03.08.2011
Dominique Leglu
sciencepourvousetmoi.blogs.sciencesetavenir.fr
Mercredi 3 août.
Cinq mois après les débuts de la catastrophe de Fukushima,
et à l'heure où les centrales nucléaires de très
nombreux pays - dont la France - sont soumises à de nouveaux examens
de sûreté, j'ai demandé à deux physiciens du
GSIEN
bien connus (Groupement de Scientifiques pour l'Information Sur l'Energie
Nucléaire), Monique et Raymond Sené, de se joindre à
moi sur ce blog pour essayer de tirer ce que nous avons voulu appeler "La
grande leçon de Fukushima pour la France" (le titre de cette
note).
Par:
- Monique Sené, physicienne, directrice
de recherches honoraire au CNRS, membre du Haut comité à
la transparence et présidente du GSIEN (groupement de scientifiques
pour l’information sur l’énergie nucléaire) et rédactrice
de la Gazette Nucléaire.
- Raymond Sené, physicien nucléaire,
membre du GSIEN
- Dominique Leglu, physicienne, directrice
de la rédaction de Sciences
et Avenir.
Oui, Fukushima n’est pas Hiroshima. Des réacteurs
ne peuvent pas exploser comme une bombe atomique. Il n’empêche, la
catastrophe qui a eu lieu dans la centrale de Fukushima-Daiichi sur 4 de
ses 6 unités est pire que Hiroshima et Nagasaki réunis, en
termes de radioactivité relâchée. C’est mille fois
plus (1), en ordre de grandeur.
Oui, l’impensable est arrivé. Après
le séisme du 11 mars, suivi du tsunami, la centrale a perdu toutes
ses sources électriques et ses moyens de refroidissement, qui ont
conduit à une situation incontrôlable.
Quels enseignements en tirer?
Le séisme.
A Fukushima, le séisme de niveau 9
a vraisemblablement commencé par endommager de nombreuses canalisations,
indispensables aux arrivées d’eau permettant le refroidissement
du cœur des réacteurs, ainsi que des piscines de combustible. De
surcroît, il a stoppé l’arrivée externe d’électricité,
reprise automatiquement par les systèmes de secours diesel et batteries.
La centrale n’avait été dimensionnée que pour séisme
de niveau 7.
Que se passerait-il en France? La centrale
de Fessenheim, qui a démarré en 1977, avec les règles
de sûreté de l’époque, a été dimensionnée
en référence au séisme
de Bâle (18 octobre 1356), alors évalué à
6,9 – équivalent au séisme
d’Izmit (Turquie) en 2000. On sait qu’il a depuis été
réévalué à la hausse, de l’ordre de 7,2. Augmentation
qui peut paraître minime mais en fait correspond à une énergie
dégagée 9 fois plus forte. On peut donc craindre,
en cas de séisme, un endommagement de même type qu’à
Fukushima: canalisations hors d’usage, capteurs (de niveau d’eau, de température,
de pression...) hors service, parois et pompes ébranlées...
Et rupture de l’alimentation externe en électricité.
Le tsunami.
A Fukushima, la vague a achevé le travail
de destruction. Elle a noyé les diesels, bouché et
cassé les canalisations de prise d’eau (qui peuvent faire plus d’un
mètre de diamètre). En France, pareille vague pourrait survenir
de multiples manières. A Fessenheim, s’il y a rupture du (ou des)
barrage(s)
(voir en bas de page) en amont de la
centrale, située 15 m en-dessous du niveau du canal de prise d’eau,
une vague pourrait provoquer des dégâts majeurs. En particulier,
noyage de toutes les pompes et des diesels. Comment les opérateurs
pourraient-ils alors réagir?
De fait, pareil noyage des pompes à
déjà eu lieu, à la centrale
du Blayais lors de la tempête de fin décembre 1999. Heureusement,
l’une d’elles a continué à fonctionner et les diesels aussi.
Mais une situation aussi dangereuse peut être redoutée, notamment
à Flamanville. M. Jacques Fos, vice-président de la Commission
locale d’information (CLI) de cette centrale a ainsi fait remarquer que
les diesels prévus pour l’EPR, actuellement en construction, pourraient
être submergés par une vague qui dépasserait le niveau
de la plate-forme prévue à 12m au-dessus du niveau de l’océan.
Et il a suggéré de remonter ces diesels en haut de la falaise.
Ceci sera-t-il accompli?
Ce grave problème de vagues (sur les
fleuves, rivières, canaux ou océan) qui déferleraient
sur une centrale pourrait se poser dans bien d’autres endroits, notamment
à Golfech sur la Garonne, à Gravelines dans la Manche, sans
oublier les 14 réacteurs de la vallée du Rhône.
L’explosion hydrogène.
A Fukushima, le dénoyage du combustible
dans les cœurs des réacteurs et dans les piscines, a conduit à
l’émission d’hydrogène, avec les explosions ultérieures
(réacteurs 1, 2, 3) et les incendies (piscines 3 et 4) que l’on
sait.
Que se passerait-il en France? Pourrait-il
y avoir des explosions du même genre? Les réacteurs à
eau pressurisée français sont désormais équipés
de «recombineurs passifs» - appareillages destinés
à piéger l’hydrogène, à condition que ce dernier
ne s’accumule pas dans certaines zones fermées non équipées.
Rappelons que les bâtiments réacteurs
sont de gigantesques enceintes, d’un volume de plusieurs dizaines de milliers
de m3 (de 46.000m3 à Fessenheim à plus
de 50.000 m3 dans des centrales plus récentes). L’explosion
hydrogène reste également à redouter dans les bâtiments
combustibles en cas d’endommagement des piscines, conduisant à
un dénoyage rapide, des combustibles en cours de refroidissement.
Notons également que sur nos 58 réacteurs les piscines ne
sont pas bunkerisées.
Le pilotage en situation accidentelle
A Fukushima, les opérateurs, dès
le séisme – à cause de la mise en marche automatique des
systèmes de secours (injection des barres de contrôle dans
le cœur des réacteurs, démarrage des diesels...), ont constaté
une baisse trop rapide de la température et de la pression. Les
procédures leur enjoignaient alors d’arrêter ce refroidissement
d’«ultime secours». Ce qu’ils firent. Malheureusement, après
l’arrivée du tsunami (voir plus haut), ils n’ont jamais pu le redémarrer,
faute d’électricité. A partir de ce moment-là, ils
ont dû piloter à vue, avec des instruments déréglés
ou hors service. Exemple désormais connu: les indicateurs de niveau
d’eau dans les cuves de réacteurs sont restés bloqués
au niveau qu’ils avaient au moment du séisme.
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suite:
On constate ainsi que, lors d’une catastrophe,
les opérateurs humains sont confrontés à des situations
ingérables, aucune fiche de procédures ne correspondant de
surcroît à la situation. Ils œuvrent en aveugle et doivent
improviser. On se souvient par ailleurs qu’à Three
Mile Island, aux Etats-Unis, c’est un problème de signalisation
erronée (2) qui a transformé
l’accident en 1979, en catastrophe. Et plus récemment, en 2009 lors
du crash de l’Airbus RIO-Paris, les analyses actuelles semblent aussi montrer
que l’application des procédures liées à des indications
erronées ont conduit à la catastrophe.
Ultérieurement, qualifier d’«erreur
humaine» les prises de décisions de ces opérateurs
revient à faire reposer sur eux une responsabilité bien plus
globale. Responsabilité qui va de la conception de la centrale (ou
des capteurs d’un avion) au management de l’ensemble du système.
En France, il faut se rappeler que dans
un rapport
2006 de l’IRSN (3) il est écrit
«dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont
pas été considérés lors de leur conception»
- leur probabilité était alors vue comme trop faible- peut-on
alors parler de «sûreté nucléaire»?
Sachant aussi qu’à la clé, lors
de la défaillance sévère d’une installation nucléaire,
l’impact est dévastateur sur les travailleurs et la population ainsi
que sur l’environnement (air, eau, faune, flore...). A Fukushima, on est
aujourd’hui très loin de savoir le détail de cette contamination
(nature, étendue, intensité...), même si des taux atteignant
le milliard de becquerels par m2 ont été mesurés
par endroits (4). On ne sait pas non plus ce
qui va advenir de dizaines voire centaines de milliers de personnes ayant
subi cette radioactivité (maladies, évacuation sans espoir
de retour...). A Tchernobyl,
malgré des années d’études, on ne sait toujours pas
tout non plus et le saura-t-on un jour?
En France, que se passerait-il alors en cas
d’accident?
Une seule chose est sûre: il y a maintenant
urgence à modifier toutes les procédures
post-accidentelles envisagées jusqu’à présent par
l’Autorité de sûreté nucléaire (7 p. pdf
ASN). Et ce, qu’il y ait poursuite du nucléaire ou non. En effet,
même si l’on se place dans la perspective de cette dernière
hypothèse, il y aura encore pendant des décennies à
gérer plus d’une centaine d’installations... Ce sont
celles qui vont être soumises à l’audit de l’ASN (demandé
par le pouvoir politique en réponse aux questionnement des populations),
audit dont le premier rapport est prévu pour décembre 2011.
Sera-t-on capable de tirer des leçons des résultats de cet
audit, si tant est que le mode opératoire choisi lui donne un sens...
Notes:
1) La bombe, celle d’Hiroshima, a produit
de l’ordre du kilo de produits de fission, alors que dans un réacteur
nucléaire les produits de fission présents sont de l’ordre
de la tonne. Rappelons une évidence: une bombe, par définition,
est faite pour tuer (100.000 morts instantanément - voire plus selon
la puissance-), ce que n’est pas la finalité de conception d’un
réacteur. Pour les précisions techniques, consulter le livre
«Les irradiés de Béryl», par Louis Bulidon, paru
ce mois de juin, aux éditions
Thaddée.
2) La soupape du pressuriseur était
restée ouverte alors que la signalisation visible par les opérateurs
indiquait non la position réelle de la soupape mais simplement que
l’ordre de fermeture avait bien été envoyé.
3) Cité dans «L’Europe à
l’épreuve de la sûreté nucléaire», Le
Monde, p. 16. 25 mai (Gros pdf 226p)
4) Source MEXT (ministère de l’éducation
japonais).
Commentaires:
"Sera-t-on capable de tirer des leçons des résultats
de cet audit, si tant est que le mode opératoire choisi lui donne
un
sens..."
Écrit par : yuyu | 04.08.2011
Quelques leçons urgentes de Fukushima...
1) Ne pas risquer quelque chose qu'on ne peut pas perdre...
2. Les conflits d'intérêt sont mortels pour la sécurité
3. Les experts peuvent se tromper.
4. Des événements extrêmement rares arrivent.
5. Les coûts de l'énergie nucléaire sont bien
plus élevés que ce qui est déclaré
Voir:
http://www.laurelzuckerman.com/
Écrit par : LZ | 04.08.2011
Bonjour,
Citation :
"A Fukushima, on est aujourd’hui très
loin de savoir le détail de cette contamination (nature, étendue,
intensité…), même si des taux atteignant le milliard de becquerels
par m2 ont été mesurés par endroits (4)."
Apparemment, la contamination continue,
de façon beaucoup moins importante mais chronique (1 milliards de
becquerels par jour dans l'atmosphère, d'après le prudent
"forum de RadioProtection Cirkus), principalement dans l'eau et les sols.
Fukushima nous montre que l'impossibilité,
pour les autorités, de faire procéder à l'évacuation
de vastes étendues contaminées, conduit forcément
au plus terrible des mensonges, le mensonge par nécessité.
L'impossibilité de résoudre
le devenir des coriums radioactifs, dont une partie est peut-être
déjà dans la roche, conduit les protagonistes à présenter
de faux documents aux médias, dont le plus étonnant est l'absence
de regard critique.
Expliquez-moi comment, l'eau injectée
en partie haute de la cuve dans le schéma "refroidissement maintenant
en circuit fermé", peut être reprise dans la salle des machines
devenue piscine radioactive, puisqu'on ne voit pas comment cette eau passe
de la cuve au bâtiment dans lequel elle se trouve (cuve intègre)!
Amicalement,
Delphin, lecteur depuis toujours de cette
grande œuvre de démocratie (rendre accessible l'information dont
la technicité permet souvent la désinformation) qu'est La
Gazette nucléaire de Monique et Raymond Sené et des autres
membres du GSIEN.
Écrit par Delphin | 04.08.2011
De cette délicate entreprise
résultera la pérennité de la société
japonaise, et de la notre car en dépit de la distance qui nous sépare,
notre sort ne peut rester indifférent à celui du «pays
du soleil levant»: par la guerre des monnaies qu’il entretient et
la révolution énergétique mondiale qu’il suscite,
c’est l’ensemble de notre système que le Japon tend à remettre
en question.
Écrit par Beats by dre pas cher | 04.08.2011 |