LA PRATIQUE DU «FAIT ACCOMPLI TECHNOCRATIQUE»
Ni les réorientations majeures décidées
en 1969 (abandon de la filière française au profit de la
filière américaine), ni l'accélération imprimée
à cette orientation par le conseil des ministres du 5 mars 1974
pendant la maladie de Pompidou (programme Messmer), ni la politique actuelle
d'exportation nucléaire n'ont fait l'objet de débats parlementaires
sanctionnés en tant que tels par des votes.
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Ce rapport Schloesing constitue un terrible
réquisitoire en particulier des conditions dans lesquelles le programme
a été élaboré: «Voilà qu'ils
(les ingénieurs et scientifiques) engagent le devenir et le mode
de vie des autres membres de la nation. Que l'on ne puisse pas examiner
leurs choix serait anormal». Mais qui fera cet examen? «les
assemblées politiques n'ont pas montré une grande aptitude
à conduire ce genre de débat». Dès lors,
«quoi d'étonnant s'il a lieu ailleurs». A ce
propos, ce très officiel rapport «souhaite que l'information
officielle soit à la fois plus sérieuse et plus équilibrée».
Et de donner une exemple: «on a vu EDF, pour défendre le
chauffage électrique, comparer une habitation chauffée électriquement
mais pourvue d 'une bonne isolation thermique à une autre habitation
chauffée au fuel, mais non isolée».
1. La composition de la commission est donnée dans la fiche technique du GSIEN numéro 7 (voir bibliographie). p.2
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Dans le rapport général n° 3131, les pages 40 à 44 sont consacrées à l'énergie et de plus l'annexe n° 23 (Industrie) est consacré au même sujet. C'est cette annexe, rapporteur spécial M. Schloesing, que nous examinons dans la prochaine Gazette N°15/16. Novembre 1977
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UNE INFORMATION SERIEUSE
Ainsi la critique de la décision technocratique (et de ses aberrations) renvoie à l'abdication parlementaire, aux mouvements de contestation populaire et à la nécessité d'une information sérieuse. On donnera ci-dessous quelques éléments montrant les failles de l'information actuelle. · Les déchets des
centrales même vitrifiés et plongés dans des mines
de sel, ceux-ci exigeront, sous peine de catastrophe écologique,
d'être refroidis (donc ventilés) pendant des siècles.
(suite)
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suite:
En effet, le coût du kWh, tel qu'il est calculé par les pouvoirs publics(2), est passé de 3,83 centimes en 1973 à 9,7 centimes au 1er janvier 1977.... il est à penser que cette évolution va se poursuivre...». · Du point de vue du financement: toujours dans le même texte (encart 1), on peut lire: «Cependant l'énormité du programme conduit EDF à mobiliser des ressources financières très importantes. Ses besoins de financement sont de l'ordre de 16 milliards de francs en 1977 et de 20 milliards en 1978. L'autofinancement de l'entreprise étant insuffisant, comme l'a souvent relevé la commission des finances, EDF est amenée à se porter sur les marchés financiers pour des sommes considérables environ 9 milliards en 1977 et plus de 13 milliards en 1978. L'entreprise nationale est donc lourdement endettée et elle acquitte actuellement près de 5 milliards de frais financiers par an. Sa dette extérieure s'accroît dans de fortes proportions (3,7 milliards en 1976) et les risques de change qui en résultent sont sérieux. (...) La place qu'occupe EDF sur le marché financier français limite les possibilités de financement des entreprises privées; elle peut donc restreindre leurs possibilités d'investissement. Cette éventualité n'est pas sans gravité, de même qu'il n'est pas sans importance de s'endetter lourdement à l'étranger.» Décidément les honorables parlementaires sont sévères! · Enfin l'indépendance: il a été dit et répété que le nucléaire, c'est la possibilité d'augmenter l'indépendance nationale, mais en fait qu'en est-il? Nous avons ici dénoncé cette allégation tant du point de vue de la technique utilisée, d'origine étrangère, que du point de vue de la maîtrise du cycle du combustible (aprovisionnement en uranium, enrichissement, etc.). La commission de finances le reconnaît d'ailleurs en termes nuancés. Ces quelques exemples avaient pour but de montrer qu'une partie de l'information n'est pas fournie et qu'un certain nombre d'affirmations des pouvoirs publics sont largement sujettes à caution. Et pourtant comment pouvoir choisir une politique, prendre position, si l'information ne circule pas? L'information doit être pluraliste, complète, ne pas se heutter en particulier à la politique du secret, chacun doit pouvoir y avoir accès. Et un représentant de la nation à l'Assemblée Nationale doit tout particulièrement être informé et informer lui-même. Il n'est pas question de considérer que le débat puisse se réduire à une discussion de spécialistes, mais tout au contraire il s'agit de fournir à tous et à toutes les éléments des enjeux en présence. A cette fin, il est important pour les électeurs de savoir de quelles informations disposent les candidats... et pour les candidats, de s'interroger. 2. La même commission fait remarquer, au sujet du calcul des coûts, que le prix est toujours pris aux bornes de la oentrale, avec un taux de disponibilité élevé et sans tenir compte du coût du démantèlement. p.3
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1. Disposez-vous de toute l'information utile relative à la sécurité
des différents éléments du système nucléaire?
Le Secret
Technique et politique
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Au niveau local se pose un certain
nombre de problèmes de nature différente suivant qu'une installation
nucléaire existe (ou est envisagée) ou au contraire n'existe
pas. Le lecteur aura intérêt à se reporter à
la Gazette numéro 6
consacrée aux élections municipales.
Le problème de l'énergie donne lieu à des analyses théoriques, à l'élaboration de programmes, à des décisions en conseil des ministres... mais il se traduit dans la réalité quotidienne et sur des points très localisés géographiquement par des manifestations concrètes directement perceptibles. Dans la mise en oeuvre du programme nucléaire, après une phase euphorique pendant laquelle les collectivités locales sollicitaient l'implantation de centrales - fortement incitées par la perspective d'une patente extrêmement généreuse - il s'est développé une prise de conscience des conséquences matérielles et humaines qu''impliquait l'implantation de ce genre d'équipement; ceci s'est fait avec suffisamment de vigueur et de conviction pour qu'il soit de plus en plus difficile à EDF et aux pouvoirs publics de trouver des sites à équiper. Si l'on examine rapidement quelques caractéristiques de l'énergie nucléaire, que constate-t-on? Tout d'abord, qu'elle nécessite des unités de production de taille importante et que dans un souci de productivité il est intéressant d'équiper un site avec plusieurs tranches de production. Ceci implique donc de disposer d'un site de grande superficie, ayant de bonnes conditions de réfrigération, de préférence au bord d'un cours d'eau à fort débit - donc souvent dans une zone alluvionnaire de bon rapport agricole - dans une zone géographique suffisamment commode d'accès, d'une part pour que l'implantation des lignes de transport nécessaires à l'évacuation de l'énergie soit aisée, d'autre part pour que les transports de combustibles - neufs et irradiés - se fassent dans de bonnes conditions. Tout ceci évidemment ne satisfait guère les exploitants agricoles qui voient une partie importante du terrain productif, brutalement stérilisée. Nous savons également que la construction d'une centrale nucléaire exige, d'une part un génie civil important - celui-ci utilisant pour la plupart une main d'oeuvre importée dans la région - et une technologie nucléaire très sophistiquée, faisant appel à du personnel spécialisé, en général non disponible sur les lieux. Quant à l'exploitation des installations, elle nécessite relativement peu de personnes. Bilan de l'opération, l'implantation d'une centrale tant dans la phase de construction que dans celle de l'exploitation, n'amène aucun regain d'activité économique réel, par contre il se produit de fortes perturbations socio-économiques locales. (suite)
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suite:
Le fonctionnement d'une centrale nucléaire requiert l'emploi de très grandes quantités de fluide de refroidissement et implique des rejets importants de calories dans l'atmosphère(3) ou dans l'eau, pouvant créer des perturbations climatiques locales, dont à défaut d'un relevé préalable des conditions du site, il est difficile d'estimer l'importance. En tout cas si l'on ne peut pas préciser l'amplitude de l'influence, on sait du moins qu'elle est négative sur la faune et la flore environnante. De plus, tous les ans il est nécessaire de renouveller une partie du combustible ce qui représente la manipulation de plusieurs dizaines de tonnes de matériaux radioactifs et leur transport. Ceci peut entraîner, soit des conditions contraignantes pour la circulation des véhicules privés, soit des risques importants de contamination en cas d'accident d'un des chargements radioactifs. Du fait de sa grande taille, une unité de production d'énergie nucléaire est un maillon capital dans l'ensemble de production; il paraît donc indispensable à l'exploitant d'en assurer le gardiennage de façon sérieuse puisqu'aux aléas proprement techniques de fonctionnement, il convient de ne pas ajouter ceux qu'en traîneraient des actes de sabotage... et c'est ainsi qu'on voit des usines dites «civiles» s'ériger en bastions, en forts, en blockhaus, s'hérisser de fils barbelés, de miradors, surveillées par des patrouilles de gardiens armés et de chiens policiers. En bref, de quelque manière que l'on retourne la question, il apparaît bel et bien que sur le plan local où est implantée une centrale nucléaire - et cela est. encore bien plus vrai lorsqu'il s'agit d'un centre de retraitement de déchets radioactifs ou d'une usine de fabrication de combustibles - les retombées sont essentiellement négatives. Comment, dans ces conditions, avancer l'argument d'«utilité publique» pour justifier de la nécessité de la mise en oeuvre d'équipement fournisseur d'énergie électronucléaire, alors qu'il serait indispensable de rechercher les formes de production d'énergie les mieux adaptées aux ressources et aux besoins locaux? Il y a certainement un équilibre à trouver entre «l'intérêt national» et les précccupations locales; le député jouant un rôle charnière, il est intéressant que les candidats expriment leur philosophie sur ce point. 3. Voir fiches techniques GSIEN, numéros 11 et 12. p.4
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15. Si les pouvoirs publics envisagent d'implanter une centrale nucléaire
dans votre circonscription, comment réagirez-vous?
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Sur le plan national, on peut
distinguer trois grands aspects qui méritent réflexion: la
situation actuelle de la politique énergétique, la fuite
en avant du pouvoir, les conséquences pour l'avenir.
· Situation actuelle de la politique énergétique La politique énergétique en vigueur est le résultat d'un choix qu'on s'efforce de nous montrer «technique» alors qu'il est essentiellement politique. Ce choix a été effectué dans les conditions que l'on sait, sans aucun débat national. Or on constate actuellement que tout va mal sur le plan technique, les difficultés de démarrage de Fessenheim et les divers retards (2 ans) du programme, montrent à l'évidence qu'on maîtrise mal les problèmes. Quant au reste, le rapport général de la commission des Finances (voir encart 1) parle de «orientations extrêmes et brutalement modifiées», «fondement chiffré à vérifier», «financement difficile», «indépendance relative», «rigidité excessive» (ce sont les têtes de chapitres...). Prenons un exemple: le coût de l'énergie nucléaire. Par rapport à 1974, date du lancement du «plan Messmer», les estimations officielles de 1977 font état des augmentations suivantes (en monnaie constante): - investissements des centrales: + 50% - enrichissement: + 65% - retraitement: + 320% -uranium: + 400% On comprend dans ces conditions que le kWh nucléaire soit actuellement d'un coût pratiquement équivalent au kWh «fossile», alors qu'il n'était qu'à 59% de cette valeur en 1974. Notons d'ailleurs que la différence exprimée en pourcentage n'a pas grand sens car il s'agit de prix aux bornes de la centrale, alors que le prix à l'utilisation tient compte des coûts de transport de l'électricité qui sont du même ordre que les coûts de production. Il n'y a aucune raison pour que l'évolution constatée s'arrête; en d'autres termes il faut s'attendre pour les décennies qui viennent à une augmentation continue des prix de l'énergie. Or curieusement 1es augures officiels semblent toujours considérer que le nucléaire permettra le retour à une énergie bon marché. (suite)
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Est-il logique dans ces conditions de continuer par exemple à prévoir 10 trraches nucléaires pour le chauffage électrique au-delà de 1985? Ne faudrait-il pas mieux s'intéresser vraiment à l'énergie solaire et à la géothermie qui, ainsi que nous l'avons montré dans la Gazette N°13, pourraient couvrrr une part importante des besoins en chaleur basse température? · La fuite en avant Devant ces difficultés, qui n'ont, il faut le souligner, strictement rien à voir avec la contestation populaire du programme, mais montrent à quel point les experts et les politiques au service du pouvoir nous ont menti (ou se sont trompés) sur leur propre terrain, le gouvernement actuel préconise la fuite en avant: après le pétrole, l'uranium se tarira au rythme actuel des programmes des pays industrialisés, et il n'y a qu'une solution pour éviter une dramatique crise mondiale de l'énergie: le surgénérateur! Après le «tout pétrole», «le tout uranium», bientôt le «tout plutonium»et pourquoi pas avec la fusion «le tout tritium»? Décidément les leçons du passé sont vite oubliées! La malheur est que la nouvelle technique proposée présente des caractéristiques la rendant plus inquiétante que les PWR; le fonctionnement des surrégénérateurs est très difficile à assurer, le combustible n'existera peut-être jamais à l'échelle industrielle, les crédits nécessaires hypotèquent l'avenir et la rentabilité économique est plus que douteuse, même à moyen terme. Et puis, le surgénérateur, c'est la société du Plutonium, avec tous les dangers liés au maniement de ce matériau, et les risques considérablement accrus d'une dissémination mondiale conduisant à des armements atomiques généralisés sans contrôle possible, quoiqu'on en dise. Le surgénérateur, c'est aussi la nécessité du retraitement des combustibles irradiés afin d'en.extraire le plutonium nécessaire à son fonctionnement. La France est la seule à mettre en oeuvre ce type de technique actuellement, à l'usine de La Hague notamment. p.5
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19. Votre formation a-t-elle pris position par rapport à la
crédibilité technique et économique de l'ensemble
du programme nucléaire actuel? Si oui, en quels termes? Si non,
pourquoi?
20. Quelle est votre position vis-à-vis des surgénérateurs? Pensez-vous en particulier qu'il faille construire Superphénix? 21. Qu'envisagez-vous dans le cas où l'usine de retraitement de La Hague ne parviendrait pas à fonctionner ou si les contraintes qu'elle ferait peser sur les travailleurs étaient inacceptables? 22. En cas de grève du personnel gestionnaire du système nucléaire, comment réagirez-vous? 23. Au cas où, à la suite d'un accident survenu aux U.S.A. ou ailleurs, les Américains décideraient l'arrêt des centrales de même type, que ferait votre formation? Continuer l'exploitation ou arrêter? 24. Pensez-vous que l'exportation de technologie nucléaire doive jouer un rôle dans l'équilibre économique de la France? 25. Pensez-vous que le retraitement puisse être considéré comme une industrie classique et qu'il soit possible de faire du commerce avec? Quelles est votre position vis-à-vis des contrats passés avec l'étranger? |
Or le conflit récent et
l'investigation détaillée effectuée par une «Commission
Hygiène et Sécurité élargie»(4)
ont mis en lumière les nombreux problèmes qui se posent:
c'est une technique très délicate, très dangereuse
pour les travailleurs, les populations et l'environnement; on ne sait pas
encore traiter de façon réellement industrielle les combustibles
de la filière PWR, et encore moins les combustibles issus des surgénérateurs;
les stocks en attente sont gigantesque avec les risques que cela comporte
puisqu'ils sont dans des piscines; malgré cela, COGEMA(5)
et gouvernement se vantent des nombreux contrats obtenus à l'étranger!
De qui se moque t-on?
La fuite en avant, c'est enfin le problème des déchets: la commission des finances mentionnée plus haut signale, dans une liste de «questions posées par votre rapporteur et demeurées sans réponse», qu'elle n'a pu, par exemple, obtenir de précisions sur «le sort donné aux déchets radioactifs». Que faut-il donc en penser? · Les conséquences
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Comme on le dit de plus en plus couramment,
c'est bien d'un choix de société qu'il s'agit et le nucléaire
pousse à son paroxysme les réactions de rejets de la société
actuelle en raison des contraintes acccues qu'il fait peser sur chacun.
En effet le côté centralisateur de l'énergie électronucléaire entraîne une fragilisation de la société et en contre-partie le durcissement du pouvoir; quelques exemples illustrent ce propos: - militarisation croissante de la société pour assurer la, sécurité par rapport aux multiples dangers que présentent les divers maillons de la chaîne, de la mine au retraitement; avec accroissement de la pression (voire de la répression) sur les travailleurs: que donnera un conflit social à EDF ou dans une usine de retraitement dans quelques années?... - innombrables méfaits des restructurations industrielles que nécessite une production aussi centralisée et puissante. Avec les conséquences que cela entraîne sur l'emploi, le nucléaire étant très fortement capitalistique, une politique de développement massif de ce secteur industriel entraîne proportionnellement la création d'un nombre d'emplois relativement plus faible qu'une politique d'investissements différente dans un certain nombre d'autres branches industrielles. 4. Voir Gazette Nucléaire, Nos 4 et 12. 5. Société de droit privé qui assure le cycle du combustible de la mine au retraitement. p.6
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