Mont-Saint-Aignan,
le 17 février 2014
Ça disjoncte grave
du côté des centrales !
Collectif
STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs
Le 6 décembre 2013, la Direction des centrales nucléaires de l'Autorité de sûreté publiait un courrier de position sur "le refus de fermeture des disjoncteurs de 6,6 kV" concernant les réacteurs de 1.300 MW (1). Afin de mieux comprendre ces défaillances, l'ASN a sollicité l’appui de l'IRSN (2).
L'avis de l'institut mérite qu'on s'y arrête. Non seulement le problème
est ancien, mais il est récurrent (11 défaillances sur le premier
semestre 2013). "Depuis la
caractérisation initiale de l’écart de conformité, EDF n’a pas revu son
analyse de sûreté, notamment à la lumière des défaillances constatées
en 2013." Et l'IRSN conclut en déclarant "que
le risque induit par ces anomalies, notamment pour les disjoncteurs
impliqués dans les basculements entre la source électrique externe
principale et les transformateurs auxiliaires qui présentent les taux
de défaillances les plus élevés, nécessite la mise en œuvre de mesures
compensatoires dans l’attente de la caractérisation complète de cet
écart de conformité." (suite)Tout cela aurait pu rester dans le cercle restreint des experts du nucléaire, si les aléas climatiques n'étaient venus percuter un débat au demeurant très technique. Le 8 février 2014 à 22h00, à la suite d’un défaut sur le réseau de transport d’électricité, l’unité de production n°2 de la centrale de Flamanville s’est isolée du réseau électrique et a cessé de produire. L’ensemble des systèmes de protection a parfaitement fonctionné. Simultanément, un court-circuit s’est produit sur un des pôles du transformateur principal de l’unité n°1 entraînant un arrêt automatique du réacteur. Les deux unités étaient à pleine puissance au moment de l’incident. Aucun blessé n’est à déplorer. L’incident n’a pas eu de conséquence sur l’environnement. Les analyses préalables au redémarrage de l’unité de production n°2 sont en cours. Les équipes EDF procèdent à un diagnostic précis de la panne du pôle du transformateur de l'unité n°1 en lien avec les experts nationaux d'EDF (3). Bien évidemment l'exploitant, les pouvoirs publics et la CGT ont minimisé l'événement (4). Une fois n'est pas coutume, c'est RTE qui a vendu la mèche (5). Un défaut qui a duré moins de deux secondes sur les deux lignes qui relient chacune un réacteur au réseau serait à l'origine de la défaillance. C'est donc un modeste orage qui a entraîné l'arrêt de deux réacteurs et le découplage de 5% des capacités de production d'électricité (6). Une chose est sûre les deux réacteurs ont disjoncté et n'ont pu passer en alimentation de secours... et le réacteur n°1 ne peut pas fonctionner pour plusieurs semaines en attente du diagnostic des experts.. Comme quoi les problèmes de disjoncteurs ne sont pas anodins. Mais du reste comment EDF fait il face à la foudre? Faudrait pas que d'une défaillance on en arrive à un accident... Mais qu'est-ce qui se cache là-dessous? Le sujet est réel et sérieux. Corinne Lepage dans une tribune en réaction à la rumeur de renouvellement des centrales cite le problème des disjoncteurs pour donner à voir l'état du parc nucléaire. «Malgré cet écart de conformité caractérisée dont l'IRSN dit qu'il a une incidence sur la sûreté importante, EDF refuse de rechercher les causes et se contente d'une stratégie de dégraissage mise en cause par l'IRSN. C'est peut-être cette alarme qui a conduit l'IRSN à perdre 10% de son budget en 2014! (7)». Force est de reconnaître que ce problème est loin d'être anodin. On est non seulement en présence d'une défaillance d'un équipement important pour la sûreté mais de ce que l'Autorité de sûreté appelle un «défaut générique (8)». L’IRSN ne mâche pas ses mots. L'institut met en cause «l’absence d’expertise systématique lors de la découverte des refus de fermeture a limité les données disponibles pour identifier les phénomènes conduisant à des refus de fermeture des disjoncteurs 6,6 kV incriminés. Au regard de l’importance pour la sûreté de cet écart, l’IRSN estime qu’EDF doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour déterminer la totalité des causes des refus de fermetures des disjoncteurs 6,6 kV des paliers 1.300 MW (9)». |
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En 2010 en décrivant un incident survenu aux États-Unis, l'IRSN
avait mis en évidence l'importance des disjoncteurs donnant à voir
qu'une défaillance peut conduire à une situation d'urgence: p.12Le 28 mars 2010, un court-circuit affecte un câble reliant deux tableaux d’alimentation électrique de moyenne tension (4 kV) du réacteur. Le disjoncteur de la ligne reliant ces deux tableaux ne s’ouvre pas car son fusible d’alimentation est défectueux. La protection par le disjoncteur n’ayant pas fonctionné, le court-circuit provoque une chute de tension sur les autres tableaux 4kV, entraînant le ralentissement des pompes primaires et donc une réduction du débit primaire, ce qui provoque l’arrêt automatique du réacteur. Le courant de court-circuit provoque aussi le déclenchement du transformateur principal. Les tableaux 4kV sont alors alimentés par le transformateur de secours; mais, étant donné que le court-circuit n’est pas encore éliminé, l’alimentation de ces tableaux disjoncte et la chute de tension se propage aux tableaux classés de sûreté (480V), ce qui provoque le démarrage du groupe électrogène de secours. Il survient ensuite une série de dysfonctionnements de matériels et d’erreurs humaines qui accroissent les difficultés de gestion de l’événement, dont certains auraient pu conduire à une situation accidentelle avec un risque de dégradation du combustible (10). Et d'une défaillance on passe à une autre. Lors de la perte de tension, toutes les vannes de décharge au condenseur de la vapeur des générateurs de vapeur s’ouvrent, sans possibilité de les refermer depuis la salle de commande. Cet appel de vapeur provoque un refroidissement rapide de l’eau du circuit primaire, accompagné d’une baisse de pression et d’une contraction du volume d’eau dans le circuit primaire. Dans un second temps, l’injection aux joints des pompes primaires a été perdue. Et une fois encore, on est passé non loin du drame... Les États-Unis n'ont pas le monopole de tels événements. Des défauts sur les disjoncteurs ont été mis en évidence au cours des dernières années. En 2001, à Cattenom des disjoncteurs ont été laissés en service malgré des avertissements réitérés de l'ASN (11). En 2008, à Civaux une erreur humaine sur un disjoncteur a entraîne l'indisponibilité d'une pompe de secours (12). Le 15 septembre 2011, à Saint-Alban (réacteur n°1), un essai périodique programmé a été réalisé sur un groupe électrogène de secours qui alimente un tableau électrique, ce dernier alimentant lui-même des matériels importants pour la sûreté. Lors de la remise en configuration normale de l'installation après cet essai, le dysfonctionnement d'un disjoncteur n'a pas permis d'utiliser la source électrique habituelle et a donc entraîné le maintien du fonctionnement du groupe électrogène de secours, au-delà de la période d'essai. Le 21 novembre 2012, la tranche 2 de la centrale de Beznau a fait l’objet d’une mise à l’arrêt automatique en raison de l’enclenchement erroné d’un disjoncteur de protection dans la partie non-nucléaire de l’installation. Cela a engendré une panne de l’alimentation en eau des générateurs de vapeur, et avec elle l’arrêt automatique de l’installation conformément à la conception. Le dérangement a pu être éliminé grâce à l’utilisation d’un disjoncteur de protection de réserve de même type (13). Comme l'explique très clairement Jade Lindgaard dans un article publié le 15 février 2014 sur Médiapart, nous avons affaire là à un sujet de taille. «Pourquoi ce problème technique est-il si important pour la sûreté? Parce que ces disjoncteurs servent notamment à basculer l’alimentation en électricité de la centrale depuis la source externe principale vers la source auxiliaire interne, en cas de rupture d’alimentation du réseau (comme cela s’est produit par exemple à Flamanville, du fait des intempéries, lors du week-end des 8 et 9 février 2014). Un refus de fermeture de disjoncteurs peut se traduire par la perte de tableaux électriques, qui alimentent eux-mêmes un grand nombre d’équipements, notamment les pompes du système d’injection de sécurité.» près du tiers du parc nucléaire en fonctionnement serait touché par cette faiblesse du système d'alimentation électrique des équipements importants pour la sûreté... |
Et là on touche à un problème
plus profond. En effet, le fonctionnement d’une centrale nucléaire
nécessite de disposer d’un système d’alimentation électrique permettant
d’assurer l’exploitation et la sûreté de l’installation (15).
La catastrophe de Fukushima a rappelé cette évidence à chacun. Mais
beaucoup ont cru alors - et croient encore - qu'une perte
d'alimentation électrique ne peut être que la conséquence d'une
agression externe. C'est loin d'être le cas. Les causes d'une telle
défaillance peuvent être internes et conduire à une situation
accidentelle. En novembre 2000, à la centrale de Dampierre, «l'action
intempestive d'un dispositif de protection d'un tableau de distribution
électrique a interrompu l'alimentation d'une partie des matériels du
réacteur 1. La défaillance d'un composant électrique semble être à
l'origine de cet événement (16) » EDF a été contraint de réaliser un arrêt d'urgence du réacteur... (suite)La redondance des systèmes de secours, si elle est nécessaire, n'est pas suffisante pour garantir la sûreté attendue des installations. D'abord parce que les équipements de secours sont souvent indisponibles (17) voire défaillants (18). Ensuite parce que les systèmes sensés assurer leur activation connaissent fréquemment des incidents. Jusqu'à présent, les défaillances concernaient plus particulièrement les tableaux électriques (19). Sans qu'un séisme survienne (20), des réacteurs doivent être arrêté parce que des systèmes électriques font défaut (21). Faut il encore que cet arrêt se passe bien. Heureusement, à Forsmark en 2006, les générateurs de secours ont démarré et les disjoncteurs ont fonctionné normalement (22)... On comprend mieux dès lors pourquoi le premier exercice de la FARN organisé à Saint-Alban en janvier 2014 consisté à tester la capacités à installer une alimentation électrique d'ultime secours (23). Et si Zeus finissait par l'emporter définitivement sur Prométhée? Si à tous ces incidents, on ajoute l'incidence des erreurs humaines (24), force est de constater que les centrales très voraces en électricité peuvent à tout moment perdre l'alimentation nécessaire non seulement à leur fonctionnement mais à la sûreté. Et manifestement le fameux EPR sensé garantir une sûreté supérieure n'apporte pas de réponse convaincante au risque de perte d'alimentation électrique (25). «Areva sous-estime le risque de coupure d'électricité (...) au point d'avoir amoindri les mesures de précaution entourant l'EPR par rapport aux centrales existantes», assure même Greenpeace. Selon l'organisation, «le nombre de groupes électrogènes de secours a été réduit» et ils doivent être «activés manuellement, ce qui augmente le risque d'erreur de la part d'un opérateur (26)». Décidément la technologie nucléaire est bien fragile. Surtout quand surviennent des aléas climatiques «hors dimensionnement». C'est ce qui s'est passé aux États-Unis en juin 2011 à Fort-Calhoun (27). Le réacteur, à l’arrêt depuis le mois d’avril, a subi un incendie le 7 juin: le système de refroidissement des 670 tonnes de combustibles usés entreposées dans une piscine du site a été interrompu et relayé par le générateur de secours. Des employés ont été évacués pendant plus de 3 heures. Le 8 juin, l’accident est classé au plus faible niveau (niveau 4) de l’échelle américaine des accidents nucléaires (et non pas de l’échelle INES). Selon les critères de cette échelle, il est question d’une «dégradation potentielle» du niveau de sécurité de la centrale, «sans rejet de radioactivité nécessitant une activité particulière» (28). Comme quoi la perte d'alimentation électrique peut toucher non seulement le circuit primaire mais aussi les piscines (29). La catastrophe de Fukushima reste cependant l'exemple le plus évident d'une perte d'alimentation électrique que les équipements de secours ont été incapables de compenser. Même le WANO dont la lecture des événements est très favorable à Tepco le reconnaît: «Quarante et une minutes après le séisme, le premier d'une série de sept tsunamis a atteint le site. La hauteur maximale des tsunamis qui ont impacté le site a été estimée entre 14 et 15 mètres. Celle-ci dépassait la hauteur de tsunami de 6,1 m déterminée dans les bases de conception, et dépassait le niveau de la pente du site qui était de 10 mètres aux tranches 1−4. L'alimentation courant alternatif (C.A.) pour les tranches 1−5 a été coupée lors du noyage des générateurs diesel d'urgence et des salles d'appareillage de commutation. La structure de prise d'eau de mer a été gravement endommagée et rendue non fonctionnelle. L'alimentation courant continu (C.C.) a été coupée pour les tranches 1, 2, et 4, pendant que la tranche 3 avait une alimentation C.C.. partielle fournie par les accumulateurs des bancs d'accumulateurs qui n'avaient pas été noyés. Sans refroidissement de cœur pour évacuer la chaleur de désintégration, des dommages au cœur se sont produits dès le premier jour de l'évènement. On a employé des pompes d'injection à vapeur pour apporter de l'eau de refroidissement aux réacteurs des tranches 2 et 3, mais ces pompes ont cessé finalement de fonctionner. Du fait du refroidissement insuffisant du cœur, le combustible s’est dégradé aussi dans les tranches 2 et 3.» (le fichier wano n'existe malheureusement plus...) |
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Mais à Flamanville, ce n'est pas un Tsunami qui a impacté
l'alimentation électrique mais un simple orage à croire que les mesures
de protection contre la foudre sont bien dérisoires dans les
centrales... Plus que des causes de la perte d'alimentation électrique, les aléas climatiques sont des révélateurs de la fragilité de la technologie nucléaire. Le rapport de l'ANS sur les évaluations complémentaires de sûreté publié en décembre 2011 ne dit pas autre chose (31). «De plus, l’IRSN a estimé qu’EDF devra vérifier la robustesse des dispositions et matériels essentiels à la gestion d’une perte totale de la source froide et/ou d’une perte totale des alimentations électriques, ainsi qu’à la limitation des rejets en cas d’accident grave (accident avec fusion du cœur), en tenant compte des agressions ou des événements induits (incendie, explosion ...) par un séisme ou une inondation (32)». Si des nuances existent entre les bilans établis par l'institut et l'Autorité, les deux se rejoignent sur un point: la perte d'alimentation électrique peut amener dans des délais très courts à une fusion du cœur, c'est à dire à un accident nucléaire. Les inquiétudes de l'ASN sont innombrables. Dès la page 21, il est demandé à EDF de garantir l'alimentation électrique du site de Belleville. Page 31, le séisme est considéré comme une cause majeure d'une telle défaillance. Page 66, l'ASN déplore que la plupart des installations d'AREVA au Tricastin «ne disposent pas d'alimentations électriques de secours dimensionnées au séisme, car non requises par leur référentiel de sûreté. Certains matériels disposent d'une alimentation électrique de secours par batteries ou onduleurs dont la durée peut être limitée à 30 minutes.» Les observations sont plus sévères encore pour l'usine AREVA de La Hague. «En conclusion, l’accessibilité des moyens d’alimentation électrique de sauvegarde ne semble pas toujours garantie en conditions post-accidentelles, notamment pour leur ravitaillement. L’état de corrosion avancée de certains équipements des groupes électrogènes de secours notamment demande la mise en oeuvre d’une action permettant de pallier rapidement ces écarts. Les inspections ont mis en évidence que la requalification des installations et la mise à jour documentaire doivent être améliorées afin de ne pas dégrader la fonction (p 73).» Le constat est sans appel: «Aussi, l’ASN considère nécessaire d’augmenter la robustesse des installations par un certain nombre de moyens leur permettant de faire face à des situations de perte de sources électriques ou de refroidissement de longue durée et pouvant affecter l’ensemble des installations d’un site. L’ASN prescrira à EDF de mettre en place des dispositions renforcées, intégrées au noyau dur évoqué dans le § 8 du présent rapport, comprenant notamment un diesel et une alimentation en eau d’ultime secours, résistant à des agressions internes et externes dépassant le référentiel actuel, permettant de faire face à des situations de perte totale des alimentations électriques ou des moyens de refroidissement en vue de prévenir la fusion du cœur dans ces situations (p 146).» Même l'EPR, pourtant présenté comme plus robuste, est l'objet de recommandations spécifiques (pp 150, 155, 159). L'Autorité ne semble pas avoir été convaincu par les dossiers complémentaires de sûreté d'EDF. Elle déplore en particulier la faible capacité des installations à faire face à la perte des alimentations électriques externes et des sources d’énergie de secours, sans intervention extérieure, avant qu’un endommagement grave du combustible ne soit inévitable. Ainsi s'explique la proposition de compléter les équipements des centrales non seulement par des diesels d'ultime secours mais, sur les paliers 900 MWe, par une motopompe thermique d’injection dans le cœur à partir du réservoir du circuit PTR. La situation est si problématique que l'ASN se permet de rappeler à EDF la nécessité de garantir l'éclairage des locaux en situation accidentelle... mais aussi de proposer enfin une solution pour le refroidissement des joints des pompes primaires. Mais il faut attendre la page 174 pour que l'exploitant soit explicitement mis en cause. «L’ASN considère donc la démonstration de la capacité d’EDF de gérer une situation de type H1 de site durable insuffisante, puisque les dispositions complémentaire mises en œuvre reposent en partie sur des équipements existants utilisés dans la conduite H1 (pompes RCV, tableaux électriques, contrôle-commande...) qui ont pu être dégradés ou perdus, notamment parce qu’ils ne sont plus refroidis dans une telle configuration et peuvent à terme être indisponibles.» Les caprices de Zeus peuvent donc briser une installation prométhéenne telle qu'une centrale. p.13 |
Qu'attend-on pour tirer les conséquences nécessaires de cette situation? (suite)L'autorité de sûreté nucléaire et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire prennent la mesure de ces risques. Ils ne sont pas restés inactifs après la publication des évaluations complémentaires de sûreté. L'arrêté du 7 février 2012 réévalue de manière conséquente la réglementation applicable aux installations nucléaires de base. Un an et demi plus tard la publication des exigences complémentaires pour la mise en place du «noyau dur» complète le dispositif visant à élever la robustesse des installations nucléaires (33). La mise en place d’un "noyau dur" a été prescrite par l’ASN le 26 juin 2012, à l’issue de l’analyse des conclusions des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) qu’elle avait imposées afin de prendre en compte le retour d’expérience de l’accident de Fukushima Daiichi survenu le 11 mars 2011. Le concept de "noyau dur" vise à disposer de structures et équipements résistant à des évènements extrêmes assurant les fonctions vitales pour la sûreté du réacteur. Il s’agit de protéger les matériels nécessaires à la maîtrise des fonctions de sûreté vis-à-vis d’aléas notablement supérieurs à ceux retenus pour le dimensionnement général de l’installation, de manière à assurer une protection ultime des installations vis-à-vis des agressions. Reste que ces décisions aussi honorables soient, elles ne répondent pas à tous les problèmes. Les réserves sérieuses de l'IRSN vis-à-vis du risque sismique comme de celui d'inondation ne sont toujours pas levées. Au moins 6 sites sont sous la menace d'inondations. Quant au risque sismique, il reste globalement sous-évalué par l'exploitant. Ce qui se joue depuis deux ans c'est bien un bras de fer entre les pouvoirs publics et des exploitants peu pressés d'investir pour la sûreté. Le déni du drame est plus que jamais en vogue dans l'industrie nucléaire. Ainsi Monique et Raymond Sené expliquent-ils dans Les dossiers noirs du nucléaire français (34) qu'EDF écarte envers et contre tout la possibilité d'une vidange des piscines de désactivation pourtant connue (35). Et que dire d'AREVA qui persévère dans le refus d'admettre que La Hague cumule incertitudes, fragilité et risques à un niveau tout simplement inacceptable (36)? À croire que Fukushima n'a pas eu lieu, que la hausse constante du nombre d'incidents laisse tout au plus indifférent (37)... Que ce soit pour la mise en œuvre des prescriptions complémentaires de sûreté, des noyaux durs ou de nouvelles règles de maintenance pour les disjoncteurs, force est de reconnaître que les exploitants traînent les pieds et accumulent les manœuvres dilatoires. La situation est même pire aujourd'hui que sous la précédente mandature (38). Au prétexte de compétitivité, EDF se croit tout permis et ose même demander la prolongation au-delà des 40 années d'exploitation accordée en 2003 la durée de vie des réacteurs (39). Malgré la réaction ferme de l'ASN (40), il y a de quoi être inquiet. Inquiet parce que le pouvoir politique ne dit pas grand chose à ce sujet. Se défaussant habilement sur une Autorité de sûreté dont les prérogatives sont strictement encadrées par la loi, le gouvernement ne prend pas de position. Tout au plus, le ministre en charge de l'énergie admet que ce ne sont pas les agents comptables d'EDF qui fixent la politique énergétique de la France. Mais il ne répond pas sur le fond aux problèmes posés par l’exploitation d'un parc nucléaire dont on découvre chaque jour de nouvelles faiblesses. |
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Ce
ne sont pas tant les centrales qui disjonctent mais le gouvernement.
Faute d'assumer la position d'autorité qui correspond au mandat que les
Français lui ont confié, le pouvoir politique se contente de préparer
l'accident (41).
Cela est bien dérisoire puisque chacun sait que, quelque soit le plan
de secours, si un réacteur vient à défaillir l'irréparable surviendra.
C'est à la source qu'il convient de réduire le risque... p.14Mais pour ce faire faudrait il encore que les contrôles soient opérants et que les prescriptions de sûreté soient appliquées. Or l'Autorité de sûreté n'est guère en mesure d'imposer quoi que ce soit à EDF comme le donne à voir l'affaire des disjoncteurs. Faute d'un réel soutien politique, l'ASN est laissée seule face à un exploitant qui compte de nombreux alliés dans la haute administration, les syndicats et parmi les élus (42). Au final, l'exploitant fait ce qu'il veut, comme il veut et dans des délais qui lui conviennent. Comment s'étonner dès lors que le nouveau président de l'Autorité de sûreté multiplie les interventions pour renforcer les prérogatives de ses inspecteurs et obtenir de nouveaux moyens pour faire face aux missions qui lui incombent (43)? La seule réponse du gouvernement est la baisse des crédits alloués à la sûreté nucléaire (44) et le report continuel de la fameuse loi de transition qui doit inclure des chapitres concernant le nucléaire. Pire encore, on voit les pires rumeurs circuler. Ainsi entend-on que le président aurait admis le bien-fondé de la thèse d'Henri Proglio. Pour faire baisser la part du nucléaire, il suffirait de maintenir les capacités de production existantes, le déploiement des énergies renouvelables dans un contexte de hausse hypothétique de la consommation ferait descendre mécaniquement la contribution du nucléaire au mixe énergétique (46). Tout ça est très gentil, mais cette posture ne prend ni en compte le recul de la disponibilité des centrales ni la vague inéluctable de fermeture au cours de la prochaine décennie et encore moins l'augmentation des risques d’accident à mesure que les installations vieillissent (47). À croire que le gouvernement est incapable de se projeter dans l'avenir. Tout au plus il lance quelques effets d'annonce, mais ne propose jamais de mesures audacieuses à la hauteur des défis du XXIe siècle. On savait déjà que le renoncement tenait lieu de ligne politique face au réchauffement climatique (48). À présent on est certain que personne à la tête de l'Etat n'a l'ambition d'assumer des décisions nécessaires pour le nucléaire. «Le président de la République fait dans le flou et s’empresse de ne rien faire. Certains vont encore applaudir à bras raccourcis. En réalité, François Hollande ne prend pas la main sur la politique énergétique. Il doit ouvrir les yeux et prendre conscience qu’il a face à lui deux options opposées et inconciliables: nucléaire ou transition», analysait Sébastien Blavier, de Greenpeace France, le lendemain de la deuxième conférence environnementale qui s'est tenue en septembre 2013. «S’il choisit l’immobilisme et la prolongation du tout nucléaire, il envoie la France et son système énergétique dans le mur (49).» Le constat est pire encore quatre mois plus tard. Le nucléaire, à l'heure où l'exploitant est «débordé» par la maintenance des réacteurs, est plus que jamais le «choix de la France». Ce n'est pas tant que le président a oublié ses promesses de campagne. Le problème est d'une toute autre échelle. François Hollande est en voie de réaliser ce que Nicolas Sarkozy a été incapable de faire, à savoir imposer l'irréversibilité de l'option nucléaire. Il va à rebours de ce que l'Allemagne a eu le courage de faire en 1999, de ce qui est utile pour garantir la transition et surtout de ce qui est nécessaire pour prémunir la France de la catastrophe. Le pouvoir politique aurait il grillé un fusible? Faudra t il attendre qu'un disjoncteur ne fonctionne pas en situation de crise pour se rendre enfin compte qu'il faut arrêter le nucléaire? Une seule solution l'arrêt du nucléaire! |
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