contre 6% pour le monde dans son ensemble. La similitude est moins connue: la part du pétrole dans la consommation d’énergie française est très proche de la moyenne mondiale (36% contre 37% pour le monde). Conclusion logique : le nucléaire ne fait pas économiser de pétrole ! Par contre il fait assurément économiser du gaz (15% en France contre 24% en Europe ou dans le monde) et du charbon (5% en France contre 18% en Europe et 27% dans le monde), et donc des émissions de CO2. Et une autre conclusion logique est que l’économie française est presque aussi vulnérable que les autres à un renchérissement du prix du pétrole. Enfin en France comme ailleurs la consommation d’énergie a très fortement cru au cours des 50 dernières années : elle a été multipliée par plus de 3! AE: Quelles conséquences devons-nous attendre de la libéralisation des marchés de l’énergie en termes de consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre? J-MJ: Je tiens tout d'abord à rappeler que le marché des produits pétroliers est déjà «libéralisé» depuis un certain temps, et l’on confond souvent «énergie» et «électricité», ce qui ne facilite pas la compréhension du débat. L’objectif de la «libéralisation» des marchés de l’électricité et du gaz étant d’obtenir une baisse de prix pour le consommateur, nous devrions obtenir, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de la consommation, et donc des ennuis associés à cette consommation croissante «plus tard» comme le changement climatique et/ou troubles sociaux liés à la pénurie. Il faut savoir que les conséquences les plus désagréables de notre consommation croissante d’énergie fossile ne se feront sentir qu’avec quelques décennies à quelques siècles de décalage. Heureusement pour l’environnement, la liberté des prix se traduit pour l’instant par une hausse de ces derniers, ce qui pousse aux économies, et s’avère donc excellent de mon point de vue, mais ce n’était clairement pas le but recherché! AE: Le transport et l’habitat sont deux problématiques majeures qui concernent en grande partie les particuliers. Que pensez-vous de l’information donnée au grand public par les institutionnels, les politiques ou les médias? Est-elle suffisante? qualitative? J-MJ: L’information n’est suffisante ni en quantité
ni en qualité. Pour faire court, pour le moment tout ce que les
media savent faire est de donner les pièces du puzzle en vrac et
en nombre insuffisant - et avec parcimonie - ce qui n’est bien évidemment
pas équivalent au fait de présenter tous les jours l’ensemble
du puzzle reconstitué. C’est du reste parce que je ne parvenais
pas à me faire une idée générale des liens
de cause à effet en lisant le journal que j’ai entamé ma
propre investigation, qui m’a amenée au métier qui est le
mien aujourd’hui!
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AE: La consommation d’énergies est en constante
augmentation. Dans votre dernier livre co-écrit avec Alain Grandjean
intitulé «Le Plein s’il vous plait !», vous préconisez
la mise en place d’une taxe progressive sur les énergies fossiles.
En quoi fera-t-elle évoluer les choses?
J-MJ: Parce qu’un siècle et demi de progrès technique, dans un monde qui a vu le prix de l’énergie rapporté au pouvoir d’achat divisé par 5 à 10 dans le même laps de temps, n’a jamais été affecté à une baisse de la consommation globale, mais bien à sa hausse. Rappelons que le système terre se contrefiche de la consommation par voiture, par maison ou par cafetière, qui elles ont effectivement baissé pour des appareils de performances identiques. Tout ce que «voit» le système Terre, et donc tout ce qui conditionne sa réaction globale, ce sont les consommations tout aussi globales d’énergie et les émissions globales de gaz à effet de serre. Si la consommation globale d’énergie - en particulier fossile - n’est pas compatible, sur le long terme, avec un système Terre à peu près à l’équilibre, cette consommation ne durera pas, que cela nous plaise ou pas. La physique ne fait pas de sentiment : le « droit pour chacun d’avoir une voiture » ne fait pas partie de ses préoccupations, et faute de prendre cette évidence en compte nous nous préparons de douloureux rappels à la réalité, qui risquent d’être bien plus pénibles que de devoir simplement troquer sa voiture contre un vélo. Pour en revenir à la question, il n’y a que deux manières de faire baisser une consommation globale: le rationnement, ou les prix. Lorsque la quantité n’est pas rationnée, et les prix rapportés au pouvoir d’achat baissent, la consommation augmente tant que le marché n’est pas saturé. Et avec l’énergie, comme il ne le serait que le jour où tout le monde pourra aller faire le tour de la Lune pour son anniversaire, on peut raisonnablement dire que la consommation monte jusqu’aux limites physiques du système si nous ne mettons pas en œuvre une hausse des prix plus rapide que le pouvoir d’achat. AE: Voyez-vous dans les biocarburants une alternative cohérente aux carburants fossiles? J-MJ: En ordre de grandeur, il faut un hectare de terre pour faire une tonne de biocarburants. Nous consommons en France 95 millions de tonnes de pétrole (dont 50 pour les carburants), et nous avons 55 millions d’hectares de surface métropolitaine. Vous avez donc la réponse à la question. Le Brésil dispose d’une surface 15 fois supérieure à celle de la France et d’un parc automobile moitié moindre. Lui peut donc faire des choses significatives, nous pas. AE: Pensez-vous que le nucléaire préserve la France d’une crise énergétique majeure? J-MJ: Il nous aidera à l’évidence à l’avenir. Contrairement à une idée reçue, le nucléaire n’économise pas de pétrole (la part du pétrole dans la consommation d’énergie primaire en France est très proche de ce que nous avons en Allemagne, en Suède ou en Grande Bretagne), mais par contre il économise du gaz et du charbon (parce que nos voisins qui n’ont pas de nucléaire ont certes quelques éoliennes pour donner le change, mais surtout du gaz et du charbon !), et donc du CO2. Rappelons que pour naturel qu’il soit, le gaz engendre des émissions de CO2 lors de sa combustion, certes 25% de moins que le pétrole, mais pas zéro pour autant! Vouloir «sortir du changement climatique» en se passant du nucléaire est à mon sens une erreur: ni les déchets nucléaires ni même une centrale qui explose de temps en temps ne représente un danger pour l’humanité à la hauteur de ce qui est en germe dans l’utilisation des combustibles fossiles (!? souligné par le webmaistre). Le seul vrai danger du nucléaire est la prolifération des armes, et une investigation un peu approfondie (en tous cas plus approfondie que celle du journaliste de base, désolé de le dire!) montre que de renoncer au nucléaire civil ne change malheureusement pas la donne sur cette question. La quasi-totalité des pays disposant aujourd’hui de l’arme atomique l’ont eue avant d’avoir des centrales électronucléaires, voire sans avoir de centrales du tout. Propos recueillis par F.LABY |