Par BERNARD LAPONCHE Polytechnicien, docteur
ès sciences en physique des réacteurs nucléaires,
expert en politiques de l'énergie et de maîtrise de l'énergie
Le caractère mystérieux de l’énergie
nucléaire et l’aura scientifique qui l’entoure masquent pour beaucoup
la réalité de son utilisation dans les centrales nucléaires:
il s’agit de chauffer de l’eau sous une pression suffisante, ou de la faire
bouillir, afin de produire de la vapeur produisant à son tour de
l’électricité grâce à un turboalternateur, comme
dans une chaudière à charbon. Un réacteur nucléaire
est une chaudière dans laquelle la chaleur, au lieu d’être
produite par la combustion du charbon par exemple, est produite par la
fission des noyaux d’uranium 235 contenus dans le combustible (des «crayons»
d’uranium ou d’oxyde d’uranium).
(suite)
|
suite:
Du fait d’un enchaînement de non-fonctionnements de certains dispositifs techniques, de la production d’hydrogène, de fuites éventuelles, on arrive non seulement à la destruction interne du réacteur mais aussi à la projection à l’extérieur de quantités plus ou moins considérables de gaz et de matières radioactives. Quel décalage effrayant entre le drame de Fukushima et l’objet de ces réacteurs aujourd’hui en perdition: faire bouillir de l’eau. Il existe de multiples moyens de faire chauffer ou bouillir de l’eau et de produire de la vapeur à 300° (eau-vapeur dans un réacteur à eau bouillante) ou de l’eau sous pression à 320° (eau dans un réacteur à eau pressurisée), températures relativement basses, d’où le mauvais rendement des centrales nucléaires. Par la combustion du charbon (peu recommandée à cause des émissions de CO2) ou du gaz naturel (meilleur de ce point de vue du fait de la cogénération produisant de la chaleur et de l’électricité ou du cycle combiné, à haut rendement, pour la production d’électricité) mais aussi du bois, des déchets végétaux et du biogaz. On peut aussi capter le rayonnement solaire, concentré par des miroirs, pour produire de l’électricité (solaire thermodynamique). Il existe aussi de nombreux moyens de produire de l’électricité sans faire bouillir de l’eau: hydraulique (barrages, fil de l’eau), éolien, solaire photovoltaïque, solaire thermodynamique (concentration par miroirs des rayons du soleil pour atteindre des températures suffisamment élevées), géothermie à haute température, énergies marines (marémotrice, énergie des vagues, hydroliennes utilisant les courants, énergie thermique des mers). Certes, toutes ces techniques ne sont pas industriellement développées et certaines restent plus chères que les centrales thermiques, mais aucune n’a bénéficié des soutiens publics colossaux qui ont accompagné depuis l’origine le développement de l’énergie nucléaire. Toutes peuvent présenter certains risques mais aucune ne présente le danger terrifiant, étalé dans le temps et dans l’espace, de la catastrophe nucléaire. On ne nous fera pas croire que l’ingéniosité humaine qui a su maîtriser le feu il y a 400.000 ans et a inventé et développé depuis des machines fort astucieuses (le vélo et le train sont parmi les plus remarquables) n’est pas capable de développer rapidement et à grande échelle l’utilisation de toutes ces énergies renouvelables. On peut donc se passer du nucléaire, sans se priver d’électricité. De plus, en particulier en France, la priorité qui s’impose, tant pour des raisons de sécurité énergétique que de risque climatique, de réduire les consommations d’énergie par la sobriété et l’efficacité énergétiques s’impose aussi pour l’électricité: on peut, et il faut, réduire sa consommation, dans les pays les plus riches et pour les populations les plus riches. Il y a quelques jours, dans un grand quotidien français, quatre fervents supporteurs des centrales nucléaires ont écrit cette phrase terrible qui condamne à elle seule leur propre cause: «Il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire.» Phrase au futur et non au conditionnel. Ainsi, il faudrait que l’humanité s’habitue à de telles catastrophes, «de temps en temps» (tous les dix ans?) tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, le rythme d’occurrence s’accroissant probablement avec le nombre des pays qui choisiraient de construire des centrales nucléaires? En bien non! Un tel futur est inacceptable. Nous préférons construire et vivre un futur énergétique plus simple, plus sobre et plus ensoleillé. |