CONTROVERSES NUCLEAIRES !
Suivi des infiltrations de la mine de sel d'Asse
(Allemagne, Basse-Saxe)
2007 - 2008 -2009
novembre
Des infiltrations compliquent l'enfouissement de déchets radioactifs dans une mine allemande:
LE MONDE | 08.11.07
REMLINGEN (ALLEMAGNE) ENVOYÉ SPÉCIAL
     A 600 m sous terre, la température approche les 30°C. Les phares du pick-up révèlent la blancheur des parois de la mine d'Asse, creusée dans l'un des dômes de sel qui truffent le sous-sol du Land de Basse-Saxe. A un embranchement, près d'une cuve remplie d'un liquide trouble, le véhicule stoppe.
     De la main, Günther Kappei, le directeur de la mine, écarte une bâche plastifiée qui cache l'entrée d'une cavité aujourd'hui comblée. Un filet de saumure s'en échappe, pour ruisseler jusqu'à la cuve. Cette infiltration a fait couler beaucoup d'encre. La mine d'Asse, située près du village de Remlingen, à l'est d'Hanovre, n'est pas une mine comme les autres. On y a exploité la potasse puis le sel de 1909 à 1964. Le Centre national de recherche pour l'environnement et la santé (GSF), un organisme dépendant du gouvernement fédéral, l'a ensuite rachetée et transformée en site d'expérimentation sur le stockage des déchets nucléaires.
     Entre 1967 et 1978, 1.293 fûts de déchets moyennement radioactifs et 124.494 fûts de déchets faiblement radioactifs y ont été stockés. Les premiers dans une "chambre" protégée et aujourd'hui inaccessible. Les seconds dans douze autres salles d'environ 35.000 m3, où ils ont été recouverts de sel. On peut encore y voir quelques fûts émerger du sol, tels les vestiges d'une ancienne civilisation.
     La fermeture de la mine d'Asse a été décidée en 1995. Elle ne sera pas effective avant, au mieux, 2017, le temps d'y construire 67 murs destinés à empêcher la circulation éventuelle de fluides, de remblayer les 130 salles et la quinzaine de kilomètres de galerie, d'y injecter un coulis à base d'oxyde de magnésium afin de stabiliser l'ensemble et de fermer, enfin, le puits d'accès.
     En mai, l'hebdomadaire allemand Der Spiegel a publié un article très alarmiste, annonçant l'imminence d'une catastrophe écologique majeure à Asse. Günther Kappei y évoquait le risque d'inondation de la mine, ajoutant: "Il ne nous restera plus qu'à fuir." Des propos qu'il nie aujourd'hui avoir tenus.
     L'infiltration de saumure est pourtant bien un motif d'inquiétude. "Elle est apparue en 1988 et, depuis lors, ni son débit - 11 à 12 m3 par jour - ni sa composition chimique n'ont évolué", tempère le directeur de la mine.
     "Avec le temps, elle s'est déplacée de plus en plus profondément et se rapproche des salles où se trouvent les déchets nucléaires, s'inquiète pourtant Udo Dettmann, informaticien et responsable d'Asse2, un rassemblement d'habitants de la région. On peut craindre qu'elle prenne de l'ampleur."
     Car le danger se situe là: que la mine d'Asse soit inondée avant d'avoir été sécurisée, puis que des fluides corrosifs se chargent de radioactivité au contact des fûts et remontent vers la surface.
     "Les mines de sel finissent toujours par être inondées, c'est inéluctable, explique le spécialiste français Bernard Feuga, du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ceci dit, je ne vois pas de risque immédiat de catastrophe à Asse, à moins d'une grosse bévue avant la fermeture, ce qui me semble très peu probable. Le risque numéro un, c'est que le remblayage soit mal fait, et que le sel, qui a la propriété de refermer progressivement les vides qui subsistent dans le sous-sol, chasse la saumure contaminée vers la surface."
     Une plainte a été déposée au printemps par Irmela Wrede, une restauratrice de meubles vivant à proximité de la mine, pour tenter de faire suspendre les opérations de fermeture. Les citoyens regroupés au sein d'Asse2, soutenus par le parti des Verts, réclament une étude approfondie de toutes les options possibles, y compris l'évacuation des déchets radioactifs.
     Une hypothèse qu'écarte Joachim Bluth, du ministère de l'environnement de Basse-Saxe: "Cela prendrait des années et aurait un impact non seulement sur l'environnement, mais aussi sur les personnes qui auraient à manipuler les fûts."
     Le gouvernement du Land soutient le plan de fermeture proposé par GSF, qui doit encore être entériné par les autorités minières régionales, mais ne cache pas une certaine impatience qui pourrait passer pour de l'inquiétude: "Nous n'avons pas de certitudes, même à moyen terme, reconnaît Harmut Schutte, conseiller au ministère de l'environnement. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre trop longtemps, sinon il y aura un problème."
     La Basse-Saxe est au coeur de la question du stockage des déchets nucléaires en Allemagne. Pour des raisons de structure géologique, c'est en effet sur son territoire que se trouvent les sites les plus adaptés, c'est-à-dire offrant les meilleures capacités de stockage en couches profondes, garantissant théoriquement une barrière géologique avec la biosphère.
     La mine de fer de Konrad, à Salzgitter, ville du ministre fédéral de l'environnement, Sigmar Gabriel (SPD), a ainsi été choisie pour accueillir, à partir de 2013, les déchets faiblement et moyennement radioactifs de l'industrie nucléaire.
     Pour ce qui concerne les déchets hautement radioactifs, la situation est au point mort depuis 2000 et le moratoire sur le site de Gorleben décidé par Berlin. Les divergences sur la question du nucléaire entre CDU et SPD, au sein de la coalition gouvernementale, rendent peu probable un déblocage avant les prochaines élections législatives, prévues en 2009.
Gilles Van Kote

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