Par Alison Katz (Centre Europe - Tiers monde (Cetim), Genève;
fonctionnaire internationale à l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) pendant dix-huit ans.
Un mensonge de plus. En juin 2007. Gregory
Hart, porte-parole de la division du développement durable et de
la santé environnementale à l'Organisation mondiale de la
santé (OMS), a prétendu que les actes de la conférence
internationale des Nations unies sur la catastrophe de Tchernobyl, tenue
du 20 au 23 novembre 1995, à Genève, avaient été
publiés. Ils ne l'ont jamais été; pas plus que les
actes de la conférence de Kiev de 2001. Interrogée un peu
plus tard par des journalistes, l'OMS a réitéré le
mensonge, ne fournissant comme références que des résumés
des présentations pour la conférence de Kiev et une sélection
très restrictive de douze articles sur les centaines proposés
à la conférence de Genève.
Plus forts que les lobbies du tabac
(suite)
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suite:
La «science», qui a été la source d'informations sur le nucléaire en général et sur la catastrophe de Tchernobyl en particulier, est «juge et partie» pour tout ce qui concerne les conséquences sanitaires de ses propres activités. L'ensemble des institutions nucléaires, qu'elles soient gouvernementales, militaires, industrielles, scientifiques, de recherche ou de régulation, ou intergouvernementales, comme Euratom et certaines agences onusiennes, fonctionnent à l'instar d'une «famille incestueuse fermée sur elle-même (11)». Les défaillances de cette pseudo-science et de sa méthode vont du flagrant et outrageux air subtil et malhonnête, comme le dénoncent l'expert Chris Busby et le journaliste Wladimir Tchertkoff, ainsi que le Tribunal permanent des peuples (12). La première série de manquements nus en lumière concerne la falsification et la rétention de données, l'absence de mesures de la radioactivité et de dépistages des cancers, les attaques exercées contre les chercheurs indépendants et leurs institutions, la censure des études révélant les effets néfastes, le dénigrement de milliers d'études non traduites des trois pays les plus touchés et l'exclusion de l'ordre du jour des conférences de domaines scientifiques entiers - comme par exemple les effets de l'irradiation interne, chronique, à faible dose (qui vaut pour presque toute la contamination des populations autour de Tchernobyl). Une seconde série de fautes concerne les artifices de calcul: nos «spécialistes» - en désinformation - évaluent la moyenne des irradiations pour des populations entières, faisant l'impasse sur les différences considérables d'un endroit à l'autre; ils stoppent les études au bout de dix ans, évitant ainsi de prendre en compte la morbidité et la mortalité à long terme ; ils considèrent cinq années de survie comme une guérison; ils ne tiennent compte d'aucune autre maladie que le cancer; ils ne compteront que les survivants; ils ne s'intéressent qu'aux trois pays les plus affectés; ils vont jusqu'à voir une baisse des cancers infantiles là où, en réalité, les enfants, devenus adultes et cancéreux, ne figurent plus dans la base de données... Et des dizaines d'autres manipulations. Connivences universitaires
Notes: (1) Lire Charaf Abdessemed, «Les antinucléaires font le piquet devant l'OMS», Geneva Home Information, 6-7 juin 2007. (2) Organisation autonome placée sous l'égide des Nations Unies en 1957, l'AIEA sert de forum intergouvernemental mondial pour la coopération technique dans l'utilisation pacifique des technologies nucléaires. (3) Lors de cette assemblée, les délégations des cent quatre-vingt-treize Etats membres déterminent les politiques de l'organisation. (4) www.independentwho.info/spip.php?article107 (5) The Chernobyl Forum 2003-2005, «Chernobyl's legacy; Health, environmental and socio-economic impacts», http://chernobyl.undp.org/english/docs/chernobyl.pdf, Vienne, avril 2006. (6) Michel Fernex, «La santé: état des lieux vingt ans après», dans Galia Ackerman, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand, Les silences de Tchernobyl, Autrement, Paris, 2006. (7) Pierpaolo Mittica, Rosalie Bertell, Naomi Rosenblum et Wladimir Tchertkoff, Chernobyl: The Hidden Legacy, Trolley Ltd, Londres, 2007. (8) Alex Rosen, «Effects of the Chernobyl catastrophe: Literature review», janvier 2006, www.ippnw.org/ResourceLibrary/Chernobyl20Rosen.pdf (9) Le Monde, 28 août 1986. (10) «The tightening grip of big pharma», The Lancet vol. 357, n°9263, Londres, 14 avril 2001. (11) Rosalie Bertell, No immediate Danger: Prognosis for a Radioactive Earth, Women's Press, Toronto, 1985. (12) Chris Busby, Wolves of Water: A Study Constructed From Atomic Radiation, Morality, Epidemiology, Science, Bias, Philosophy and Death. Green Audit, Aberystwyth (Royaume-Uni). 2006: Wladimir Tchertkoff, Le Crime de Tchernobyl. Le goulag nucléaire, Actes Sud, Arles, 2006: Permanent People's Tribunal, International Medical Commission on Chernobyl, «Chernobyl, Environmental, health and human rights», Vienne, 12-15 avril 1996. (13) Samuel Epstein, Cancer-Gate, How to Win the Losing Cancer War, Baywood, New York, 2005. (14) En France, en témoigne la mise en examen du professeur Pierre Pellerin (directeur à l'époque du Service central de protection contre les rayonnements ionisants) pour la tromperie aggravée dans le dossier «Tchernobyl, malades de la thyroïde». (15) The Lancet, op.cit. |
Près de trente ans après
l'accident nucléaire de Three Mile Island (Etats-Unis, 1979), plus
de vingt après l'explosion du réacteur nº4 de Tchernobyl
(Ukraine, 1986), la France affronte un tabou. Elle esquisse une "doctrine"
afin de se préparer à gérer les conséquences
d'une catastrophe nucléaire sur son sol. Dans les prochains jours,
le premier ministre sera destinataire d'une lettre du Comité directeur
pour la gestion de la phase post-accidentelle d'une situation d'urgence
radiologique (Codirpa) présentant des éléments de
réflexion susceptibles de fonder cette doctrine.
Ce courrier est le fruit de travaux conduits par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en lien avec des services et agences de l'Etat, les opérateurs nucléaires et certains acteurs associatifs, à la suite d'une directive interministérielle d'avril 2005. Il témoigne d'un changement radical dans la façon dont les autorités envisagent l'aléa nucléaire. Pendant des décennies, elles se sont montrées obsédées par la sûreté, insistant sur les mécanismes de défense et des statistiques rassurantes, l'accident n'ayant qu'une chance sur un million d'advenir, assurait-on fréquemment. Elles se placent désormais dans la perspective où il surviendrait bel et bien, avec des conséquences environnementales et sanitaires de moyen et long terme. "Jusqu'à présent, les textes géraient la phase d'urgence d'un accident, jusqu'à la fin des rejets radioactifs, ce qui donne lieu à une dizaine d'exercices par an, témoigne Jean-Luc Lachaume, directeur général adjoint de l'ASN. Le post-accidentel, c'est explorer ce qui se passe ensuite: comment revenir à une situation vivable, si tant est qu'elle le soit, dans les zones touchées." Pour se projeter dans cette situation, le Codirpa a imaginé deux scénarios – rupture de tube de générateur de vapeur, fusion partielle du cœur du réacteur – comprenant des rejets respectivement d'une heure et d'une journée. Faut-il ou non autoriser le retour des populations dans les territoires contaminés, et si oui à quelle échéance? Comment organiser leur suivi sanitaire, gérer les déchets, dimensionner les indemnisations? Une masse d'interrogations est née de ces exercices spéculatifs, conduits dans des groupes de travail spécialisés. |
En décembre 2007, un séminaire
a permis de synthétiser ces contributions, et de mesurer le chemin
qui reste à parcourir. Par exemple, "la méthodologie reste
à définir sur l'évaluation de la dose reçue
par la population, note M. Lachaume. Il faut introduire un débat
scientifique, à froid, sur ce point controversé." Plus
concrètement: décontaminer les maisons au jet, pour prévenir
l'incrustation des radionucléides, ne va-t-il pas induire des pollutions
dans les réseaux d'eau? Dans les zones agricoles, faudrait-il moissonner
pour concentrer la radioactivité et s'en débarrasser, ou
chercher sa dilution?
En 2008, le Codirpa va commencer à donner des instructions aux préfets, organiser de nouveaux exercices de crise pour tester l'ébauche de "doctrine", engager des discussions avec les milieux associatif, éducatif, médical et médiatique. N'est-il pas inquiétant d'être encore au milieu du gué? "On sait bien gérer la première phase accidentelle, assure Jean-Luc Lachaume. On serait capable de bien réagir en cas de crise plus longue." "On peut modéliser, supputer; de toute façon, rien ne se passera comme prévu", estime Monique Sené, du Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN), qui a pris part aux travaux du Codirpa. La physicienne salue l'effort de l'Etat pour combler ses lacunes, mais estime qu'une des priorités consiste à associer la population. Fin connaisseur de la situation en Ukraine et en Biélorussie, touchées au premier chef par le nuage radiologique de Tchernobyl, Jean-Claude Autret, de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest, a lui aussi participé au Codirpa. "On travaille sur des accidents très minorés par rapport à Tchernobyl, rassurants pour les autorités", regrette-t-il, notant que le champ de recherche est "énorme". Il se félicite cependant du changement de mentalité au sein de l'ASN, tant "il est dur d'appréhender le sacrifice d'un territoire pour plusieurs siècles, voire des millénaires". Hervé Morin
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