«On va répétant
que les énergies nouvelles ne pourront pas donner des résultats
significatifs dans l'avenir et qu'elles ne pourront représenter
au mieux que 1% de notre consommation. Il est vrai que les efforts faits
en leur faveur ne peuvent aboutir qu'à des résultats médiocres.»
(Rapport Schloesing de la Commission des Finances, Oct.
1977)
«S'agissant de l'énergie solaire,
la zone tempérée dans laquelle nous sommes situés
n'est pas spécialement favorisée, mais notre territoire
est relativement étendu et sa partie sud n'est pas mal située.
Jusqu'à présent, aucun effort n'a été réellement
tenté à l'échelle industrielle. Il est dès
lors facile de faire valoir que le coût des expériences jusqu'alors
réalisés est élevé.»
(Idem)
Ces citations[1] illustrent parfaitement
le dynamisme de la politique française des énergies nouvelles
en général, et de l'énergie solaire en particulier.
Cette situation n'a rien d'étonnant quand on sait: que la «délégation
aux énergies nouvelles» ne date que de 1975; que cette délégation
dépend du Ministère de l'Industrie et de la Recherche; que
c'est ce même ministère qui dirige le programme nucléaire;
et qu'il ne reste donc plus grand chose pour les énergies nouvelles,
une fois qu'on a «servi» - avec la générosité
que l'on sait - le nucléaire
Mais qu'est-ce donc que cette «délégation aux énergies nouvelles»? M. d'Ornano le rappelait au Sénat en janvier 77 (il était alors Ministre de l'Industrie et de la Recherche): «Par décret du Président de la République en date du 9 avril 1975, un délégué aux énergies nouvelles a été créé auprès du délégué général à l'énergie avec la mission "de promouvoir l'utilisation des sources d'énergie non encore exploitées à l'échelle industrielle, notamment la géothermie, l'énergie solaire, les gaz de fermentation et l'énergie éolienne". Depuis cette date, le délégué aux énergies nouvelles a engagé de nombreuses actions dans les différents secteurs en question. Ces actions s'appuient, sous son impulsion, sur des dispositifs et procédures adaptés aux objectifs, dans les trois domaines indispensables suivants: l'incitation aux applications et démonstrations, la coordination interministérielle des politiques, les programmes de recherche et développement.» (suite)
|
suite:
Pour ce qui concerne l'énergie solaire, M. d'Ornano explique ensuite par quoi ces décisions ont été complétées: «Dans le but de faciliter le développement des travaux concernant l'énergie solaire, une unité spéciale dite "Comité de l'Energie Solaire" a été mise en place par décision du Ministre de l'Industrie et de la Recherche en date du 13 Octobre 1975. Présidé par le délégué aux énergies nouvelles, ce comité a pour mission: - de conseiller (en liaison avec le comité consultatif de la recherche et du développement dans le domaine de l'énergie et les délégués généraux à la recherche scientifique et technique et à l'énergie) sur les moyens à mettre en oeuvre pour promouvoir le développement de l'énergie solaire; - d'effectuer ou de faire effectuer toutes études utiles à ce développement; - d’assurer l'échange d'information et la confrontation des projets entre les équipes chargées des recherches et des réalisations expérimentales dans le domaine de l'énergie solaire en vue notamment de favoriser la coordination de ces travaux.[2]» On notera par ailleurs qu'à l'époque, en 1975, il a été très largement expliqué que l'objectif fixé par les Pouvoirs Publics était que la contribution de l'ensemble des énergies nouvelles à la satisfaction des besoins énergétiques devait représenter environ 1 à 2% à l'horizon 1985... La boucle est ainsi bouclée avec les «étonnements» actuels de la commission des finances, et voilà qui explique que les efforts consentis soient si faibles, comme on va le voir dans le tableau suivant, émanant du Ministère de l'Industrie (Enerpresse, n°2036 du 20.3.78) et relatif à la seule énergie solaire:
p.2
|
A titre de comparaison, on notera
que les crédits consacrés aux recherches sur la fusion contrôlée
(dont les plus optimistes[3] n'attendent aucune contribution énergétique
avant la fin du siècle), s'élèvent pour la même
année 1978 à 100 MF environ[4]. Si ces chiffres paraissent
difficiles à saisir, on se souviendra par exemple que le coût
actuel de Superphénix - uniquement pour la construction sans les
recherches - est de 7.500 MF (au lieu des 3.500 estimés en 1975
d'ailleurs!...).
Le même document du Ministère de l'Industrie nous donne quelques autres précisions: 1. L'ensemble des moyens financiers affectés au développement des énergies nouvelles par l'Etat et secteur public aura quadruplé entre 1975 et 1978, passant de 100 à 400 MF environ. 2. Le «secteur public» pour les «applications-démonstrations» est composé des collectivités locales, des offices d'HLM, d'organismes locaux constructeurs, d'organismes d'utilité publique ou de services extérieurs. 3. Pour ce qui concerne la «recherche-développement», le «secteur public» est composé essentiellement de: CSTB - CNEXO - CNES - INRA - EDF - CEA - Régie Renault[5]. 4. Les crédits alloués à la Délégation aux Energies Nouvelles pour le solaire en 1978 sont de 24 MF (à comparer aux 266 MF). Si c'est le double de ce qui était alloué en l977 (12 MF), on notera que cela ne représente que 0,56% du crédit alloué par le même Ministère de l'Industrie au CEA! On voit bien, à l'énoncé de ces quelques chiffres - peut-être fastidieux mais nécessaires - combien le développement de l'énergie solaire se réduit à la portion congrue malgré les fréquentes déclarations d'intention. Mais dorénavant, soyons-en sûrs, ça va changer puisqu'on vient de créer un «Commissariat à l'Energie Solaire» (on remarquera que sa création, lancée à grands renforts de publicité par les mass-media, a été curieusement annoncée à la veille des élections de mars: ce n'est probablement qu'une pure coïncidence...). Voyons donc de quoi il s'agit. Les quelques articles suivants du décret du 9 mars 78 donnent l'essentiel: Article 1er - Il est institué, sous le nom de Commissariat à l'énergie solaire, un établissement public scientifique et technique, à caractère industriel et commercial, doté de l'autonomie financière et placé sous l'autorité du ministre chargé de l'énergie. Article 2 - Cet établissement a pour mission, en liaison avec les organismes et les entreprises publiques et privées concernés, de développer la connaissance de l'énergie solaire et les études et recherches permettant son utilisation, et d'en promouvoir les applications. A cet effet: a) Il élabore et propose au Gouvernement les programmes et recherches permettant son utilisation et d'en promouvoir l'utilisation de l'énergie solaire. b) Il est associé à l'élaboration des accords de coopération internationale conclus en ce domaine et veille à leur exécution. c) Il est responsable de la mise en oeuvre des programmes de recherche, de développement et d'applications dans le domaine de l'énergie solaire. d) Il peut apporter son concours financier ou technique aux personnes publiques ou privées dans la mesure où les études, recherches ou investissements entrepris par ces personnes se rapportent à l'énergie solaire ou à son utilisation. (suite)
|
suite:
Article 3 - Le commissariat est administré par un conseil d'administration qui comprend: Un président, nommé pour trois ans par décret en conseil des ministres, sur proposition du ministre chargé de l'énergie. Le directeur général d'Electricité de France. L'administrateur général délégué du Commissariat à l'énergie atomique. Le directeur général du Centre national de la recherche scientifique. Le directeur du Centre scientifique et technique du bâtiment. Quatre personnalités qualifiées nommées par décret pour trois ans, dont le mandat est renouvelable deux fois[6]. Article 12 - Le commissariat à l'énergie solaire peut exécuter lui-même des programmes de recherche, de développement ou d'applications, ou en confier l'exécution à d'autres organismes. Il assure la maîtrise d'oeuvres des réalisations expérimentales et des prototypes ou la délègue à des organismes publics ou privés susceptibles d'en assumer la responsabilité. A cet effet, il procède par conventions, contrats ou participations financières. Il est encore un peu tôt pour savoir l'avenir qui sera réservé à ce nouvel organisme puisqu'il n'y a eu jusqu'à présent que des déclarations d'intentions de son président, M. Durand. Nous avons plusieurs fois, dans la Gazette, demandé que soit créé un tel commissariat à l'énergie solaire et nous nous félicitons donc de sa création. Mais il ne suffit pas de le créer, encore faut-il lui donner les moyens d'exister et de fonctionner. C'est pourquoi nous nous permettons de formuler les quelques observations suivantes: - On peut être inquiet de voir sa mission très analogue à celle du Comité de l'Energie Solaire d'octobre 1975 (voir plus haut), ce qui n'en ferait qu'un organisme d'état-major. - La composition du conseil d'administration laisse rêveur. On y retrouve en effet de drôles de fées penchées sur ce berceau: les hauts responsables actuels du développement de l'énergie nucléaire (C.E.A., E.D.F...), ne serait-ce pas pour veiller soigneusement aux possibilités de développement de la concurrence? Nous avions déjà trouvé ce même aspect dans notre étude sur la géothermie[8]. - Le COMES sera-t-il réellement opérant ou se contentera-t-il de gérer quelques maigres ressources budgétaires? Les premiers indices dont nous disposons semblent plus incliner, hélas, vers la deuxième hypothèse. Et ce ne sont pas les propos prêtés à M. Durand qui font augurer d'un avenir radieux «Il est plus difficile de faire bouger l'administration pour créer un établissement public en cours d'année que l'industrie privée quand il s'agit d'un laboratoire de recherche». p.3
|
Les Pouvoirs Publics ont tôt
fait de mettre en avant - tel récemment M. Sourdille, alors secrétaire
d'Etat à la Recherche - que l'effort public consenti par la France
en matière de solaire la place au second rang mondial derrière
les EtatsUnis; ou encore que, par rapport au Produit National Brut (PNB),
les efforts français sont comparables à ceux des Etats-Unis.
C'est bien possible puisqu'on nous le dit, mais l'effort est-il pour cela
suffisant? Et que recouvre, en fait, cette comparaison avec d'autres pays?
Le bilan comparatif est difficile à établir car les situations
sont fort différentes et on dispose d'assez peu de données
officielles (toujours ce problème de l'information!). Nous donnerons
donc simplement quelques indications:
1. Un rapport de l'OCDE de 1975 («Science et Technologie pour l'Energie - Problèmes et perspectives») résume assez bien le contexte international dans lequel sont appelées à se développer les énergies nouvelles, dont le solaire: «Les efforts entrepris actuellement pour accélérer les développements et pour organiser la R-D relative à ces sources d'énergie doivent tenir compte de deux problèmes. Premièrement, s'il est vrai que les techniques d'utilisation de ces sources d'énergie ne sont pas nouvelles - l'énergie éolienne est utilisée depuis des siècles - il faut, pour qu'elles prennent une place importante dans la production d'énergie, que l'Etat comme l'industrie imaginent une nouvelle politique à long terme. Il serait sans aucun doute souhaitable que l'industrie s'associe le plus rapidement possible à l'effort public, mais l'incertitude du rendement à long terme de la recherche et les risques propres à ce domaine, pourraient dans l'avenir immédiat freiner cette tendance. L'État jouera donc certainement dans les années à venir un rôle prépondérant dans les progrès scientifiques et technologiques relatifs à ces nouvelles sources d'énergie. L'autre difficulté, est que la plupart de ces sources ne peuvent étre exploitées que localement. Situées à l'écart, dans des déserts, des régions volcaniques, des régions agricoles, leur développement sera fonction des efforts entrepris pour imaginer de nouveaux cadres industriels répondant de façon satisfaisante à ces contraintes. Quant à la contribution de l'industrie à la R-D, il est certain que l'étroitesse actuelle du marché pour l'énergie solaire - le marché des cellules solaires représente par exemple 5 millions de dollars par an au maximum - et les investissements à long terme nécessaires ne sont pas faits pour éveiller l'intérêt de l'industrie, à un moment où se présentent des occasions de profits plus importants et plus rapides dans l'exploitation d'autres sources d'énergie (gazéification du charbon, traitement des schistes, etc.). Toutefois, il n'y a pas absence totale d'intérêt de la part de l'industrie: aux États-Unis, des sociétés pétrolières, des compagnies de services publics et des sociétés privées financent la recherche (une société pétrolière donne à elle seule 3 millions de dollars), mais une contribution plus substantielle pourrait faciliter le développement de quelques technologies particulières.» (suite)
|
suite:
2. L'utilisation de la «biomasse» est pratiquement inconnue dans les pays occidentaux[9]. Et pourtant les possibilités sont immenses - et mises en oeuvre dans certains pays tels que l'Inde, la Chine populaire, Israël, le Brésil. On trouve en effet dans ces pays des millions de mini-générateurs de méthane fonctionnant grâce à la fermentation des déchets de coopératives agricoles; et ces générateurs ont un rendement suffisant pour alimenter tout un village en besoins d'énergie courante. Or sait-on qu'en France, un rapport DGRST récent faisait apparaître que l'exploitation rationnelle des sous-produits agricoles (pailles, tiges, rafles de maïs) suffirait à satisfaire la totalité des besoins en énergie de l'agriculture (qui représentait environ 3% de la consommation énergétique en 1975)[10]. 3. Les chauffe-eau solaires dont le développement commence à peine en France, sont répandus à des quantités industrielles en Israël ou au Japon (qui n'a pourtant rien d'un pays tropical!). Dans ce dernier pays, il existait déjà 2 millions d'exemplaires de tels appareils en 1965! Et il en existe actuellement 200.000 en Israël. 4. Une étude publiée en 1977 par W.A. Shurcliff de l'Université de Harvard aux USA, nous apprend qu'il existait à cette époque environ 319 maisons entiérement solaires dans le monde (et 500 en cours de construction) dont la plus grande partie aux USA (286). Mais le plus intéressant à noter est que, mis à part le Nouveau Mexique (qui se trouve à la latitude de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient), où se trouve une grande partie de ces maisons, un nombre appréciable sont situées dans des zones d'ensoleillement moins fort et à climat sensiblement plus froid. D'autre part, après les USA, c'est le Canada qui compte le plus grand nombre de constructions solaires. Alors qu'on se le dise... 5. La politique européenne en matière de développement des énergies nouvelles et du solaire ne mérite pas qu'on s'y arrête longuement: elle repose sur la même «philosophie» que celle de la France si on regarde le programme 1975-79 qui a été arrêté en 1975 par le Conseil des Ministres de la CEE. On en aura immédiatement une preuve au vu du budget global prévu - concernant le seul solaire qui est de 90 MF pour l'ensemble de cette période 75-79. 9. Voir Gazette N°18. 10. Encore faudrait-il encourager les agriculteurs à le faire... et surtout donner les informations nécessaires sur le «savoir-faire»: un ami agriculteur se plaignait récemment auprès de l'un de nous d'être dans l'incapacité totale de trouver de telles informations pour construire un tel générateur et comprimer le gaz obtenu! p.4
|
6. L'exemple des Etats-Unis
mérite par contre qu'on s'y arrête un peu dans la mesure où
on y prévoit que le solaire satisfera 20 à 30% des besoins
énergétiques à la fin du siècle (au lieu de
2 à 3% en France). La prise de conscience s'est faite récemment,
comme partout, et les raisons en sont très bien expliquées
par D.F. Spencer dans un document publié en '76 aux USA et traduit
par EDF («L'énergie solaire vue sous l'angle d'une compagnie
d'électricité», document J25 de la Division Information
sur l'Energie d'EDF):
«L'utilisation de l'énergie solaire pour compléter le système de production d'énergie et d'élecricité aux Eats-Unis a récemment suscité une très vive curiosité. L'intérêt pour cette nouvelle forme d'énergie est né à la fois de l'accroissement des prix des combustibles fossiles et de l'électricité, de l'inquiétude causée par les effets polluants des combustibles à haute tenur en soufre, des problèmes de sécurité et de stockage des déchets des centrales nucléaires, de la conscience de la nécessité de préserver l'énergie et, plus récemment enfin, de l'ardent désir du pays de conquérir son indépendance énergétique. Les partisans de l'énergie solaire font remarquer que: a. elle est pratiquement inépuisable, b. elle est présente un peu partout, c. elle ne devrait pas avoir un impact considérable sur l'environnement, d. elle permettrait de conserver les combustibles fossiles, et surtout le pétrole et le gaz, pour d'autres usages.» C'est ainsi que l'Administration chargée de la recherche et du développement en matière d'énergie (ERDA), créée fin '74 - début '75 reçut pour mission de s'intéresser notamment de très près au solaire. C'est aussi l'époque où la NASA, voyant les crédits spatiaux des grands projets se réduire, commence à se lancer dans la recherche en matière d'énergie solaire - ou du moins à étendre ses activités dans ce domaine où elle était déjà en pointe pour certaines applications. |
Si les budgets « solaires » mis
enjeu ne sont pas considérables par rapport au PNB (puisque nous
avons le même rapport en France), l'effet de taille joue bien évidemment
dans un secteur où la technologie est «douce» et n'a
rien à voir avec les investissements nécessaires à
une énergie telle que le nucléaire... N'oublions pas en effet
que le PNB des USA est environ 5 fois plus élevé que celui
de la France et que les efforts américains pour le solaire en '78
représentent environ 1.500 millions de francs (Enerpresse,
n°1999 du 26.1.78).
D'autre part, l'industrie américaine, flairant l'ampleur à terme des nouveaux marchés du solaire, et encouragée par les espèces sonnantes et trébuchantes du gouvernement, s'est rapidement lancée dans l'affaire et, au delà d'une multitude de petites entreprises, on remarque que la plupart des grandes multinationales sont présentes sur ce marché: General Electric, Boeing, Westinghouse, Mobil, Exocon, etc. Eh oui, les mêmes que ceux qui vendent du pétrole ou construisent du nucléaire! Si l'éclosion de ces multitudes de petites entreprises est de bon augure pour une réelle décentralisation de l'énergie, on peut par contre s'interroger sur les intentions réelles des «grands» qui, selon leurs habitudes, ont tout intérêt, pour un profit maxirnum, à «vendre du solaire» sous forme aussi centralisée et sophistiquée que possible ! Toujours est-il qu'en attendant, tout cela conduit à un développement très rapide du solaire. Et l'administration américaine montre d'ailleurs l'exemple: Carter vient d'annoncer, à la «journée nationale du soleil», qu'il allait débloquer un crédit de 100 millions de dollars (450 MF) sur 3 ans pour installer le chauffage solaire dans les locaux de l'administration, avec la mise en route d'un chauffage de démonstration à la Maison Blanche. p.5a
|
La position des
«nucléocrates» (pour reprendre le titre du livre[11]
de Philippe Simonnot) est bien connue: elle consiste à ignorer totalement
- voire même ridiculiser - tout ce qui n'est pas nucléaire.
«Le débat d'opinion au sujet des énergies nouvelles et son envers concernant l'énergie nucléaire, sont deux facettes entre mille autres de la crise que nous traversons. L'union des contestations et des insatisfactions s'est faite moins contre l'énergie nucléaire qu'avec elle; elle a catalysé les oppositions à quelque chose qui la transcende. Elle a montré, pour les années à venir, que l'alternative, le choix nucléaire/autres énergies, n'existe que dans l'imagination des détracteurs. Elle a montré aussi que certains mettent en cause le choix du mode de vie, le choix de civilisation... C'est la toile de fond sur laquelle s'inscrit toute décision et c'est ce qui confère aux énergies nouvelles - notamment à l'énergie solaire - une importance que les considérations purement économiques ne leur accorderaient certainement pas.» («Que peut-on attendre des énergies nouvelles»,
de J.M. Vergnieaud,
attaché de Relations Publiques à EDF) |
Cette citation n'est qu'un exemple parmi tant
d'autres, qui dépassent d'ailleurs largement le cadre d'EDF. La
position des nucléocrates est parfaitement résumée
par l'extrait suivant, tiré du rapport de M. Papon à la commission
des finances, en octobre '77; après avoir fait un historique de
la politique énergétique, il arrive à l'époque
du «tout nucléaire» et il poursuit: «Ainsi,
on a décidé (...) que les énergies nouvelles ne sauraient
apporter une contribution significative à notre approvisionnement
avant les années '90. On remarquera, à cet égard,
qu'il en est de même pour les surgénérateurs, mais
les investissements qui concernent ceux-ci sont sans commune mesure avec
ceux qui intéressent celles-là.»
11. Philippe Simonnot, «Les nucléocrates», Presses Universitaires de Grenoble, 1978. p.5b
|
Concrètement, on entend
fréquemment, de la part des tenants du nucléaire, dans les
débats, les déclarations, la presse, etc., un certain nombre
d'arguments qui sentent tellement la mauvaise foi qu'ils nous ont donné
l'idée de nous y attarder quelque peu: cela va nous permettre de
passer en revue les divers aspects liés à la
«crédibilité» du solaire. a) « La contribution du solaire sera minime à la fin du siècle» Nous avons vu plus haut que le gouvernement français prévoit qu'en l'an 2000, l'énergie solaire couvrira 2 à 3% de notre consommation d'énergie. Aux Etats-Unis, l'Agence pour la Recherche et le Développement Energétique (ERDA) prévoit 20 à 30% d'énergie solaire à la même date. Sous le titre «Qui a raison?» Michel Bosquet explique (Que Choisir, numéro spécial) les raisons de ces différences: «Les deux prévisions sont calculées selon la même méthode: elle consiste à étudier l'évolution de la demande en fonction de l'évolution des prix. Seulement, les hvpothèses concernant les prix ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis et en France. En France on prévoit officiellement que, en monnaie de valeur constante, le prix de l'électricité va baisser tandis que le prix du pétrole va augmenter fortement et que l'énergie solaire restera très chère. Aux Etats-Unis, on prévoit que, en monnaie de valeur constante, le prix du pétrole restera stable tandis que le prix de l'électricité nucléaire continuera d'augmenter et que l'énergie solaire, sous ses différentes formes, deviendra de plus en plus avantageuses à partir de 1980. L'évolution réelle des prix (hausse du nucléaire plus forte que celle du pétrole) n'a cessé de justifier la priorité que les Etats-Unis donnent au solaire.» b) «On ne peut, avec le solaire, faire une centrale de 1.000 MW» L'argument est si fréquent que même les membres de la commission des finances (rapport Schloesing) ont dû le relever: «On aimerait que les responsables évitent de déconsidérer [les énergies nouvelles] par des arguments qui ne sont pas de la meilleure venue. On explique, avec gravité, que pour construire une centrale solaire de 1.000 MW, il conviendrait d'occuper une superficie considérable, C'est exact [et encore, si on oublie les surfaces "inutiles de toute façon", tels les toitures, etc. Ndwebmaistre]. Mais qui a jamais pensé que l'énergie solaire doive être produite à partir d'une énorme centrale alors que son intérêt est précisément de s'accommoder d'équipements légers, de répondre à des besoins minimes, d'être en quelque sorte l'énergie de la décentralisation, évitant l'inconvénient du transport à longue distance?» Et que penser des vastes projets de production massive d'énergie électrique à partir de satellites captant l'énergie solaire et la transmettant à la terre par le rayonnement (on parle de projets de 515 GW!). L'approche des promoteurs de tels projets est exactement de la même veine que celle des défenseurs de l'énergie nucléaire. Eh bien non! On n'en veut pas plus que du nucléaire: les risques sont nombreux, la centralisation excessive, la technique à la limite des possibilités, les coûts et la rentabilité impossibles à prévoir. Les nucléocrates raisonnent toujours en termes «d'électricité» et «centralisée». Nous ne disons pas qu'il ne faut pas faire d'électricité centralisée: on en aura toujours besoin pour certains usages. Mais il s'agit de raisonner en termes «d'énergie» et d'utiliser au mieux de ses possibilités chaque source: dans cette optique, il est certain que le solaire présente de loin les meilleures caractéristiques pour le domaine de l'eau chaude et du chauffage des locaux, il s'agit de le reconnaître et de l'utiliser le plus possible dans cette voie. (suite)
|
suite:
c) «L'énergie solaire est insuffisante sous nos latitudes» On nous explique ainsi, avec non moins de gravité, que «l'énergie solaire, c'est bien pour les pays chauds, mais c'est pas pour nous». Il est vrai que si on parle des centrales solaires (en cours d'étude ou de réalisation), il vaut mieux les réserver, pour ce qui nous concerne, au Sud de la France - du moins pour l'instant. Par contre, pour les autres usages, on peut considérer que tout ce qu'on peut utiliser en énergie solaire est bon à prendre. Faisons seulement deux remarques: 1. Compte tenu du rayorinement solaire moyen en France et des besoins en chauffage d'une maison, il est reconnu que l'énergie parvenant du soleil sur cette maison est suffisante pour en assurer les besoins, le problème étant simplement de trouver l'architecture, et les moyens - technico-économiques pour y parvenir - ce qui existe déjà. 2. On commence à trouver des capteursplans sous vide à surface très sélective qui permettent d'atteindre des températures élevées et qui fonctionnent très bien, r même en lumière diffuse... 3. Le webmaistre fait aussi remarquer qu'on oublie la rentabilité plus vite atteine au nord, du fait des plus grands besoins! - Il faut ajouter aussi - mais c'est un problème qui touche à toutes les énergies - que l'isolation systématique des locaux (ou l'emploi de matériaux adaptés à de bons échanges énergétiques) faciliterait bien les choses. Il est bon de rappeler à ce sujet la note interne du Ministère de l'Industrie de Septembre 77 selon laquelle on pourrait économiser au moins 30% des besoins de chauffage en acceptant d'investir 50 F/m2 pour l'isolation des logements anciens et qu'un programme sur 10 ans procurerait de l'emploi à 80.000 personnes. Si l'investissement est de. 120 F/m2, l'économie de chauffage est de 50% et c'est 200.000 personnes qui pourraient être employées en 10 ans. Dans ce domaine de l'isolation, il est intéressant de noter une information récente (Enerpresse, n°2052 du 13.4.78) selon laquelle les producteurs d'électricité de l'Orégon (USA) envisagent de proposer à leurs clients de prendre à leur charge le coût d'isolation des maisons. La compagnie d'électricité admet ainsi que le kWh «isolé» lui reviendra moins cher qu'un kWh provenant d'une nouvelle centrale. Quel beau sujet de méditation pour EDF! d) «La mise en oeuvre de tout système énergétique présente une grande inertie» Certes et cela nous fait d'autant regretter la marche forcée actuelle vers le riucléaire et l'un de ces aspects: le chauffage électrique. Mais regardons cependant de plus près cette affirmation. En fait il existe schématiquement deux sortes d'inertie: celle due aux installations de production et de consommation et celle due aux habitudes, aux structures mises en place, à la volonté de ne pas faire.... Pour les inerties de «première espèce», remarquons que les installations industrielles n'ont actuellement qu'une durée de vie de l'ordre de 5 à 10 ans et souvenons-nous du temps nécessaire et de la vitesse atteinte par EDF dans son opération «chauffage électrique»[12]. Quant aux inerties de seconde espèce, n'attendons pas grand chose de la technocratie en place, trop occupée à défendre le nucléaire. Il est intéressant ici de jeter un regard sur la situation américaine. Selon les prévisions effectuées en 1974, on attendait, aux USA, 220.000 bâtiments chauffés par du solaire en 1985, et on prévoyait une ,forte résistance de la part tant des consommateurs que des industriels. Une étude de l'ERDA en 1976 faisait apparaître que le chauffage solaire était déjà compétitif à cette date, et annonçait une baisse des coûts de 50% d'ici 1980. Et en novembre 77.200 entreprises fabricaient 400.000 m2 de capteurs par an (ce qui correspond à 20.000 logements), la production doublant environ tous les 8 mois; le seul Etat de Californie prévoyait alors officiellement 170.000 logements en 1980. 12. Au point que les services publics inquiets ont dû freiner l'opération, malgré les réticences d'EDF, voir en particulier «L'Etat EDF», un livre récent, fort instructif. p.6
|
e) «La technologie solaire n'est pas spécialement
esthétique»
Pour les centrales solaires, bof ! des goûts et des couleurs... Mais après tout, un champ de miroirs et une tour sont plutôt moins massifs et moins moches qu'une centrale nucléaire avec ses cubes de béton, ses tours de réfrigérations et ses enceintes de fils de fer barbelés Pour ce qui concerne le chauffage des maisons ou immeubles et la production d'eau chaude, quelques remarques s'imposent d'une part la technologie n'est pas figée une bonne fois pour toutes, il peut y avoir des évolutions notables ,-d'autre part, il ne faut pas oublier que l'utilisation du solaire dans ces domaines n'implique pas forcément la mise en oeuvre exclusive de «capteurs», mals que les matériaux de construction utilisés, la conception et l'architecture ont un rôle considérable à jouer. Et dans ce domaine, il est vrai que nous n'en sommes qu'au début : des progrès immenses peuvent être faits pourvu que les architectes et les usagers (pour ne pas parler des promoteurs.. -) fassent preuve d'imagination (déjà actuellement, bon nombre de réalisations sont loin d'être inesthétiques)[13]. D'un point de vue plus général, il est tout de même pour le moins curieux que ce soient les nucléocrates qui brandissent cet argument de l'« esthétique » à propos du solaire alors que ce sont les mêmes, ou leurs semblables, qui, au nom du sacro-saint libéralisme, laissent construire, dans nos villes, n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment, ce qui conduit àcet urbanisme qu'on connaît trop bien par les innombrables conséquences qu'il entraîne. Alors d'accord, bien sûr, pour l'esthétique du solaire - et les partisans de cette énergie en sont parfaitement conscients -mais n'oublions pas (ne serait-ce qu'en regardant, à Paris, les tours de la Défense ou d'ailleurs) que le problème se pose dans son ensemble f) «L'utilisation du solaire va neutraliser beaucoup d'espace» (et voir la remarque du point b. sur les toitures...) Cet argument implique que son auteur fait l'association - de bonne foi ou non - entre solaire et fabrication massive «d'électricité» ou utilisation massive de la «biomasse». Qr, que constate-ton? Voici quelques ordres de grandeur: - l'hydraulique et les barrages occupent environ 0,2 à 0,3% de la surface du territoire - les autoroutes en représentent environ 0,1%; - les lignes électriques du programme nucléaire en feront 1%. A côté de cela, l'équipe qui a travaillé au scénario «tout solaire » (projet ALTER dont on reparlera plus loin), volontairement extrême à titre de démonstration, a effectué une estimation des surfaces nécessaires dans le cadre d'une optimisation des différentes techniques du solaire en fonction des besoins en différentes natures d'énergie (chaleur, combustibles, électricité). C'est ainsi qu'ils estiment à 1% la surface qu'occuperaient les centrales solaires - tout en précisant que la moitié peut être utilisée sous forme de pâturages. Quant à la «biomasse», seon le projet ATLER, elle nécessiterait l'utilisation spécifique de 15% des surfaces agricoles, et la mise en exploitation régulière de 30% des forêts (exploitation ne veut pas dire «destruction», bien évidemment). Mais peut-on parler de «neutralisation»? g) «L'énergie solaire coûte beaucoup trop cher» Alors là, c'est le comble! Comme si on avait fait un bilan comparatif réel du coût possible des différentes énergies avant de lancer le programme nucléaire! Comme si l'énergie nucléaire n'était pas chère! Mais voyons les choses un peu en détail: 1. La technologie solaire étant essentiellement constituée d'éléments répétitifs dé petite taille, on peut obtenir des baisses de coût considérables par suite de l'effet de série... qui est autre chose que l'effet de série des centrales nucléaires! 2. Quel est le prix actuel, en France, de l'électricité qui sera produite par la centrale solaire prototype THEMIS par exemple? Les chiffres actuels sont de 20.000 F/kW installé et de 1,5 F/kWh en fonctionnement. Ces chiffres peuvent paraître élevés par rapport au nucléaire (pour lequel EDF donne respectivement 2.600 F/kW et environ 0,1 F/kWh), mais on rappellera, en ce qui concerne le nucléaire: a) qu'il s'agit d'un prix de «dumping» b) que la recherche n'est pas incluse, à la différence du prototype solaire c) que la filière choisie, d'origine militaire, n'est pas la mieux adaptée à la production d'électricité. (suite)
|
suite:
3. L'exemple des photopiles aux USA est particulièrement exemplaire: il se produit exactement le même phénomène que celui qui s'est produit pour les transistors, qui ont conquis la totalité du marché en quelques années. Voici l'évolution réelle et prévue du coût des photopiles:
Même si les officiels américains
sont peut-être un peu trop optimistes, ça reste très
spectaculaire. Cela n'empêchait pas EDF, il y a 3 ans, de tourner
en dérision les photopiles dans une célèbre publicité:
on y lisait que les photopiles revenaient environ mille fois plus cher
que n'importe quel autre moyen de produire de l'électricité;
elles ne pouvaient intéresser que les astronautes, les :rêveurs
et les snobs (ou les militaires?!...).
13. De p1us, toute énergie récupérée, c'est toujours cela de moins à transporter et dans ce domaine, les lignes aériennes...! 14. Capteur mis au point par Pilkington Glass (principal producteur de verre britannique). Les résultats sont donnés par Sunheat Systems of Cheltenbam, qui a réalisé les essais comparatifs. p.7
|