Janus
à deux visages, telle devrait être la représentation
du nucléaire, avec sa force éclairée: I'industrie
électronucléaire, et sa force obscure: l'armement. Et chacun
sait qu'il n'est pas possible de dissocier les deux côtés
de Janus. Bien sûr, il a fallu essayer de masquer la partie sombre
en attirant l'attention sur l'aspect de l'atome au service des hommes:
I'opération «Atom for Peace», lancée aux
États-Unis dans les années 50, n'avait pas d'autre but. Le
seul pays qui a tenté un développement purement civil du
nucléaire, le Canada, a été réveillé
avec fracas par l'explosion de la bombe indienne. Quant à l'exemple
français, il est, lui, particulièrement significatif de la
dualité civil-militaire. Que l'on en juge: développement
de la filière gaz-graphite pour la fabrication du plutonium, usine
de retraitement de La Hague pour son isolement et, parallèlement,
usine d'enrichissement de Pierrelatte pour disposer d'uranium 235 très
enrichi; et tout ceci, sans ratification du traité de non-prolifération
des armements nucléaires!
Bien sûr, au bout de quelques années, I'inquiétude s'est emparée de certains pays vendeurs devant la difficulté qu'il y avait à maîtriser le développement des armements nucléaires dont ils voulaient se réserver le seul usage. Nous avons déjà abordé ce sujet dans la Gazetten° 7. Mais la récente affaire du bombardement du réacteur irakien de Tamuz nous incite à y revenir; d'autant que la France est partie prenante dans l'affaire. Le dossier, que nous présentons ici en deuxième partie, a été réalisé par trois physiciens et envoyé au Président de la République. Peut-être est-il à la base des bruits qui circulent sur une réflexion gouvernementale qui serait en cours sur ce problème... Après avoir tenté d'accréditer l'idée que nucléaire civil et nucléaire militaire étaient deux choses séparées, on assiste maintenant à une nouvelle attitude consistant à déclarer que, d'une part, les gens qui se préoccupent des problèmes posés par la production d'électricité d'origine nucléaire feraient mieux de s'intéresser aux milliers de kilotonnes qui circulent dans l'hémisphère nord, et que, d'autre part, le refus du nucléaire civil résulte d'un état affectif créé par la bombe d'Hiroshima. Nous n'insisterons pas sur le paradoxe que cela représente, d'autant plus que, bien souvent, ce sont les mêmes qui se sont occupés de modeler les deux faces du Janus dont nous parlions au début. |
Ce type de discours a été assez largement tenu lors du
colloque organisé à I'Unesco, sur le thème «Énergie
et Société» par bon nombre de nucléocrates présents.
M. Boiteux, actuel président d'EDF, a lui-même reconnu, à
diverses reprises, que la prolifération nucléaire lui posait
des problèmes ... qui, bien sûr, échappaient par ailleurs
à sa compétence!
Comme on le voit, la question est difficile et complexe: ce qui est certain, c'est que les pays exportateurs de technologie nucléaire, et la France est de ceux-là, portent une lourde responsabilité et qu'il n'est pas possible de dire «faites ce que nous voulons, mais ne faites en aucun cas comme nous!» On ne peut non plus tenter de faire croire à une dichotomie vraie entre les deux faces de Janus. Dans ce domaine, ni les bonnes intentions, ni les pseudo-mesures techniques ne sont opérantes; la responsabilité des exportateurs est entière. La vraie morale consiste à balayer d'abord devant sa porte; toute autre approche n'est qu'hypocrisie. La plus grande partie de cette Gazette est consacrée à la publication d'un mémoire relatif au rôle du projet Osirak dans la prolifération de l'arme nucléaire. Ce mémoire, rédigé en mai dernier par trois experts indépendants, membres du GSIEN, a été remis au Président de la République et au Premier ministre, juste après le raid israélien sur le réacteur de Tamuz. Il ne constitue en aucune façon une justification de ce raid, et cherche simplement à évaluer les possibilités techniques de l'Irak d'accéder à I'arme nucléaire, grâce en particulier au réacteur fourni par la France. Mais il est évident que l'affaire Osirak n'est qu'un aspect du problème énorme et crucial de la prolifération. Le début de cette Gazette est donc consacré à une présentation générale du problème, avec un accent particulier et peut-être original mis sur la recherche des responsabilités en matière de prolifération. Il nous semble, en effet, qu'imputer toute la responsabilité aux ambitions d'États plus ou moins militaristes, comme le font bien des scientifiques, n'est qu'un argument commode destiné à se forger une bonne conscience à peu de frais. p.1
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Pour un débat démocratique sur l'énergie (pétition signée par près d'un million de citoyens, dont le citoyen François Mitterrand...) · Je m'oppose au choix du «tout
nucléaire» fait par le gouvernement.
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