Comme pour le rapport Tanguy
(accès direct dans la Gazette N°100),
nous n'avons fait aucune coupure, tout juste mis en gras ce que nous estimons
particulièrement intéressant.
Ce rapport est certes plein de renseignements. Il est aussi très critique mais, à notre connaissance, il y a eu en leur temps plusieurs rapports de ce genre et l'effet fut NUL. On exorcise les démons avec un rapport. Comme l'a si bien signalé le Canard, le gouvernement actuel plus encore que les autres se drogue aux rapports. Toute la question après est de savoir si c'est un rapport "copain", "pompier" ou "cimetière" (dénominations du Canard). L'avenir nous le dira, mais à la Gazette on penche pour "cimetière". Et pourtant quelle lecture édifiante! On a confirmation que l'électricité vendue à l'étranger l'est à perte (22,5 c/kW à la production contre 22,4 c/kW à la vente), même si l'aveu pourrait faire croire que ça va presque, n'oublions pas tous les postes inconnus (démantèlement, stockage des déchets...). L'important est qu'en plus les auteurs du rapport n'hésitent pas à dire que la surcapacité actuelle ne doit pas conduire à construire des réacteurs pour vendre. Vous imaginez la France couverte de réacteurs et de sites de stockage de déchets pour fournir l'Europe (!). D'une part, c'est pas triste d'être le Tiers Monde de l'Europe, mais d'autre part, toute l'Europe a intérêt à apprendre à économiser l'énergie car même si les réacteurs sont en France, les nuages radioactifs seront pour TOUS. Le rapport nous confirme aussi que la surcapacité actuelle était déjà connue en 1982 mais que de surplace en surplace on en est maintenant (officiellement) à 7 ou 8 réacteurs en trop. Comme quoi notre estimation, une douzaine, doit être à peu près juste. C'est écrit dans un rapport qu'on vient juste de rendre public et déjà on entend dans les couloirs Framatome et EDF annoncer des constructions entre 93 et l'an 2000. Normalement, c'était gelé et on reparle de 5 ou 6 réacteurs. Il est vrai que le rapport disait bien sûr qu'il fallait maintenir l'outil industriel. Difficile de gérer la surcapacité ET l'outil. Attention, nous devons nous mobiliser, intervenir sans relâche car pour éviter le nucléaire et mettre sur pied une politique énergétique cohérente, nous n'avons que 10 ans. Si, en plus, on construit de nouveaux réacteurs, l'avenir va être totalement bloqué et nous serons piégés. Bien sûr, comme dit le rapport, un Tchernobyl français tuerait le programme. L'ennui est là, nous n'avons nulle envie de payer un tribut de ce genre au nucléaire. Faisons l'effort de rendre notre lobby nucléaire et nos politiciens RAISONNABLES sinon notre avenir risque d'être aussi perturbé que celui des Russes. Ce rapport sur le nucléaire français est tout de même une anthologie et les titres successifs parlent d'eux·mêmes. Après un bilan du nucléaire français, on passe aux ombres, surdimensionnement et rigidité. Au passage, le rapport parle d'«Une grande discrétion des pouvoirs publics». Même en le créditant de l'arrêt de la filière surgénérateur, force est de constater que les politiques suivent le lobby. Quant à la 3e partie, elle refait la liste des problèmes et depuis les premiers rapports de 1977, on ne constate guère d'améliorations car on a toujours aussi peu de réponses sur l'aval du cycle (stockage des déchets et démantèlement). Il y a d'ailleurs une phrase géniale pour les déchets: "la contrainte principale dans ce domaine est la capacité de la population locale à accepter le principe du site de stockage, beaucoup plus que les avantages techniques...". Bon, on sait bien que dans la liste des critères figure en bonne place le fait que la population remue ou non mais tout de même... Le rapport a quelques petites phrases de ce genre: «un certain consensus de l'opinion» mais ce consensus est plus fragile depuis Tchernobyl à cause du nuage bien sûr, mais aussi à cause des lacunes dans l'information. Bien sûr, ça s'agite partout dans les milieux officiels depuis 4 ans, mais s'agiter ne crée pas une information de qualité. Et puis, c'était tellement plus drôle de ne pas tenir compte des habitants. Le droit français est tellement accommodant. En 1993, il faudra faire quelques révisions déchirantes, espérons que cela permettra aux associations de faire admettre leurs demandes. Il faut reconnaître que ces demandes qui vont dans le sens de la sûreté, de la prise en compte par les habitants de leur destin, sont RÉVOLUTIONNAIRES mais il faudra bien s'y habituer. EDF et le CEA qui pensaient pour tout le monde, y compris leurs personnels, ont du mal à digérer ces nouvelles approches. Mais tout de même l'analyse des rapporteurs est sévère, le CEA finalement met tout le monde devant le fait accompli. Il décide tout seul: Atelier pilote et ATALANTE à Marcoule pour le retraitement, par exemple. (suite)
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Tout ceci parce que "L'importance excessive des états majors et la redondance des échelons de commandement sont évidents". Aucune illusion à se faire car les pouvoirs publics n'ont pas un rôle modérateur, ils se contentent d'entériner. Heureusement que l'enveloppe financière a des limites sinon je crois qu'on pourrait avoir peur. N'oubliez pas, nous n'avons JAMAIS gagné, JAMAIS. Le programme s'est ralenti lui·même parce qu'il n'était pas à la mesure des besoins français. Quant au programme militaire, nous n'avons pas non plus pu faire quoi que ce soit, c'est seulement les finances qui freinent enfin... Mais tout de même, nous devons intervenir encore et encore, et au moins freiner cette machine nucléaire démente. Car NOUS AVONS RAISON. Il ne faut pas faire du nucléaire à gogo car nous y perdrons trop de plumes. Regardez les Russes confrontés aux problèmes de décontamination et d'évacuation. Il faut que chacun se rende compte que nous risquons vraiment de payer fort cher une boulimie de consommation d'énergie. Et pas seulement à cause de notre parc de réacteurs, le plus important mondialement rapporté au nombre d'habitants et à la superficie du territoire. Le rapport Rouvillois est assez clair sur l'impression bricolage qui donne certaines options: retraitement, démantèlement, stockage des déchets, combustibles MOX. A chaque fois, la décision a été prise sans analyse complète du problème. On passe du laboratoire au stade industriel sans mesurer toutes les conséquences. Le lobby nucléaire a autant de mal que la chimie, l'agriculture à admettre qu'à un moment il faudra gérer des rejets. Ceci explique les problèmes actuels de notre société. Finalement c'est aux autres à s'occuper des résidus. Et pour éviter de se poser des problèmes, on affirme ne rien rejeter bien qu'on soit muni d'autorisations de rejets. On ne fait aucune étude de santé pour vérifier les effets des rejets dans l'environnement. Aucune n'est pas le mot exact, on ne fait pas assez de corrélation. Ce sont des sciences difficiles mais il serait inadmissible d'admettre que l'être humain doit payer de sa vie l'accès à un mieux vivre réservé à une élite. Il faut développer la toxicologie, l'épidémiologie. Et en plus, il ne faut pas garder le nez sur le présent et ne penser qu'à l'argent. Il faut prévoir. Manifestement, ce n'est pas ce qu'on fait depuis des années. On a créé des institutions pour gérer le nucléaire et on leur a tout confié. Il ne faut pas s'étonner après d'avoir trop de réacteurs, trop d'électricité, trop de rejets. C'est NORMAL. L'ennui c'est que c'est la nation qui paie les pots cassés et pas EDF ou le CEA. Le rapport, sur ce sujet, est édifiant: la COGEMA paie l'uranium plus cher à cause d'accords passés avec l'Afrique. EDF "lisse" ses commandes et fait des prêts à Framatome pour préserver l'OUTIL. Comme il est dit: "Une réflexion en commun a été conduite par les deux entreprises; elle débouche notamment sur la conclusion que l'étiage minimum acceptable par Framatome correspond à la commande d'une nouvelle tranche tous les trois ans et au renouvellement de trois générateurs de vapeur par an". Et si cela n'entre pas dans la politique énergétique TANT PIS! Il faudra prendre la réflexion des DEUX ENTREPRISES. A quand la définition du programme de construction des lycées et collèges par les entreprises de bâtiment comme le disait déjà le rapport Schloessing en 1977? Cela résoudra enfin le problème de la surcharge des classes car nous croulerons vite sous les constructions exédentaires (notez que ce n'est pas le cas encore, on a du mou d'ici l'an 2000 mais enfin tous les espoirs sont permis!). Notons d'ailleurs que le rapport Rouvillois (1989) est déjà en retard sur les derniers fantasmes d'EDF (7 réacteurs de plus d'ici à l'an 2000). Comme on a déjà 7 de trop officiellement (12 dans les couloirs), on va en avoir de 15 à 20 de trop. Sur 70 réacteurs en tout, ça ferait quand même un fort pourcentage - 25% environ -. Et si on faisait enfin un bilan vérité du poids du nucléaire sur la nation, en partant des sous-marins, des têtes et autres gadgets pour finir par les sites de stockage de déchets! N'oublions pas à ce sujet les liens privilégiés du CEA avec les militaires et ne nous étonnons plus qu'on ne fasse jamais de vérification. Fi donc! Tout pour la défense de la Nation. Il n'empêche que les erreurs de gestion ça existe et on ferait mieux d'en tenir compte. Bonne lecture. Vous trouverez vous-mêmes les passages croustillants et vous les utiliserez au mieux. p.2
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Introduction
La mission qui a été confiée le 30 novembre 1988 aux trois auteurs de ce rapport par M. Roger Fauroux, Ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire, et M. Hubert Curien, Ministre de la Recherche et de la Technologie avait pour objet d'identifier les enjeux d'avenir du secteur nucléaire civil en France, et les conditions à remplir pour que la France maintienne sa position privilégiée dans ce domaine. La mission était invitée à étudier particulièrement, en vue de formuler des propositions, les thèmes suivants: - l'organisation industrielle du secteur, en particulier les relations techniques, commerciales et financières entre les principaux partenaires; - la recherche-développement, son niveau souhaitable, les priorités pour l'avenir, sa répartition entre les acteurs concernés; - le rôle de la puissance publique et l'efficacité de son intervention dans les domaines essentiels de son ressort. La mission a poursuivi ses investigations et réflexions pendant cinq mois environ et a travaillé de façon essentiellement collégiale. Elle a rencontré de très nombreuses personnalités appartenant ou ayant appartenu au secteur du nucléaire civil, ou en relation avec lui. Elle s'est rendue sur place dans plusieurs établissements du CEA et de COGEMA, à l'usine de fabrication du combustible de Romans, ainsi qu'au Royaume Uni et en Allemagne Fédérale pour y rencontrer les responsables des secteurs nucléaires de ces deux pays. Elle a procédé, à leur demande, à l'audition de plusieurs organisations syndicales du CEA. Etant donné l'étendue et la complexité du sujet, la mission n'aurait pas pu mener à bien sa tâche sans le concours actif de ses rapporteurs: MM. Philippe Capron, Dominique d'Hinnin, Pierre Lepetit et Gérard Malabouche pour l'Inspection Générale des Finances, MM. Dominique Henri, François Mudry et Henri-Edmé Wallard pour le Corps des Mines. Ceux-ci ont approfondi les investigations de la mission, et rédigé de nombreuses notes d'analyse qui ont servi de base à la rédaction du présent rapport. Enfin, il convient de souligner que la mission a reçu le meilleur accueil et bénéficié d'un grand esprit de coopération de la part de l'ensemble de ses interlocuteurs, en particulier dans les Ministères et au sein des principaux organismes et entreprises du secteur nucléaire. Que tous en soient ici remerciés. Le rapport examinera successivement: - l'environnement international en matière de nucléaire civil, et ses perspectives à moyen et à long terme; - le bilan du nucléaire français: ses succès indéniables, ses ombres, l'organisation actuelle du secteur; - les perspectives d'activité du secteur nucléaire français, dans sa composante industrielle comme dans ses activités de recherche; - l'avenir des principaux acteurs et le rôle de la puissance publique. (suite)
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Le Ministre Ministère de la Recherche et de la Technologie
Messieurs,
Le Ministre Le programme électronucléaire français est un indéniable succès technique. La production d'électricité d'origine nucléaire représente aujourd'hui près des trois quarts de la production totale d'électricité. L'industrie nucléaire française est parvenue à maturité et, dans le domaine du cycle du combustible, occupe le premier rang mondial. L'avenir de ce secteur, caractérisé par la nécessaire adaptation du niveau des investissements aux besoins les plus probables sur le marché intérieur, et par une concurrence accrue sur les marchés mondiaux, n'en soulève pas moins de nombreuses interrogations. C'est pourquoi nous souhaitons vous confier une mission de réflexion et de proposition dont l'objet serait, après avoir identifié les enjeux du moyen et du long terme, d'évaluer les conditions à remplir pour que la France maintienne sa position prééminente dans le domaine du nucléaire. Dans ce cadre, il nous paraît indispensable d'étudier en particulier les thèmes suivants: - L'organisation industrielle du secteur et les relations entre partenaires français (EDF, CEA, COGEMA, FRAMATOME...). Un bilan sur ce point, évaluant les évolutions passées et la situation présente, est une étape prioritaire de la mission. Elle exige une analyse précise de l'ensemble des relations techniques, commerciales et financières entre les différents partenaires. Il conviendra sur ces bases de s'interroger sur la possibilité de maintenir et de développer nos positions industrielles dans ce secteur et sur les alliances et coopérations susceptibles de concourir à cet objectif. - La recherche-développement: les priorités et le niveau de l'effort global de recherche et développement qu'il paraît nécessaire d'accomplir dans ce secteur au cours des prochaines années requièrent un examen approfondi. L'analyse de la situation chez nos principaux concurrents et des stratégies qu'ils mettent en œuvre apporterait un éclairage indispensable pour évaluer notre propre politique. Une réflexion doit être en même temps menée afin de déterminer les conditions optimales de répartition de la réalisation et du financement de ces travaux de recherche et développement entre les différents partenaires concernés. - Le rôle de la puissance publique et l'efficacité de ses modalités d'intervention devront être étudiés attentivement. Il importe en particulier d'examiner les conditions d'exercice de ses fonctions dans des domaines essentiels: promouvoir et contrôler les mesures de sûreté, définir la politique de stockage définitif des déchets, soutenir la recherche de base, fixer les grandes orientations de la politique nucléaire extérieure. Vous formulerez sur l'ensemble de ces points toutes les propositions que vous jugerez nécessaires pour favoriser l'adaptation du secteur nucléaire aux nouveaux enjeux de l'avenir. A cette fin, vous conduirez avec le concours de l'Inspection Générale des Finances et du Conseil Général des Mines les investigations dans les organismes concernés que vous estimerez nécessaires. Nous attacherions du prix à disposer de vos résultats pour le mois de mai 1989. Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de nos sentiments les meilleurs. Roger FAUROUX
Hubert CURIEN p.3
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Les perspectives à l'horizon 2000
Au moment où le programme électronucléaire français entre durablement dans une phase de maturité, le climat d'incertitude qui pèse sur l'avenir du nucléaire mondial est loin de se dissiper. Certes, par un mécanisme d'inertie propre au secteur (le décalage important dans le temps entre commande et livraison), la capacité nucléaire installée a continué de croitre sur la période 1980-1990. Pour l'ensemble du monde à économie de marché, la puissance installée passera de 125 GWe en 1980 à 290 GWe en 1990. Mais jusqu'à la fin du siècle, les perspectives sont beaucoup moins encourageantes. Aux Etats-Unis et dans une grande majorité des pays de l'Europe de l'Ouest, les programmes nucléaires sont gelés, voire remis en question. La situation de notre voisin allemand est à cet égard très préoccupante puisqu'il est vraisemblable qu'aucune commande de centrales ne sera décidée avant la fin du siècle(1). Les pays en voie de développement, sur lesquels beaucoup d'espoirs étaient fondés voici quelques années, ne prendront pas le relais en raison de leur situation financière et de leur insuffisante capacité technologique. Dans cet environnement maussade, l'Extrême Orient et les pays de l'Est constitueront les seuls foyers de croissance. Le Japon poursuit à l'évidence une stratégie, cohérente et volontaire, de développement à long terme de son potentiel électronucléaire. La montée en régime progressive de son programme est un atout. Elle lui permet de bénéficier des transferts de technologie des concurrents les plus performants, et de disposer d'une grande flexibilité pour accomplir rapidement les sauts nécessaires vers les technologies les plus avancées. Dans le domaine du cycle du combustible, la volonté japonaise de se doter d'une industrie compétitive, présente d'abord sur le marché national et l'Extrême-Orient, puis au niveau mondial, est manifeste. Le Japon s'appuie sur des groupes industriels puissants; il consacre des efforts importants et très diversifiés à la recherche-développement, aussi bien pour les réacteurs que pour le cycle. Même si la contestation née de l'accident de Tchernobyl s'amplifie, et si le programme a glissé par rapport aux prévisions du MITI, le Japon est en passe de combler rapidement son retard pour accéder au premier rang des puissances nucléaires civiles. L'Union Soviétique pour sa part avait décidé un plan extrêmement ambitieux d'accroissement de sa puissance électronucléaire. La capacité installée devait plus que doubler de 1990 (53 GWe) à 2000 (125 GWe). Tchernobyl a été le révélateur de la mauvaise organisation et des insuffisances du secteur nucléaire soviétique. L'apparition de mouvements antinucléaires, l'arrêt de plusieurs tranches après les tremblements de terre en Arménie, jettent un doute sérieux sur la poursuite du programme soviétique au rythme prévu. La perception de ces difficultés a conduit les autorités soviétiques à rechercher la caution et la coopération des occidentaux. (suite)
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Il est prématuré de conclure que cette évolution conduira à l'ouverture de nouveaux marchés à l'exportation. Mais, ne serait-ce que pour favoriser une priorité à donner aux impératifs de sûreté, il est essentiel de proposer aux Soviétiques de nouvelles formes de coopération afin de sortir l'URSS du cadre autarcique dans lequel elle a développé son programme nucléaire. L'URSS, présente depuis longtemps sur le marché de l'enrichissement de l'uranium, pèse aujourd'hui sur les cours par une politique de dumping. Il semble enfin qu'elle soit décidée à se lancer dans une politique de retraitement à l'échelle industrielle. Pour rester dans le domaine du cycle, soulignons l'apparition de la Chine sur le marché de l'uranium naturel, de l'enrichissement et du retraitement. Dans ce dernier cas, la Chine joue un rôle indirect en offrant de prendre en charge le stockage des combustibles irradiés sur son territoire. Trois pays ont été approchés: la RFA, la Suisse et l'Espagne. De ce rapide tour d'horizon, il est possible de déduire qu'à moins d'un choc énergétique brutal et survenant rapidement, la capacité électronucléaire mondiale progressera très faiblement jusqu'à la fin du siècle. Pour le monde à économie de marché, elle passerait de 290 GWe en 1990 à 330-340 GWe en 2000, avec une quasi-stagnation aux USA et en Europe de l'Ouest. Ce diagnostic, peu contesté aujourd'hui, signifie que les créneaux à l'exportation de chaudières nucléaires seront très étroits en raison de la stagnation des marchés nationaux ou de la difficulté de pénétrer sur les marchés en croissance. L'exportation ne pourra donc, on y reviendra, que très ponctuellement soulager la "traversée du désert» de FRAMATOME et ne le dispensera pas des restructuration nécessaires que lui impose la récession du marché intérieur. Dans le domaine du cycle du combustible, après la forte expansion des années 80, le volume des besoins serait jusqu'à la fin du siècle en croissance faible aux Etats-Unis; la croissance serait voisine de 8% en Europe et dépasserait 60% en Extrême-Orient; pour l'ensemble du monde à économie de marché, elle serait de 20%. Le contexte commercial du marché s'est profondément transformé. Les compagnies électriques ne se livrent plus à la recherche anxieuse de fournisseurs primaires solides pour assurer sur le long terme l'approvisionnement en combustibles d'un parc de réacteurs en croissance rapide. Les stocks importants accumulés en amont du cycle, les surcapacités de production les orientent vers des engagements de plus court terme qui permettent de peser sur les prix. Enfin, après une période d'investissement massif, les électriciens n'ont plus que la réduction des dépenses de combustibles à leur disposition pour assurer la compétitivité du nucléaire. Dans un climat de concurrence qui va donc s'intensifier, tout doit être entrepris pour préserver et renforcer les positions de l'industrie française du cycle, qui réalise aujourd'hui près de 40% de son chiffre d'affaires à l'étranger. La seconde priorité, évidente, est d'utiliser au mieux les capacités d'EDF pour développer une politique d'exportation dynamique. Ce point sera repris par la suite. p.4
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II. Vers un redémarrage du nucléaire
après 2000?
Cette "traversée du désert" se prolongera-t-elle dans la première décennie du siècle prochain? La perspective à un horizon si lointain est un exercice périlleux qui dépasse le champ de la mission, même si, dans le nucléaire civil, la constante de temps propre au secteur exige en permanence un éclairage de très long terme(2). La place de l'électricité nucléaire dans le bilan énergétique mondial dépendra d'abord de sa compétitivité au sens large par rapport aux autres sources d'approvisionnement. Dans les pays industrialisés, les prévisions doivent prendre en compte une certaine saturation des besoins après le développement rapide des usages de l'électricité au cours des quinze dernières années. Il est donc probable que les taux de croissance de la demande d'électricité se ralentiront à long terme. Les efforts de recherche-développement menés par certains pays, comme la RFA et les USA, pour économiser la consommation d'électricité pourraient jouer dans le même sens. En ce qui concerne la production d'électricité, l'avantage économique du nucléaire par rapport à l'électricité produite à base de charbon n'est plus aussi évident en raison de la baisse du prix des combustibles minéraux. La compétitivité relative de ces deux formes d'énergie varie d'un pays à l'autre, voire au sein même d'un pays comme les USA, en raison notamment de la diversité des coûts de construction des centrales nucléaires, mais le nucléaire n'est plus assuré de l'emporter dans toutes les situations. Les combustibles minéraux solides représentent l'énergie fossile la plus répandue sur la planète. A long terme, les tensions sur le marché international du charbon sont peu probables et conduisent à envisager une faible dérive des prix. Toutefois, la lutte contre la pollution atmosphérique entraînera sans doute des surcoûts notables. En outre, les transports, souvent difficiles et coûteux, pourraient limiter la penétration du charbon dans le bilan énergétique. Il reste que le charbon continuera d'être un concurrent redoutable pour le nucléaire. Il en va de même pour le gaz, dont les ressources potentielles sont importantes si les efforts de prospection, jusqu'ici modestes, s'intensifient. La combustion du gaz est par ailleurs moins polluante que celle des autres combustibles fossiles. A un horizon de vingt ans, les problèmes de logistique qu'impliquent les transports de longue distance risquent néanmoins de limiter son emploi aux zones productrices ou proches des centres de production. Sur une base strictement économique, la production d'électricité nucléaire, faute de bénéficier de tous les effets favorables liés à un parc de centrales standardisé et de grande taille, ne disposera donc pas inéluctablement d'un avantage de compétitivité. A moins d'une montée brutale du prix des énergies concurrentes, le recours au nucléaire ne sera privilégié spontanément que dans les pays attachant un prix important à leur indépendance énergétique et à la diversification de leurs sources d'approvisionnement. En fait, dans tous les pays, la clef du redémarrage résidera dans la réponse apportée aux problèmes de sûreté et d'environnement. Un "nouveau Tchernobyl" porterait un coup sans doute définitif aux espoirs formés par l'industrie nucléaire. Dans ce contexte de grande vulnérabilité, l'enjeu majeur pour certains pays sera de rendre crédible aux yeux de l'opinion des concepts nouveaux de sûreté sans pour autant compromettre substanciellement la rentabilité économique du nucléaire. Ceci explique par exemple aux Etats-Unis la vogue actuelle du concept de réacteurs modulaires à sûreté passive. Le souci de préservation de l'environnement, en particulier la préoccupation croissante à l'égard du phénomène d'effet de serre, représente en sens inverse un atout important pour le nucléaire. Les auteurs de ce rapport sont convaincus que les mérites du nucléaire à cet égard seront progressivement reconnus, à condition que la gestion de la fin du cycle soit convenablement effectuée. Il ne faut pas cependant sous-estimer la lenteur de cette prise de conscience dans l'opinion publique et croire naïvement qu'une conversion rapide des mouvements écologiques puisse entraîner à bref délai un déplacement en faveur du nucléaire du centre de gravité des critiques. (suite)
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En définitive, l'évolution aux Etats-Unis a toutes chances d'être un facteur déterminant de l'avenir du nucléaire à l'échelle mondiale. Quelques données illustrent bien l'enjeu. Le gel prolongé du programme nucléaire réduirait, en l'absence de renouvellement, la capacité nucléaire des Etats-Unis à 50 GWe en 2020, soit la moitié de leur parc actuel. Au contraire, une reprise à partir de 2000 pourrait doubler la capacité existante. L'effet d'entraînement exercé par un changement d'attitude américain serait donc considérable. En dehors de la sensibilité de l'opinion américaine, de nombreux obstacles s'opposent à une reprise du nucléaire: la structure dispersée du secteur électrique qui freine la standardisation des équipements et l'optimisation du système de production ; une autorité de sûreté excessivement juridique qui a suscité des réglementations paralysantes sans offrir pour autant une garantie supplémentaire de qualité et de sûreté; une pratique d'amortissement qui pénalise le nucléaire, technique très capitalistique. Pour surmonter ces difficultés, l'industrie américaine s'est lancée dans la conception d'une génération avancée de réacteurs modulaires, de faible capacité (60 MW), à eau légère ou à haute température, et tente de promouvoir le concept de sûreté «intrinsèque» (ou «passive»). Ces projets de réacteurs, selon leurs promoteurs, se prêteraient mieux à la standardisation et à la fabrication en usine des grands composants. Les recherches menées en commun avec les constructeurs japonais n'ont pas dépassé le stade des études-papier. De ses entretiens, la mission retire l'impression que la communauté nucléaire française regarde avec un certain scepticisme cette tentative. D'aucuns considèrent même que les Américains, par la publicité accordée à la notion de sûreté passive, visent en fait à déstabiliser le parc de leurs concurrents. Les électriciens européens et sans doute japonais, semblent partager la conviction que les petites capacités ne seront pas rentables économiquement(3). Au total, c'est un sentiment de prudence qui prévaut chez la majorité des interlocuteurs rencontrés. L'opinion dominante est que le nucléaire redémarrera aux Etats-Unis à l'horizon du début du siècle prochain, mais que la reprise des commandes se fera sur une base modeste, le nucléaire n'accroissant pas sensiblement sa part de marché. L'évolution des Etats-Unis sera sans conteste déterminante pour l'avenir du nucléaire en Europe. En effet, à l'exception de l'Espagne et de la Grande-Bretagne où quelques perspectives de développement s'ouvrent, on voit mal aujourd'hui comment une dynamique spécifiquement européenne pourrait surmonter les facteurs de blocage qui se renforcent dans la majorité des pays. Même s'il convient de le regretter, l'Europe du développement du nucléaire risque de ne pas se réaliser avant longtemps. Le renforcement des liens entre la France et la RFA est certes un pas important dans cette direction, mais à l'heure actuelle, cette coopération est avant tout un moyen de survie pour le secteur nucléaire allemand. Il serait vain d'en attendre une contribution décisive à la définition des réacteurs du futur, ou à l'élaboration d'une doctrine commune en matière de sûreté, avant que l'horizon ne soit éclairci en RFA. Ecartant les deux scénarios extrêmes - celui catastrophique d'un accident entraînant un moratoire généralisé4 ou celui d'un choc énergétique, conjugué avec ce que l'un des interlocuteurs de la mission a qualifié de «fantasme du C02» - l'opinion la plus couramment exprimée penche vers un redémarrage progressif du nucléaire à l'échelle mondiale sur la période 2000-2020. Si on accepte cette hypothèse, plusieurs conséquences en découlent. La première est que les surcapacités dans l'industrie du cycle du combustible ne se résorberont que très progressivement et que la seule évolution du parc de centrales installées ne justifierait pas d'investissements significatifs avant 2010. En particulier, pour le monde à économie de marché, les besoins cumulés en uranium naturel n'atteindraient le niveau des ressources raisonnablement assurées (à moins de 80 $/kg) qu'à l'horizon 2020. Le spectre de la pénurie d'uranium, si tant est que ce risque existe, souvent avancé pour justifier le choix de la filière rapide, serait ainsi repoussé dans le temps. p.5
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La seconde est que les réacteurs
à eau légère conserveront à échéance
de 20 ou 30 ans une situation dominante dans le parc de réacteurs.
L'une des priorités de la recherche-développement nucléaire
sera donc d'améliorer les performances du parc existant et de préparer
une nouvelle génération de réacteurs à eau
légère plus sûre et plus compétitive, ce qui
dans le cas de la France constitue la meilleure défense contre la
déstabilisation de son parc. Ceci ne signifie pas pour autant qu'il
faille négliger les autres filières. Mais les échéances
sont suffisamment éloignées pour que les choix ne soient
pas figés prématurément, ce qui exige une plus grande
flexibilité des programmes de recherche-développement et
une veille technologique plus systématique et plus ouverte.
C'est d'ailleurs à cette condition que l'industrie française pourra participer au redémarrage du nucléaire, quelles que soient les incertitudes sur sa date et son ampleur. Car à l'évidence - et ce sera le dernier point - après une longue période de "traversée du désert", il est peu probable que les marchés nationaux s'ouvrent facilement. La concurrence japonaise va s'intensifier sur les marchés du Pacifique. Les constructeurs de chaudières américains, surtout s'ils réussissent à crédibiliser leurs nouveaux modèles, seront difficiles à combattre sur leur marché intérieur et feront de grands efforts pour faire prévaloir leur standard à l'exportation. Dans l'idéal, la stratégie à long terme du secteur nucléaire français devra donc concilier deux impératifs qui ne sont pas nécessairement complémentaires: préparer dans les meilleurs conditions le renouvellement du parc d'EDF, et se saisir de toutes les opportunités de reprise pour renforcer sa dimension internationale. III. L'organisation du secteur nucléaire à
l'étranger
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- L'effort de recherche-développement,
s'il a décru parfois de façon importante depuis 1980, reste
soutenu même dans les pays qui ont gelé leur programme d'équipement.
Ces recherches couvrent un spectre assez large aussi bien pour les réacteurs
que pour le cycle, d'où la nécessité pour la France
de pratiquer une veille technologique ouverte et flexible, comme cela vient
d'être souligné.
- L'organisation de la recherche-développement repose sur le dialogue entre trois partenaires: · la puissance publique, qui finance l'essentiel de la recherche à long terme, gère une partie souvent importante du potentiel de recherche (même aux USA où elle le sous-traite) et assure un rôle d'impulsion parfois décisif comme au Japon. · les exploitants, producteurs d'électricité, qui orientent et financent une partie de la recherche soit directement, soit par le biais d'une taxe payée par les usagers. Par contre une contradiction apparaît dans certains pays entre la responsabilité croissante des exploitants et leur émiettement qui conduit à une certaine prudence vis-à-vis du nucléaire, en particulier à cause des réactions de l'opinion publique. · les industriels fabricants de chaudières (sauf en Grande-Bretagne) qui exercent un rôle important dans la préparation et le choix des filières de réacteurs. C'est le cas en RFA pour KWU, aux USA avec Westinghouse et General Electric qui ont un rôle important dans la promotion des filières de "base" (PWR, BWR) ou dans la relance de concepts nouveaux. Il convient de souligner que ces industriels sont les filiales de groupes puissants pour lesquels le nucléaire (réacteurs et cycle) ne représentent qu'une activité au sein d'un portefeuille très diversifié. Au regard de ces éléments, il est clair que la structure et l'organisation du secteur nucléaire français sont particulières. Elles ont été sans conteste une condition du succès du programme électronucléaire national. Pour amorcer une coopération européenne, il faudra concilier cette originalité, sans en perdre l'efficacité, avec les traits spécifiques de nos partenaires. p.6
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Les Etats-Unis
L'organisation nucléaire américaine est celle d'un Etat fédéral. Elle est marquée par la multiplicité des acteurs et intervenants. Les responsabilités de l'Administration fédérale en matière énergétique sont limitées. Le Département de l'Energie (DOE) ne peut guère influer sur la politique énergétique que par son budget de recherche et développement. C'est ainsi que la politique de la multitude des compagnies électriques privées américaines est entre les mains des "Public utilities Commissions" qui définissent souvent leur stratégie en fonction de considérations locales. Le seul vrai pouvoir énergétique au niveau fédéral se situe au Congrès, mais son impact est affaibli par le nombre élevé et croissant des Commissions compétentes (10 au total pour le nucléaire). On est loin de l'efficacité et de la simplicité du système initial lors du lancement du programme nucléaire américain: un seul organisme public l'Atomic Energy Commission (AEC) et une seule Commission au Congrès (Joint Committee ou Atomic Energy). Aux USA, la majeure partie de la recherche-développement nucléaire est effectuée sur le budget du DOE; plus de la moitié est consacrée au développement et à la fabrication des armes nucléaires pour le Département de la Défense. Les programmes menés sur financement fédéral sont réalisés dans les grands laboratoires nationaux (Lawrence Livermore, Los Alamos, Oakridge, Hanford...) qui sont en fait exploités sous contrat par des sociétés privées (Westinghouse, Dupont, Martin Marietta...). Les employés du DOE sont surtout chargés de la gestion administrative et du contrôle d'exécution de ces programmes. Ces conditions sont favorables au transfert de la technologie vers l'industrie. Par l'exploitation des laboratoires, les industriels peuvent maintenir à moindres frais un vivier de chercheurs. La contrepartie est une baisse progressive de la qualité d'exploitation et de maintenance des installations défense du DOE. L'administration américaine s'interroge elle-même sur la viabilité de son industrie nucléaire. Que reste-t-il de l'imposante puissance industrielle des quatre grands constructeurs: Westinghouse, General Electric, Combustion Engineering, Babcok-Wilcox et des grands architectes industriels? Constructeurs et architectes ont depuis dix ans réduit leur personnel et redéployé leurs activités nucléaires vers les marchés des combustibles, des services et de la maintenance; marchés très rémunérateurs compte tenu de l'hétérogénéité du parc et du niveau variable de compétence des électriciens. Par ailleurs, le secteur nucléaire ne constitue pour certaines sociétés qu'une fraction très faible de leurs activités. Enfin, le secteur public et la coopération étrangère leur donnent les moyens de maintenir en activité une capacité de recherche-développement importante: contrats directs de recherche, en addition de l'exploitation des laboratoires nationaux, accords avec les licenciés et partenaires étrangers (le développement des réacteurs à eau avancés s'effectue avec une participation financière majoritaire des Japonais). Les industriels américains ont su s'adapter pour survivre et on aurait tort de sous-estimer leur capacité à exploiter une reprise éventuelle du marché nucléaire civil. Le Japon
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Le MITI Dans le domaine nucléaire, il joue un rôle important pour toutes les activités de caractère industriel et commercial. Il suit également l'ensemble des activités qui sont au stade de la recherche-développement dans l'optique de leur futur développement industriel, et prend le relais de la STA à partir de l'étape de la démonstration industrielle. Le rôle du MITI dans les activités de recherche-développement nucléaire est toutefois plus important qu'un simple suivi: le budget du MITI pour la diversification des sources d'énergie lui permet de contribuer au financement de certaines actions du JAERI et de PNC, qui lui semblent proches de la phase industrielle ou qui entrent dans le cadre d'un programme d'ensemble piloté par le MITI, et où les industriels et les instituts de recherche publics ont chacun leur rôle. Les financements .ainsi accordés par le MITI ne représentent en général qu'une faible fraction du coût total d'une opération donnée. Mais ces apports permettent au MITI de jouer, dans toutes ces opérations, un rôle beaucoup plus important que ne pourrait l'indiquer le simple montant de la subvention: le MITI prend ainsi la direction du projet, assure la coordination entre les recherches d'organismes différents peu enclins à collaborer, apporte la caution du gouvernement dans le cas de projets initialement uniquement privés (comme pour l'enrichissement de l'uranium par voie chimique), fixe les objectifs à atteindre aux différents stades, évalue les progrès et analyse les résultats. Dans toutes ces étapes du pilotage d'actions pluriannuelles, le MITI s'appuie sur le travail de comités ad hoc, composés de représentants des organismes concernés par le projet et par sa future industrialisation, mais aussi de personnalités indépendantes (universitaires compétents dans le domaine considéré). Ces comités se réunissent trois ou quatre fois au cours du déroulement d'un projet de deux ou trois ans. Leurs membres peuvent donc continuer leurs activités professionnelles normales. Le MITI a donc un rôle particulièrement important de coordination des efforts de recherche publique et privée. Sans donner la description des activités des principaux protagonistes du nucléaire japonais, nous rappellerons simplement leurs relations entre eux et avec les tutelles. Instituts de recherche publics: principalement PNC; et le JAERI. Instituts de recherche financés par les Electriciens et les industriels: CRIEPI, NUPEC, ANERI... Les 9 compagnies d'électricité, auxquelles il faut ajouter JAPO qui joue le rôle d'architecte industriel pour les nouvelles réalisations. Les industriels: ce sont principalement les trois grands groupes qui ont construit et qui construisent les centrales nucléaires japonaises: Mitsubishi Heavy Industries (REP Toshiba et Hitachi (REB). L'industrie du cycle du combustible n'a pas atteint le stade de maturité de celle des réacteurs. Il n'y a pas au Japon d'équivalent de COGEMA. Ce sont les Electriciens japonais qui, en accord avec le gouvernement, ont défini leurs besoins et créé, à partir de personnel pris dans les compagnies électriques, les sociétés qui exploiteront les grandes installations de Rokkasho-Mura: JNFI et JNFS. L'absence de liens solides avec la recherche-développement de PNC est un facteur de faiblesse. En ce qui concerne les centrales nucléaires, les compagnies électriques se bornent à leur rôle d'exploitant: elles n'ont pas les capacités d'architecte industriel d'EDF, ni le personnel hautement qualifié capable d'exécuter les opérations complexes de maintenance qui sont faites pendant les arrêts annuels. Ce sont les industriels (MHI, Toshiba, Hitachi) qui jouent ces rôles: livraison de centrale clés en mains, et prise en charge des arrêts de tranche. Il n'y a donc pas, pour la construction et pour les arrêts, de possibilités de peser sur les prix. De ce fait, les coûts de construction et d'exploitation ces centrales nucléaires sont très élevés au Japon, comparés aux coûts français (ceci n'est pas la seule raison des différences de prix). De manière générale, la situation industrielle japonaise se caractérise par une concurrence féroce entre les compagnies et au sein du secteur public, et entraîne: - rivalité intense entre la STA et le MITI, jaloux de leurs prérogatives respectives; - forte méfiance des industriels et Electriciens vis-à-vis des instituts de recherche gouvernementaux. Il en résulte des effets néfastes: certains grands équipements de recherche (réacteurs de recherche, en particulier) ne sont pas utilisés pour les besoins de recherche-développement des industriels, qui préfèrent sous-traiter leurs irradiations de nouveaux combustibles à des laboratoires étrangers par l'intermédiaire d'un partenaire industriel ancien (MHI-Westinghouse par exemple). Il y a aussi, naturellement, duplication de travaux. L'existence de comités de réflexion à long terme qui s'efforcent de cerner, définir et chiffrer les thèmes et domaines de recherche nécessaires au développement de l'énergie nucléaire au Japon dans les prochaines décennies est par contre bénéfique. Pour conclure, il faut rappeler que les trois grands groupes industriels japonais: - ont déjà la maîtrise technique de la construction des réacteurs et de la fabrication du combustible, - se partagent la construction du surgénérateur MONJU et étudient l'étape suivante, sous contrats de JAPCO, - vont, à l'occasion de la construction de l'usine de retraitement de Rokkasho-Mura, acquérir la compétence correspondante. Compte tenu de leur puissance industrielle, de leur politique propre et des objectifs à long terme affichés par le gouvernement, ils sont dans le nucléaire pour y rester et constitueront à terme, pour l'industrie européenne, de redoutables concurrents. p.7
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La Grande-Bretagne
La Grande-Bretagne a exploité la première centrale nucléaire au monde (1956) à Calder Hall, a très tôt mis sur pied un organisme de recherche spécifique, l'United Kingdom Atomic Energy Agency (UKAEA), a développé une industrie nucléaire aussi bien dans le domaine du cycle que dans celui de la construction, et avait ainsi acquis une nette avance technologique dans le domaine des technologies nucléaires, et une position de leadership. Elle n'est pourtant aujourd'hui que loin derrière la France ou l'Allemagne, pour ce qui est de son parc nucléaire, qui fournit moins de 20% de la production d'électricité, ou de son industrie qui n'est plus en mesure de développer sans appel à une participation extérieure, une centrale nucléaire dans son ensemble. Parmi les points forts de la situation britannique, il convient d'évoquer, même s'il s'est affaibli, le potentiel scientifique que représentent les chercheurs de l'UKAEA. Cependant, l'UKAEA a connu différentes réformes. Cet organisme qui, à sa création, couvrait l'ensemble des recherches y compris les aspects militaires et qui, en outre, était chargé de l'approvisionnement et du cycle du combustible, s'est vu privé de cette responsabilité avec la création en 1974 de la BNFL. De même, dès 1973, avait été adoptée la loi transférant les activités militaires au Ministère de la Défense. Enfin, une restructuration d'ordre financier est intervenue au 1er avril 1986 soumettant l'UKAEA à une gestion de type commercial et supprimant le système de subvention par le Ministère de l'Energie. Cette dernière réforme amène l'UKAEA à rechercher toutes sortes de contrats avec les différents ministères et avec l'industrie, ce qui risque de renforcer l'éclatement de ses activités dans différents domaines souvent non nucléaires. Le second atout, le plus tangible peut-être, est la maîtrise que possèdent les Britanniques de l'ensemble des opérations relatives au cycle du combustible. En effet, l'entreprise qui a été créée en 1974 à partir d'une direction de l'UKAEA, la British Nuclear Fuel Limited (BNFL), a pu bénéficier des compétences de cet organisme avec qui elle passe des contrats de recherche-développement, et a pu développer une industrie qui permet l'approvisionnement des centrales britanniques, mais qui exporte également une partie importante de ses services, notamment dans le domaine du retraitement. (suite)
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En revanche, face à cette industrie fructueuse, le secteur de la construction nucléaire britannique est relativement peu florissant en particulier lorsqu'on considère le potentiel de départ dont elle bénéficiait. Il est certain que l'industrie nucléaire en Grande-Bretagne n'a pas bénéficié, comme en France, d'un programme dynamique de développement du parc et que les hésitations sur les choix techniques, sur les filières, auront été très négatives, en ne permettant pas de concentrer les efforts et de tirer parti de l'effet de série. En effet, les premiers réacteurs, construits jusqu'aux années 1970, ont été du type Magnox (graphite, gaz) auxquels ont ensuite succédé les réacteurs AGR (Advanced Gas cooled Reactor), puis les réacteurs à eau pressurisée avec la décision en 1987, de construire le premier PWR à Sizewell. Cette absence de continuité ajoutée au fait que la Grande-Bretagne offre un marché beaucoup plus étroit que la France, pour des raisons avant tout économiques liées à l'existence d'autres sources nationales d'énergie, explique que ce pays pionnier du développement du nucléaire ne soit pas aujourd'hui en meilleure position sur le plan industriel. Enfin, un dernier élément qui pourra influer sur l'avenir du secteur nucléaire en Grande-Bretagne est évidemment la façon dont la privatisation de l'électricité CEGB, sera menée. Ce dossier actuellement à l'étude au Parlement devrait aboutir avant la fin de l'année. Il est prévu que la Compagnie qui reprendra l'ensemble du secteur nucléaire sera la compagnie la plus importante, qui détiendra 70% de la capacité actuelle, et qu'un seuil minimal d'approvisionnement en électricité d'origine nucléaire sera fixé. Cependant, dans la mesure où la responsabilité de l'approvisionnement reviendra aux compagnies de distribution, il n'est pas certain que, par exemple, le choix d'un type de filière soit exclusivement du ressort de la compagnie de production. En tout état de cause, il est peu probable que le processus de privatisation de l'électricité britannique soit de nature à créer de meilleures conditions pour la recherche et l'industrie britannique. p.8
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1. Le succès incontestable du programme
nucléaire français
Grâce à l'effort de recherche entrepris par le CEA, aux moyens techniques et financiers considérables mis en œuvre par EDF et les industriels, et à l'impulsion déterminée des pouvoirs publics, notre pays a su, en l'espace de seulement quinze ans, mener bien la constitution d'un parc efficace de réacteurs et se doter d'une industrie des centrales et du cycle capable d'exporter. A - La réalisation du programme électro-nucléaire
français
1 - Un succès technique
2 - Un bilan économique positif
3 - Un certain consensus de l'opinion
B - Un secteur d'activité à la taille internationale
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Déficitaire dans les années 1960, puis à nouveau de 1975 à 1980, la balance des échanges d'électricité est devenue fortement excédentaire. En 1988, les exportations d'EDF ont représenté 7,2 milliards de francs et le solde des échanges avoisine pour la France + 37 TWh, nos principaux clients étant l'Italie et la Grande-Bretagne. 1. Les performances à l'exportation
ont sans doute été un peu décevantes pour les centrales.
2. La présence française à
l'échelle internationale dans le cycle du combustible est très
importante: l'industrie française a un rôle de leader en matière
de conversion de l'uranium et de retraitement des combustibles; elle occupe
une place de premier plan pour l'enrichissement de l'uranium naturel.
3. La France occupe une position de leader mondial pour le retraitement.
p.9
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C. Un potentiel de recherche·développement
important et de qualité
1 - Un effort financier important pour la
recherche nucléaire
Dépenses effectuées en matière de recherche électronucléaire en 1989
Au total, les sommes consacrées à la filière électronucléaire pèsent de manière significative dans l'effort global de recherche de la nation: plus de la moitié des dépenses du secteur de l'énergie; 6 à 7% du budget civil de recherche - développement pour le seul CEA. 2 - Des succès incontestables
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D - Une organisation de la sûreté originale L'organisation adoptée conjugue les compétences de deux organismes: - le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires (SCSIN), rattaché à la Direction Générale de l'Industrie, exerce les compétences réglementaires et prépare les décisions des pouvoirs publics; il fait assurer les contrôles sur place des installations nucléaires qui permettent de vérifier leur conformité effective aux normes et aux textes qui les régissent; - l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), qui fait partie intégrante du CEA, effectue pour le compte du SCSIN et à ses frais, les analyses de sûreté qui permettent de vérifier et de critiquer le bien fondé des dispositions prévues par les exploitants. Cette situation est particulière dans la mesure où le CEA, au travers de ses différentes composantes, est à la fois chargé directement ou indirectement de la recherche sur les réacteurs, et en particulier sur leur sûreté; de l'exploitation d'installations nucléaires soumises aux normes et aux contrôles de sûreté (réacteurs et ateliers expérimentaux ou pilotes, établissements de l'ANDRA ou de COGEMA) ; de la réalisation des analyses de sûreté. La disproportion des effectifs entre le SCSIN, structure légère de conception et de tutelle, et l'IPSN renforce encore le caractère quelque peu «autogéré» de la sûreté à la française. Cette organisation a en tout cas un grand mérite: celui du pragmatisme, qui l'oppose à certains de ses homologues étrangers, en particulier la NRC américaine qui a joué un rôle important dans les blocages récents du nucléaire aux USA en refusant de donner son agrément avant la construction des centrales au vu de leurs plans. Le système français n'a pas fait obstacle au programme d'EDF, tout en assurant un niveau de sûreté que l'on peut estimer comme satisfaisant, si l'on en juge à la fois par l'absence d'incident majeur à ce jour et par les résultats des expertises indépendantes menées par l'AlEA dans des centrales françaises. Cependant, l'action parfois très ferme du SCSIN, conduisant à des arrêts de centrales ou au différé du redémarrage de Creys-Malville à la fin de 1987, reste encore trop peu connue pour lui permettre d'apparaître, aux yeux de l'opinion, comme un véritable contrepoids aux exploitants en matière de sûreté. Le caractère original du mode d'organisation français pourrait donc constituer un jour un facteur de fragilité dans le contexte international, et en particulier européen. II. Les ombres au tableau: surdimensionnement et rigidités A - Une certaine surcapacité d'EDF
p.10
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- Lancé très rapidement,
le programme d'équipement électronucléaire a continué
sur son élan alors que la question d'un ralentissement du programme
s'est en réalité posée dès 1978. Les industriels
ont alors estimé que le maintien d'une industrie forte et compétitive
exigeait une certaine continuité dans l'évolution du plan
de charge. Ainsi, alors que les prévisions de l'époque situaient
le niveau souhaitable des engagements au delà de 1985 entre 2.500
et 4.000 MW, ce qui aurait pu justifier une amorce de ralentissement, il
a été choisi de maintenir un fort volume de commandes jusqu'en
1981. Bien que brutal, le freinage intervenu à partir de 1983 n'a
pas été suffisant pour empêcher l'apparition d'un suréquipement;
- L'amélioration plus forte que prévue du taux de disponibilité des centrales est également à l'origine d'une partie du suréquipement. Le coefficient «hors entretien programmé» prévu à l'origine était en effet d'environ 65% (ce qui signifie que les arrêts fortuits représentent 35% de la disponibilité théorique de la centrale) et atteignait en réalité 63% en 1981. Ce coefficient a été progressivement relevé depuis: en 1987, la disponibilité moyenne a été de 80%, et EDF retient actuellement une fourchette de 89-94% pour le long terme. 3. Ce suréquipement actuel d'EDF est certes appelé à se résorber du fait de la croissance des besoins, mais il entraîne dans l'immédiat deux séries de conséquences(6). Il fait d'abord de la poursuite du développement des exportations d'électricité un impératif pour EDF. On verra plus loin que, s'il existe des possibilités importantes en ce domaine, elles ne vont pas sans difficultés. Ce suréquipement a, en second lieu, surtout des conséquences graves pour les fournisseurs d'EDF, et d'abord pour FRAMATOME, dans la mesure où il entraîne une pause presque complète des commandes de nouvelles centrales. En effet, dans une stricte approche économique, les perspectives de consommation d'électricité (sur lesquelles on reviendra dans la troisième partie) conduiraient logiquement, même dans les scénarios les plus favorables, à une interruption complète des commandes au moins jusqu'en 1993-95: ce qui veut dire, en d'autres termes, qu'au-delà de ce qui est déjà engagé - la dernière commande est celle de la tranche Chooz B2 en janvier 1987 - il n'existe aucun besoin réel nouveau en terme de capacité de production d'ici l'an 2000, les grandes échéances de renouvellement du parc actuel apparaissent à partir de 2010. Pour éviter une telle rupture, et assurer un minimum de continuité industrielle, notamment à FRAMATOME, EDF envisage un certain lissage de ses commandes, mais celles-ci n'excèderont probablement pas 3 ou 4 tranches d'ici l'an 2000. La première commande, celle de Civaux l, n'interviendra sans doute pas avant 1991. Ceci nécessite un redimensionnement drastique de l'activité des fournisseurs. On reviendra sur le cas de FRAMATOME, dont le chiffre d'affaires dans le domaine des chaudières pourrait passer, selon les propres prévisions de l'entreprise, de 5.600 MF en 1987 à 850 MF en 1997. Mais ceci concerne également tous les sous-traitants de FRAMATOME pour la partie nucléaire des centrales(7), et toutes les entreprises intervenant sur la partie non-nucléaire. D'ores et déjà, les effectifs industriels concernés par la construction des centrales nouvelles sont passés de 150.000 au plus fort de la période de constitution du parc à 50.000 actuellement; ils sont appelés à décroître encore. Il est clair qu'une meilleure programmation - c'est-à-dire une révision de l'échéancier à une phase plus précoce - aurait permis d'éviter au moins partiellement le surcoût financier dû à l'anticipation des investissements, en même temps que le «coup d'accordéon» subi actuellement par l'ensemble du secteur industriel d'amont. (suite)
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B. Une industrie de cycle dimensionnée pour une croissance plus forte L'industrie du cycle du combustible nucléaire, dont les capacités sont principalement contrôlées par COGEMA, a fondé le développement de ses productions sur les prévisions faites en matière de consommation d'électricité d'origine nucléaire. Or, depuis 10 ans, ces prévisions ont été revues en forte baisse en France, et encore plus substantiellement à l'étranger. L'industrie du cycle doit donc gérer aujourd'hui des surcapacités importantes dont la réduction n'est en général pas envisageable à court terme. 1. Les perspectives du marché de l'uranium sont obérées par le niveau des stocks. A l'échelle mondiale, la production d'uranium décroît régulièrement depuis 1980. Atteignant 37.000 tonnes en 1987, elle est actuellement inférieure de 20% à la capacité de production estimée à 45.000 T/an. La dépression du marché, que traduit en l'amplifiant la baisse des prix "spot"(8), et la disparité des coûts de production ont accru le poids relatif des pays à réserves «bon marché». L'OCDE estime que les besoins annuels du monde à économie de marché devraient croître d'ici l'an 2000 d'un niveau de 40.000 T aujourd'hui à environ 50.000 T. Même dans cette hypothèse relativement forte, les capacités de production actuellement en service ou qui peuvent être mobilisées rapidement permettraient de répondre sans difficultés à cet acroissement de la demande. Ceci est d'autant plus probable que, dans les conditions actuelles des contrats, l'excédent des stocks mondiaux sera lent à résorber.(9) Cette situation se retrouve dans le cas particulier de la France. EDF achète chaque année de l'ordre de 7.000 T d'uranium naturel pour un coût de 3,5 à 4 MdF. L'établissement a défini sa politique d'approvisionnement compte tenu à la fois de ses prévisions de consommation d'électricité et de l'objectif de maintien d'un stock de sécurité fixé par les pouvoirs publics à 36 mois de consommation. Mais, comme la production réalisée sur le territoire métropolitain est plutôt supérieure et les besoins d'EDF nettement inférieurs aux hypothèses prises à l'origine, le stock stratégique, qui inclut la production nationale, donne à la France une autonomie de 10 ans en cas de rupture totale des approvisionnements à l'étranger. Ce stock représente pour EDF une immobilisation de l'ordre de 53 milliards de F(10) que l'établissement ne peut espérer réduire à brefs délais. En effet, les modifications dans la prévision des besoins des réacteurs (révision en baisse du programme des tranches et amélioration de la gestion des réacteurs existants) sont intervenues trop brutalement pour que les contrats à long terme soient adaptés aux nouvelles conditions. En outre, la marge de manœuvre d'EDF vis-à-vis de COGEMA est limitée par des considérations d'ordre diplomatique en ce qui concerne les enlèvements d'uranium en Afrique Noire. 2. Sur le marché de l'enrichissement, la surcapacité est le facteur déterminant des conditions de concurrence. En 1988, les capacités disponibles dans le monde à économie de marché s'élevaient à 34,45 MUTS/an(11), la consommation à 21 MUTS et la production à 16,6 MUTS(12). Les capacités à l'horizon 2000 sont connues de façon relativement certaine en raison des délais requis pour construire de nouvelles installations, et du faible nombre de pays disposant de la technologie et des moyens financiers nécessaires. En l'an 2000, le monde à économie de marché devrait disposer d'une capacité globale de l'ordre de 40 MUTS/an. Les prévisions de consommation sont plus discutées, mais on peut penser que les besoins seront à cette date de l'ordre de 28 MUTS. p.11
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Cette surcapacité trouve
son origine dans la volonté des Etats de s'affranchir de leur dépendance
à l'égard du Department OF Energy (DOE) des Etats-Unis, qui
détenait jusqu'en 1977 un quasi-monopole et imposait à ses
clients des contrats rigides au niveau de la durée, des délais
de commande et des prix.
La surcapacité trouve également son origine dans les erreurs d'anticipation commises à la fin des années 1970 sur l'évolution de la consommation d'électricité d'origine nucléaire: le DOE avait prévu de construire une unité supplémentaire de 13 MUTS, et COGEMA prévoyait jusqu'en 1982, dans ses rapports au Comité de l'Energie Atomique, la réalisation d'une deuxième usine d'enrichissement qui devait entrer en service initialement en 1986 (projet COREDIF). Quand les usines d'URENCO(13) et d'EURODIF (10,8 MUTS/an) sont entrées en service entre 1976 et 1978, la capacité mondiale s'est accrue brutalement de 12 MUTS/an. L'enrichissement de l'uranium est pour les deux principaux producteurs mondiaux (la France et les USA) une activité stratégique en raison de ses implications militaires. Un retrait de ce marché par l'un ou l'autre de ces producteurs n'est donc pas envisageable. En outre, les USA ont déjà fermé certaines de leurs usines et EURODIF, ne disposant que d'une usine, ne peut réduire sa production qu'en sous-utilisant la capacité de son installation; il n'y a donc d'autre perspective que celle d'une concurrence accrue entre deux ou trois producteurs aux moyens excédentaires. 3. L'industrie française du combustible dispose également de capacités excédentaires. Les capacités installées dans le monde à économie de marché étaient de 13,1 millions de tonnes en 1985 pour une consommation de 7 millions de tonnes. A l'horizon 1995, les besoins sont estimés à 10,7 MT pour une capacité de 13,7 MT. A l'exception du Japon, tous les pays de l'OCDE disposent et devraient disposer jusqu'en l'an 2000 de surcapacités. Deux groupes dominent le marché mondial du combustible: FBFC/FRAGEMA avec 32% du marché mondial, et Westhinghouse avec 29%. On constate par ailleurs l'existence d'un duopole sur les trois principaux marchés régionaux: - en Europe de l'Ouest, FRAGEMA (50% du marché) devance les deux sociétés (KWU et ANF) du groupe SIEMENS (35% du marché), - aux USA, Westhinghouse détient 42% du marché, Generai Electric 33%, Combustion Engineering 10%, BWFC (filiale à 49 % de PECHINEY, FRAMATOME et COGEMA) 8% et ANF 7%. General Electric et ANF sont cependant sur un segment de marché différent, celui des combustibles à eau bouillante (BWR) - au Japon, Mitsubishi et Nuclear Fuel Industry contrôlent la totalité du marché du combustible PWR et Japan Nuclear Fuel le marché du combustible BWR. Ces duopoles ont toutes chances de se maintenir à l'avenir. D'une part, les clients refuseront de se lier à un monopole pour des raisons de sécurité d'approvisionnement et de prix; d'autre part, les parts de marché ne peuvent évoluer que lentement en raison des procédures de qualification exigées par les électriciens. Par ailleurs, la volonté de la plupart des puissances nucléaires de maintenir une industrie nationale du combustible est un obstacle à la concentration, même lorsque le marché national captif est insuffisant. On devrait plutôt assister à des alliances avec l'un ou l'autre des grands producteurs qu'à des rachats purs et simples de parts de marché. Dans le cas de la France, la volonté de COGEMA de s'introduire dans le secteur de la fabrication du combustible à une époque où on anticipait une augmentation de la demande a conduit à réaliser une usine à Pierrelatte (400 T/an) qui est à l'origine des surcapacités françaises. Un regroupement et une rationalisation de la gestion des trois unités existantes ont pu être obtenu fin 1983 par le biais d'un accord tripartite PECHINEY, COGEMA et FRAMATOME qui a fixé la structure de gestion actuelle. Mais les prévisions du plan de charge sur la période 1989-1998 établies par FRAMATOME et par EDF font apparaître une surcapacité de 430 T en moyenne par an, soit l'équivalent de la production de l'usine de Pierrelatte. (suite)
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Ces prévisions devront probablement être revues encore à la baisse en raison des progrès à attendre dans la gestion des réacteurs, notamment l'augmentation des taux de combustion. De ce fait, la production des usines décroît régulièrement. Des réductions d'effectifs devront être envisagées au cours des prochaines années et la fermeture d'une des usines n'est pas à exclure si les progrès envisagés à l'exportation ne se concrétisent pas. C - Un CEA à la recherche de lui·même
1 - La crise des missions
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Enfin, la mission assurée
par l'Institut de Recherche Fondamentale (IRF) ne paraît pas non
plus mise en cause même si, là encore, la question du rattachement
de l'IRF peut se trouver posée. Les objectifs en ce domaine ne peuvent
pas d'ailleurs être assignés aussi clairement par l'extérieur
qu'il en va en matière de défense ou de sûreté.
Ils résultent davantage d'une réflexion de l'organisme lui-même,
qui doit d'ailleurs être éclairée par des évaluations
externes: la qualité reconnue dans les milieux scientifiques aux
travaux de l'IRF doit constituer pour celui-ci la légitimation de
sa mission.
Ce sont en fait les missions du CEA se rattachant directement à l'orientation de la politique nucléaire qui se trouvent aujourd'hui mises en question. Il n'y a rien d'étonnant à cela dès lors que la maturité du nucléaire a fait émerger, par rapport à une situation ancienne où le CEA régnait sur ce secteur, deux autres acteurs majeurs: EDF surtout, qui se sent une responsabilité essentielle non seulement dans la gestion de l'existant, mais dans l'avenir du programme électronucléaire français, mais aussi COGEMA, filiale du CEA mais fille émancipée, qui a très conscience de ses responsabilité propres d'industriel majeur du cycle du combustible. De cette remise en cause d'un certain «leadership» nucléaire du CEA, on retiendra trois aspects: - l'orientation globale de la politique nucléaire échappe aujourd'hui au CEA. On peut à vrai dire s'interroger sur la notion même de «politique nucléaire», avec ce que ce terme compte de volontariste, voire de dirigiste, alors que le nucléaire apparaît de plus en plus comme banalisé en tant que source d'approvisionnement énergétique. Cependant, le poids des acteurs publics, en France tout au moins, la sensibilité politique du sujet dans tous les pays dotés d'un potentiel nucléaire important, peuvent justifier cette appellation. Or les décisions sont de plus en plus dans les mains des acteurs directement concernés, les pouvoirs publics exerçant un droit de regard. Dans la période toute récente, l'accord FRAMATOME - KWU, l'accord COGEMA-VEBA ont été avant tout de la responsabilité des signataires - pourtant tous deux filiales du CEA. Que dire alors de la politique d'EDF en matière d'exportation d'électricité, ou d'optimisation de la gestion de son parc de réacteurs? Le relatif déclin (sur lequel on reviendra) du Comité de l'Energie Atomique, au sein duquel le CEA assure en fait un rôle essentiel, illustre tout à fait cette évolution. - Le CEA voit également décliner le rôle qu'il avait eu l'ambition de jouer comme «prescripteur» de filières, et qui était très lié à sa mission de recherche-développement nucléaire. Ceci est particulièrement net dans le domaine des réacteurs: le choix de la filière REP de Westinghouse contre le souhait du CEA de poursuivre sur la filière graphite-gaz a marqué à cet égard un tournant irréversible dans les relations avec EDF. Qu'il s'agisse de l'avenir de la filière actuelle (avec le projet REP 2000), de la novation importante qu'y introduit le recours au combustible MOX, des filières de demain - y compris de l'avenir de la filière rapide au-delà de Superphénix - les choix seront en définitive du ressort d'EDF, ou des pouvoirs publics à travers d'EDF s'ils en ont la volonté, le CEA appuyé sur son potentiel de recherche gardant toutefois un rôle de force de proposition. Une évolution analogue se dessine dans le cycle du combustible où il est clair que COGEMA supportera de plus en plus difficilement que la recherche, même à long terme, s'oriente en dehors d'elle. Un dialogue plus équilibré devra s'instituer sur la fin du cycle dans lequel le CEA semble appelé à conserver un rôle important en raison de la sensibilité en termes de sûreté de toutes les options touchant à ce domaine, et de la responsabilité des pouvoirs publics que cela implique. - Enfin, dans une période plus récente, le CEA s'est assigné, ou s'est vu assigner, la mission de constituer et gérer un groupe industriel assurant la valorisation d'une recherche de plus en plus diversifiée. C'est ce qu'a traduit la création de CEA-Industrie décidée en 1983. La nécessité de valoriser l'effort de recherche-développement du CEA aussi bien dans le domaine nucléaire que non-nucléaire apparaît plus que jamais nécessaire. Mais le CEA n'a pas apporté la preuve de sa capacité à gérer un véritable groupe industriel: le CEA-Industrie n'a été au mieux qu'un demi-succès; il a mieux réussi dans la tâche ingrate et nécessaire d'apurement de certains passifs antérieurs, et dans son travail technique de consolidation financière et fiscale, que dans l'animation et le contrôle de gestion d'un ensemble qui n'a jamais vraiment constitué un véritable groupe. (suite)
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2 - Vieillissement et repli: les faiblesses propres du CEA Certaines faiblesses propres au CEA lui-même ont contribué à rendre plus difficile encore la situation du Commissariat: un vieillissement des hommes et de la culture, un certain repli sur soi, une gestion gravement inadaptée. Il est juste de souligner d'emblée que des mesures récentes ont été adoptées pour attaquer ces faiblesses avec lucidité et courage. Mais l'inflexion est trop récente pour avoir déjà vraiment changé le paysage. a) Le vieillissement se manifeste d'abord par une démographie préoccupante: 44% des chercheurs, ingénieurs et cadres sont âgés de plus de 50 ans, 18 % seulement ont moins de 35 ans. Ceci signifie à la fois que la plupart des postes de responsabilité sont entre les mains de cadres dans la dernière partie de leur carrière, et que le départ massif de ceux-ci au cours des prochaines années pose un problème délicat de relève, pour l'exercice des responsabilités comme pour le transfert des connaissances. En effet, la pyramide des âges du CEA est caractérisée par deux bosses: 26-34 ans et surtout 45-56 ans, séparées par un creux très accusé au sein duquel devraient se recruter les «patrons» de demain. Ce déséquilibre, qui traduit l'absence de toute gestion prévisionnelle des personnels au cours des dernières décennies, ne pourra être que très progressivement corrigé, surtout dans une période de gestion serrée des effectifs, et pèsera donc de longues années sur le dynamisme du CEA. Il explique que la mobilité fonctionnelle; et encore plus géographique soit aujourd'hui très faible au sein de celui-ci. Le vieillissement affecte également la culture du CEA en matière de recherche. Sur ce point sensible, les auteurs de ce rapport sont conscients du caractère limité de leurs investigations, et donc de l'injustice que pourrait comporter tout jugement de valeur général. De surcroît, ils se sont intéressés surtout au secteur du nucléaire civil, qui n'emploie qu'une partie du potentiel de recherche du Commissariat. Ils n'en ont pas moins été frappés, pour ce qui concerne ce secteur, par le caractère quelque peu figé d'options qui ont été arrêtées, pour les plus importantes d'entre elles, il y a maintenant plus de dix ans, et par la difficulté que paraît éprouver le CEA à procéder aux réévaluations et réorientations nécessaires. Nul secteur n'illustre davantage ce fait que celui des filières de réacteurs. Le CEA, ayant fait partager aux pouvoirs publics, dans les années 1970, la conviction que les réacteurs surgénérateurs constituaient la véritable filière d'avenir, avec comme corollaire la nécessité de procéder au retraitement intégral et rapide des combustibles irradiés, semble aujourd'hui encore avoir la plus grande difficulté à accepter de réexaminer avec sérénité une doctrine que les faits n'ont pas jusqu'à présent confirmée, mais qui s'est peu à peu muée en dogme. S'il convient que les réacteurs «rapides» ne sont pas aujourd'hui économiquement compétitifs, quels que soient leurs mérites techniques, il paraît avoir quelque peine à admettre que, même à l'échéance de vingt ans, leur avenir n'est pas nécessairement assuré puisque cela impliquerait que deux conditions au moins soient remplies: une forte remontée des prix de l'uranium naturel (qui suppose une forte relance du nucléaire sur le plan mondial engendrant une certaine rareté de cette matière première, aujourd'hui surabondante); des gains très importants sur le coût des réacteurs, gains qui ne peuvent être extrapolés à partir du modèle Superphénix, même amélioré, mais impliquent de fortes novations dans la technologie des réacteurs rapides. D'autres exemples pourraient être donnés de ce fixisme doctrinal, qu'il s'agisse de l'intérêt tardif du CEA (en fait sous la pression des événements) pour le combustible MOX, du refus de maintenir une veille technologique sur les réacteurs à haute température, ou du caractère rigide de la doctrine "retraitement total et immédiat" pour les combustibles irradiés, alors qu'il apparaît de plus en plus clairement que, pour EDF, un stockage intermédiaire assez prolongé entre la sortie du réacteur et le retraitement constitue une variante inévitable, compte tenu des capacités de La Hague. Au total, on ne peut se défendre du sentiment qu'il y eu globalement au CEA un certain affaiblissement de la recherche nucléaire de grand avenir, en matière de réacteurs et de cycle, au profit du soutien direct au développement des technologies existantes. p.13
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b) Le repli sur soi, ou plutôt
l'insuffisance d'ouverture sur l'extérieur, constitue un second
symptôme du malaise du CEA. Conçu initialement comme l'instrument
privilégié de constitution d'une puissance nucléaire
française - et d'abord d'une puissance militaire - le CEA paraît
avoir encore quelque peine aujourd'hui à percevoir l'environnement
international, y compris européen, autrement que comme porteur de
menaces. Certes, la compétition internationale est, là comme
ailleurs, une réalité, et la déstabilisation politique
du nucléaire dans des pays proches doit conduire à la prudence,
à l'égard de toute harmonisation prématurée
des règles de sûreté par exemple. Mais cette situation
appelle en même temps un renforcement des coopérations avec
tous les pays qui continuent de jouer le parti du nucléaire. Là
encore, la fermeté, voire la rigidité, de la doctrine du
CEA, si elle a impressionné des partenaires exposés à
des politiques parfois plus incertaines, n'a peut-être pas facilité
les collaborations. Si celles-ci se développent aujourd'hui, c'est
surtout au niveau de la recherche fondamentale (sur la fusion) ou des acteurs
industriels: COGEMA, FRAMATOME et, dans une moindre mesure, EDF.
Même à l'égard de ces derniers, la coopération demeure marquée par un certain manque d'ouverture, en ce sens qu'elle n'est pas fondée complètement, même au sein du groupe CEA, sur une relation «client-fournisseur» dans laquelle les besoins exprimés par l'industriel guident nettement les orientations de la recherche, au moins pour le court-moyen terme. On reviendra sur la clarification souhaitable en ce domaine. c) Enfin, on ne saurait sous-estimer combien des modes de gestion lourds et peu efficaces ont pu freiner l'adaptation du CEA à la situation nouvelle qui s'est progressivement créée dans l'électronucléaire. Sur ce point, la Cour des Comptes a récemment établi un constat (dont il ne sera pas fait ici état en détail puisqu'il n'est pas encore en sa forme définitive) qui constitue un jugement sévère sur la gestion interne du CEA. Pour se borner à quelques traits, il faut relever l'empilement des structures hiérarchiques et fonctionnelles qui, dans le domaine du nucléaire civil par exemple, interposent entre l'équipe de recherche de base et la direction du CEA, et dans le sens ascendant: un chef de centre mi-responsable hôtelier, mi-coordinateur horizontal; un ou deux échelons hiérarchiques opérationnels: département et division; puis l'état major de l'Institut de Recherche et de Développement Industriel (IRDI); la birection - fonctionnelle - des Technologies; enfin, l'ultime échelon fonctionnel, proche de l'Administrateur Général, que constitue la Direction des Programmes. L'importance excessive des états-majors et la redondance des échelons de commandement sont évidents. L'insuffisance, pour ne pas dire, jusqu'à une date très récente, l'inexistence des procédures de contrôle (contrôle financier, contrôle de gestion) et d'évaluation véritable de la qualité des recherches constitue également, pour un organisme mobilisant un tel montant de ressources publiques, une grave carence. Celle-ci va au point qu'il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de connaître avec précision le coût historique des principaux programmes de recherche. Dans ce contexte peu rigoureux, le CEA a engagé, encore récemment, des investissements discutables, sinon dans leur principe, du moins dans leur dimensionnement comme, par exemple, en matière de recherche sur le retraitement, la réalisation simultanée à Marcoule de l'Atelier-Pilote et du laboratoire très largement conçu dénommé Atalante. Ces projets ont été réalisés sans que soit défini au préalable un programme de recherche à long terme, ni établi un protocole précis de collaboration avec le partenaire industriel (COGEMA) auprès duquel sont désormais recherchés les financements nécessaires au fonctionnement des installations. De ces faiblesses, le CEA a depuis peu pris conscience, et il s'est engagé dans la voie d'un renforcement, ou plutôt d'une création d'instruments d'évaluation et de contrôle de gestion. Mais il faudra beaucoup de détermination pour faire évoluer en ce domaine la culture du CEA. Enfin, il faut relever qu'en dépit du discours officiel sur les «synergies» développées entre les différentes parties du CEA, il existe un fort cloisonnement horizontal entre les principaux instituts: DAM, IRF, IRDI, IPSN et que les relations qu'ils entretiennent semblent souvent limitées, même si la proximité géographique (IRF et IRDI à Saclay par exemple) entraîne, au niveau des équipes de base, certaines collaborations. (suite)
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Peut-être, compte tenu de la diversité des missions évoquées plus haut, cette séparation est-elle dans la nature des choses. Sans doute aussi le poids de l'histoire pèse-t-il encore, notamment sur les relations entre la DAM et les instituts civils. 3 - Crise d'identité et perte d'image
D - Une grande discrétion des pouvoirs publics
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Celui-ci, en dépit d'une
composition prestigieuse, apparaît plus comme un lieu d'information
et de concertation que de décision. Géré pratiquement
par le CEA qui assure son secrétariat, il constitue en réalité
son véritable Conseil d'Administration. Travaillant exclusivement
sur des documents élaborés par le CEA et qui reflètent
les points de vue de celui-ci, il traite essentiellement des orientations
de la politique du CEA, le plus souvent pour les avaliser; c'est ainsi
qu'il ne semble pas y avoir place pour un véritable débat
clair et ouvert sur les grandes options de recherche-développement.
Du fait de l'appartenance de COGEMA au groupe CEA, les orientations de
celle-ci y sont épisodiquement évoquées. Mais, c'est
dans d'autres enceintes que se discute et s'approuve la politique d'EDF,
qui constitue pourtant aujourd'hui un acteur essentiel du secteur nucléaire
civil.
Celte situation serait acceptable si le nucléaire était un secteur d'activité entièrement banalisé, où une totale latitude d'action puisse être laissée aux acteurs directs. Mais, l'importance des concours publics qui l'irriguent encore à travers le financement de la recherche-développement du CEA, le caractère très vite politique que prennent tous les débats concernant le nucléaire, font souhaiter une meilleure efficacité des instruments dont disposent les pouvoirs publics pour orienter la politique de ce secteur. On y reviendra dans la 4e partie du rapport. III. Appréciation de l'organisation actuelle du secteur du nucléaire civil A. La répartition des rôles
entre les partenaires est, dans l'ensemble, bien définie.
Le partage des tâches est facilité
par le fait que chacun des intervenants est en situation de monopole national
pour son activité principale. La distribution des rôles est
ainsi bien marquée: au CEA, la recherche fondamentale et le développement
de l'ensemble de la filière; à EDF, la maîtrise de
l'ouvrage et l'exploitation des centrales; à COGEMA, FRAMATOME et
PECHINEY l'industrie du combustible, depuis la mine d'uranium jusqu'au
retraitement des matières irradiées; à FRAMATOME,
l'ingénierie et la construction de l'ilôt nucléaire
des centrales.
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Le CEA conserve, comme il est normal, un quasi-monopole des recherches sur la filière rapide (encore 340 MF en 1989). Mais il dépense également près de 600 MF par an sur les REP, alors que FRAMATOME et EDF consentent environ 300 F par an à la recherche sur ce type de réacteurs. Le risque de concurrence stérile ou de double emploi ne doit pas être exagéré étant donné les procédures de concertation et d'information réciproque qui existent dans ce domaine. En particulier, le CEA effectue l'essentiel de ses dépenses sur des programmes «coopératifs» bipartites (pour l'essentiel avec FRAMATOME) et accessoirement tripartites (CEA-EDF-FRAMATOME). Il n'en reste pas moins que FRAMATOME et EDF souhaitent pour des raisons commerciales, cloisonner autant que possible ces programmes en évitant que l'autre partenaire ait accès à leurs résultats. D'autre part, chacun des trois intervenants a le désir de maintenir son potentiel d'études et de conception malgré le contexte d'un marché en fort rétrécissement. Le problème de fond qui se trouve posé est celui du leadership en matière d'ingénierie des centrales de nouvelle génération, revendiqué à la fois par le client et son fournisseur, FRAMATOME souhaitant limiter son inévitable dépendance à l'égard d'EDF pour le choix du «design» des réacteurs. Le rapprochement de FRAMATOME et de KWU dont l'aboutissement logique est la conception d'un modèle unique de réacteur européen risque de compliquer encore les relations entre partenaires en France, notamment pour la définition d'un projet REP 2000. - La maintenance des centrales Il en va de l'entretien du parc existant comme de l'ingénierie du parc à venir: EDF et FRAMATOME souhaitent chacune obtenir une part la plus importante possible de l'activité de maintenance et de gros entretien des centrales en exploitation. Les deux sociétés sont en effet confrontées au ralentissement brutal de l'activité de construction des centrales et souhaitent amortir le redimensionnement inéluctable, et d'ailleurs engagé de part et d'autre, de leurs moyens propres, par le développement de leurs activités de services. - L'industrie du combustible Elle se caractérise par la complexité de ses structures héritées des affrontements passés entre groupes publics pour s'assurer le contrôle de ce segment du cycle et l'intervention d'un grand nombre de sociétés au capital réparti entre les trois acteurs principaux (FRAMATOME, PECHINEY et COGEMA), ce qui se traduit en particulier pour le combustible REP par la séparation des activités de production et de commercialisation(15). Si les rapports de FRAMATOME (liaison entre l'architecture des chaudières et celle des assemblages combustibles) et de PECHINEY (métallurgie des alliages complexes et gestion de production industrielle) sont évidents, celui de COGEMA l'est moins, sauf en ce qui concerne les combustibles au plutonium dont elle maîtrise la technologie. La présence de cette société tient surtout à sa volonté de couvrir l'ensemble du cycle, alors même que chacun des métiers correspondants est spécifique, sans synergie commerciale ou technique déterminante entre eux. Cette structure, qui traduit un équilibre précaire entre les trois acteurs principaux, mérite d'être réexaminé (cf. 3e partie). 2 - L'activité du CEA hors du nucléaire civil On n'évoquera ici que pour mémoire les activités de recherche et de fabrication militaires du CEA qui représentent désormais plus de la moitié de son budget global (soit plus de 10 milliards de francs). Au sein de l'ensemble des programmes civils, la part de la recherche électronucléaire a régressé continuement au cours des 10 dernières années: de 55% en 1979, elle est revenue à 47,7% en 1989. En 1989, les programmes consacrés à l'électronucléaire civil représentent 3,3 GF. Cette évolution est liée à la part croissante de la recherche fondamentale jusqu'en 1986, puis à la montée en puissance de la recherche sur les technologies non-nucléaires après cette date. p.15
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En ce qui concerne la recherche
fondamentale (1,8 milliard de francs en 1989), l'évolution la plus
significative concerne les travaux relatifs à la fusion contrôlée
dont la part dans l'ensemble a progressé de 16% en 1981 à
près de 26% en 1985, avant de revenir à 15% environ en 1989
(341 MF).
Il faut également signaler qu'en biologie la recherche fondamentale a été regroupée avec les travaux appliqués au sein d'un ensemble baptisé "Sciences et Techniques du vivant" (375 MF en 1989). Parmi les autres programmes de recherche non-nucléaire, on notera le poids important de l'électronique (582 MF en 1989) avec le LETI de Grenoble, la disparition depuis 1986 des travaux sur les énergies nouvelles et le maintien d'un effort significatif sur le pôle robotique (122 MF en 1989). Pour l'ensemble des travaux appliqués du CEA, hors nucléaire et hors biologie, les cofinancements obtenus de partenaires extérieurs sont importants: au total 38% des dépenses du CEA sur les programmes sont couvertes par des contrats de recherche ou la valorisation de ses travaux, ce pourcentage atteignant même 53% pour l'électronique. Les apports extérieurs (près de 600 MF attendus en 1989) proviennent à parts à peu près égales des organismes publics et du secteur industriel. B. Les relations entre les acteurs du secteur électronucléaire n'obéissent pas toujours à des principes clairs 1 - Les relations entre EDF et ses fournisseurs
2 - Les transferts financiers vers le CEA
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Ces comptes, en particulier les trois principaux (Phénix, l'Atelier de retraitement Pilote de Marcoule et le Centre de Fabrication de Combustibles de Cadarache), sont en effet directement liés aux travaux de recherche sur les rapides (et désormais égaIement sur le MOX) et dégagent un déficit pour le CEA de 220 MF en 1989. Il reste qu'un transfert de l'ordre de 110 MF est opéré du secteur électronucléaire vers les autres programmes de recherche du CEA-civil. a) Les relations CEA-EDF
b) Les relations CEA-FRAMATOME
c) Les relations CEA-EURODIF
d) Les relations CEA-COGEMA
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C'est aux perspectives d'activité
du secteur nucléaire en France qu'est consacrée cette troisième
partie; la dernière examinera les conséquences qui en découlent
pour l'avenir des principaux acteurs.
Ces perspectives sont largement dominées par l'estimation que l'on peut faire des besoins de renouvellement et de développement du parc de centrales d'EDF au cours des deux ou trois décennies à venir. On a vu précédemment que les besoins sont très faibles à court terme et, qu'en termes stricts, EDF serait en mesure de différer toute nouvelle commande d'ici 1995-96, c'est-à-dire toute livraison d'ici l'an 2000 au-delà de ce qui est actuellement engagé. Le souci d'un certain lissage pourrait conduire à la commande de 3 ou 4 tranches d'ici la fin du siècle. Pour ce qui est du long terme, les grandes échéances de renouvellement se situeront à partir de 2010-2015, quand les premières séries de tranches commandées dans les années 1970 viendront à échéance de vie(19). L'estimation de l'importance des commandes qui seront alors passées à l'industrie est affectée d'un double aléa: les besoins d'EDF dépendront à la fois du volume de la demande d'électricité en France (accessoirement à l'exportation) et de la compétitivité du nucléaire par rapport aux autres modes de production, en particulier les centrales au fuel et les turbines à gaz. D'autres considérations, plus difficilement quantifiables, peuvent influencer les choix d'EDF et des pouvoirs publics: - le désir, si les coûts du nucléaire et du non-nucléaire sont assez voisins, de rééquilibrer un peu le parc au profit du second - mais ce serait accepter de revenir à une plus grande dépendance énergétique vis-à-vis de l'étranger, en particulier en termes de balance commerciale; - l'évolution de la sensibilité publique en matière d'environnement: un «nouveau Tchernobyl" hypothèquerait à coup sûr l'avenir à long terme du nucléaire dans notre pays, en tout cas dans les filières actuelles; en sens inverse, les conséquences atmosphériques de l'usage des combustibles fossiles - si elles sont confirmées - peuvent handicaper gravement leur développement à venir. En se limitant aux hypothèses chiffrables, les réflexions à long terme d'EDF font apparaître une grande sensibilité des besoins en centrales nouvelles à l'évolution de la demande et aux coûts relatifs de production nucléaire/non·nucléaire. Si la croissance de la consommation demeurait soutenue et si le nucléaire gardait son avantage de coût actuel, le rythme des commandes, autour de 2020-2025, pourrait s'établir à trois tranches de 1.400 MW par an environ; à l'inverse, la combinaison d'une certaine stagnation de la production (ce qui peut correspondre d'ailleurs à un usage plus économique de l'électricité) et d'une dégradation de la compétitivité du nucléaire au-delà du fonctionnement "en base", pourraient ramener ce rythme à une tranche de 1.400 MW par an. Dans une hypothèse intermédiaire où la consommation d'électricité progresserait mais où le nucléaire ne serait rentable qu'«en base", le simple renouvellement du parc existant - sans accroissement de sa capacité - serait suffisant. Il est clair qu'en aucun cas on ne retrouvera le rythme effréné de construction des années 1980, surtout si un certain souci de lissage conduit le moment venu à anticiper quelques commandes au début des années 2000. (suite)
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A s'en tenir à la prochaine décennie, sur laquelle la mission a concentré ses réflexions, trois tâches s'imposent dans une phase qu'on peut caractériser comme une phase de maturité du nucléaire - maturité des technologies et palier dans le développement des capacités de production: - optimiser l'emploi de l'outil industriel constitué dans la dernière décennie. - mettre en œuvre une politique tout à fait claire et cohérente sur l'aval du cycle du combustible. - préparer au plan des orientations de recherche, le grand avenir tant en matière de filières de réacteurs que de technologie du cycle. I - Assurer le meilleur emploi de l'outil industriel Si les perspectives du nucléaire au·delà
de l'horizon 2000 sont encore très incertaines, il importe en tout
cas d'utiliser au mieux l'existant, c'est-à-dire l'outil industriel
dont la France s'est dotée depuis quinze ans pour un coût
global qui doit avoisiner 800 milliards de francs: en particulier,
600 milliards pour les centrales EDF, plus de 60 milliards investis dans
la filière rapide, et davantage encore à La Hague.
A - Optimiser l'utilisation du parc électronucléaire
d'EDF
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4. La durée de vie des
centrales doit également être prolongée s'il est
établi que cet allongement ne compromet ni la sûreté,
ni la disponibilité des installations. A partir d'une estimation
initiale de 30 années, EDF table plutôt aujourd'hui sur 35
à 40 ans, avec un «grand carénage» après
25 ans de service environ. Cette prévision est encore difficile
à valider faute de recul en France dans la gestion du parc; mais
les REP exploités aux USA semblent pouvoir atteindre de telles durées
de vie et les études menées en France ("projet durée
de vie") vont dans ce sens.
Ce facteur est évidemment très important dans le bilan économique global du nucléaire. On voit mal aujourd'hui quelle innovation technologique, si radicale soit-elle, pourrait frapper d'obsolescence économique des centrales déjà amorties. En faisant durer ses réacteurs, EDF atteindrait à la fois trois objectifs: - minimiser le coût de l'énergie produite; - disposer d'un délai de réflexion et d'étude maximal avant de lancer les commandes de remplacement du parc existant (choix du modèle en fonction de l'évolution des technologies) - mener à bien ce remplacement dans les meilleures conditions techniques et économiques, c'est-à-dire en particulier, avec un lissage satisfaisant dans la réalisation du programme. La réalisation de cet objectif d'allongement de la durée de vie implique également qu'EDF continue d'être particulièrement attentif à prévenir, et le cas échéant à traiter, l'apparition de défauts génériques liés au vieillissement, qui pourraient constituer un sérieux handicap dans l'exploitation du parc en raison même de la standardisation de celui-ci. L'attention portée actuellement au remplacement des générateurs de vapeur montre qu'EDF est bien conscient des enjeux en ce domaine. Il y a là manifestement matière à la poursuite d'une coopération avec le CEA en matière de recherche technologique. B - Développer les exportations
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3. C'est du côté d'EDF et des exportations d'électricité que se situe sans doute l'enjeu principal à l'exportation pour la prochaine décennie. On a vu qu'EDF était devenue en quelques années un gros exportateurs d'électricité: 7,2 milliards de F, soit près de 5% de son chiffre d'affaires en 1988. En 1988, le solde des échanges d'électricité de notre pays s'est établi à 37 TWh et les perspectives portent sur 60 à 65 TWh en 2000; EDF ne retient toutefois par prudence que 50 TWh pour la programmation de ses propres investissements. La Commission de Bruxelles a souligné à juste titre que le «coût de la non-Europe» était particulièrement lourd en matière de production d'électricité: le suréquipement global actuel représenterait de 330 à 400 GF, et le recours de chaque électricien à ses propres moyens de production entraînerait un surcoût annuel de 23 GF. Une directive devrait être édictée cette année faisant obligation aux compagnies de transport de transporter l'électricité à un prix normal entre deux autres compagnies qui le demandent, et aux compagnies de production de consulter les autres électriciens avant de lancer de nouveaux investissements importants. La remise en cause des accords entre producteurs de charbon et d'électricité en RFA, ainsi que l'amélioration de la transparence tarifaire, devraient venir compléter ce dispositif réglementaire. Il est très souhaitable qu'un véritable marché européen de l'électricité se réalise effectivement dans les années à venir et les pouvoirs publics doivent poursuivre leurs efforts en ce sens. Il risque de se heurter à l'opposition des défenseurs des équipements locaux et des matières premières nationales d'une part, des écologistes hostiles au nucléaire d'autre part. Mais il devrait trouver un écho favorable chez les industriels, et constitue sans doute un des moyens les plus efficaces, encore qu'indirect, de donner au nucléaire une dimension vraiment européenne. Au plan économique, en raison des subventions directes ou indirectes dont bénéficient certains producteurs étrangers, les exportations ne sont pas très rémunératrices pour EDF: 22,4 c/KWh en moyenne (1987) contre 22,5 c pour le coût de production complet (amortissement et intérêt compris) d'une centrale nucléaire de base. Ceci signifie que si les exportations sont évidemment très souhaitables, notamment au plan de la balance commerciale, tant qu'EDF disposera d'importantes marges de production disponibles, il ne serait pas rentable, aux conditions actuelles du marché européen, de construire de nouvelles centrales aux seules fins d'exporter l'électricité produite. C. Assurer l'avenir des usines d'enrichissement et de retraitement
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2 - Le retraitement
On a vu plus haut que la position de COGEMA sur le marché mondial était particulièrement forte en matière de retraitement des combustibles irradiés, mais qu'une incertitude subsistait quant à l'importance de ce marché après l'an 2000. Après cette date en effet, de nouveaux contrats devront être conclus pour assurer le plan de charge des usines UP3, mais également pour la part de capacité d'UP2-800 qui ne serait éventuellement pas couverte par les commandes d'EDF. COGEMA devra faire face à un concurrent unique, mais sérieux: la société britannique BNFL, dont la capacité potentielle atteindra 1.200 tonnes/an à partir de 1992 en principe. La difficulté consiste évidemment à évaluer la demande de services de retraitement au-delà de la fin du siècle. L'attentisme de certains pays (USA en particulier), l'exploration de l'option "cycle ouvert" par la Suède, rendent le niveau de la demande mondiale difficile à cerner. On ne peut donc exclure d'emblée le risque d'une sous-utilisation des capacités de La Hague originellement destinées à la satisfaction des besoins étrangers. L'accord de principe conclu entre COGEMA et le groupe allemand VEBA (dont relève le producteur d'électricité Preussen Elektra) qui serait disposé à réserver la moitié des capacités d'UP3 au-delà de l'an 2000 est évidemment de nature, s'il est confirmé, à répondre pour une bonne part à ces interrogations. Avant ces échéances et pour les aborder en bonne position, il importe cependant d'achever l'ambitieux programme d'investissement de La Hague dans les meilleures conditions. Les enjeux d'un démarrage correct des ateliers UP3 et UP2-800 sont en effet considérables, tant en termes d'image commerciale vis-à-vis des clients étrangers qu'en termes financiers pour COGEMA. Malgré le préfinancement par les clients étrangers des ateliers d'UP3 et la rémunération de COGEMA par un système qui assure en principe sa marge (contrats en "cost + fee"), les retards d'ores et déjà intervenus sur ces nouvelles installations (6 à 8 mois sur l'ensemble du chantier, auquel s'ajoute un délai encore indéterminé sur l'atelier de cisaillage-dissolution) ont entraîné une certaine limitation de la rémunération dont bénéficie COGEMA. Plus grave qu'un dérapage des coûts des installations et des délais seraient des difficultés de "jeunesse" telles que celles qui ont affecté en leur temps, avec une technologie il est vrai moins connue, et donc moins maîtrisée, le démarrage de la première usine de La Hague. Si de telles difficultés conduisaient, après le démarrage d'UP3, à un arrêt provisoire ou à une utilisalion durable en sous-capacité, COGEMA subirait une réduction de son "fee" prévue par le contrat, et surtout des retombées commerciales négatives pour la technologie française du retraitement. COGEMA a en tout cas clairement perçu ces enjeux comme en témoigne la reprise en main, sans doute un peu tardive, de sa filiation SGN qui réalise l'ingénierie du chantier de La Hague, et aide par ailleurs à la réalisation de l'usine japonaise de Rokkasho Mura. D - Jouer la carte de la maintenance et des services
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Qu'il s'agisse d'ingénierie liée à l'exploitation, de maintenance usuelle ou de grandes interventions (changement des générateurs de vapeur), des capacités importantes existent et seront disponibles tant du côté d'EDF que du côté de FRAMATOME. Il conviendra donc que les pouvoirs publics, et surtout EDF elle-même, soient très attentifs à un équilibre raisonnable des tâches entre les deux partenaires. En effet, le maintien d'un niveau d'activité suffisant à FRAMATOME, qui doit par ailleurs procéder à une adaptation globale de son outil de production beaucoup plus sévère en proportion que celle d'EDF, doit être assuré. Ceci est d'autant plus nécessaire que FRAMATOME souhaite accroître son chiffre d'affaires à l'exportation dans les activités de maintenance; or la référence constituée par le marché national constitue un élément très important face à la concurrence internationale. 2. En ce qui concerne l'ingénierie du cycle du combustible, l'essentiel a été, ces dernières années, lié aux études de conception, réalisation et construction des usines de La Hague (UP3, UP2-800). Le report du démarrage des installations a permis le maintien de l'activité, qui est cependant appelée à décroître très fortement dans les prochaines années. La filiale d'ingénierie de COGEMA, SGN, à qui sa société mère a confié la responsabilité du démarrage des nouvelles unités de La Hague, cherche pour l'avenir à valoriser son savoir faire dans le démarrage d'installations complexes. L'obtention éventuelle d'un contrat analogue pour l'usine japonaise apporterait de l'activité à SGN tout en favorisant une bonne mise en service de l'installation, qui est importante pour la crédibilité internationale de la technologie française du retraitement. II. Mettre en œuvre une politique claire et cohérente
sur l'aval du cycle
A - L'utilisation des combustibles issus du retraitement
p.19
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La solution a consisté
jusqu'à présent dans l'envoi à l'étranger
de l'uranium issu du retraitement et la livraison en échange
d'uranium naturel enrichi. Les quantités d'uranium issu du retraitement
détenues par EDF ne représentaient d'ailleurs pas jusqu'à
présent un volume important.
La fin du contrat d'échange intervenant en 1990, et coïncidant avec le commencement du retraitement à une grande échelle des combustibles d'EDF dans l'usine UP2-800 de La Hague, fera apparaître plus nettement le problème. Celui-ci peut néanmoins être en partie résolu en intégrant l'uranium issu du retraitement dans les stocks stratégiques de trois ans de consommation qu'EDF doit, aux termes de la réglementation, constituer. L'uranium de retraitement ne serait dès lors utilisé qu'en cas de crise d'approvisionnement grave, qui rendrait négligeable le surcoût dû à la radioactivité plus élevée de cette ressource. b) Le problème est d'une autre ampleur, s'agissant du plutonium, dont la haute valeur énergétique avait justifié le retraitement et la réutilisation dans la filière rapide. Les conditions de stockage et de manipulation de ce produit doivent tenir compte de ses caractéristiques propres: rayonnement important, problèmes de masse critique et d'échauffement, dégradation permanente de l'isotope 241 en américium, sans compter les contraintes de sécurité et de gardiennage. Les techniques requises sont certes bien maîtrisées, mais complexes et souvent coûteuses. Le choix du retraitement, permettant la récupération du plutonium, avait été fait au cours des années 1970 essentiellement en vue de la réutilisation de cette matière dans les réacteurs à neutrons rapides du type Superphénix dont on prévoyait à l'époque la construction et la mise en service d'une vingtaine d'exemplaires pour l'an 2000. La mise en attente de cette filière a contraint EDF et le CEA à rechercher d'autres solutions pour consommer le plutonium produit par les ateliers de La Hague, et dont d'importantes quantités vont se trouver disponibles. C'est ainsi qu'EDF a pris la décision en 1985 de lancer un programme d'utilisation de combustible MOX (mélange d'uranium et de plutonium) dans 16 de ses réacteurs à eau sous pression de 900 MW. La première recharge de combustible (8 t) a été placée dans le réacteur de Saint-Laurent-des-Eaux en 1987, et deux recharges en 1988. La croissance de ce programme doit se poursuivre pour atteindre 90 t/an en 1995. La mise en œuvre de cette alternative à la filière rapide n'est cependant pas exempte de quelques problèmes: - La réalisation du programme MOX exige la construction d'une nouvelle usine de production, appelée MELOX, actuellement à l'étude, d'une capacité de 100 tonnes par an. Il semble néanmoins que la rentabilité réelle de l'investissement ne soit pas encore clairement établie. Par ailleurs, la composition de l'actionnariat de la nouvelle société chargée de réaliser et d'exploiter l'usine n'est pas encore arrêtée; il serait en tout état de cause souhaitable que le capital de MELOX soit réparti entre plusieurs partenaires (COGEMA mais aussi PECHINEY et le cas échéant d'autres fabricants de combustibles) afin de faire bénéficier le projet de l'ensemble des compétences des industriels intéressés de ce secteur. - Les décrets d'autorisation des centrales nucléaires n'ont, selon EDF, prévu la possibilité d'utiliser du combustible comprenant du plutonium que dans 16 tranches de 900 MW. L'extension de l'utilisation du combustible MOX dans les autres tranches exigerait sans doute une modification des autorisations avec enquête publique, ce qui pourrait être source de difficultés vis-à-vis de l'opinion. - La fabrication de 90 tonnes de combustibles MOX par an, niveau qui au demeurant pourra être atteint seulement en 1995, ne permettra pas d'utiliser la totalité du plutonium produit pour le compte d'EDF par l'usine UP2-800 de La Hague à partir de 1994. Sur les 5,5 tonnes de plutonium produites annuellement par le retraitement de 850 tonnes de combustibles irradiés, 3,5 seulement seraient utilisées (compte tenu des besoins propres de Superphénix). Ceci signifie que les stocks constitués par EDF jusqu'en 1995 ne seront pas résorbés, mais pourraient continuer à croître, pour atteindre l'équivalent de plus de trois années de consommation entre 1998 et l'an 2000. (suite)
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suite:
Il convient donc de prendre en compte les contraintes qu'impose le stockage du plutonium: outre les problèmes de gardiennage, le stockage pose le problème de son coût: 6 à 12 F le gramme par an, soit 100 à 200 MF par an vers l'an 2000. Le stockage pendant plusieurs années du plutonium se traduit en outre par une dégradation de la matière fissile, qui se transforme en américium 241, fortement radioactif. Une teneur en américium de 1% est aujourd'hui admise pour le MOX (teneur atteinte environ deux ans après le retraitement), qui pourra être portée au maximum à 3% (teneur atteinte environ 5 ans après le retraitement) dans des usines de fabrication de combustible fortement automatisées. Il existe certes une technique d'élimination de l'américium, mise au point pour les besoins militaires, mais celle-ci est très coûteuse (60 à 180 F par gramme de plutonium) et enlèverait tout intérêt économique à l'usage du plutonium. - Une augmentation des capacités de production de combustible MOX au-delà du projet MELOX peut évidemment être envisagée à terme. Mais ceci suppose en aval une certaine évolution de la technologie (donc un effort de recherche) permettant d'accroître substantiellement la proportion de combustible MOX susceptible d'être incorporée aux opérations de retraitement conduites à l'usine de La Hague. L'ensemble de ces éléments pourrait éventuellement conduire EDF à recourir davantage dans le futur au stockage temporaire des combustibles irradiés afin d'éviter l'accumulation en aval de stocks de plutonium, ceci jusqu'à ce que l'évolution de la technologie permette d'utiliser plus complètement les combustibles de retraitement. B. Le stockage définitif des déchets de moyenne et
haute activité
p.20
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Il apparaît de plus en plus
que la contrainte principale dans ce domaine est la capacité
de la population locale à accepter le principe du site de stockage,
beaucoup plus que les avantages techniques relatifs des différents
types de sous-sol (granit, schiste, sel, argile). Dans ces conditions,
il semble indispensable que le choix du site soit fait rapidement par les
pouvoirs publics, pour éviter toute cristallisation de l'opinon
publique sur des projets dont trois sur quatre seront en tout état
de cause abandonnés. Pour ce choix, le souci d'éviter
un phénomène de rejet relayé au niveau national, comme
ce fut le cas en son temps pour le projet de centrale nucléaire
de Plogoff, doit être un critère majeur.
Enfin, un aménagement du statut de l'ANDRA semble souhaitable. L'ampleur financière des projets actuels de stockage (site de l'Aube et surtout site souterrain, dont le budget d'investissement, probablement sous-estimé, est actuellement évalué à 7 ou 8 milliards de francs) et le coût de la gestion du site de La Hague justifient que les principaux producteurs de déchets, qui financent la totalité des dépenses, en particulier EDF et COGEMA, soient plus étroitement associés à la définition et surtout à la gestion des projets. C'est pourquoi il est proposé que la gestion des centres de stockage en fonctionnement soit confiée à un GIE qui associerait les principaux producteurs de déchets au prorata de leurs apports, tandis que l'ANDRA, qui bénéficie de l'image du CEA, resterait responsable des travaux d'investissement et de réalisation des sites en projet jusqu'à leur ouverture. C - Le démantèlement
(suite)
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suite:
3. Les problèmes techniques du démantèlement des réacteurs de puissance et des usines de retraitement ne sont pas encore complètement résolus. En première analyse, on peut envisager aujourd'hui un déclassement dit de "niveau 2" de ces installations (conservation du cœur des réacteurs et des cellules les plus actives en l'état, et démontage et décontamination des installations périphériques, y compris les circuits de refroidissement), qui exigera le maintien d'un gardiennage des installations concernées. Le déclassement de «niveau 3» (décontamination de l'ensemble des équipements et installations irradiés) ne peut être envisagé à l'heure actuelle, en particulier à cause du volume des déchets de haute activité que génèreraient de telles opérations. Un effort de recherche mené en collaboration avec les équipes de l'ANDRA paraît nécessaire sur ce point. III. Comment préparer le grand avenir?
p.21
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La concurrence notamment américaine,
a conduit le CEA à prévoir la relève de la diffusion
gazeuse par le procédé Silva d'enrichissement par laser,
à la fois pour l'uranium destiné aux usages civils et pour
le plutonium à usage militaire; simultanément, les autres
procédés (centrifugeuse, chauffage cyclotronique, procédé
Chemex) ont été abandonnés.
Si sa validité technique est démontrée, la mise en service de ce procédé dépendra: - de sa compétitivité économique; dans l'immédiat, compte tenu des capacités excédentaires existantes en matière d'enrichissement, il est peu probable que le procédé laser puisse détrôner la diffusion gazeuse, en particulier aux USA où les usines existantes du DOE sont presqu'entièrement amorties; - de la durée de vie réelle des installations actuelles d'EURODIF au-delà de la période d'amortissement initialement prévue (20 ans); à cet égard, l'excédent de capacité actuel peut assurer une certaine marge de sécurité si des problèmes de fonctionnement se faisaient jour. Sur le plan technologique, l'achèvement de la mise au point du procédé Silva nécessitera encore des travaux importants dans un environnement scientifique élargi, notamment en matière de séparateur; de même le choix industriel du type de laser est peut-être prématuré. On peut juger un peu surprenant à cet égard qu'ait déjà été édifié à Pierrelatte un bâtiment destiné à un procédé industriel qui n'est pas encore au point et pour un usage (enrichissement du plutonium) qui ne paraît pas correspondre aujourd'hui à une urgence du côté militaire. De façon générale, sans mettre en cause la qualité et la compétence des équipes engagées, on peut s'étonner que les décisions sur Silva aient été prises si rapidement et trop unilatéralement. On peut remarquer que dans d'autres pays (USA, Japon), les militaires ou les électriciens sont les principaux acteurs dans le domaine de l'enrichissement. Il est donc nécessaire qu'une réflexion coordonnée sur l'enrichissement soit menée rapidement pour mieux définir la stratégie à long terme. b) S'agissant de l'aval du cycle, le CEA doit donner la priorité à l'amélioration technique des procédés de retraitement, de stockage temporaire et définitif et à la préparation active du démantèlement. A long terme, l'image de marque de la filière nucléaire dépendra en effet pour une large part d'une solution satisfaisante du problème des déchets, comme le montre la situation aux USA. Ayant choisi la voie du retraitement, la France se doit de faire un effort particulier sur la qualité des déchets, leur simplification technologique, en incluant dans ses réflexions à moyen terme la question délicate de la séparation des éléments transuraniens à très longue durée de vie (même si les conclusions du rapport Castaing (novembre 84, décembre 96) ne peuvent être entièrement retenues). L'utilisation, techniquement possible, des réacteurs rapides comme brûleurs de plutonium et d'actinides plutôt que comme source de combustible doit également être examinée. |
3. En ce qui concerne les filières
d'avenir, la mission a considéré qu'elle n'avait ni une
prescience, ni une compétence suffisante pour tracer des orientations
concrètes et détaillées.
On peut considérer que, compte tenu de la jeunesse actuelle du parc national et des délais prévisibles pour un éventuel redémarrage international du nucléaire, la France dispose d'un délai de 10 à 15 ans pour préparer le choix des "réacteurs du futur", que ceux·ci se situent dans la lignée des REP actuels ou relèvent d'une autre filière. Il s'agit donc d'organiser une veille technologique assez ouverte sur les diverses filières possibles, y compris celles entrant dans la catégorie des réacteurs "modulaires" à forte sûreté passive, et non de préparer de façon prématurée des prototypes industriels, ceci valant naturellement pour les surgénérateurs. En ce qui concerne ces derniers, il convient d'ailleurs d'être conscient que leur avenir à long terme ne pourra être assuré que si les prototypes actuels font la preuve de leur capacité à fonctionner sans défaillance de façon prolongée. Il est donc nécessaire de suivre avec une particulière vigilance le comportement de Superphénix et la maintenance de ses grands composants (générateurs de vapeur notamment) (nouveau rappel: texte de 1990 mais numérisation en 2008...). Sur un plan général, on peut souhaiter que le CEA conduise la recherche de grand avenir avec un souci plus marqué de rechercher les coopérations internationales. Certes, une action commune est conduite de longue date dans le domaine des surgénérateurs, mais elle s'est avérée techniquement quelque peu décevante. On peut s'interroger sur l'avenir réel du projet EFR ("European Fast Reactor") compte tenu des problèmes rencontrés par les principaux partenaires de la France: incertitude financière sur la suite du programme national au Royaume-Uni, difficultés politiques majeures pour la mise en service du surgénérateur de Kalkar en Allemagne Fédérale. Il paraît surprenant notamment qu'aucune coopération significative sur les réacteurs du futur ne soit encore engagée avec deux pays qui y consacrent des efforts importants: les Etats· Unis et le Japon, et qui ont noué des actions communes entre eux et avec le constructeur allemand KWU. p.22a
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Après avoir tenté
d'évaluer - avec la modestie intellectuelle qu'implique cet exercice
- les perspectives d'activité industrielle et de recherche du secteur
nucléaire civil, il convient d'examiner, à la lumière
du bilan qui a été dressé plus haut (cf. 2° partie)
et de ces perspectives, quelles évolutions ceci implique pour chacun
des principaux acteurs, et pour leurs relations mutuelles.
Cet examen commencera par le CEA, parce qu'il est sans doute l'organisme appelé aux mutations les plus profondes; on envisagera ensuite l'avenir du groupe industriel, et de FRAMATOME avant d'évoquer la situation d'EDF, et enfin la redéfinition du rôle des pouvoirs publics dans le domaine du nucléaire civil. 1. L'avenir du CEA
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A - Quel CEA?
1. Ce qui a été dit plus haut sur la diversité des missions du CEA, et sur la légèreté des liens qui unissent les principaux instituts, pourrait conduire à retenir la solution d'un éclatement du Commissariat, et d'un rattachement de ses principaux éléments aux organismes extérieurs avec lesquels ils entretiennent les rapports les plus étroits. Ainsi la DAM, qui a déjà une forte individualité à travers notamment le réseau de centres exclusivement dédiés à ses missions, pourrait devenir un établissement public autonome dépendant du Ministère de la Défense. L'Institut de Recherches Fondamentales pourrait être rattaché au CNRS avec lequel il entretient des relations de travail très étroites (de nombreux chercheurs du CNRS travaillent d'ailleurs dans les laboratoires de l'IRF). L'IPSN pourrait constituer aussi une entité distincte, placée directement sous la tutelle du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires pour le compte duquel il exerce déjà une part de ses activités. Quant à l'IRDI, il pourrait lui-même être scindé en deux sous-ensembles: un secteur nucléaire dont la vocation serait, à plus ou moins long terme, de voir une partie de ses équipes de recherche rejoindre COGEMA, FRAMATOME, voire l'EDF; un secteur non-nucléaire, dont les éléments susceptibles de tirer l'essentiel de leurs ressources financières de l'industrie devraient être filialisés rapidement. p.22b
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En dehors du traumatisme qu'elle
infligerait à beaucoup de cadres d'un CEA qui, à juste titre,
n'a pas le sentiment d'avoir démérité, et qui ressentirait
le "démantèlement" comme un désaveu et un constat
d'échec, cette solution ne serait pas exempte d'inconvénients.
Elle risquerait d'engendrer tout d'abord une multiplication des centres de décision et structures de gestion sans qu'on puisse avoir la certitude de gains d'efficacité réelle. En raison des différences de statut des chercheurs, la fusion IRF-CNRS serait, au moins pour un assez long délai, plus apparente que réelle. Au demeurant, la complémentarité de culture, voire à l'occasion la rivalité scientifique de deux organismes, n'est-elle pas plus fructueuse qu'une absorption de l'un par l'autre? De même, la DAM, qui a fait la preuve de sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont assignés grâce à la relative liberté de fonctionnement dont elle bénéficie, resterait·elle aussi efficace si elle se trouvait placée dans le moule plus classique d'une tutelle directe de la Délégation Générale pour l'Armement? Le dialogue CEA-DGA sur la politique nucléaire militaire, même s'il est parfois difficile, ne préserve-t·il pas mieux en définitive la liberté d'appréciation des autorités politiques? On peut égaIement s'interroger sur la capacité de la partie non-nucléaire de l'IRDI - ensemble hétérogène où coexistent robotique, électronique, science des matériaux, biologie - à voler dès aujourd'hui de ses propres ailes... En second lieu, si les "synergies» entre pôles d'activités du CEA n'ont pas l'importance qu'on leur prête parfois, les liens ne sont pas inexistants au point de pouvoir être rompus sans dommage. Ceci vaut notamment entre l'IPSN et l'IRDI, le premier pouvant bénéficier, par son association aux recherches sur les réacteurs, de la connaissance concrète des technologies nucléaires qui fait souvent défaut à ses homologues étrangers, ce qui conduit alors inévitablement à une approche plus doctrinale et réglementaire des problèmes de sûreté. De son côté, un renforcement de la coopération entre IRF et DAM serait souhaitable pour atténuer une duplication des équipes de recherche qui est née des difficultés du dialogue entre la DAM et les instituts civils. Quant au maintien d'une certaine proximité (ce qui n'exclut pas une distinction) entre les équipes de l'IRDI travaillant directement sur le nucléaire civil et celles qui sont issues d'une diversification dans d'autres disciplines, il répond à des liens de collaboration concrets, et peut entretenir chez les responsables le souci permanent d'une valorisation élargie des recherches initiées pour les besoins du nucléaire. Enfin, la disparition du CEA laisserait subsister dans le secteur électro-nucléaire un seul acteur dominant: EDF, tant il est évident que FRAMATOME, et même COGEMA, se trouvent de fait dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur client principal. Or, s'il est nécessaire de reconnaître les responsabilités particulières que confère à EDF, pour le présent comme pour l'avenir, son monopole de production d'électricité d'origine nucléaire, il n'est pas inutile pour les pouvoirs publics - et pour EDF même - que subsiste en face une «force de proposition» disposant de l'autorité que lui confèrent son histoire et sa capacité en matière de recherche-développement. Un trop grand effacement du CEA créerait peut-être le risque que les préoccupations du court-moyen terme l'emportent trop sur le souci du grand avenir. En définitive, il n'est pas apparu à la mission qu'un éclatement du CEA soit, en l'état actuel des choses, porteur d'une valeur ajoutée considérable, ni même positive, et elle n'a pas retenu cette solution. 2. Une autre formule pourrait être celle d'un CEA recentré sur le "tout nucléaire", retrouvant en quelque sorte un contenu conforme à sa dénomination, dont seraient séparés l'IRF et la partie non-nucléaire de l'IRDI. Cette solution tomberait sous le coup d'une partie des objections formulées ci-dessus. De surcroît, elle postulerait une unité privilégiée de destin entre la DAM, l'IPSN et la partie nucléaire de l'IRDI, qui n'est pas conforme à la réalité. La mission n'a donc pas davantage retenue cette solution. 3. En définitive, la mission a eu le sentiment que la priorité était sans doute moins aujourd'hui de modifier le périmètre du CEA proprement dit(20) que d'engager celui-ci dans une gestion à la fois plus ferme et plus différenciée, tenant compte de la diversité de ses missions. Le CEA assume en effet d'une part des missions, elles-mêmes bien distinctes les unes des autres, qui relèvent pour l'essentiel des responsabilités de l'Etat et du financement public: mission militaire organisée autour de la DAM et des filiales Technicatome et COGEMA, mission de sûreté de l'IPSN, mission de recherche fondamentale; d'autre part, des missions de recherche-développement tournées vers le service à plus ou moins long terme d'une clientèle, qui doit en orienter largement les travaux et contribuer à leur financement: l'industrie nucléaire y compris l'exploitant EDF pour une partie de l'IRDI, l'ensemble de l'industrie française pour les recherches engagées au titre de la diversification. (suite)
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suite:
Une bonne partie des difficultés actuelles provient sans doute de la persistance d'une vision trop monolithique, et aussi trop administrative, d'un organisme qui ne peut retrouver sa vitalité que s'il fonctionne comme un ensemble diversifié mais efficacement fédéré. Le "nouveau" CEA devrait avoir trois caractéristiques: 1. Les grandes entités qui le constituent devraient se voir fixer chacune des objectifs clairement définis dont elles seraient directement responsables. Ces objectifs seraient sans doute moins ambitieux, mais devraient être plus précis, que ceux fixés dans l'Ordonnance de 1945, dont le remplacement par une nouvelle charte de fonctionnement aurait une valeur symbolique. L'appellation même du CEA devrait être modifiée, à la fois parce que le "Commissariat» sent son après-guerre, et parce que le CEA n'est plus aujourd'hui ni purement "atomique" ni guide suprême du nucléaire. Pour faciliter l'assignation d'objectifs clairs, le découpage des grandes entités pourrait être quelque peu modifié. L'IRDI, dont la taille est excessive, pourrait être dédoublé en deux entités nouvelles: un Institut de Recherches Nucléaires qui reprendrait l'ensemble des activités à court comme à long terme intéressant le nucléaire civil, et un Institut de Recherches Technologiques où trouveraient place les principaux "pôles de compétence" non-nucléaire - matériaux, électronique, biologie, robotique - récemment définis par le CEA. Il conviendrait de veiller à mettre fin à cette occasion aux doubles emplois qui peuvent exister entre l'actuel IRF et l'IRDI. L'IPSN devrait être redimensionné: le département des analyses de sûreté, tout en demeurant en son sein, devrait passer plus nettement sous la tutelle du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires, dont il est un des "bras séculiers». Le reste de l'IPSN pourrait se "dégonfler» en moyens (notamment en moyens d'essai lourds) et en personnels propres, devenant une structure plus légère qui utiliserait les compétences nucléaires, robotiques, biologiques... des instituts correspondant du CEA. L'IPSN, maintenu au sein du CEA, deviendrait ainsi une structure plus légère de pilotage d'actions technologiques, garante de l'ensemble des connaissances normatives de l'énergie nucléaire. 2. L'autorisation fonctionnelle des échelons centraux du CEA devrait être fortement réaffirmée, celle-ci étant la condition pour qu'une gestion selon un mode plus déconcentré qu'aujourd'hui ne tourne pas à la confédération inefficace. Cela implique notamment, sans que cette énumération soit exhaustive: - la fixation contractuelle de programmes à tous les responsables opérationnels dans une structure simplifiée centrée autour d'un renforcement de l'actuelle Direction des Programmes et de la Planification (l'existence de directions de programmes distinctes n'étant pas d'une nécessité évidente), et la mise en œuvre d'un processus systématique et périodique d'évaluation des résultats, faisant largement appel à des compétences externes; - en corollaire, la poursuite du renforcement des instruments de contrôle interne qui a été récemment entreprise, avec en particulier un engagement ferme de la direction sur le contrôle de gestion, et le renforcement de la fonction financière; la possibilité de doter d'une comptabilité de type industriel et commercial les unités qui font un large appel à des concours financiers extérieurs, en particulier de celles qui sont appelées à être filialisées, devrait également être étudiée; - une gestion des hommes, et en particulier de l'encadrement supérieur, plus responsable et plus motivante, et l'accès aux postes-clés suivant d'autres critères que celui de l'ancienneté; - un réexamen de la dualité haut commissaire - administrateur général au profit d'un responsable unique assumant l'ensemble des orientations et de la gestion du CEA, et un renforcement du rôle du Conseil d'Administration. 3. Enfin, le CEA ne pourra dans les années à venir se dispenser de poursuivre le redimensionnement de ses moyens. Même si ses missions en matière de recherche-développement sont réaffirmées en même temps que clarifiées, il est évident que les besoins ne sont pas de même ampleur dans une période de maturité du nucléaire civil qu'à l'époque où il fallait créer de toutes pièces un secteur nucléaire, puis aider à constituer l'outil industriel. Ceci vaut sans doute également pour le secteur militaire, et principalement la DAM. p.23
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C'est dire que, comme chez les
autres acteurs du secteur nucléaire, une adaptation intelligente,
c'est-à-dire non homothétique des effectifs, impliquant des
choix entre les programmes, l'acceptation par les personnels de certains
redéploiements, devra être poursuivie. Les états-majors
centraux devront être allégés, à commencer par
le siège, le nombre des Centres devra également faire l'objet
d'un réexamen en particulier dans le cas des Centres de Fontenay
aux Roses et de Pierrelatte, avec le souci d'assurer progressivement une
meilleure adéquation entre unités géographiques et
responsabilités opérationnelles, à l'image de ce qui
a été réalisé à la DAM.
En résumé, il doit être clair que le «nouveau» CEA ne peut faire l'économie d'une certaine rupture culturelle avec l'établissement actuel. La mission est en effet convaincue qu'un échec, résultant par exemple d'un quasi-maintien du statu quo, conduirait cette fois irrémédiablement à l'éclatement. B - Quelle recherche-développement pour le CEA?
(suite)
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suite:
Pour qu'un dialogue fructueux entre CEA et COGEMA puisse s'instaurer, il est sans doute nécessaire d'ailleurs que COGEMA dispose d'échelon léger assurant l'interface en matière de recherche-développement avec les équipes du CEA. Cette clarification paraît bien préférable soit à un transfert pure et simple à COGEMA des équipes du CEA travaillant sur le cycle, qui serait perçue par le Commissariat comme une amputation majeure et n'est souhaitée ni de part, ni d'autre, soit à la constitution au sein de COGEMA d'équipes de recherches autonomes qui doubleraient inutilement celles du CEA. 2. La recherche à long terme sur le nucléaire doit demeurer de la responsabilité du CEA, même s'il est nécessaire qu'il demande l'avis explicite des utilisateurs potentiels et que les pouvoirs publics soient appelés à se prononcer sur les orientations générales. On ne reviendra pas ici sur les orientations esquissées plus haut (cf. 3° partie). 3. Ce qui a été dit de la recherche nucléaire parait transposable à la recherche non-nucléaire. Celle-ci constitue pour le CEA un potentiel et un actif importants, mais elle ne correspond pas à ses vocations premières. Elle ne peut donc tirer sa légitimité que de la preuve apportée qu'elle répond à des besoins réels. Ceci suppose une certaine clarification. La création des "pôles de compétence» doit s'accompagner d'une réflexion approfondie sur leur mission dans un cadre élargi aux partenaires scientifiques et industriels concernés: sont-ils des pôles tournés vers l'amont (recherche de base, formation) ou vers l'aval (au service de l'industrie)? S'ils se veulent tournés vers l'aval, ils doivent prouver leur utilité en montrant qu'ils sont en mesure de se financer largement par des contributions extérieures. C'est bien le sens de la politique de «valorisation» poursuivie avec des bonheurs divers par le CEA depuis un certain nombre d'années, et qui doit être renforcée. En particulier, l'abandon des programmes pour lesquels les cofinancements extérieurs font durablement défaut, doit être envisagé. 4. En définitive, l'Institut de Recherches Nucléaires et l'Institut de Recherches Technologiques issus de dédoublement de l'IRDI devraient être l'un et l'autre tenus d'assurer une partie de leur financement par ressources extérieures, selon une proportion croissante dans le temps, et qui soit dès le départ sensiblement plus forte pour l'Institut de Recherches Technologiques. II. Les autres acteurs industriels
p.24
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La mission considère donc
que le moment est venu de desserrer le lien de filiation CEA/COGEMA, en
ouvrant le capital de celle-ci à d'autres partenaires. Compte tenu
de la nature industrielle des activités de COGEMA mais aussi de
leur caractère sensible, dans le domaine civil comme dans ses activités
militaires, il serait préférable que ces partenaires, qui
devraient être peu nombreux, soient choisis parmi les entreprises
industrielles du secteur public, sans exclure dans une phase ultérieure
une ouverture limitée à des partenaires privés.
Parmi les premiers, la logique industrielle conduirait à suggérer en priorité PECHINEY, ce qui pourrait faciliter la simplification des structures dans l'industrie du combustible qui a été évoquée plus haut. Le CEA pourrait conserver en première étape 50% du capital de COGEMA, ce qui lui laisserait un droit de regard sur la vie de l'entreprise et garantirait que la "nouvelle donne" en matière de recherche entre les deux entités ne débouche pas, de fait, sur un divorce. Ultérieurement, la participation du CEA pourrait être abaissée à un niveau un peu supérieur à la minorité de blocage; 35% par exemple. Il va de soi que cette émancipation créerait à COGEMA de nouvelles responsabilités. Elle supposerait aussi une clarification de ses perspectives financières; on y reviendra. 2 - Les liens avec FRAMATOME
3 - Les liens avec les autres filiales
(suite)
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suite:
Sur le plan plus général, il apparaît que la démarche de base suivie par le CEA avec la création de ces filiales est sans doute la bonne, et qu'elle doit être poursuivie, en particulier dans le cas du LETI de Grenoble. Mais elle n'a de valeur que si le passage d'une culture administrative à celle de l'entreprise s'opère assez rapidement, et s'il n'est pas entravé par le maintien durable de liens "privilégiés" qui obscursissent l'appréciation de la compétence et de la situation financière des nouvelles filiales. 4 - L'avenir de CEA-Industrie
p.25
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B - COGEMA
Les perspectives de COGEMA sont directement liées à ce qui a été dit plus haut sur l'avenir industriel du cycle du combustible a ses diflérents stades. Dans l'ensemble, les marchés demeureront marqués par l'existence de surcapacité importantes; une dure compétition internationale persistera donc, qui pèsera sur les prix et sur les perspectives de rentabilité des industriels du cycle. COGEMA n'échappe pas a cette règle et se trouve donc, pour ses branches d'extraction minière, de fabrication de combustible (où son rôle opérationnel est d'ailleurs modeste) et d'enrichissement, devant des perspectives impliquant une gestion très serrée et le renforcement de ses efforts commerciaux pour conserver sa clientèle et en conquérir de nouvelles. La situation est moins facile à cerner dans la branche retraitement. Une fois assuré le démarrage des usines de La Hague, celles-ci devraient procurer des résultats très appréciables pendant la période couverte par les contrats actuels (jusqu'en 2000). Les perspectives après la prochaine décennie dépendront notamment de la capacité de COGEMA à fidéliser sa clientèle: tel est en particulier l'objet de l'accord de principe récemment conclu avec le groupe allemand VEBA et sa filiale PREUSSEN-ELEKTRA. Au-delà des incertitudes de marché, l'avenir de COGEMA reste gravement obéré par le contentieux qui oppose sa filiale à 51% EURODiF, aux autorités iraniennes, et qui se traduit par un préjudice évalué par COGEMA à 7,3 mililards de F à la fin de 1989. A défaut d'un dénouement de ce contentieux sur le plan international, que rien ne laisse aujourd'hui espérer pour le proche avenir, la mission juge indispensable qu'une solution partielle soit apportée sur un plan interne français a une situation qui crée deux risques majeurs: d'une part, elle suscite une irritation croissante de la part des autres associés européens d'EURODIF, et pourrait mettre en péril le maintien de leur clientèle après l'expiration des contrats actuels (qui viennent à èchéance en 1990); d'autre part, elle risque de placer rapidement EURODIF dans une situation financière critique par disparition de ses fonds propres, au point de nécessiter un appel très important de capitaux auprès de son principai actionnaire COGEMA. Cette solution partielle pourrait résulter, selon la suggestion formulée par COGEMA, d'une confirmation du transfert de créance sur les autorités iraniennes opéré d'EURODIF au CEA en 1986; sans apporter de trésorerie nouvelle à EURODIF, elle améliorerait -pour l'avenir- sa structure de bilan en mettant un terme aux provisions qu'elle constitue actuellement en cotrepartie de la garantie de bonne fin accordée au CEA. Quelle-que soit la formule retenue, un allègement des risques liés à ce contentieux est nécessaire à très brève échéance a la fois pour préserver la crédibilité commerciale d'EURODIF, et à travers celle de COGEMA, vis-à-vis de la clientèle de l'usine du Tricastin (dont il est impératif de maintenir au moins a son niveau actuelle taux d'utilisation, en raison des charges fixes qu'elle supporte). pour faciliter un désendettement assez rapide du même EURODIF qui iui permette de soutenir dans de bonnes conditions la concurrence du DOE américain, enfin pour que l'évaluation de la valeur financière de COGEMA, à laquelle toute ouverture de son capital est nécessairement subordonnée, puisse s'opérer dans des conditions de "visibilité" satisfaisante. Même si COGEMA voit s'alléger un peu l'hypothèque que le contentieux EURODIF fait peser sur son avenir, elle ne saurait se dispenser de poursuivre un effort soutenu de rigueur de gestion, impliquant en particulier un suivi très allentif de l'évolution de ses effectifs, ainsi que de ceux de ses filiales. ll est clair en effet que "l'âge d'or" qu'elle a connu sur le plan financier, et qui était dû notamment aux avances consenties par les futurs clients de l'usine UP3, prend fin, et que les années à venir seront beaucoup plus délicates. COGEMA ne peut revendiquer, fut-ce discrètement, son émancipation sans accepter simultanément toutes les disciplines que celle-ci implique. Le rôle de ses futurs actionnaires, en particulier de ceux ayant eux-mêmes une tradition industrielle, sera d'y veiller. (suite)
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suite:
Jusqu'à présent, COGEMA a fonctionné surtout comme une fédération de branches techniques autonomes exerçant d'ailleurs des métiers très différents, Il lui faut maintenant devenir une véritable entreprise. Le management doit y renforcer son autorité en s'appuyant sur les outils de contrôle de gestion dont l'entreprise est en voie de se doter: une certaine tradition d'opacité des comptes destinée à se protéger des indiscrétions vis-à-vis des partenaires commerciaux, mais dont on peut se demander si elle épargnait les décideurs internes, ne pourra plus être proposée aux actionnaires(23). Et tel épisode récent devra rappeler durablement à COGEMA que, dans une grande entreprise disposant d'une trésorerie importante, la prudence et la sagacité des financiers importent autant que la qualité technique des ingénieurs et demandent à être surveillées d'aussi près. Il va de soi que l'autorité du management devra également s'exercer sur l'ensemble du groupe, en particulier sur les filiales d'ingénierie qui sont confrontées, on l'a vu, avec l'achèvement du chantier de La Hague, à une forte réduction de leur activité, et donc à un redimensionnement de leurs moyens. C - FRAMATOME
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Particulièrement important
pour l'avenir est l'accord récemment signé entre FRAMATOME
et le constructeur allemand KWU, branche du groupe Siemens, en vue d'une
action commune sur les marchés des pays tiers; il doit déboucher
sur la mise au point d'un modèle commun de réacteur susceptible
d'être proposé aux acheteurs potentiels. Cet accord, dont
la signature a donné lieu à quelques péripéties,
ne concerne pas à ce stade les marchés domestiques des deux
constructeurs, mais il préfigure clairement un éventuel accord
futur sur un réacteur destiné au marché européen.
Le choix d'un partenariat avec l'Allemagne - de préférence aux autres partenaires possibles: Royaume Uni, USA, Japon, peut s'expliquer par la connaissance mutuelle (en termes jusque-là de rivalité plus que de collaboration) entre les deux partenaires, par l'intérêt de s'associer à un groupe allemand connu pour son dynamisme à l'exportation, par la communauté d'intérêt que crée - en matière de sûreté par exemple - la proximité géographique et politique des deux pays. Il reste que cet accord apparemment équilibré, qui confie à FRAMATOME la responsabilité du réacteur et à Siemens l'architecture industrielle, avec un partage égal entre les partenaires habituels des deux groupes pour la partie non-nucléaire des centrales, pose la question de la disproportion de taille entre les deux partenaires: KWU à lui seul, qui regroupe l'ensemble des activités "centrales énergétiques" de Siemens, et réalise environ la moitié de son chiffre d'affaires dans le nucléaire(25), pèse environ le double de FRAMATOME. Siemens, avec un chiffre d'affaires consolidé de 175 milliards de francs en 1987 et plus de 55 milliards de fonds propres, constitue l'un des principaux poids lourds industriels européens (à titre de comparaison, les chiffres du groupe français CGE pour le même exercice étaient de 127 et 27 milliards). FRAMATOME pourra-t-il, quel que soit le dynamisme de ses dirigeants, résister durablement à une vassalisation si l'accord venait à être étendu un jour à l'ensemble de ses activités de chaudiériste nucléaire? C'est là un des principaux motifs de s'interroger sur l'avenir de son actionnariat... 2. Au-delà des activités nucléaires de FRAMATOME, ses dirigeants se sont engagés, en s'appuyant sur des disponibilités financières très confortables, dans une politique décidée de diversification. Cette politique répond à un souci parfaitement compréhensible de pérennité de l'entreprise, dont l'encadrement ne restera mobilisé que s'il voit s'offrir à la société d'autres perspectives que celles d'une retraite en bon ordre: FRAMATOME ne veut pas mourir, riche, d'inanition pendant la "traversée du désert" qui s'annonce en matière d'équipement nucléaire. Cette diversification, après divers tâtonnements, s'est orientée principalement vers le secteur de la connectique avec le rachat des sociétés Jupiter et Souriau en France, du groupe Burndy aux Etats-Unis, pour un coût total supérieur à 3 milliards de francs. La connectique constitue certes, comme le fait valoir FRAMATOME, un créneau porteur et touchant une clientèle très diversifiée. Mais le pari est considérable: il s'agit en réalité pour FRAMATOME, à partir de ces rachats, de constituer et de faire fonctionner avec une bonne rentabilité, un groupe international dans un secteur entièrement étranger à sa propre culture industrielle, où la valeur unitaire des articles se compte non plus en milliards, mais en centaines de francs... La qualité et l'engagement personnel des dirigeants de FRAMATOME ne sont pas en cause, mais on ne peut s'empêcher de se demander s'il leur sera vraiment possible de mener seuls à bien de façon simultanée trois stratégies en forme de défis: la préservation de leur outil industriel nucléaire face à la chute brutale des commandes, une alliance - appelée logiquement à être de plus en plus étroite - avec un des premiers groupes industriels européens, une diversification majeure dans un secteur très différent de leur activité traditionnelle. Ceci conduit à poser la question de l'actionnariat de FRAMATOME. Pour des raisons diverses: attitude volontairement passive du CEA et d'EDF, difficultés des relations de FRAMATOME avec la CGE, les actionnaires apparaissent aujourd'hui figés dans un certain immobilisme. Ils manifestent de temps à autre leur pouvoir de dire non, ou de formuler questions et réserves, mais ne donnent pas le sentiment d'une adhésion véritable à la politique conduite par FRAMATOME. Apparemment confortable pour les dirigeants, qui jouissent d'une large autonomie de fait, cette situation est en réalité dangereuse dans la mesure où elle les prive de conseils comme de soutien dans une phase très délicate de la vie de l'entreprise. (suite)
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La mission estime que le statu quo ne peut se prolonger sans dommage, en particulier dans la perspective d'un développement à venir de la coopération avec KWU-Siemens. Elle suggère qu'une "réanimation" de l'actionnariat, au processus de laquelle les dirigeants de FRAMATOME doivent être associés, soit engagée. Si, du côté de la puissance publique, il parait souhaitable de maintenir la présence d'EDF, qui constitue la référence essentielle de FRAMATOME vis-à-vis de ses clients internationaux, la participation du CEA pourrait être transférée à la holding CEA-Industrie dont la création a été évoquée plus haut, ou à défaut à une entreprise publique du secteur industriel. Du côté du partenariat privé, la logique serait que, dans le cadre d'un accord explicite avec les pouvoirs publics, la CGE devienne, sur une base de parité de l'actionnariat, le pôle d'appui de FRAMATOME, tout en s'engageant à respecter son individualité et à maintenir son outil de production au minimum vital nécessaire pour l'avenir du programme nucléaire français. Cette solution aurait de surcroît l'avantage d'éviter un bouleversement du capital. Si elle n'était pas acceptable pour l'un des partenaires actuels, il conviendrait de chercher dans la voie de l'adossement à un autre actionnaire industriel. III. EDF
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IV. La puissance publique
Dans une branche industrielle maintenant parvenue à maturité comme le nucléaire civil, où de surcroît les principaux partenaires appartiennent au secteur public, le rôle propre de l'Etat est plus de tutelle générale que d'intervention directe. Ce rôle pourra être d'autant plus léger que s'établiront sur des bases claires les objectifs et les relations des principaux acteurs. C'est pourquoi ceux-ci ont été examinés en premier lieu. Les recommandations de la mission, pour ce qui concerne la puissance publique, tiennent en trois points: l'Etat doit se mettre mieux en mesure de jouer son rôle d'orientation d'ensemble du secteur nucléaire; il doit régler à bref délai certains problèmes pendants évoqués dans le cours du rapport; il doit réexaminer le montant et les modalités de son effort financier. 1. Pour que la puissance publique puisse convenablement exercer la mission d'orientation stratégique qui lui revient, il est nécessaire que le fonctionnement du Comité de l'Energie Atomique soit repensé. Celui-ci doit cesser d'être un «super» Conseil d'Administration pour les affaires du CEA, et un simple organe de concertation pour le reste et doit redevenir un organe de décision pour l'essentiel (ce qui implique d'ailleurs un rythme de réunions moins fréquent qu'actuellement). Ce Comité doit pouvoir se prononcer chaque fois que possible sur des options ouvertes, et donc ne plus travailler sur la base de rapports émanant du seul CEA, même si celui-ci continuait d'assurer son secrétariat. Sans doute aussi serait-il souhaitable que sa présidence soit examinée: celle du Premier Ministre est le plus souvent théorique, ce qui conduit à faire présider le Conseil, soit par l'un ou l'autre des Ministres compétents, soit le plus souvent par l'Administrateur Général du CEA. Une présidence stable de niveau gouvernemental serait plus appropriée. Le Comité, dont l'appellation pourrait être modernisée, ce qui éviterait de surcroît une identité d'initiales avec le Commissariat qui n'est plus opportune aujourd'hui, devrait procéder, de façon systématique et périodique, à une confrontation entre objectifs et résultats pour les principaux acteurs du secteur nucléaire: CEA, COGEMA, mais aussi EDF. Il devrait également s'astreindre à une réévaluation périodique des orientations gouvernementales, compte tenu du caractère évolutif de la conjoncture internationale, et des incertitudes qui marquent encore les techniques de grand avenir: filières de réacteurs, procédé d'enrichissement, avenir du retraitement, techniques de stockage. 2. Les pouvoirs publics ne pourront également se dispenser de se prononcer à brève échéance sur certains problèmes pendants évoqués plus haut: - Une solution partielle au contentieux d'EURODIF, dont il serait périlleux pour l'avenir financier et commercial de cette société et de COGEMA qu'il dépende entièrement de négociations internationales à l'issue comme l'échéance incertaines. - La composition de l'actionnariat de FRAMATOME: celui-ci doit être en mesure de suivre de plus près la politique de l'entreprise qui d'ici deux ou trois ans engagera irréversiblement l'avenir. Le succès de cette politique à la fois difficile et ambitieuse suppose qu'elle soit endossée par, et adossée à, de véritables actionnaires. - Le choix d'une politique tout à fait claire pour l'aval du cycle. En effet, le choix et le début d'aménagement du site destiné au stockage définitif des déchets à haute activité doivent entrer sans délai dans une phase opérationnelle. Les pouvoirs publics ont également à réfléchir aux implications qu'une internationalisation des normes de sûreté, qui semble à long terme inévitable, notamment au plan européen, peut avoir sur l'organisation qui prévaut actuellement dans ce secteur; qu'on le souhaite ou non, la question du rattachement du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires et de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire se trouvera un jour posée; mieux vaut s'être préparé à y répondre. 3. Enfin, s'il apparaît qu'un allègement de l'effort supporté par les finances publiques peut et doit être poursuivi, c'est-à-dire en clair que les dotations budgétaires du CEA peuvent, avec la progressivité nécessaire, être revues à la baisse, cet allègement doit être l'occasion de mettre en œuvre une véritable politique: - Les réductions de crédits doivent reposer sur de véritables choix concertés avec le CEA. C'est dire qu'elles doivent comporter un réexamen systématique des «services votés» et être conduites de façon non homothétique: les équipes de recherche-développement porteuses d'avenir doivent être préservées, voire confortées; celles dont la valeur ajoutée est plus incertaine doivent, soit supporter un élagage sévère, soit démontrer leur utilité en obtenant une part croissance de financement de la part de l'industrie. - En contrepartie d'une politique financière exigeante, l'Etat doit - malgré sa réticence traditionnelle à aller dans cette voie - se lier, pour une part au moins de ses concours financiers, par des engagements pluriennaux conclus avec le CEA sur la base d'objectifs précis et vérifiables, négociés avec celui-ci. En effet, la continuité d'une politique de recherche s'accommode mal d'incertitudes budgétaires annuelles, surtout quand elle s'exerce dans un cadre financier global qui est rigoureux. Une certaine transposition de la technique des «contrats de plan» mise en œuvre avec les entreprises publiques classiques est ici à inventer avec les adaptations nécessaires. On évoquera enfin deux autres aspects du financement public du CEA: - il n'est pas certain que la répartition des responsabilités entre le Ministère de l'Industrie et le Ministère de la Recherche en matière de dotations budgétaires au CEA réponde aujourd'hui à une parfaite logique. Une clarification de ces responsabilités en fonction des vocations fondamentales des deux départements ministériels serait souhaitable; - la question peut se poser, au moins à la marge, de savoir si le financement de la recherche nucléaire publique doit être assuré par le contribuable ou par l'usager. La mission a manifesté une réserve à l'égard du système de «dime» imposé directement à EDF pour le financement partiel du CEA. Il serait par contre envisageable de faire supporter par le consommateur d'électricité une participation financière à la recherche-développement, par exemple, à celle touchant l'aval du cycle, à l'image de ce qui existe dans plusieurs des principaux pays étrangers à capacité nucléaire. Mais cette participation devait prendre la forme claire et directe d'un prélèvement fiscal ou parafiscal sur le consommateur, et non d'une contribution forcée de l'exploitant. (suite)
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LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION Dans une phase où le nucléaire civil a atteint sa maturité en France et se trouve «gelé» - pour une période difficile à déterminer - dans la plupart des pays occidentaux, la mission estime en conclusion que la politique française devrait s'ordonner autour de cinq orientations. 1. Il convient d'abord, dans
l'attente des échéances de renouvellement qui commenceront
dans une vingtaine d'années, d'utiliser au mieux le remarquable
et considérable outil industriel édifié depuis deux
décennies:
2. Il est nécessaire de préparer l'avenir:
3. Il y a lieu de procéder
aux adaptations que la maturité du nucléaire implique chez
certains acteurs principaux de ce secteur:
4. La mission première d'EDF dans la période actuelle est d'assurer la gestion la meilleure et la plus sûre de son parc. Rien n'est plus important pour promouvoir, et défendre contre d'éventuels détracteurs, la technologie nucléaire française. Mais EDF doit savoir se défendre d'un certain isolationnisme, et rester partie prenante à la définition des objectifs du long terme. 5. Enfin, les pouvoirs publics
doivent se donner les moyens de mieux définir les orientations d'ensemble
de la politique nucléaire et de suivre les objectifs des principaux
partenaires.
Henri GUILLAUME
René PELLAT Philippe ROUVILLOIS p.28
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