Interview de Pierre Pellerin:
«il n'y a pas de secret au sujet des centrales
atomiques»
L'accident du réacteur
atomique de Tchernobyl a perturbé le monde entier. Le caractère
sans précédent de cet accident autorise à le considérer
comme une catastrophe (inter, NdlR...)nationale. Au cours de la lutte menée
pour éliminer les conséquences de l'accident, les scientifiques
soviétiques et les spécialistes ont accumulé une énorme
expérience, sans précédent dans le monde. C'est pourquoi
l'intérêt des collègues étrangers vis-à-vis
des travaux en cours, même actuellement dans la zone interdite, est
tout à fait compréhensible. Plus de 650 chercheurs et spécialistes
ont déjà visité cette région.
Le Directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisant du Ministère de la Santé français, le Professeur Pierre Pellerin, a visité la centrale de Tchernobyl avec les correspondants du journal Kiev-Soir. «J'ai visité pour la première fois le lieu de l'accident il y a un an» dit Pierre Pellerin, «mais à cette époque je n'ai pu prendre connaissance de la situation que rapidement. Plusieurs participants scientifiques à la conférence sur les aspects médicaux de l'accident de Tchernobyl qui s'est tenue à Kiev ont voulu se rendre sur les lieux et évidemment satisfaire la curiosité de chacun était difficile. Tandis qu'aujourd'hui il m'a été possible d'en voir beaucoup plus. Je suis persuadé que ce qu'on écrit dans nos journaux est très loin de la vérité. Ces derniers temps, j'ai lu beaucoup d'inepties publiées sur Tchernobyl disant, en règle générale, qu'ici la situation est terriblement dangereuse, que naissent des monstres peuplant ces lieux. Et à ce qu'on dit, c'est pour cette raison qu'on cache l'information sur Tchernobyl. Mais déjà, le fait même que vous et nous ayons pu visiter l'intérieur du bloc-réacteur n° 4 devient un argument très fort en faveur du fait que, premièrement, le sarcophage ne présente pas de danger actuellement, et deuxièmement cela permet d'insister sur le fait que vous ne cachez rien[1]. A l'intérieur du sarcophage des gens travaillent et c'est la meilleure preuve que Tchernobyl n'est tout de même pas l'enfer que beaucoup d'entre nous imaginions. Je serais heureux de travailler avec vos spécialistes pendant mes congés. Aujourd'hui ce sont les personnes les plus compétentes en ce domaine. Commentaire Gazette [1]:
Professeur Pellerin, suite
à l'accident de Tchernobyl, une grande quantité d'éléments
radioactifs a été projetée dans l'atmosphêre,
des territoires considérables ont été pollués
y compris la France. Il serait intéressant de savoir comment la
nouvelle de l'accident a été perçue par les Français.
(suite)
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suite:
Chez moi, en France, la situation était à peu près la même. Certaines personnes aveuglément «vertes» essaient de m'inculper parce que je n'ai pas donné d'instructions pour distribuer des produits à base d'iode, que je n'ai pas posé devant notre gouvernement la question de l'évacuation de la population, que je n'ai pas interdit la consommation d'aliment provenant d'Europe. Et tout ceci alors que nous sommes à 2.500 kilomètres de Tchernobyl[3]. Pour vous bien sûr c'est comique d'entendre cela. Mais croyez moi, ce n'était pas du tout amusant lorsqu'on parlait ainsi en France. Commentaire Gazette [2]:
Commentaire Gazette [3]:
p.24
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Ainsi, si aucune interdiction
n'est intervenue en France ce n'est pas parce que la contamination a été
nulle mais parce que M. Pierre Pellerin n'a jamais voulu appliquer la réglementation
du Conseil des Communautés européennes et que son chef immédiat,
le ministre de la santé, n'est nullement intervenu pour témoigner
d'un quelconque désaccord avec son subalterne.
Signalons que les divers rapports de synthèse effectués par les experts européens ne mentionnent pas ces contaminations pour la France (Var, Moselle, Corse) pour la simple raison que M. Pierre Pellerin n'a pas jugé bon de transmettre les mesures effectuées en France par les organismes officiels (voir l'article «Les menteurs» dans la Gazette n° 88/89). Ainsi la radiophobie a atteint
aussi les Français?
Est-ce que l'accident de Tchernobyl
a influencé les plans de développement concernant l'énergie
atomique en France?
Commentaire Gazette [4]:
Commentaire Gazette [5]:
(suite)
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Nous (en France? Voilà d'où vient notre prétendue indépendance énergétique!... NdlR) avons de grandes réserves d'uranium et notre économie s'appuie sur ces réserves. Le prix de l'énergie électrique des centrales nucléaires est d'environ 5 milliards de dollars. Sans l'énergie atomique, nous aurions dû dépenser cet argent à l'achat de pétrole. D'un point de vue financier, la perte de telles sommes serait ruineuse pour la France puisque les revenus de l'énergie nucléaire représentent un tiers du budget national. Si ceux-ci faisaient défaut, la France qui la première a développé plusieurs technologies industrielles ne pourrait pas maintenir son leadership. Le problème énergétique est un vieux problème. Déjà Napoléon en s'engageant dans la guerre n'aspirait pas à conquérir des territoires en tant que tels mais en tant que sources de matières premières énergétiques[6]. Commentaire Gazette [6]:
Les problèmes énergétiques
provoquent de nombreux conflits surtout en Europe. Mais actuellement, avec
le développement de l'énergie atomique, les privilèges
des pays qui "possèdent" (parenthèses dlR) le charbon et
le pétrole touchent à leur fin.
Commentaire Gazette [7]:
Commentaire Gazette [8]:
p.25
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Professeur Pellerin,
actuellement a lieu une discussion, pas seulement dans le milieu scientifique,
au sujet de la conception d'absence de seuil et des
effets des petites doses de radiations. Que pouvez-vous nous dire
à ce sujet?
A mon avis (sic), la conception d'absence de seuil appartient à la catégorie des problèmes imaginaires qui, bien à propos, sont utiles aux personnes atteintes d'égoïsme professionnel[9]. Au sujet de la linéarité (de la relation effet/dose, c'est-à-dire l'absence de seuil, Note du traducteur) pendant les 30 ans d'existence du marché commun, on a dépensé à peu près 1 milliard de francs et jusqu'à présent il n'y a eu aucun résultat. Lorsque nous posons la question pour arrêter le financement de telles recherches, on essaie de nous faire changer d'avis parce que depuis de nombreuses années existent des laboratoires, que des services entiers ont été créés, que beaucoup de scientifiques prennent part à ces recherches et qu'interrompre tous ces travaux serait peu raisonnable. Commentaire Gazette [9]:
Entre parenthèses, la conception d'absence de seuil est apparue non pas comme un problème exigeant une solution mais seulement comme une hypothèse qu'il convient d'utiliser par humanité afin d'élaborer des normes de protection. La Commission Internationale de Protection Radiologique créée en premier lieu justement pour examiner ces hypothèses pessimistes, a bien compris que c'était une manière pseudo-scientifique de traiter la question, toutefois elle n'a pas hésité à les formuler en partant précisément de ce désir d'améliorer la protection contre les radiations. Et un nombre énorme de personnes y compris des scientifiques, ont commencé à considérer cette hypothèse pessimiste comme un fait discutable. (!...) (suite)
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suite:
Revenons au problème des petites doses. A propos je n'ai jamais obtenu jusqu'à maintenant une bonne définition. Qu'est-ce qu'on entend donc par petites doses? La réponse à cette question va dépendre de votre profession. Comment cela?
Moi, ma profession c'est journaliste.
Commentaire Gazette [10]:
Commentaire Gazette [11]:
Commentaire Gazette [12]:
p.26
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Le comprimé d'aspirine est une image très prisée de
M. le Pr Pellerin. Ainsi nous avons retrouvé dans une de ses publications
des années 70 une autre allusion au comprimé d'aspirine.
Dans «La querelle nucléaire vue par la santé publique»,
P.P. écrivait à propos des déchets nucléaires:
«Voici la réalité: Si toute
l'énergie produite en l'an 2000 était d'origine nucléaire,
le retraitement des combustibles nucléaires ne produirait pas un
volume de déchets de haute activité supérieur, par
habitant et par an, à celui d'un cachet d'aspirine. En dix ans,
plus de 99 % de leur radioactivité disparaît du fait de la
décroissance».
M. Pellerin ne doit pas bien comprendre pourquoi les habitants des sites retenus pour les futures poubelles nucléairés se battent contre les forces de l'ordre pour empêcher qu'on mette chez eux, très profond dans la terre, quelques comprimés inoffensifs! Dans le même article, cet expert en santé publique parlant du problème du plutonium, déclairait: «Il est simplement aussi toxique que la nicotine et seulement une dizaine de fois plus que la caféine». Toujours à propos du plutonium, il déclarait à L'Express (9-15 déc. 1974): «Vous pouvez boire de l'eau contenant du plutonium, manger des légumes gorgés de plutonium». Les "oeuvres complètes" de Pierre Pellerin révèlent des trésors étonnants. C'est certainement pour cette raison qu'on le trouve comme expert à la Commission Internationale de Protection radiologique (CIPR), au Comité scientifique des Nations Unies pour les effets des radiations atomiques (UNSCEAR), à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), comme expert auprès du conseil des Communautés européennes, et enfin comme responsable en chef de la protection de la santé publique contre les rayonnements. Question: après son départ à la retraite dans quels comité continuera-t-il à sévir?! J'estime qu'avant tout, il faut ouvrir l'énergie atomique aux gens de façon à ce qu'ils puissent visiter les centrales nucléaires et obtenir l'information qui les intéresse à n'importe quel moment. C'est de cette façon que sera assuré un contrôle sûr par la population du travail des entreprises atomiques. En effet, moins il y a de contrôle, plus l'incertitude concernant la sécurité est grande. Le problème n'est pas l'énergie atomique est-elle bonne ou est-elle mauvaise mais jusqu'à quel point elle est contrôlée par la population. L'accident de Tchernobyl a
justement compromis la confiance dans la sécurité des centrales
atomiques?
(suite)
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suite:
Nous n'aurions jamais pu organiser de telles visites par l'intermédiaire de l'AIEA par exemple mais nous avons réussi à le faire par celui de notre gouvernement. Le fait que j'ai eu la possibilité de discuter avec vos scientifiques est la meilleure preuve de notre compréhension mutuelle. Commentaire Gazette [13]:
Mais il sera difficile de
rétablir la foi ébranlée dans la sécurité
de l'énergie atomique...
Mais nous ne sommes pas protégés
contre les catastrophes naturelles. En effet, la centrale atomique d'Arménie
a été construite dans une zone sismiquement dangereuse et
c'est la raison pour laquelle il a été décidé
de la démonter.
p.27
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Commentaire Gazette [14]:
La centrale de Cruas, située dans la zone sismique de la vallée du Rhône, respecte les normes de sûreté antisismique. Nous ne chercherons pas ici à analyser la validité de ces normes. Signalons simplement que les réacteurs du Tricastin à quelques kilomètres de Cruas ne respectent pas ces normes. Monsieur Tanguy qui était alors un expert en sûreté au CEA est intervenu à la Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base pour que celle-ci ne considère pas la région comme présentant des risques sismiques au sens des normes de sûreté. Est-ce que la population fran
çaise possède des dosimétres individuels?
Commentaire Gazette [15]:
(suite)
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suite:
Est-ce qu'il y a un accroissement du rayonnement ambiant autour des centrales atomiques? Pratiquement non. Les réacteurs ont une grosse enceinte de protection et une fuite plus ou moins importante est simplement impossible[16]. Commentaire Gazette [16]:
Mais auparavant, avant l'accident
de Tchernobyl, on considérait aussi que l'accident était
impossible.
Entretien réalisé par Alexandre Sidorenko
Kiev-Tchernobyl-Kiev, Kiev-Soir, 19 juin 1989, publié par Biélorussie Soviétique, dimanche 1er juillet 1989 p.28
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Le «logo» du SCSIN.
LE NUCLEAIRE EST-IL IMBUVABLE?!