L'objectif de Stockholm est de remplacer, en 15
ans à peine, les énergies fossiles par des sources renouvelables
(biocarburants, éoliennes et énergie marémotrice),
avant que la fin annoncée du pétrole n'entraîne une
explosion des prix de l'énergie, paralysant à coup sûr
les économies traditionnelles (1). En voilà
une idée qu'elle est bonne! Simple, claire, mobilisatrice et totalement
en phase avec l'époque où nous vivons. Car, même si
nous refusons de le voir, la déplétion du pétrole
est aujourd'hui chiffrée: -3,6% par an, à partir de 2015
(2). L'Agence internationale de l'énergie estime en effet
que l'augmentation des besoins en produits pétroliers sera, dans
les années à venir, de 1,6% par an. Ajouté aux 2%
de baisse de production à partir de 2015, le «manque»
sera donc annuellement de 3,6%. La logique du «toujours plus»,
que nous avons connue jusqu'ici, deviendra alors une logique du «toujours
moins».
Notre indépendance future
«Le gouvernement vient de charger
un groupe composé d'industriels, de chercheurs, d'agriculteurs,
de constructeurs automobiles et autres spécialistes de mettre au
point cette stratégie ambitieuse, qui sera proposée au parlement
dans quelques mois. Notre indépendance future vis-à-vis des
énergies fossiles nous procurera des avantages considérables,
et pas seulement face aux fluctuations du prix du pétrole qui a
triplé depuis 1996», explique Mona Sahlin, ministre suédoise
du Développement durable. Un ministère qui veut manifestement
dire quelque chose dans ce pays qui a inventé le concept de «symbiose
industrielle» (les déchets d'une entreprise servant de matière
première à l'entreprise voisine).
Peuplée de neuf millions d'habitants,
la Suède a développé un important réseau de
distribution d'eau chaude, au départ de l'énergie géothermique
et de la récupération de chaleur des industries. En 2003,
26% de l'énergie consommée en Suède étaient
déjà d'origine renouvelable… contre un peu plus de 1% en
Belgique – courage!
Pour produire son électricité,
le pays dispose essentiellement de centrales hydroélectriques et
de centrales nucléaires. En 1980, par référendum,
les Suédois ont décidé de fermer progressivement leurs
centrales atomiques. Une décision actuellement en cours de réalisation.
D'ici 2010, la Suède prévoit de produire 60% d'électricité
à partir de sources renouvelables. Ce qui, en Europe, place ce pays
en tête de la course à l'électricité verte,
juste derrière l'Autriche, dont l'ambition est d'atteindre 80% à
la même date (lire «Electricité verte? Je veux!»,
pages 16 à 18 dans le magazine papier).
Depuis 1994, la consommation de pétrole
des ménages et du secteur des services a diminué de manière
significative en Suède (-15,2 TWh), tandis que la production industrielle
grimpait de 70% sans augmentation de la consommation pétrolière.
Pour se libérer des combustibles fossiles d'ici 2020, la ministre
suédoise a annoncé que son pays accroîtrait les investissements
visant au développement d'une «société renouvelable»
(promotion du chauffage urbain par géothermie ou à partir
de la biomasse) et qu'il mettrait en place des dégrèvements
fiscaux pour la reconversion vers des combustibles autres que le pétrole.
Pour un vrai plan «Marshall»
Le principal défi des Suédois
sera finalement de produire suffisamment de biocarburant pour faire rouler
leur parc automobile, de bus et de camions. Pour y arriver, le pays dispose
d'immenses forêts… et de la coopération des constructeurs
nationaux de renom que sont Saab et Volvo, invités à favoriser
le marché des biocarburants.
Il faut savoir qu'avec ses immenses étendues
boisées, la Suède dispose annuellement d'un potentiel de
production de biomasse de 16,5 milliards de tonnes équivalent pétrole
(Md tep). En tenant compte des données énergétiques
actuelles, le pays est potentiellement exportateur de 12 Md tep (2).
La Finlande se trouve dans une situation semblable (potentiel de production
de biomasse de 14,75 Md tep et potentiel d'exportation de 12,1 Md tep).
Par comparaison, un grand pays agricole comme la France dispose lui aussi
d'un potentiel de production de 14 Md tep de biomasse mais, en raison de
sa consommation (qui dépend notamment du chiffre de population,
du mode de vie, etc.), elle est potentiellement importatrice de 0,9 Md
tep de biomasse. Et ce malgré le nucléaire, très important
en France.
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En raison du potentiel de biomasse propre
à chaque pays, la solution suédoise ne sera évidemment
pas applicable telle quelle, partout sur la planète. L'exemple qui
nous vient du froid n'en constitue pas moins une démonstration forte
que la sortie programmée de la dépendance envers les énergies
fossiles et nucléaire est bel et bien à notre portée…
pourvu qu'il y ait une réelle mobilisation des pouvoirs publics,
de l'industrie et des particuliers autour de cette question. «La
baisse de la quantité de pétrole disponible va provoquer
des bouleversements d'une ampleur comparable à ceux de la Révolution
industrielle et nécessiter de mettre en œuvre un chantier de nature
analogue à celui de la reconstruction de l'après-guerre»,
estime Jean-Luc Wingert (2). Un plan Marshall digne de ce nom, susceptible
d'inspirer une Wallonie qui tourne en rond à Francorchamps!
Et si le profit était humain?
Parce que le vent ne souffle pas toujours
comme il le faudrait, parce que le soleil ne brille pas toujours de tous
ses feux – les Suédois en savent quelque chose, eux qui passent
un long hiver quasi dans le noir –, les énergies renouvelables doivent
trouver leur juste place dans le système énergétique
moderne, qui veut qu'il y ait de l'électricité, de la chaleur
et du carburant partout et tout le temps.
«Une civilisation en bonne santé
fait preuve d'imagination face aux défis qui lui sont proposés,
constate encore Wingert. L'aspect du nouveau système énergétique
scandinave le plus difficile à reproduire ne sera pas technique
mais social. Trouver le mode d'organisation nous permettant de créer
et d'entretenir une dynamique ne se décrète pas. Le modèle
scandinave est très respectueux de l'individu.» Et de
la collectivité!
Les énergies fossiles sont l'un des
fondements de notre civilisation industrielle. Mais elles ont aussi largement
contribué à asservir le monde. Des mineurs de fond à
la montée de l'effet de serre, d'Hiroshima à Tchernobyl,
de la paralysie progressive du trafic aux guerres du Proche-Orient… le
pétrole, le charbon et le nucléaire sont des énergies
centralisées et «propriétaires» (comme on dit
en langage informatique). La possibilité de les remplacer par des
énergies propres, renouvelables s'offre à nous.
Cette étape dans le développement
de nos sociétés vers plus de liberté constitue une
formidable occasion de mettre la planète à l'abri et de nous
faire évoluer vers plus de démocratie économique.
En effet, le modèle capitaliste, qui se paie sur le dos de la bête,
n'est, en soi, pas intéressé par le bien-être social,
le développement humain ou l'équilibre des écosystèmes.
Ce qui compte pour l'actionnaire anonyme, c'est de réaliser du profit
(12 à 15% si possible), en exploitant l'homme et la nature. Le développement
des énergies renouvelables, décentralisées et disponibles
partout, nous donne l'occasion de faire reculer ce modèle parasitaire.
Suivre le modèle scandinave
Grâce à son modèle énergétique
et social, la Scandinavie est peut-être en train de se transformer
en laboratoire du prochain système énergétique. Chez
nous, si nous ne voulons pas complètement louper le coche, il est
plus que temps de s'activer à la reconversion. Et qui pourrait le
faire? Les pouvoirs publics bien sûr, certaines industries et de
nombreux particuliers… Et puis le secteur de l'économie sociale,
évidemment, dont la finalité est le service plutôt
que le profit.
En Wallonie et à Bruxelles, l'économie
sociale connaît un véritable regain (lire
notre dossier). Les nouveaux entrepreneurs qui s'épanouissent
dans ce secteur ont pour vocation de répondre aux besoins qui émergent
de la société. Parmi eux: la reconversion énergétique,
la rénovation des logements (lire
notre autre dossier), la «biologisation» de l'agriculture…
Une place historique est à prendre
–cela se sent à plein nez!– pour les entrepreneurs du troisième
type. Pour ceux qui bossent en se disant: «Et si le profit était
humain?». En voilà une idée qu'elle est bonne!
André Ruwet
(1) Belga, le 10 février 2006.
(2) La vie après le pétrole: de la pénurie aux
énergies nouvelles, Jean-Luc Wingert, Autement, 2005.
Cet article est publié sous licence
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