Depuis hier, et pour quatre jours, une réunion informelle sur le réchauffement climatique de l'Arctique, organisée par le ministre danois de l'Environnement Connie Hedegaard, se déroule au Groenland (territoire danois de l'océan Arctique). Les ministres de l'Environnement de 25 pays industrialisés (États-Unis, Inde, Brésil, Chine, Japon, Europe) doivent discuter à huis clos des conséquences du changement climatique dans la région polaire, particulièrement sensible à ce phénomène. En novembre dernier, un rapport de l'Arctic Climate Impact Assessment (Acia) dressait un constat édifiant : l'Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Pour le ministre danois, ce rendez-vous apparaît ainsi comme un «préparatif essentiel» à la 11e conférence des Nations unies (ONU) sur le climat qui aura lieu au Canada en décembre prochain.
Dans les prochains
siècles, le Groenland ñ «Terre verte» en danois ñ pourrait
plus que jamais mériter son nom. La calotte glaciaire, qui recouvre
82% de ce territoire de plus de 2 millions de kilomètres carrées,
se réduit en effet d'année en année sous la pression
du réchauffement climatique imputable à l'augmentation des
gaz à effet de serre émis par l'homme depuis plus de 100
ans. C'est en tout cas l'avis de la majorité des scientifiques.
Pour Philippe Huybrechts, glaciologue à l'université libre
néerlandophone de Bruxelles, la totalité de la glace groenlandaise
pourrait avoir disparu dans un millier d'années si le changement
climatique se poursuit au rythme actuel (1).
Les régions arctiques sont particulièrement sensibles à la hausse globale des températures. Selon l'Acia, la température moyenne de l'Arctique pourrait gagner de 4 à 7 °C d'ici à 2100. Alors que les scénarios établis par le Groupe international d'experts sur le climat (Giec, IPCC en anglais) mandatés par l'ONU prévoient une augmentation de 1,4 à 5,8 °C pour l'ensemble du globe. «C'est une histoire de réflexion de la lumière par la glace ou plutôt par la neige (l'albédo, NDLR) qui s'accumule d'année en année, explique Dominique Raynaud, du CNRS. Si davantage de glace fond chaque année, c'est autant de lumière du Soleil en moins qui est réfléchie et autant en plus qui est absorbée par la surface continentale. Et le réchauffement peut aller ainsi en s'amplifiant.» Au Groenland, le phénomène semble s'être amorcé depuis le début des années 90. La hausse des températures s'accompagne d'un déficit des précipitations neigeuses en hiver par rapport à la fonte de la calotte en été. Ce serait ainsi environ 80 kilomètres cubes de glace (pour un volume total estimé à trois millions de kilomètres cubes) que perdrait le territoire danois chaque année. Et, estime Philippe Huybrechts, si la calotte venait à perdre 20% de son volume actuel, le processus ne serait plus réversible. Sur place, le phénomène est bien visible. Une longue enquête du New Yorker publié dans Courrier International (13 juillet 2005), détaille les observations des chercheurs. Autour de Swiss Camp (une base scientifique installée depuis 1990), les mesures GPS ont révélé que la glace s'écoulait vers l'océan à raison de 33 cm par an en 1996. Ce rythme atteignait 50 cm par an en 2001. |
Cela serait dû à l'infiltration
des eaux de fonte de surface qui joueraient alors le rôle de lubrifiant.
Non loin de ce lieu, l'immense glacier Jakobshavn Isbrae s'écoulait
en 1992 à la vitesse de 5,5 km par an. En 2003, cette vitesse est
passée à 12,5 km par an. Un constat fait également
en juillet dernier par l'organisation écologiste Greenpeace sur
le glacier Kangerdlussaq qui serait avec une vitesse de 14 km par an le
plus rapide au monde.
Pour les scientifiques, rien de bon n'est à attendre de la fonte du Groenland. Depuis un siècle, le niveau moyen des océans a augmenté à l'échelle planétaire d'une quinzaine de centimètres et il pourrait le faire encore de 10 à 90 cm dans 100 ans. Beaucoup accordent au Groenland une part non négligeable dans cette montée des eaux. Certains climatologues prévoient ainsi une hausse de 6,5 cm due à la fonte de la région arctique danoise d'ici à 2100 (Plus de 100 millions de personnes vivent dans un rayon d'un mètre au-dessus du niveau de la mer et 1,2 milliard habitent à moins de 30 km de la mer dans le monde). Dans le pire des scénarios, celui de la fonte totale du Groenland, l'effet serait dramatique : une hausse de 7 mètres du niveau des océans. Mais ce n'est qu'une hypothèse que les chercheurs tentent actuellement de vérifier. Ils s'appuient pour cela sur les carottes de glace prélevées depuis 1989 au centre du Groenland. Les bouts de glace âgés de plus de 120.000 ans ont montré que la planète avait connu à cette époque un réchauffement sans précédent, plus important même que le réchauffement actuel. On sait aussi que le niveau des océans était alors de 5 à 7 mètres supérieur au niveau actuel. Pour les climatologues, seuls l'Antarctique et le Groenland ont pu jouer un rôle dans ce phénomène. Voilà pourquoi il est important de surveiller ces régions révélatrices des changements climatiques à venir. Pour les peuples indigènes de l'Arctique, le réchauffement est déjà une réalité. Les glaces apparaissent de plus en plus tard et se retirent de plus en plus tôt, ce qui raccourcit considérablement la saison de chasse. Au Groenland, des chasseurs ont ainsi été contraints d'abattre certains de leurs chiens de traîneau, faute de pouvoir les nourrir. |