ACTUALITE INTERNATIONALE de L'ENVIRONNEMENT
2007
Pays-Bas: Les Pays-Bas font leur révolution de l'eau
Source ADIT
LE MONDE | 02.04


L'un des polders des Pays-Bas, Almere, en septembre 2001. | AFP/PHIL HORVAT

PAYS-BAS ENVOYÉ SPÉCIAL

    Sjaak Broekmans est un pionnier. En 1975, cet éleveur néerlandais a été le premier à installer sa ferme sur l'Overdiepsche polder, une langue de terre coincée entre un bras de la Meuse et un secteur canalisé du fleuve, dans le sud des Pays-Bas. La construction de deux digues, l'une de 6 m de haut, l'autre de 2,50 m, avait mis ces 550 hectares à l'abri des crues, les rendant habitables et cultivables.
    Trente-deux ans plus tard, Sjaak Broekmans, 61 ans, représentant des dix-sept fermiers désormais installés sur le polder, figure parmi les premières victimes européennes du réchauffement climatique. La ferme qu'il a bâtie sera détruite d'ici quelques années. La grande digue va être abaissée, l'eau va reprendre ses droits. En cas de crue de la Meuse, les terres seront inondées.
    "De mémoire de Néerlandais, c'est la première fois que l'on redonne de la place à l'eau. C'est un changement très étrange, témoigne René Peusens, responsable du projet pour la province du Nord-Brabant. Mais l'effet de cet aménagement se fera sentir jusqu'à cent kilomètres en amont, et permettra d'abaisser le niveau du fleuve jusqu'à trente centimètres en cas de crue. Cela coûtera dix fois moins cher que si l'on avait dû renforcer le système de digues sur ces cent kilomètres."
    Les éleveurs de l'Overdiepsche polder ne se plaignent pas. Le gouvernement néerlandais a voulu faire de ce projet un exemple. Ils seront indemnisés, leurs fermes et leurs étables seront reconstruites le long du petit bras de la Meuse, sur des talus surélevés, à l'abri des inondations.
    La "dépolderisation" de cette zone est l'un des trente projets d'aménagement de la Meuse et du Rhin prévus d'ici à 2015 par un programme national baptisé "De l'espace pour l'eau", qui constitue une véritable révolution intellectuelle pour une nation qui s'est bâtie en repoussant les flots, en les canalisant, en les domestiquant. Mais le changement climatique est passé par là : la montée du niveau des océans et l'augmentation du débit des fleuves menacent directement un pays dont plus de la moitié de la surface est située sous le niveau de la mer.
    "La question de la protection de la côte est relativement simple, celle posée par les rivières est beaucoup plus complexe", estime Dirk Sijmons, conseiller du gouvernement pour le paysage. Le Rhin, notamment, est en train de changer de nature: aujourd'hui fleuve mixte, alimenté à la fois par la fonte des neiges et par les pluies, il va devenir de plus en plus dépendant des précipitations. Or le Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC), réuni à Bruxelles jusqu'au vendredi 6 avril pour évoquer l'impact du réchauffement climatique sur les différentes régions du monde, prévoit que les pluies seront de plus en plus abondantes en période hivernale en Europe. En 1993 puis en 1995, des crues du Rhin et de la Meuse avaient provoqué l'évacuation de 240.000 personnes et un début de prise de conscience aux Pays-Bas. "Elles ont créé un sentiment d'urgence, racontent Joost Buntsma et Robert Smaak, deux hauts fonctionnaires du ministère des transports et de la gestion de l'eau. On aurait pu faire comme si de rien n'était et continuer à rehausser et renforcer les digues de protection. Mais il fallait faire prendre conscience aux gens qu'il est impossible de leur garantir une sécurité absolue."
    La question est particulièrement sensible dans un pays où la loi garantit la protection de l'Etat à toutes les habitations situées derrière les digues principales qui quadrillent le pays et dont la longueur totale était estimée, en 2001, à 3 185 kilomètres. En 2000, un comité d'experts arrivait à la conclusion que le système de gestion de l'eau aux Pays-Bas était devenu "inadéquat". "Si nous voulons que les Pays-Bas restent sûrs et habitables, (...) nous devons changer notre façon de nous comporter vis-à-vis de l'eau", concluait alors le vice-ministre de la gestion de l'eau.
    Personne ne veut imaginer pourtant que l'homme devra rendre à la mer les surfaces qu'il lui a prises. Aujourd'hui, 60% des Néerlandais vivent sous le niveau de la mer et y produisent 65 % du produit intérieur brut. "Ces zones vulnérables ont vu leur population doubler depuis les années 1960 et les richesses qui y sont produites multipliées par sept", rappelle Willem Ligtvoet, analyste à l'Agence néerlandaise de l'environnement.
    De plus en plus nombreux sont ceux qui appellent à un changement d'attitude de la part d'un peuple qui a toujours soumis la nature à ses besoins, à l'image du projet Delta. Celui-ci a conduit à la fermeture de la quasi-totalité des estuaires du sud du pays par des barrages, à la suite de tempêtes et d'inondations qui avaient fait 1 836 morts en Zélande, en 1953.
    "Dans le passé, nous avons toujours agi après les désastres, constate Dirk Sijmons. Cette fois, nous devons nous saisir de la question du changement climatique et de la montée des eaux, afin de montrer au monde que nous sommes capables de la maîtriser et de la transformer en chance pour notre économie." Pour cet architecte-paysagiste, les Néerlandais doivent développer leur expertise en matière de gestion des eaux et d'ingénierie hydraulique, mais aussi trouver un nouvel équilibre avec la nature et parvenir à concilier sécurité et environnement.
    "On ne pourra réussir qu'en travaillant avec la nature", ajoute Marcel Stive, directeur scientifique du centre de recherche sur l'eau de l'université de Delft, qui ne semble pas s'inquiéter outre mesure des prévisions en matière de montée du niveau des océans: entre 35 et 85 centimètres au XXIe siècle pour les côtes néerlandaises. "Jusqu'à une augmentation d'un mètre, nous pourrons répondre en nous appuyant sur notre système actuel de défense, dit-il. Au-delà, les coûts de protection augmenteraient de façon exponentielle et nous nous retrouverions devant un dilemme économique."
    L'imagination des Néerlandais est sans bornes en matière d'adaptation. Des prototypes de maisons amphibies - glissant le long de montants verticaux - et de serres flottantes existent déjà. Des projets d'îles artificielles, construites sur du sable extrait au large, qui permettraient de freiner les marées et de reconstituer les dunes côtières érodées, sont à l'étude. L'idée la plus pharaonique consisterait à créer une bande de sable de cinq kilomètres de large, collée à la côte actuelle, qui donne des signes de faiblesses en certains points. Mais, reconnaît Willem Ligtvoet, "il faudrait au moins cinquante ans pour réaliser ce projet et un budget de plusieurs dizaines de milliards €".

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